Carter jeta un bref coup d’œil à l’extérieur de l’habitacle. Le paysage défilait à vive allure derrière la vitre teintée de la voiture de sa mère. Cette dernière, son regard de faucon rivé sur la route devant elle, s’extasiait depuis une bonne demi-heure déjà sur les raisons de leur déplacement. Seulement voilà, Carter était bien trop absorbé par ce qui se passait à l’extérieur et ne prêtait pas attention à ses pépiements.
Pour les familles de magiciens, le programme MAGUS était un gage d’excellence comparable aux écoles privées humaines. La différence était qu’aucun concours d’entrée n’avait lieu et que les parents ne pouvaient en aucun cas soudoyer le directeur du programme pour que leur progéniture ait accès aux savoirs des professeurs. Après tout, en plus d’un emploi assuré à la fin de la formation, les élèves sélectionnés et triés sur le volet obtenaient le titre d’Archimage, le plus honorifique dans le monde de la magie.
Il était alors compréhensible que Theresa Lewell soit prise d’une logorrhée verbale depuis son départ de leur appartement londonien.
– Je ne sais même pas si on pourra te contacter, mais dès que tu le pourras, il faudra que tu nous dises si tu es bien installé et que tu nous racontes comment se passent les cours, dit-elle de sa voix fluette.
Carter ne répondit rien. Son esprit divaguait au gré du paysage qui changeait au fil des kilomètres ; décors urbains qui se transformaient peu à peu en étendue verdoyante.
Évidemment, il était heureux d’avoir reçu le courrier du programme MAGUS. Cependant, il ne pouvait se soustraire au sentiment de doute qui embrumait son esprit. Ses parents étaient des magiciens sans talent particulier qui s’étaient spécialisés dans des branches de soutien ; en rapport avec le médical pour son père, le divertissement pour sa mère. S’il n’y avait aucun déshonneur dans cela, Carter avait du mal à croire que les capacités d’Illusionniste de Theresa et la prédisposition de son père pour les sorts de guérison avaient créé, en lui, un quelconque potentiel extraordinaire.
Tout l’intérêt du programme MAGUS était de recruter des jeunes magiciens capables de se servir avec aisance de tous les types de magie. Une fois diplômés, les élèves intégraient, la majorité du temps, des équipes d’unités spéciales visant à endiguer les menaces surnaturelles. D’autres cependant, tombaient hors du système et se servaient de leur immense pouvoir pour assouvir des désirs malveillants, comme ce fut le cas en 1916 quand Tobias McDouglas révéla l’existence du surnaturel aux humains.
Du moins, c’était ce que relataient les livres d’histoires. Ainsi, la magie faisait désormais partie intégrante du monde et la société la voyait comme un talent exceptionnel, au même titre que l’excellence sportive et le génie intellectuel. En conséquence, comme toutes les personnes différentes des autres, les mages avaient encore du mal à être acceptés. Ils étaient grandement limités par des lois strictes et sanctionnées par la peine de mort.
– Carter ? Tu m’écoutes ? On ne devrait pas tarder à arriver. Tu es sûr que tu as tout ce qu’il te faut ? Tu veux que j’appelle ton père ? Est-ce que tu veux qu’on s’arrête un moment ? s’inquiéta Theresa, son débit vocal s’accélérant sous l’émotion.
– Non, maman, c’est bon. Je sais que tu t’inquiètes, mais ça va aller. Je vous donne des nouvelles dès que je peux, promis, répondit finalement Carter de sa voix voilée et légèrement chantante.
Pour la première fois depuis qu’ils avaient quitté Londres, Theresa se tourna vers son fils et laissa ses lèvres s’étendre en un sourire triste. Ses yeux, d’une couleur noisette tirant sur le vert, s’embuèrent avant qu’elle ne reporte son attention sur la route.
Carter la dévisagea un instant. Les traits fins de sa mère faisaient d’elle une belle femme qui n’avait pas encore à se soucier des effets du temps. Ce qui ne l’empêchait pas de porter des rides rieuses au coin des yeux et au niveau des joues. D’un geste rapide, elle essuya son petit nez buté du revers de la manche et renifla discrètement.
– Je suis fière de toi, Carter. Ne l’oublie pas.
– Je sais, maman.
– Non, je veux que tu comprennes que, quoi qu’il arrive, ton père et moi sommes fiers de toi. Nous ne sommes que des magiciens de bas étage, et cette sélection est déjà un accomplissement. Je n’ai pas envie pas que tu te laisses écraser par la pression de nous satisfaire. Fais simplement de ton mieux. Pour toi. Et nous serons heureux.
Carter détourna le regard, sentant une émotion désagréable l'envahir. Il n’avait jamais été très à l’aise avec les effusions sentimentales. Probablement parce qu’elles lui faisaient plus plaisir qu’il ne voulait bien le reconnaître. Il inspira lourdement, forçant le poids dans sa poitrine à s’estomper.
– Merci, maman.
Ils continuèrent à couvrir la distance les séparant de leur destination en silence. Theresa ralentit avant de tourner à une intersection qui ne semblait être rien de plus qu’un chemin de terre. Ils roulèrent ainsi pendant quelques minutes supplémentaires, ne repérant rien aux alentours, jusqu’à rejoindre un parking de fortune où attendaient des familles.
Carter sortit de la voiture et observa les deux groupes déjà présents.
Sur la gauche, à côté d’un petit cabriolet noir, se tenaient deux femmes proches de la cinquantaine. L’une arborait un carré court et lisse qui encadrait un visage impassible. Ses yeux gris ne semblaient même pas ciller et il en émanait une intensité effrayante. Celle à ses côtés avait les traits plus doux et de longs cheveux blonds attachés en une natte serrée. La hauteur de ses pommettes et les fossettes qui creusaient ses joues rondes lui donnait l’air de quelqu’un qui aimait rire de tout. Elle tourna d’ailleurs ses yeux sombres vers Carter et lui décocha un sourire poli, mais honnête.
Les deux femmes faisaient face à une fille plus jeune. Elle avait enfilé une veste de cuir noir, très à la mode ces derniers temps, par-dessus un chemisier blanc à col rond. Sa longue jupe bordeaux portée en taille haute touchait presque le sol cabossé et ne laissait apparaître de ses chaussures qu’un talon épais et sombre.
Se sentant observée, l’inconnue tourna la tête. Ses cheveux blonds, des boucles lestes et désordonnées, virevoltèrent autour de son visage poupon. Ses yeux en amande avaient le même gris acier que ceux de la femme impassible. Son nez en pointe avait la finesse d’un coup de crayon habile et s’accordait à la pulpe de sa bouche en cœur, colorée d’un rouge à lèvres sanguin. Peu intéressée par ce que lui inspirait Carter, elle détourna son regard et reprit sa conversation.
Ce qu’il voyait sur la droite n’était pas aussi généreux en information. Carter pouvait discerner un jeune homme seul assis derrière le volant de sa Smart grise et cabossée. Le reflet de son visage laissait entrevoir des traits anguleux sous une tignasse de cheveux sombres et en bataille. Il avait l’air de porter une barbe taillée, à moins que cela ne soit une illusion d’optique créée par les ombres de cette matinée.
Une forte brise souffla soudainement sur leur parking de fortune avant de s’arrêter net, plongeant tout ce qu’il y avait alentour dans un silence oppressant.
– Emily Bellhouse. Carter Lewell. Jonas O’Sullivan. Veuillez dire au revoir à vos proches et avancer vers l’est, annonça une voix éthérée.
Carter se tourna vers sa mère, qui ne pouvait désormais plus s’empêcher de pleurer, et la serra dans ses bras.
– Je t’aime, Carter. N’oublie pas de faire de ton mieux et de nous donner des nouvelles.
– Je t’aime aussi, maman. Embrasse papa pour moi.
Ils s’étreignirent un instant avant de se séparer. Carter jeta un coup d’œil à la blondinette qui s’avançait déjà en direction de l’est et au barbu qui la suivait de près. Il leur emboîta le pas sans un mot.
MB
– Je m’appelle Emily. Enchantée de vous rencontrer, finit-elle par dire sans se retourner.
Cela faisait maintenant une vingtaine de minutes qu’ils marchaient dans la même direction, sans que la voix ne leur donne plus d’information. Tout n’était qu’étendues herbeuses autour d’eux et ils ne voyaient déjà plus les voitures de leurs proches.
– Moi c’est Jonas, mais tout le monde m’appelle Jo, enchaîna le barbu d’une voix grave et platonique.
– Carter, enchanté.
Le silence s’imposa un instant. Jonas se racla la gorge et reprit la parole.
– Emily Bellhouse, comme dans...
– Gregory Bellhouse, l’Archimage. Exactement ! le coupa-t-elle avec fierté.
– Et bah putain ! Y’a du niveau d’entrée de jeu ! poursuivit Jonas avant de partir dans un rire rocailleux.
Carter fixait le dos de Jonas secoué par les soubresauts de sa gaieté. Il ne comprenait pas ce à quoi il faisait référence. Le nom de Bellhouse lui disait vaguement quelque chose, mais il n’avait jamais été assez attentif pour retenir quoi que ce soit à ce sujet. L’espace d’une seconde, il voulut poser la question à Emily, mais se ravisa pour dissimuler son ignorance.
– Emily. Jonas. Carter. Une porte va s’ouvrir plusieurs mètres devant vous. Pour commencer le programme MAGUS, vous devrez traverser cette porte. Utilisez les incantations que vous désirez pour rejoindre votre but. Il vous est formellement interdit de vous empêcher mutuellement d’avancer. Votre première évaluation débute maintenant.
La voix avait retenti tout autour du trio comme si des enceintes invisibles flottaient dans les airs. Tout à coup, le sol se mit à vibrer sous leurs pieds. Surprise, Emily trébucha sur sa jupe et bascula. D’un mouvement d’une rapidité anormale, Jonas se jeta à ses côtés et la rattrapa avant qu’elle ne tombe. Un sourire charmeur dévoila ses dents blanches et parfaitement alignées.
Au loin, une lueur laiteuse apparut soudain. Carter essaya de discerner s’il s’agissait de la fameuse porte, mais tout ce qu’il voyait était ce rayonnement étrange. Une seconde secousse passa sous leurs pieds et la voix s’éleva de nouveau.
– Vous avez cinq minutes avant que la porte ne se ferme. Entrez, et vous serez accueillis au sein du programme MAGUS. Échouez, et vous serez renvoyés chez vous. Bonne chance !
Emily et Jonas échangèrent un bref regard avant de se détacher l’un de l’autre pour s’élancer en avant. Carter, surpris, ne bougea pas. Il ne s’attendait pas à être testé aussi rapidement et il n’était même pas sûr de mériter cette opportunité.
Les paroles de sa mère lui revinrent alors à l’esprit et il se lança à son tour. Ses jambes l’entraînant dans une course folle vers son but.
Tout à coup, un hurlement strident retentit devant lui. Carter reporta son attention sur ses camarades de fortune, pour découvrir avec horreur qu’Emily s’élevait rapidement au-dessus du sol. Jonas n’avait même pas pris la peine de s’arrêter pour lui venir en aide et continuait sa course.
Carter ralentit sa foulée alors qu’il arrivait au niveau d’Emily.
– Le champ est piégé ! Ils veulent qu’on utilise la magie pour aller jusqu’à la porte ! Lui hurla-t-elle alors qu’elle s’élevait encore plus haut.
Carter s’arrêta net et inspira profondément.
– Jonas ! Le champ…
Une explosion surpuissante lui coupa la parole. Les flammes englobèrent Jonas, qui se volatilisa dans leur étreinte. Le souffle brûlant propulsa Carter en arrière. Il se prépara mentalement à encaisser le choc, mais son dos s’enfonça dans l’herbe, traversant la surface du sol, pour disparaître dans une flaque d’eau sombre.
Hébété, il faillit inspirer avant de se rendre compte qu’il était complètement immergé, et qu’agir ainsi lui coûterait la vie. Il ouvrit les yeux, mais tout n’était que ténèbres autour de lui. Ses bras et ses jambes se débattaient avec le liquide froid qui le happait peu à peu vers les profondeurs. Un éclat de lumière attira son attention et il vit ce qui ressemblait à la surface scintillante sous les rayons du soleil.
Il contracta ses muscles, et dans un réflexe de survie, nagea vers les reflets lumineux. Sa stupeur se transforma en terreur quand ses mains s’écrasèrent contre une membrane solide. Pris au piège sous les flots, il se retrouva seul avec la brûlure mortelle de ses poumons prêts à éclater.
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