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Ses mains battaient vigoureusement contre la barrière invisible. Il pouvait voir la lumière, mais était incapable d’atteindre son but. Et cette douleur dans sa poitrine ! La brûlure de l’oxygène qui commençait à lui manquer. Elle se diffusait, lancinante, aussi atroce que de la peau écorchée. S’il ne faisait rien pour l’empêcher, il était certain qu’il mourait ainsi. Pris au piège d’un sortilège qu’il n’avait pas vu venir.

Carter continua à se battre jusqu’à ce que ses membres s’alourdissent. Rapidement engourdi, il s’immobilisa. Son corps se mit à sombrer vers les profondeurs et s’éloigna lentement de la surface qu’il discernait toujours.

Son esprit vagabonda, prêt à accepter la mort qui l'attendait. Il repensa aux paroles de sa mère qui lui implorait de ne pas penser à eux et de faire face à cette opportunité pour son propre bénéfice. La certitude qu’il n’était pas à la hauteur remplaça le vain espoir insufflé par la joie de ses parents. S’il devait le faire pour lui-même, abandonner semblait la meilleure des solutions. Il n’était clairement pas à la hauteur.

Il ferma les yeux et savoura les quelques secondes de conscience qui lui restait. Le sortilège prendrait sûrement fin dans quelques instants et il serait renvoyé chez lui. Bien sûr, ses parents seraient déçus, mais Carter savait qu’ils lui pardonneraient avec le temps. Qu’après tout, on ne pouvait pas faire d’Archimage dans une famille de magiciens de pacotille.

La douleur dans sa poitrine se décupla soudainement le forçant à inspirer. L’eau entra dans sa bouche et son nez, glissa dans sa gorge sans jamais être désaltérante. Il toussa pour rejeter cette eau sombre et ne put rien faire quand le reflexe vital le poussa à en avaler davantage. Il se noyait pour de bon cette fois ; aucune issue n'était possible !

Soudain, il sentit le pouvoir exploser autour de lui. Immobile, il conclut que l'épreuve touchait à sa fin. Ce n’est que quand il perçut les vibrations magiques provenant du creux de son ventre qu’il se rendit à l’évidence : Ses dons se battaient pour sa survie sans y avoir été invités ! Ils décidaient à sa place et enveloppaient son corps d’une volonté qui leur était propre.

La douleur disparut et il fut tiré vers le haut. La surface lumineuse se rapprochait si vite qu'il heurterait la barrière magique d'un instant à l'autre. Une toute petite seconde et tout serait fini.

La membrane invisible qui l’empêchait auparavant de s’extraire des flots se brisa à son contact. Carter s’écrasa dans l’herbe humide, ses vêtements dégoulinants d’une eau poisseuse. Il inspira bruyamment et passa une main sur ses yeux pour les essuyer. Il était de nouveau dans ce champ et, au loin, brillait toujours la lueur. Il avait encore une chance de réussir. Il fallait seulement qu’il trouve la force de se lever.

— Carter ! Tu peux bouger ?  lui demanda Emily qu’il n’avait pas remarquée à ses côtés.

Elle le dévisageait, inquiète, mais pleine d'énergie. En découvrant la concentration et la volonté sur son visage, Carter se rendit compte à quel point réussir cette première épreuve était important pour elle. Il avait toujours entendu parler du programme MAGUS comme l’élite de la formation magique, mais, jusqu'à maintenant, n'en avait jamais saisi l'importance. À la voir ainsi, emplie d’une conviction si transparente, Carter prit sa décision.

Il poussa sur ses bras pour se relever. Un sourire se dessina sur les lèvres d’Emily qui lui tendit une main amicale. Carter la prit, non sans jeter à la jeune magicienne un regard bienveillant. À son contact, un frisson lui parcourut l’échine. Le pouvoir qui émanait d'elle était comme une tempête déchaînée ; bourrasques et tourbillons qu’elle gardait ensevelis sous la surface, comme une cavalière retenant les brides de sa monture.

— On y va ensemble. Personne ne reste derrière, affirma-t-elle d’une voix assurée.

Carter s’imprégna de la détermination de son allié et opina. Il avait beau ne pas connaître ce qui avait rendu la famille Bellhouse célèbre, il était certain que cette empathie en faisait partie.

Emily s’élança et Carter la suivit. Leur course effrénée les rapprochait peu à peu de la porte. Elle n’était rien de plus qu’une sphère scintillante et intangible flottant au-dessus de l’herbe verte.

Un mouvement sur leur droite attira l’attention de Carter.

— Emily, attention ! hurla-t-il alors qu’un mur de flammes filait dans leur direction.

Emily s’arrêta aussitôt et se tourna vers le feu qui s’apprêtait à l’engloutir. Elle expira doucement et lança son bras gauche en un gracieux geste circulaire. Carter s’immobilisa à son tour. La chaleur lui piquait le visage. Il ferma les yeux, prêt à encaisser l’impact, mais rien ne se produisit. Quand il reporta son attention alentour, il découvrit la bulle composée d’écailles bleutées qui l’entourait.

Les flammes léchaient les parois de la carapace magique dressée autour d’eux ; se répandaient sur elle comme un liquide brûlant. Puis, le feu se dissipa et la protection d’Emily disparut.

Devant eux, à genoux sur le sol, se trouvait Jonas. Un cercle fumant l’entourait alors qu’il essayait de reprendre sa respiration. Sa veste de jean et son pantalon de toile étaient brûlés par endroit. Pourtant, son visage, où perlaient des gouttes de sueurs translucides, paraissait serein.

Carter se demanda s’il avait dissipé le sortilège enflammé dans lequel il était tombé ou s’il avait miraculeusement survécu à l’explosion. Peu importait. La certitude du talent des deux magiciens s'imposa à lui. Le doute quant à ses propres capacités l’enveloppa une fois de plus, mais cette fois-ci, il ne le laissa pas prendre le dessus. Sa curiosité venait de l'emporter et, avec elle, son désir d’entrer dans le programme MAGUS.

Dissimuler sa médiocrité serait une épreuve difficile, mais il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour se jeter corps et âme dans l’apprentissage qu'on lui offrirait. C'était le seul moyen qu'il voyait pour arriver à atteindre leur niveau ou du moins, ce qui s'en rapprochait le plus.

—Tout va bien ? demanda finalement Carter.

— J’ai eu chaud aux fesses, mais ça va ! rétorqua Jonas en se relevant péniblement.

Emily pouffa discrètement avant de reprendre la contenance qui lui incombait.

Le trio se tourna vers la porte à quelques mètres de là. Ils pouvaient déjà sentir l'anxiété se dissiper face à leur victoire imminente. Aucun sortilège n'avait pu les arrêter et personne n'était resté en arrière. Leur camaraderie silencieuse tissa une toile invisible entre eux ; lia sans leur accord les fils de leur destin.

Jonas et Emily avancèrent d’un pas assuré en direction de la porte, prêt à relever les défis du programme MAGUS. Carter leur emboîta le pas, ses prunelles caramel fixées sur son objectif.

Emily fut la première à passer. Quand elle passa au-travers de la sphère, son corps sembla osciller un instant avant disparaître sans un bruit. Jonas jeta un coup d'oeil à Carter, lui décocha un sourire rassurant et s'évapora à son tour.

Carter n’était plus qu’à quelques centimètres de la ligne d'arrivée. Une vibration diffuse s'échappait de la porte, l'invitait presque à faire le dernier pas dans sa direction.

Il inspira pour se donner du courage et essaya de couvrir la distance, en vain. Il ne pouvait plus bouger. C'était comme s'il avait les pieds ancrés dans le sol, magnétisés par une force qui le dépassait.

— Carter Lewell, le programme MAGUS t’a choisi, mais ton cœur semble indécis. Es-tu certain d’être prêt à saisir cette opportunité ? résonna la voix autour de lui.

Carter voulut répondre, mais en fut incapable. A vrai dire, il était incapable de savoir si sa sélection était justifiée. Sa famille ne l'avait jamais encouragé à pratiquer la magie et il avait toujours fait en sorte de vivre une vie normale. Ses différences contaminaient déjà tant d'aspects de sa vie qu’il avait toujours vu ses dons comme une problématique supplémentaire. Au fil du temps, il avait réussi à se persuader qu’il était à l’image de ses parents et qu’il était préférable, s’il n’excellait pas dans ce domaine, de ne pas s’y intéresser.

Pourtant, le programme MAGUS l’avait choisi. Il avait été élu parmi des milliers de magiciens en herbe à travers le monde et, même s’il n’en comprenait pas les raisons, il devait se rendre à l’évidence que : potentiel avait attiré l’attention de quelqu’un. Il se devait d’aller jusqu’au bout pour découvrir ce qu’on avait bien pu voir en lui.

— Je ne suis sûr de rien si ce n’est d’une chose : je suis prêt à relever le défi, affirma-t-il de sa voix chantante.

Son corps se délivra de l’emprise du sortilège et il avança. Une lumière blanche l’engloba et il disparut sans un bruit

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Assis dans l’herbe, le jeune homme regarda la boule de lumière se dissiper. Il resta un instant à contempler l’espace vide de ses yeux bleu-vert et se releva d’un mouvement souple.

— Carter… Lewell, murmura-t-il en se détournant pour avancer dans le lointain.