Le jour s’est levé, mais il pleut. Encore. C’est devenu une habitude ces temps-ci. Nous avons apparemment échappé à la période hivernale en nous dirigeant vers l’est, vers les pays chauds, mais nous entrons dans une nouvelle saison très pluvieuse et encore un peu fraîche. J’ai hâte de pouvoir arriver en Tarbenar, là où il fait chaud. Un peu trop peut-être, je me souviens de la chaleur écrasante du soleil qui dardait ses rayons sur ma peau sensible. Ce n’était pas forcément très agréable.
Lorsque je descends dans la taverne, elle est presque vide. L’ambiance n’est pas du tout la même que la veille et je me sens un peu déprimée, mais je n’en perds pas pour autant mon objectif. Ça, non. Je n’abandonnerai pas Elya aussi vite.
Malheureusement, je n’ai pas d’argent sur moi et je ne peux donc pas m’offrir un copieux petit-déjeuner, alors j’attends patiemment que le général Erestos ou Edgard arrive.
J’attends une heure environ, le temps me paraît long et je suis intriguée qu’ils se fassent autant désirer. Je pensais pourtant qu’ils seraient les premiers réveillés. Le général Erestos semblait soucieux de sauver son roi au plus vite, mais il faut croire que je me suis trompée sur son compte.
Finalement, deux heures s’écoulent avant que je ne décide à me lever pour leur secouer les puces. Je me rends jusque devant la chambre du magicien et toque à sa porte, mais je n’obtiens aucune réponse. Mon énervement laisse lentement place à l’inquiétude et je commence à nourrir des doutes que j’aurais préféré ne pas avoir. J’essaie d’ouvrir la porte et même de la forcer, en vain. Elle est solide. Après m’être assurée qu’il n’y avait personne dans les environs pour voir ce que je m’apprête à faire, je me baisse et regarde par le trou de la serrure. Je vois les draps du lit déformés par la présence d’une silhouette enfouie à l’intérieur, mais ils sont tâchés d’une quantité de sang effroyable. Edgard est mort.
Mon cœur s’arrête de battre un instant et toutes mes pensées s’embrouillent. Je reste ainsi ce que je crois être des secondes mais qui se révèlent être peut-être des minutes ou même des heures, je ne sais pas. Il faut que je garde mon sang froid. Je secoue la tête et me rends au-devant de la porte du général. Lorsque j’abaisse la poignée, la porte s’ouvre et j’entre en précipitation. Lui aussi est mort.
— Non, non, non !
Ils ont tous été tués, ça ne fait pas l’ombre d’un doute, mais pourquoi m’ont-ils laissé saine et sauve ? Que s’est-il passé hier soir quand je suis partie me coucher ? Si quelqu’un me découvre ici, je suis fichue. Je referme alors la porte derrière moi et fouille la chambre à la recherche d’affaires qui pourraient m’être utiles. C’est ainsi que je me retrouve à voler l’argent des soldats ainsi que certaines affaires personnelles et une carte.
Lorsque je descends en toute hâte, je ne prends pas la peine de me payer de quoi manger. Il faut que je fuis ce lieu avant que ces cadavres ne soient découverts. Heureusement, les chevaux sont restés là et je décide d’en prendre un et d’en emmener deux autres avec moi, simplement, car ils portent sur eux des bagages et donc des choses qui pourraient me servir à l’avenir. Je quitte le village sans plus attendre en priant silencieusement pour que je ne sois pas suivie ni menacée de mort.
Je continue d’avancer pendant plus d’une heure après avoir quitté le village, jusqu’à être certaine de ne pas être en danger. Alors je m’arrête au-dessous d’un arbre et fouille le sac à la recherche de la carte que je déplie. Elle n’est pas très précise, et pourtant c’est grâce à elle que le général Erestos se dirigeait. Je ne suis malheureusement pas très douée en géographie et mon sens de l’orientation laisse à désirer, alors j’espère pouvoir m’en sortir. Les points cardinaux sont affichés au coin de la carte et je me souviens avoir aperçu une boussole dans un des bagages. Je la sors et me tourne vers le nord. C’est exactement la direction que je dois suivre, car Tigranor se trouve au nord. Finalement, je vais peut-être réussir à m’en sortir. Après tout, je possède tout ce qu’il faut ! Une carte et une boussole pour m’orienter, une épée courte pour me défendre en cas d’attaque, de l’argent et un peu de nourriture. C’est suffisant. Pour l’instant.
J’inspire profondément et remonte à cheval puis je commence alors à suivre la direction indiquée par la boussole, le cœur palpitant. Je suis un peu nerveuse, car malgré la fiabilité de la boussole et très sûrement de la carte, je ne peux m’empêcher d’être inquiète malgré tout et de craindre l’échec de ma mission. Il n’y aura pas mort d’homme si j’échoue et c’est une bonne chose, mais alors je pourrai définitivement renoncer à Elya et ça, il en est absolument hors de question. Je ne vais pas le laisser tomber. Je vais le sauver, moi, Amaranthe. Je n’ai jamais été aussi sûre de toute ma vie.
Les chevaux avancent au trot. Je n’ai pas vraiment envie de les brusquer et les épuiser inutilement, surtout que j’ignore où sont les relais. Les jours qui suivent, les paysages que je traverse sont très beaux et très calmes. Apaisants. Je ne rencontre aucun brigand aux mauvaises intentions ni aucune âme malveillante, comme si la chance était avec moi pour une fois. Pourtant, au fond de moi, je sais que cela ne va pas durer, mais j’ai l’intime conviction que ce ne sera pas forcément à cause d’une âme bien vivante.
Le quinzième jour, j’arrive aux abords d’une rivière au courant violent. Elle n’est pas très profonde, mais la traverser ainsi pourrait représenter un trop grand risque. J’étudie alors la carte, mais le pont le plus proche est à une quarantaine de kilomètres plus au sud. Sinon, la rivière débouche directement sur la mer. Je ne peux pas me permettre de faire un tel détour, je perdrais beaucoup trop de temps. Pourquoi ne construisent-ils pas plus de ponts ? C’est idiot !
Je grommelle et range la carte dans le sac puis, plutôt que de le porter encore sur mon dos, je décide de l’accrocher à la selle de mon cheval. Malgré tout, je le déleste de quelques bagages, notamment de couvertures. J’en ai bien assez pour moi toute seule. Une fois fait, je noue les brides des chevaux ensemble de sorte à ce qu’ils se suivent l’un derrière l’autre. Je m’assure une derrière fois de ne rien porter qui puisse m’encombrer ou m’empêcher d’avancer correctement, puis je m’approche du bord de la rivière en entraînant les chevaux avec moi. Quand ils s’approchent, ils commencent à piaffer nerveusement et à s’ébrouer, inquiets.
— Ne vous inquiétez pas, ça va aller ! je tente de les rassurer.
Je caresse l’encolure du premier cheval et lui souris, puis inspire une grande bouffée d’air frais pour prendre mon courage à deux mains. J’ai peur. Non, je n’ai pas peur. Je suis terrifiée. L’eau va sûrement être froide et le courant très violent, c’est risqué, mais je ne veux pas perdre de temps.
— Ok, on y va…
J’entre doucement dans l’eau et je sens la force du courant contre mes jambes et mon bassin. Je dois lutter pour me tenir debout et ne pas être propulsée en arrière. Je me retourne péniblement pour faire face aux chevaux et recule en faisant attention de ne pas mettre mes pieds sur un caillou pointu. Les chevaux entrent dans la rivière malgré la peur qu’ils ressentent. Ils me font confiance. Je souris et continue de leur parler pour les rassurer tout en reculant. Nous progressons ainsi, lentement mais sûrement, et je commence à nourrir l’espoir que nous pouvons y arriver et que, finalement, la tache n’aura pas été si ardue que je le pensais de prime abord. Comme je me trompe…
Mon pied plonge dans un trou et mon corps est aussitôt poussé par le courant. Je coule et me maintiens avec force à la bride du cheval, surprise qu’eux restent solidement campés comme si le courant leur était parfaitement indifférent. Ma tête dans l’eau, je tente de me maintenir à la bride et même de me hisser jusqu’à la tête du cheval pour m’agripper. La force du courant me plaque littéralement au fond de l’eau et veut me forcer à lâcher prise pour m’emporter, mais il est hors de question que je renonce et abandonne aussi facilement Elya. Ce n’est pas dans mes projets. L’air commence à me manquer, mais ma détermination grandit toujours plus et me donne une soudaine force, une force et une puissance dont je ne me serais jamais crue capable. Je me hisse péniblement en me tenant fermement à la bride jusqu’à ce que ma tête sorte de l’eau et que je puisse à nouveau respirer. De là, je tente de regagner ma place initiale et me campe pour tenir à nouveau debout. Il faut que j’évite ce trou, mais j’ignore sa grandeur et sa profondeur. Je tente de dévier par ma droite et, effectivement, le sol reste au même niveau. Les chevaux suivent le mouvement.
— Vous m’épatez, je halète, surprise.
J’ignore comment ils s’y sont pris pour ne pas trembler une seule seconde, mais c’est sûrement grâce à eux si je suis encore en vie à présent.
J’atteins enfin le bord opposé de la rivière et grimpe péniblement dessus, puis tire les chevaux vers moi pour les sortir de l’eau. Une fois fait, je me laisse tomber à terre, vidée de mes forces et épuisée. Pourtant, la journée n’est pas terminée et je dois continuer d’avancer. Je n’ai pas une minute à perdre.
Je souffle avec force et m’appuie sur mes bras pour me relever, tout en grimaçant. J’ai froid et mal partout. Je grimpe sur le cheval qui est en tête de convoi, soulagée de ne pas avoir à marcher, et il se met en route d’un pas tranquille, nullement épuisé par l’effort qu’il vient de faire. Il doit y avoir quelque chose. Les chevaux doivent probablement avoir une caractéristique qui leur permet de rester campé sur leurs pattes malgré la force du courant. Ils sont sûrement plus différents que ce que je croyais de ce que je connais. En vérité, dans ce monde-ci, beaucoup de choses ressemblent à ce que je connais mais la vérité est toute autre. Si je n’avais pas décidé de traverser cette rivière de cette façon-là, je pense que jamais je n’aurais soupçonné cette capacité. Maintenant, je suis un peu terrifiée par ce que je viens de découvrir, car je crains que tout soit foncièrement différent de ce dans quoi j’ai toujours baigné. J’aurais voulu me raccrocher à quelques petites choses pour ne pas me sentir trop déstabilisée, mais je commence à croire que je me suis fourvoyée.
Les nuages gris s’effacent lentement pour laisser place à un ciel bleu. Les rayons du soleil et le vent chassent toute cette grisaille et ce froid pour me réchauffer et sécher mes vêtements et je dois bien avouer que cela fait un bien fou.
Après trois heures à chevaucher paisiblement celui que je nommerai maintenant Fidèle, je suis enfin complètement sèche et réchauffée et je peux enfin savourer le reste de cette journée. Du moins, c’est ce que je croyais, mais la nature semble vouloir s’acharner sur mon pauvre sort et m’empêcher de rejoindre Elya pour le sauver des griffes d’Ysiel. Je sens une démangeaison au niveau du bras puis du ventre, comme si une puce courait sur mon corps. C’est désagréable et je me gratte nerveusement en espérant la chasser ainsi, mais je la sens encore qui me chatouille. Finalement, je glisse mes bras dans mon haut pour tenter de l’attraper et en finir avec elle avant que je ne me fâche et que ma mauvaise humeur assombrisse cette fin de journée.
Je la sens et la saisis entre mes doigts. Je remets alors mon haut correctement en gardant la puce coincée entre mon pouce et mon index, et quand je l’approche de mon visage pour la regarder, ce que je croyais être une puce ressemble davantage à une larve avec des pattes et de gros yeux de mouche. J’ignore comment j’ai pu confondre une puce avec ce truc énorme et abjecte. Je crie en le jetant dans l’herbe et frissonne, écœurée. S’il y a bien une chose que je déteste, ce sont les insectes. Je ne me soucis pas alors de savoir s’il y a des personnes autour de moi et m’empresse de retirer mon haut pour m’assurer que je n’ai plus de mauvaise surprise à l’intérieur. Je continue de frissonner et descends finalement de cheval pour me déshabiller complètement, secouer mes vêtements et sauter sur place, me secouer et ébouriffer mes cheveux, pour m’assurer que ces choses, s’il y en a encore, ne sont plus sur moi.
Finalement, après une bonne heure pendant laquelle je deviens paranoïaque et fouille toutes mes affaires, je finis enfin par me calmer, retrouver mes esprits et me revêtir. J’ai perdu un temps considérable, mais cette chose était juste horrible. Hideuse. Elle ne devrait même pas exister.
Comme le soleil se couche, je décide de camper ici. J’attache les chevaux à un tronc d’arbre et me bats contre la tente pour la dresser. Je m’engouffre à l’intérieur et établis le lit puis fouille les sacs pour voir ce qu’il y a à manger. Je me gratte à la hanche, toujours une main plongée dans le sac, et une douleur soudaine me fait réagir. Je soulève mon haut et aperçois un bouton qui n’était pourtant pas apparu quand j’avais retiré la quasi-totalité de mes vêtements. Il est assez gros et rouge, très douloureux. J’ignore si j’ai été empoisonnée et si le poison est mortel, mais ce truc me gratte horriblement tout en me faisant atrocement souffrir. J’ai envie de me gratter, mais je dois lutter pour ne pas le faire.
— Ok, Amaranthe, calme-toi. Tout va bien aller et tu vas réussir à sauver Elya. Rien ni personne ne t’en empêchera.
J’inspire profondément et décide d’ignorer ce bouton. Je vais éviter de m’inquiéter et faire comme s’il n’existait pas. Si je dois mourir, tant pis, mais en attendant j’ai un objectif et je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour l’atteindre.
Après avoir mangé goulûment, je décide de me coucher. Trouver le sommeil est plutôt difficile à cause des démangeaisons que je tente d’ignorer pour ne pas retomber dans ma phase de paranoïa aiguë, mais c’est compliqué.
C’est au terme d’une longue heure interminable que je parviens enfin à m’endormir.
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