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tome 2, Chapitre 10 « L'unité fait la force » tome 2, Chapitre 10

L’unité fait la force

Ma tête bourdonne. J’ai mal au crâne et c’est à cause de cette douleur que je suis tirée d’un sommeil pourtant si paisible et confortable. J’ouvre lentement les yeux en grimaçant et en gémissant. C’est atroce. J’ai l’impression de me sentir mourir.

Malgré la douleur, les souvenirs de ce qui s’est passé me reviennent en tête et je me redresse brutalement, le souffle court. Je ne suis toujours pas certaine de pouvoir faire confiance à ce Jack malgré le remède qu’il m’a fait boire. Il s’agit peut-être d’un poison avec des effets à retardement. Je ne sais pas. Je quitte la chambre et dévale les escaliers, anxieuse, puis fouille toutes les pièces de la maison. Jack n’est pas là. En revanche, le petit garçon que j’ai rencontré la veille, lui, est ici et balaie la cour. Il y a un verre d’eau posé sur le plan de travail de la cuisine avec un message dessous :

À votre attention.

À côté, il y a un médicament. Je me demande si c’est lui qui l’a fabriqué ou s’il l’a importé de notre monde, mais si c’est le cas, après cinq années d’existence je doute qu’il soit encore bon. Ce serait une solution radicale pour me tuer, plus rapide que son poison, mais s’il avait réellement eu l’intention de le faire, je pense que je serais déjà morte à l’heure qu’il est. Je soupire puis décide d’avaler malgré moi le médicament. Advienne que pourra !

À l’instant où j’avale la pilule, un bruit me fait sursauter et je tourne la tête. Jack est de retour et ses bras sont encombrés par plusieurs sachets en tissu, remplis de courses.

— Bonjour Amaranthe !

Je m’empresse de lui venir en aide et nous déposons les sachets sur le comptoir.

— Je me suis rendu au marché, explique-t-il quand il voit mon air interrogateur. Vous avez meilleure mine. Le médicament est très efficace, dans dix minutes vous n’aurez plus mal à la tête. C’est un des autres effets de l’anti-poison, je n’ai pas encore réussi à créer un anti-poison parfait, c’est-à-dire sans effets secondaires.

Je lui souris et l’aide à sortir les légumes des sacs pour les ranger aux endroits appropriés.

— C’est très gentil de m’avoir aidée, mais je vais devoir bientôt repartir pour retrouver rapidement Elya avant qu’il ne soit trop tard.

— Je doute que ce soit véritablement utile.

Je tique à sa phrase et repose ce qui ressemble à des poireaux. Lui, pendant ce temps, continue de ranger sans me jeter un seul regard. Ses gestes sont rapides et précis, j’imagine que c’est un rituel, il doit avoir l’habitude. Depuis combien de temps vit-il ici ? Je l’envierai presque d’avoir su s’adapter et d’avoir réussi à se poser pour avoir une vie tranquille et paisible.

— Nous sommes sur son chemin de retour, nous n’avons qu’à l’attendre et s’interposer, m’explique-t-il. Il sera encore bien loin de Septuna, si nous agissons rapidement les effets du sirop disparaîtront très vite.

— Je n’ai jamais parlé de sirop.

— Écoutez, Amaranthe…

Il soupire et pose ses oranges mais garde les mains dessus, puis me fait face, le regard très sérieux. Je crains soudainement le pire et je commence à me demander si j’ai véritablement envie de connaître ses paroles.

— Ce monde est particulier, il est différent du nôtre, il fonctionne autrement. Vous n’êtes pas qualifiée pour cette mission, mes sbires se chargeront de détruire les réserves de sirop. Ils sont discrets, rapides, et redoutablement efficaces. Vous, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre pour arriver à leur hauteur, mais vous êtes déterminée, à ce que j’ai compris, à faire cavalier seul.

— Je veux prouver de quoi je suis capable !

— Et c’est admirable, je le conçois, mais dans ce monde, Amaranthe, il faut fonctionner par équipe, il faut compter sur les autres, les choses ne peuvent pas se faire grâce à une seule personne. Vous avez déjà eu l’occasion de le remarquer, j’en suis sûr. Si vous repartez, seule, vous êtes sûre d’échouer.

— Pourtant, je suis arrivée ici saine et sauve et cela fait environ quinze jours que je suis sur la route !

— Et grâce à qui, croyez-vous ? Tous vos ennemis ont été abattus de sang froid par mes sbires. Vous n’êtes pas discrète, vous laissez des traces derrière vous et vous êtes terriblement bruyante et voyante, Amaranthe. Moi, je vis dans ce monde depuis cinq ans et je suis quasiment certain que Sire Elya ne connaît pas même mon existence.

Je rougis violemment jusqu’à la racine des cheveux, gênée par ses propos, et je m’assois sur une chaise. J’ai toujours détesté les critiques, mais je dois reconnaître que les siennes sont véridiques et constructives. Je n’avais pas regardé les choses sous cet angle-là et il est vrai que j’ai toujours voulu prouver ma valeur en agissant seule, mais ça n’a finalement apporté que des problèmes. Elya est toujours passé derrière moi pour les résoudre. Maintenant, je comprends mieux les choses. Je dois compter sur les autres, je dois travailler avec eux.

Jack se remet à ranger ses produits et m’adressant quelques petits sourires.

— Est-ce… Est-ce que je peux rester chez vous le temps qu’Elya revienne ?

— Bien sûr. Je serais idiot de vous renvoyer à Septuna, vous attendez de retrouver Sire Elya depuis longtemps et je comprends votre sentiment.

— Est-ce que vous croyez que je pourrais devenir un élément indispensable ?

Il referme tous ses placards et range les sacs sous l’évier, puis se serre un verre de jus d’oranges fraîchement pressées avant de s’asseoir en face de moi.

— Je vais être radical et peut-être un peu brut, mais ici nous sommes revenus à d’anciennes valeurs que j’apprécie particulièrement. J’espère que vous n’êtes pas féministe, Amaranthe, mais les femmes, dans ce monde, s’occupent de la maison, des enfants et de la cuisine. Elles ont des activités comme la broderie, le tricot et la couture. J’ai une femme. Actuellement, elle est absente, car elle rend visite à sa mère, mais je ne lui demande pas de se démarquer des autres et je préfère la savoir à sa place et en sécurité plutôt que sur le front ou à parcourir le monde à la recherche de brigands à décapiter.

— Vous me conseillez donc d’arrêter ce que je suis en train de faire ?

— Je vous conseille, oui, et c’est tout. Ne vous sentez obligée à rien. Je vous sens une âme déterminée. Vous n’êtes pas capable de rester à votre place, il serait donc idiot de vous forcer à faire ce que tant de femmes font. Vous, Amaranthe, vous êtes destinée à autre chose, mais ne pensez pas que vous pouvez être indispensable. Personne ne l’est.

— Elya m’a sauvée plusieurs fois, il m’a toujours été indispensable.

— Il ne faut pas voir les choses trop grandes et donc trop attendre en retour, sinon la chute n’en sera que plus terrible. Moi, je me contente du peu que j’ai et j’en suis très satisfait. J’aime ma vie et je ne cherche pas à impressionner quiconque par mes talents. Ce ne sont que de simples conseils, Amaranthe, mais ils peuvent vous permettre de vivre de manière plus… légère.

J’acquiesce, surprise par autant de sagesse, mais également gênée par ses paroles. J’espérais sincèrement pouvoir faire mes preuves dans ce monde, mais d’après Jack il faut travailler en équipe pour survivre plutôt que de jouer aux loups solitaires et perdre la face dans une mésaventure. À plusieurs reprises, ça a été le cas, je dois bien l’avouer. J’ai plus ou moins forcé Elya à venir à mon secours et à se détourner de ses projets pour me sauver. Sans moi, sans mon obstination à vouloir prouver au monde entier que je suis capable de quelque chose, nous n’aurions pas perdu autant de temps à chercher la magie et les choses auraient probablement été différentes aujourd’hui.

Peut-être même Ysiel ne serait-elle pas entrée dans sa vie, mais cette fois je suis déterminée à bien faire les choses et arranger la situation. Je vais donc suivre les conseils de Jack et attendre patiemment l’arrivée d’Elya. Ses sbires, eux, s’occuperont du sirop.

— Vous avez raison, je dis. J’ai été trop stupide, je n’avais jamais vu les choses sous cet angle.

— Je les voyais comme vous à mon arrivée dans ce monde, me confesse Jack. J’ai vite compris qu’il valait mieux éviter de vouloir jouer les héros seuls. Ce monde est aussi corrompu que le nôtre, Amaranthe, mais il s’agit d’une autre forme de corruption, c’est pourquoi il faut rester soudés.

— Non, vous vous trompez. La corruption est la même dans nos deux mondes. Nos pays se font la guerre, les races de ce monde font de même.

— Moi, je parlais plutôt du vice, de l’égoïsme, de la soif de pouvoir, de la richesse, et non des guerres.

— Pourquoi dites-vous cela ? Pensez-vous que ces gens soient purs et plus parfaits que nous ? Vous avez juste un exemple sous vos yeux avec Ysiel. Elle est sûrement aveuglée par la richesse et le pouvoir d’Elya.

— Ne l’êtes-vous pas également ?

— Ne détournez pas la conversation, Jack, mais si vous voulez une réponse, elle est courte : non. Je suis tombée sous le charme d’Elya sans savoir qui il était. C’est son regard qui m’a séduite. Il est…

— Très convoité.

J’ai l’impression de sentir mon cœur rater un battement et je dévisage froidement Jack, sans oser comprendre ce qu’il essaie de me dire. Je refuse simplement d’y croire.

— Sa richesse et son pouvoir peuvent attirer des femmes perfides comme Ysiel, oui, mais elles sont rapidement repérées, cernées et puis contrecarrées. En revanche, vous aurez de redoutables rivales plus féroces encore, séduites par le charme naturel d’Elya, car ne vous y trompez pas, il est séduisant.

— Vous êtes gay ?

— Réaliste. Ma femme le trouve sexy. Méfiez-vous, Amaranthe, et surtout, assurez-vous de ne pas vous tromper sur vos sentiments.

Je suis presque certaine de ne pas me tromper sur mes sentiments, mais Jack a réussi à m’insinuer le doute dans l’esprit et je commence à me poser un nombre incalculable de questions. Je ne vois même pas Jack s’éclipser et j’ignore combien de temps je reste là à ressasser les mêmes questions et les mêmes réponses, de plus en plus dubitative. Notre avenir à Elya et moi risque d’être semé d’embûches si je décide de m’engager sur ce chemin-là et il faut que je sois absolument certaine de mes sentiments. L’erreur n’est pas tolérable.

Je quitte la maison pour me promener un peu dans la ville, en proie aux doutes, et mes pas finissent par me guider jusqu’à un champ de blé. Je gravis la colline qui se trouve juste à côté pour avoir une vue imprenable sur le champ et la ville. J’y reste jusqu’au coucher du soleil où je peux admirer le jeu de couleurs. C’est splendide, incroyable, et je sens un curieux sentiment que je ne parviens pas à identifier gonfler mon cœur d’espoirs nouveaux et de bonheur.

Je n’ai pas encore réussi à faire le point, je ne suis plus certaine de ce que je veux. J’ai peur, en fait, peur de me tromper. Je ne veux plus faire d’erreurs, je ne veux plus faire de mauvais choix. Je voudrais pouvoir enfin mener une existence où je sois heureuse. Véritablement heureuse.

Finalement, je décide de rentrer quand je sens une petite brise fraîche me caresser la peau et me faire frissonner. À l’instant où je rentre, Jack pose les plats sur la table.

— Ah, j’ai cru que vous ne reviendrez plus !

— Hé bien si, me revoilà.

Je luis souris et il soulève les couvercles pour me présenter des plats typiques de notre monde. Mon estomac gronde aussitôt et je m’assois. Nous passons la soirée à manger en discutant joyeusement de choses et d’autres et Jack m’avertit qu’il n’y a pas grand-chose à faire chez lui autre que lire. Il me propose alors de m’apprendre à lire des livres écrits en dolomenian et j’accepte sa requête.

C’est l’estomac plein que je monte me coucher. Je ne pense plus à rien que la beauté du coucher du soleil et c’est donc sur une pensée agréable que je m’endors.


Texte publié par Nephelem, 3 mai 2019 à 12h15
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