Carter n’avait aucune idée de la façon dont il pourrait lui dire. En vérité, il n’avait aucune certitude sur la réaction qu’engendrerait son annonce. Son cœur lui intimait depuis plusieurs semaines de dévoiler ses sentiments, mais il n’en avait pas eu le courage jusqu’à maintenant. Cependant, les dangers rythmant ces derniers jours étaient une source de motivation suffisante. Risquer de le perdre sans lui avoir avoué ce qu’il ressentait était un pari qu’il se refusait à prendre.
Il avança d'un pas, toujours sous le regard attentif d’Eric, qui ne comprenait pas pourquoi une simple discussion avait empli soudainement l’atmosphère d’une pesanteur nerveuse.
– Carter, tu veux bien me dire ce qui se passe ? lui demanda Eric, d’une voix tendre.
Carter posa ses yeux sur lui, ouvrit la bouche, mais la referma aussitôt quand les yeux bleu-vert de son ami rencontrèrent les siens. Non. Il ne pouvait pas lui dire. Pas sans avoir la certitude que ses sentiments étaient réciproques. Dans le cas contraire, il risquait de perdre celui qui avait, étrangement, toujours été là pour lui.
Malgré tout, Carter refusait de rester dans ce flou romantique, à s’accrocher à chacune des attentions de son ami sans pouvoir les interpréter. Il refit un pas en avant et s’assit sur le bord du canapé qui faisait face au fauteuil d’Eric. La table basse en verre qui s’interposait entre eux lui donnait une impression rassurante de sécurité.
Il jeta un bref coup d’œil à son studio. Le parquet verni luisait sous les rayons du soleil matinal, qui filtraient au travers d’une porte-fenêtre s’ouvrant sur un petit balcon. Les murs peints dans des tons beiges, étaient dépourvus de toute décoration ; un rappel qu’il n’avait jamais pris la peine de s’installer confortablement. Sur sa gauche, une kitchenette exhibait une pile désordonnée de vaisselle sale.
– Eric... J’ai conscience qu’on ne se connaît que depuis peu de temps, mais…
Le hurlement de la sonnette retentit dans l’espace. Carter lâcha un grognement agacé et se leva pour rejoindre la porte d’entrée sur sa droite.
Un frisson parcourut son échine et sa main hésita un instant avant de se poser sur la poignée.
– Carter ! Non ! lança Eric.
Trop tard. La porte était entrouverte et une main inhumaine s’infiltrait déjà par l’interstice. Carter essaya de la repousser de toutes ses forces, mais rien n’y fit. Elle s’ouvrit en trombe, le forçant à reculer.
Eric se leva d’un bond et s’avança pour le rejoindre. Il se plaça juste devant lui pour faire bouclier de son corps et laissa échapper un hoquet de stupeur. L’horreur qui se tenait dans l’entrée imprima son image cauchemardesque dans sa mémoire.
L’apparition mesurait presque deux mètres et était d’une minceur maladive. Sa peau, d’un noir cendré, était craquelée par endroits comme de la porcelaine abîmée. Les fissures laissaient échapper une étrange lueur orangée.
Le monstre avança. Ses bras se balançaient mollement au niveau de ses genoux, beaucoup trop longs pour être ceux d’un homme. Mais le pire était son visage. Pas de nez, ni de bouche. Seulement une paire de yeux sans globes oculaires. Une obscurité dense se trouvant à l’intérieur des orifices de ce crâne horrifique.
– N’ayez pas peur… Je ne viens que pour l'un de vous, déclara le monstre d’une voix provenant de partout à la fois.
Carter s’avança au même niveau qu’Eric et tendit la main, paume ouverte vers le sol. L’air se chargea d’une tension palpable, comme si la pièce avait soudainement été submergée par un liquide invisible. Il psalmodia les mots qui lui venaient à l’esprit et rassembla sa volonté. En une fraction de seconde, un reflet lumineux se dressa devant les deux amis.
Le démon leva le bras. Sa main, composée de quatre doigts sertis de griffes tranchantes, se rapprocha et s’arrêta pour caresser le vide devant elle. À chacun de ses mouvements, une lueur violacée apparaissait, formant une membrane de lumière en face de ses proies.
– Pauvre petit magicien de pacotille. Penses-tu vraiment qu’un bouclier sera suffisant ? Aurais-tu oublié que je suis fait de magie ? ricana le monstre en laissant son bras retomber contre son flanc.
Les yeux de Carter s’écarquillèrent quand il prit conscience de son erreur. Sa bouche s’ouvrit pour modifier son incantation, mais il était déjà trop tard ! La douleur foudroya son corps alors que ses pieds décollaient du sol. Son dos s’écrasa sur la table basse qui explosa sous son poids, les morceaux de verre lacérèrent ses vêtements et sa peau.
À bout de souffle, Carter puisa dans ses réserves physiques pour se redresser, ses paumes blessées par les échardes translucides qui gisaient autour de lui.
– Petit magicien. Tu vivras aujourd’hui. Mon maître n’a pour désir que le goût de ton désespoir. Ton pouvoir est une curiosité qui mérite qu’on la mette à l’épreuve, siffla le démon.
Une fumée sombre s’éleva autour du "sans visage", le recouvrant complètement avant de se dissiper. À sa place, se tenait désormais une copie de Carter. Sa peau était du même teint cuivré, ses yeux d’un caramel semblable. Ses cheveux d’un noir profond étaient coupés à ras sur le haut de sa tête, incapable de dissimuler les rides d’expression sur son front. Seulement, ce jumeau souriait comme Carter ne l’avait jamais fait. Son rictus, déformé par ses intentions machiavéliques, lui inspira une peur panique.
Il attrapa Eric à la gorge d’un geste vif et le souleva au-dessus du sol sans effort. Ce dernier se débattit et chercha à combattre l’étranglement. Il émit un gargouillement désespéré. La main libre du démon se leva dans les airs. Le temps sembla soudainement ralentir.
La voix de Carter s’éleva, grave et sombre, alors qu’il assistait impuissant au pire des scénarios possibles. Il vit la main s’abattre et disparaître hors de son champ de vision. Quand il la repéra de nouveau, elle traversait le corps d’Eric et s’enfonçait dans son ventre pour ressortir dans le bas de son dos. Un liquide sombre s’échappait de la plaie et s’écrasait avec un bruit répugnant sur le parquet, où grandissait déjà une flaque carmin.
Puis, Eric s’écrasa sur le sol dans un bruit sourd. Le démon recula dans l’obscurité du couloir et disparut en silence.
Carter bondit en avant, la douleur de ses membres temporairement anesthésiée par l’adrénaline. Il s’agenouilla près de son ami et souleva son visage entre ses paumes. Des larmes chaudes glissaient le long de ses joues à mesure qu’il réalisait ne pas avoir la force de ramener à la vie, celui pour qui son cœur battait. Il laissa échapper un cri de désespoir et de colère mêlés et murmura son incantation.
Sa volonté tira sur la corde mentale de son pouvoir pour la faire résonner. Le liquide immatériel se déversa une nouvelle fois dans l’espace. À mesure que Carter puisait dans sa source de magie, les flots invisibles semblaient gagner en consistance. Puis, le lien se brisa. L’air se délesta de toute tension et le sortilège reflua à l’intérieur de son lanceur. Carter laissa échapper un hoquet de surprise et son corps se cabra sous un violent soubresaut.
Il rassembla sa volonté une fois de plus, mais seul le silence lui répondit. Son pouvoir avait disparu et, avec lui, la définition même de son existence.
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