Aujourd’hui, c’est un nouveau jour qui se lève. D’après ce que je sais, en cette période de l’année il devrait faire froid dans cette partie du monde. Il aurait peut-être même dû neiger, mais les températures sont clémentes et le soleil est au rendez-vous.
J’avoue que sa chaleur et sa lumière me font le plus grand bien, mais l’absence d’Elya me pèse. Il me manque et j’ai grande hâte de le revoir. Je ne sais pas par quel moyen Sire Goldorus prévoit de le ramener, mais j’espère qu’il ne lui faudra pas un mois tout entier pour me rendre mon époux. J’ai encore du mal à réaliser tout ce qui s’est passé et tout ce qui s’est dit, mais étrangement Goldorus me donne un nouvel espoir : l’espoir d’un lendemain meilleur. Nous sommes partis sur de mauvaises bases, lui et moi. Il était d’abord un ennemi, et le voilà devenu un allié puissant. Sans lui, Septuna aurait coulé à coup sûr et ses habitants m’en auront voulu à moi, la reine capricieuse qui voulait passer quelques instants avec son mari.
La prochaine fois qu’une telle idée me passera par la tête, j’y renoncerai pour le bien du peuple. Il est hors de question de laisser une fois de plus le royaume sans la moindre défense, à moins de léguer les rennes à quelqu’un de plus compétent en notre absence, juste le temps d’un séjour. Nous avons laissé Septuna sans défense, je le sais. Je l’ai toujours su, au fond. Un royaume ne peut subsister sans son roi et sa reine, ils représentent sa puissance. C’est eux qui donnent les ordres, eux qui établissent des stratégies de défense et d’attaque, eux qui gouvernent. Il faut que cela change. Il faut révolutionner ce système et passer à autre chose, déléguer des tâches à d’autres personnes afin que nous puissions nous décharger et compter sur des personnes expertes et compétentes. C’est Jack qui m’a appris que seul, dans ce monde, il était impossible de faire quoi que ce soit qui aboutisse. Cela doit s’appliquer dans tous les domaines, même celui de la gouvernance d’un royaume.
C’est ahurissant que jamais personne n’ait pensé à de telles choses par le passé, leur esprit est resté trop fermé, ancré dans un passé qui n’existe plus et des traditions qui ne sont plus d’actualité et qu’il faut absolument abolir. Dolomen va être le premier royaume à connaître un nouveau type de gouvernement.
J’inspire profondément et souris. Je me sens pleine d’une nouvelle énergie, j’ai de nouvelles idées, de nouvelles envies, de nouveaux espoirs, et je suis persuadée qu’ils vont aboutir. J’en ai la conviction.
J’entends tout à coup quelqu’un frapper à ma porte et me tourne vers celle-ci.
— Entrez.
Je vois la poignée s’abaisser et la porte s’ouvrir lentement sur Toriel et Mélisandre, accompagnés par Shou.
— Toriel !
Ô bon Dieu ! Jamais je n’aurais cru la revoir un jour ! Je me précipite alors vers elle en criant avec elle, comme deux amies lointaines qui se sont perdues de vue et se retrouvent. Nous nous jetons dans les bras l’une de l’autre tandis que Shou jappe en remuant la queue et que Mélisandre se bouche les oreilles en grimaçant, assourdi par nos cris. Je serre fort Toriel contre moi, heureuse de pouvoir la revoir.
— Tu m’as manquée !
— Toi aussi, ma belle ! J’ai appris que tu as frôlé la mort une fois de plus !
— Oh, ce n’est rien…
— C’était ton voyage de noces, Amaranthe, tu ne peux pas dire « ce n’est rien » ! Elya et toi auriez dû passer un bon moment et au lieu de ça…
— Nous aurions dû être là pour le peuple.
— Amaranthe, ma douce Amaranthe… Je ne veux pas me montrer égoïste à ta place et hypocrite envers le peuple, mais tu dois penser à toi. Vous devez penser à vous. Si tu commences à penser au peuple maintenant, tu vas te sacrifier entièrement pour lui. Je doute que ce soit la bonne solution, car tu vas mettre de côté ton couple et ton mariage va alors couler.
— Tes paroles sont aussi douces que du velours…
Je me tourne alors vers Mélisandre, lequel n’a pas prononcé le moindre mot, mais je veux connaître son avis.
— Mélisandre ?
J’arque un sourcil et il soupire, manifestement agacé de devoir se mêler de choses qui ne le regardent pas.
— Je ne veux pas me mêler de vos histoires et je ne veux pas te contredire, ma chérie, mais Amaranthe… ne fais pas les mêmes erreurs que moi. Tu as su t’imposer, les gens te respectent, certains te craignent, mais le danger est autour de toi. Moi, j’ai constamment fui, je me suis caché, j’ai fait des choses terribles pour me protéger et je me suis mis à dos plus d’un peuple.
— Ça, Mélisandre, je l’ai remarqué.
— Je suis sincère, Amaranthe. J’ai des dettes, je veux me racheter, mais la route va être longue et pénible. Je ne te dis pas de te sacrifier entièrement pour ton royaume, ce n’est pas non plus la solution, mais prête attention à ses besoins et fais en sorte qu’il soit toujours en sécurité.
— C’est ce que je compte faire et je pense établir un conseil bientôt.
— Sans Elya, je doute que certaines décisions puissent voir le jour, me confie Toriel.
— Elles verront le jour, que mes conseillers le veuillent ou non. D’ailleurs, je veux que vous y soyez tous les deux présents. Le Prince Morlan est-il ici ?
— Oui, il ne s’en est pas allé.
— Il est toujours… ?
— Non, tu vas pouvoir le fréquenter sans craindre d’y laisser ta vie. Mélisandre peut l’approcher lui aussi.
— Parfait. Où est-il actuellement ?
Sitôt que j’obtiens ma réponse, je commence à arpenter les couloirs du château d’un pas rapide, Toriel et Mélisandre sur mes talons. J’atteins rapidement sa chambre, frappe à la porte mais n’attends pas de réponse et entre. Le Prince Morlan est effectivement là et sirote un thé en compagnie d’une créature de sa race. Lorsqu’il m’aperçoit, il parle dans sa langue natale et son invité s’incline respectueusement face à lui avant de prendre congé. Aussitôt seuls, Morlan repose sa tasse et se lève en souriant. Du moins, j’imagine qu’il doit effectivement s’agir d’un sourire.
— Ma reine… Vous rentrez bien tôt. Votre époux n’est pas avec vous ?
— Hélas non, nous avons rencontré quelques difficultés et avons été séparés. Prince Morlan, je vais réunir au plus vite un conseil afin de mettre les choses au clair et savoir quelle est la situation exacte dans le monde. Me suivrez-vous ?
— Ma reine, je vous suivrai où que vous alliez, dit humblement le Prince en s’inclinant avec la plus grande modestie.
Son geste me bouscule au plus profond de mon être, si bien que je sens mes joues me brûler. Je ne dis pas être sous le charme de Morlan, il faudrait déjà que je puisse l’apprécier physiquement, mais nous sommes parfaitement incompatibles sur ce plan-là. Cependant, sa sagesse d’esprit me plaît grandement. J’espère que son peuple est aussi puissant qu’Elya l’a laissé sous-entendre, car un allié de son envergure ne serait décidément pas de refus dans la situation actuelle, bien que je pense avoir déjà son soutien. Je lui souris et le remercie, mais avant que je ne m’en aille, il me retient par le bras. Il semble inquiet. J’ai déjà eu l’occasion de voir ce regard par le passé.
— Dois-je m’inquiéter ? me demande-t-il.
— Je crois que oui.
— Où est Elya ?
— Il est resté coincé aux Îles de Therdonne, mais le roi Goldorus m’assure qu’il est actuellement en train de le faire rapatrier. Prince Morlan, avez-vous confiance en lui ?
— Je dois être honnête ?
Sa question me laisse perplexe et je sens ma gorge se serrer. Tout à coup, j’ai peur de sa réponse. J’ai peur d’avoir fait une bêtise en voulant faire confiance à Sire Goldorus. Voilà ce que c’est que d’être trop naïve et crédule et de vouloir voir le bon côté en chaque personne.
— Oui.
— Je pense qu’il est le meilleur allié que vous puissiez avoir à vos côtés dans cette bataille. Faites-lui confiance, croyez-moi, il vous sera d’une aide précieuse.
Je sens la peur retomber soudainement et, soulagée, j’expire bruyamment. Quelques étoiles dansent devant mes yeux. J’espère que jamais plus Morlan ne me fera une telle frayeur, surtout lorsqu’il n’y a pas lieu de paniquer. Il est plutôt doué pour le bluff, je crois que ses talents vont nous servir plus qu’il ne le croit, mais il faut que ce conseil ait lieu afin que je puisse avoir une vue d’ensemble sur ce qui se déroule dans le monde. Les informations ne circulent pas assez d’un royaume à l’autre malgré la rapidité à laquelle chacun se développe et c’est une chose que je vais changer. J’espère qu’Elya sera là à temps avant que ce conseil n’ait lieu, mais une petite voix me persuade du contraire.
— Majesté ! Majesté ! Attendez, Majesté !
C’est la première fois que j’entends l’un de mes sujets s’adresser à moi de la sorte, et le pauvre semble complètement essoufflé. Il est rouge comme une pivoine. Je me tourne vers lui, étonnée, et le dolomenian s’arrête à notre hauteur. Il inspire profondément et prend le temps de reprendre son souffle en essayant de bafouiller quelques vagues excuses, puis me tend un papier. Une missive, semble-t-il, mais je ne connais pas ce sceau.
— Il s’agit du sceau du roi Goldorus, m’indique Mélisandre. Pourquoi t’envoie-t-il une missive ?
— La missive ne vient pas de lui, explique le dolomenian, mais de son bras droit qu’il a envoyé pour chercher Sire Elya.
Mon cœur s’arrête de battre un instant et j’ouvre fébrilement la lettre, les mains tremblantes. Une missive… Est-ce normal ou alors ai-je des raisons de m’inquiéter ? S’il ramenait réellement Elya, il n’y aurait pas lieu de m’envoyer de missive, si ? À moins d’avoir la courtoisie de me prévenir qu’ils sont en route vers Septuna, c’est ce que j’ose espérer. Je suis tellement anxieuse que je ne parviens pas à dérouler la lettre et c’est Toriel qui vient à mon secours.
Majesté Amaranthe,
Je suis, hélas ! Au regret de vous informer d’une triste nouvelle. Je me suis rendu aux Îles de Therdonne afin d’y retrouver votre époux pour le ramener auprès de Sa Grâce, comme me l’a ordonné mon humble roi Sire Goldorus, mais je n’ai trouvé nulle trace de lui. J’ai alors interrogé les villageois, et ces derniers mon informé que Sire Elya s’en était allé en barque s’aventurer dans les eaux dangereuses de la mer, à votre recherche, après vous avoir vu sombrer. Je crains pour sa vie. Je vais rester aussi longtemps qu’il le faudra là-bas, avec mes hommes, afin de sillonner les eaux de cette île et des îles alentours, mais n’ayez pas de trop grands espoirs, Majesté. Je suis sincèrement désolé, mais comptez sur moi pour ne jamais abandonner. Je reste à ce jour votre plus fidèle et dévoué sujet, sa Majesté Goldorus m’a accordé la permission de vous servir jusqu’à ce que votre époux vous soit retourné. J’y compte bien et, s’il le faut, je donnerai ma vie.
C’est signé… Je ne sais pas, il a écrit son prénom dans sa langue natale, mais ce n’est pas ce qui retient le plus mon attention actuellement. Elya…
Elya est peut-être mort.
Il s’est aventuré seul avec une barque. Une barque n’est pas faite pour naviguer sur une mer aussi imposante que celle-ci, elle va se retourner. Et s’il a la chance de réussir à naviguer avec quelque chose d’aussi peu fiable, il va tôt ou tard manquer d’eau et de nourriture. Jamais le bras droit de Sire Goldorus ne parviendra à le retrouver, la mer est trop grande et nous manquons de technologie. Même de là où je viens, avec toute la technologie que nous avons pu développer, retrouver un navire perdu est chose quasi impossible.
Je sens les larmes me monter aux yeux et mes mains tremblent tellement que la lettre tombe à terre dans un bruit sourd. Je suis tellement abrutie par le choc que je ne sais même pas si je respire encore et je ne réalise plus ce qu’il se passe autour de moi. Je vois seulement des décors défiler devant mes yeux, des décors rendus flous par les larmes, des tableaux inachevés qui s’assombrissent, apparaissent d’un coup et puis s’évaporent. Je sens des mains sur moi qui me déshabillent, de l’eau chaude sur ma peau, une éponge qui me frotte doucement, du tissu qui glisse comme du velours sur mes épaules, une boisson chaude couler dans mon gosier, de la viande moelleuse s’aventurer sur mon palet, un coussin se poser sous ma tête, des draps soyeux remonter jusqu’à mon menton, le noir retomber sur ce monde étrange.
Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? Que s’est-il passé ? Pourquoi lui ?
Je le croyais plus futé, plus intelligent, plus malin que ça… Au lieu de ça, il a agi stupidement et le seul être qui me faisait perdre la tête, le seul pour lequel je me suis battue, le seul qui m’ait acceptée comme je suis, n’est peut-être plus de ce monde.
Je me retourne lentement dans le lit et laisse les larmes couler librement sur mes joues et mouiller l’oreiller. Mon corps tout entier est parcouru de spasmes et de frissons tandis que je sanglote à chaudes larmes en pensant que la seule personne que j’ai véritablement aimé au monde ne pourra jamais plus être auprès de moi.
Je sais bien que notre couple n’était pas parfait, qu’il y avait des choses à revoir, que nous aurions pu mieux faire, mais nous n’avons pas même eu le temps de vivre l’un avec l’autre que nous sommes séparés.
Ce monde est injuste et cruel.
Il a volé mon mari, mon âme sœur, mon aimé. Sans lui, je suis perdue. Je ne suis plus rien.
Rendez-moi Elya. Par pitié, je vous en supplie. Si quelqu’un peut m’entendre, si quelqu’un peut faire un miracle, alors je vous en supplie, rendez-moi Elya.
Rendez-le-moi.
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