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Il y a bien longtemps que je ne m’étais plus sentie aussi bien en me levant. Malgré les nuages gris et le petit vent frais au-dehors que je peux entendre souffler, je me sens reposée et sereine. Je pense que les événements récents y sont un peu pour quelque chose. Je sais désormais où est ma place et je sais aussi que, dorénavant, je suis acceptée et officiellement destinée à Elya. Cette seule pensée suffit à faire battre mon cœur avec force.

Dommage que nous ne partagions pas encore la même chambre, mais je me souviens des paroles de Toriel. Elya aime bien faire les choses dans l’ordre et je sais que rien ne se passera tant que nous ne serons pas mariés. Parfois, j’aimerais précipiter les choses avant qu’un événement nous tombe dessus ou simplement parce que j’ai envie d’être avec lui, mais d’autres fois j’ai vraiment envie de lui laisser le temps. Je ne veux pas l’effrayer. Et peut-être ai-je également envie qu’il soit sûr de son choix et qu’il ne le regrettera pas par la suite. Je ne veux pas que sa décision soit prise sur un coup de tête.

Je soupire et souris en caressant les draps de soie sous moi. Shou est encore à mes côtés. Depuis que je suis revenue au château, il ne m’a plus quittée et Elya a décidé de me le laisser. De toute manière, ce n’est plus qu’une question de temps avant que nous partagions la même chambre et Shou pourra alors nous avoir tous les deux. Il m’arrive parfois de m’imaginer la vie au château une fois mariée, mais je me surprends également souvent à vivre dans une petite maisonnette perdue en pleine cambrousse, à mener une vie calme et paisible auprès d’Elya. Cependant, je doute sérieusement qu’une telle chose se produise. Le château sera notre demeure. C’est un peu dommage, j’aurais voulu vivre dans une maison que nous aurions imaginée à notre image et non dans quelque chose d’aussi grand et présomptueux. Pourtant, je n’ai pas à me plaindre, car je peux avoir tout ce que je souhaite et peut-être même y ajouter une touche personnelle. Je pense que nombreuses sont les personnes qui aimeraient être à ma place. Quand Léo m’a quittée, jamais je n’aurais pensé avoir autant de chance et finir par épouser quelqu’un d’aussi séduisant. Et riche. Bien que ce ne soit pas son argent qui m’intéresse, loin de là. Je pourrais m’en passer.

— Il est temps de se lever, Shou !

Je me redresse d’un bon et chantonne en me dirigeant vers l’armoire. Je fouille à l’intérieur, à la recherche d’une jolie robe à mettre pour plaire à Elya. Je veux me sentir belle aujourd’hui et je veux avant tout qu’il le sache. J’en sélectionne une parmi toutes celles en ma possession. Une robe dans les tons pastels, assez légère et voluptueuse. Je m’en vêtis et admire mon reflet dans un miroir, ravie. Elle rehausse mon teint, mais il faudrait que j’ordonne un peu ma chevelure et que je trouve un peu de maquillage pour illuminer mon visage.

J’entends trois coups frappés à ma porte et, sans quitter mon reflet des yeux, j’autorise la personne à entrer.

Quand je vois Toriel apparaître dans la glace, je me fige et mon sang ne fait plus qu’un tour. Mon humeur se refroidit aussitôt. Je ne sais pas très bien comment je dois me comporter avec elle, si elle est toujours sous l’influence du sirop et si elle va me reprocher de lui avoir volé son frère. Je n’ose pas prononcer le moindre mot et déglutis péniblement. Elle s’approche lentement de moi et regardant mon reflet droit dans les yeux, si bien que ça en devient troublant. Finalement, arrivée derrière moi, elle lève les deux bras d’une manière qui me laisse croire qu’elle va m’étrangler.

Au lieu de ça, elle ramène mes cheveux en arrière et me sourit avec tendresse, les joues un peu roses.

— Avec un peu de maquillage, tu seras sublime. Elya ne pourra pas te résister.

Je ferme les yeux et relâche toute la pression que j’ai accumulée en soufflant bruyamment, soulagée, alors que Shou glapit et tourne autour de nous en remuant la queue.

— Je suis désolée, Amaranthe, ce n’était pas moi ! Ce n’était pas la Toriel que tu connais, bafouille-t-elle, manifestement honteuse. J’ai envie de rattraper toutes mes erreurs.

— Toriel, nous faisons tous des erreurs, moi plus que n’importe qui d’autre.

Elle va chercher une brosse et commence alors à me coiffer les cheveux.

— Tu as ramené mon frère, Amaranthe, et ça ce n’était pas une erreur.

— Il allait épouser cette vipère !

— Ysiel regorge d’imagination qu’elle use à mauvais escient. Désormais, elle ne pourra plus agir à sa guise et maintenant, nous allons célébrer le plus merveilleux mariage de tous les temps ! Je suis tellement heureuse pour mon frère.

— Et Mélisandre et toi ? Est-ce que… ça a progressé ?

Je vois ses lèvres trembler dans le miroir et je ne peux m’empêcher de froncer les sourcils. Je sens une étrange tension, son attitude a changé, mais je suis incapable de l’interpréter.

— Toriel ?

Elle laisse tomber la brosse et éclate en sanglots. Je me retourne aussitôt pour l’inviter à s’asseoir dans le fauteuil le plus proche, troublée, et Shou grimpe sur ses genoux pour tenter de lui lécher le visage, mais elle le couvre par ses mains.

— Toriel, que se passe-t-il ?

— Elya va me tuer ! Il va vouloir m’égorger avant de me couper en petits morceaux pour les jeter dans la soupe et l’offrir aux Tormokk !

— Mais qu’est-ce que tu racontes ? je fais, offusquée par ses propos. Jamais Elya ne ferait une chose aussi scandaleuse !

— Amaranthe, je suis une princesse et les princesses ont des droits et devoirs ! Je dois accepter l’homme que l’on va me présenter comme mari et demeurer vierge jusqu’au jour de nos noces. Je n’ai pas le choix, c’est comme ça. Je ne peux pas choisir avec qui je veux faire ma vie.

— Je ne comprends rien, explique-toi !

Malgré moi, je crois savoir de quoi il retourne très exactement, mais je n’ose pas franchement y faire face. Toriel est vraiment paniquée, tellement paniquée que sa peur en est presque palpable et je sens mon cœur s’emballer. Je préfère alors m’asseoir.

— Je… Mélisandre et moi avons couché ensemble, sanglote-t-elle.

Ça y est, la nouvelle est tombée et elle est plutôt rude à digérer. Le temps d’un instant, je me sens coupable et je regrette de lui avoir posé la question. J’aurais mieux fait de taire ma curiosité, car à présent je partage un terrible secret avec Toriel, et elle a beau être la sœur d’Elya, je doute qu’il puisse tolérer un tel manquement à son devoir. Le mariage est prévu dans quelques jours à peine, et mon premier rôle de femme va être de jouer le porte-parole pour Elya et Toriel. Autant dire que mon mariage va très bien débuter, car je vais devoir gérer un conflit plutôt sévère. Tout aurait été si simple si Toriel s’en était arrêtée là…

— Et je suis enceinte de lui.

— Quoi ?

Cette fois, je n’ai pas pu m’en empêcher. La nouvelle m’atterre et je suis incapable de prononcer le moindre mot. J’aimerais pouvoir la féliciter, car il s’agit d’un événement heureux, mais à cause de ces maudites traditions ancestrales qui doivent être respectées à la lettre, Toriel a commis la pire des erreurs qui soit et je pense qu’elle pourrait risquer gros. Malgré le choc d’une telle nouvelle, je ne peux m’empêcher de demander :

— Mélisandre est-il au courant ?

Elle secoue doucement la tête alors que ses pleurs se calment tandis que j’essaie de réfléchir à une solution, anxieuse.

— Bon, très bien. Ne dis rien jusqu’à temps que je ne sois pas mariée à ton frère. Sinon, il pourrait me rejeter et refuser définitivement notre mariage.

— Tu pourrais être répudiée, ce n’est pas forcément mieux.

— Je vais tenter de l’influencer pour abolir certaines traditions qui me semblent vraiment exagérées, surtout si Dolomen est en pleine expansion et veut se moderniser, il ne faut pas rester ancrées dans ces traditions.

— C’est un bon argument, Amaranthe, un très bon argument, même, mais Elya peut parfois être très têtu.

— Je sais, mais je pense qu’avec mon statut d’épouse je risquerai moins qu’avec mon statut de fiancée, même si tu sembles croire le contraire.

— Oh, Amaranthe, merci de ne pas me juger et de m’aider !

Elle se jette alors dans mes bras et je ne peux que la serrer contre moi, encore tourmentée. Je dois bien admettre qu’elle m’a fichue dans un beau pétrin et encore une fois, je voudrais presque me retrouver devant un Gorlogg plutôt que d’affronter cette situation. Pourtant, je sais pertinemment que je ne pourrai échapper à ce genre de choses une fois reine, il va donc falloir que je trouve un moyen de gérer le stress.

Une fois la crise de larmes de Toriel passée, elle m’aide à me coiffer et me maquiller tout en me parlant de la nuit où elle et Mélisandre se sont retrouvés sans que personne n’en sache rien. Depuis le temps, ils n’ont pas eu l’occasion d’en reparler et c’est de là que j’en fais un rapide calcul pour me rendre compte qu’elle est enceinte de trois mois, si ce n’est pas plus. Pour le moment, elle peut encore cacher cet événement assez facilement et ce n’est peut-être pas plus mal, mais elle m’a confessé s’être déjà sentie mal à plusieurs reprises bien qu’elle ait réussi à éviter le médecin jusqu’à présent. Cependant, avec la présence de son frère dans les parages, la chose va s’avérer plus compliquée que prévu.

— Dès que tu te sens mal tu m’en avertis, d’accord ?

Elle acquiesce d’un signe de la tête et se recule pour m’admirer.

— Tu es vraiment très belle, Amaranthe, et je suis tellement heureuse que ce soit toi que mon frère a choisi !

Je ne peux m’empêcher de sourire à son compliment. Je me lève alors et propose à Toriel de se promener pour profiter de cette journée comme le soleil semble vouloir percer les nuages pour se montrer, mais c’est à cet instant qu’Elya débarque, le regard alerte.

— Toriel, je te cherchais ! dit-il. Amène Amaranthe dans la salle d’eau, des servantes vous y attendent déjà. Prépare-la. Amaranthe, j’ai avancé le mariage, il se déroulera demain.

— Quoi ?

— Oui, je préfère que nous soyons mariés le plus rapidement possible, ne sait-on jamais. Je n’ai pas envie que d’autres personnes s’immiscent entre nous.

— Mais il n’y avait que cinq jours à attendre !

— Cinq jours c’est déjà trop. Je suis désolé de te prendre au dépourvu ainsi. Je dois y aller, j’ai des tas de choses à préparer. Je t’enverrai deux ou trois tailleurs pour ta robe, ne t’inquiète pas des tarifs c’est le dernier des soucis. Toriel, tu t’occuperas des traiteurs, d’accord ?

— Bien chef !

Elle sourit et je n’ai pas le temps de voler un baiser à Elya qu’il repart déjà d’un pas pressé. Ça fait peut-être un peu trop de nouvelles à avaler et je ne me sens pas encore prête pour tout ça. Troublée, je m’assois sur la chaise que j’occupais depuis une demi-heure environ.

— Je ne suis pas prête, je bafouille, encore sous le choc. Je comptais sur ces cinq jours pour me préparer mentalement.

Toriel sourit et s’agenouille en face de moi, puis prend délicatement mon visage en coupe.

— Tout va bien se dérouler, Amaranthe, ne t’inquiète pas. Certaines auraient déjà perdu la face à cause de mon secret, mais toi tu paniques à l’idée de te marier demain. Tu es unique en ton genre…

— Tu ne comprends donc pas ? Il n’y a pas eu les répétitions et je vais me retrouver devant une foule de personnes ! Je… Tous les yeux seront braqués sur moi, je n’ai pas le droit à l’erreur ! Je ne dois pas ridiculiser Elya… Et tu imagines si je fais une crise d’angoisse ? Je vais complètement déshonorer la famille d’Elya !

Je m’exprime rapidement, la voix tremblante, mais Toriel continue de sourire comme si je venais de lui raconter une anecdote.

— Si tu fais une crise d’angoisse, la seule chose qui va se passer c’est que le peuple va s’inquiéter pour sa reine et que ton mari fera venir le médecin. C’est tout. En aucun cas tu ne vas déshonorer sa famille ! Mais où vas-tu chercher des idées pareilles ?

— Dans un esprit embrouillé et complexe.

Un long silence s’ensuit, suivi par nos éclats de rire, et Toriel m’invite à la suivre jusqu’à la salle d’eau où, effectivement, plusieurs jeunes femmes nous attendent déjà.