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tome 1, Chapitre 8 « Le guet-apens » tome 1, Chapitre 8

Quand je rouvre les yeux, je constate avec surprise qu’il fait jour. Automatiquement, mon regard se dirige vers la table de chevet pour y regarder l’heure mais… il n’y a pas de réveil. C’est vrai. J’ai déjà oublié.

Un soupir s’échappe de mes lèvres et je me frotte les yeux en grommelant. Je me sens encore lasse et j’ai mal aux pieds. Vivement que nous ayons un cheval ! Quand je me redresse, je vois Mélisandre qui est là, assis sur une chaise. Il se charge d’affûter la lame de son épée. Lorsqu’il m’entend, il se tourne vers moi et me sourit.

— Ah, vous voilà réveillée ! J’ai quelques surprises pour vous…

Quelques ? Des surprises ? J’arque un sourcil et il pose prudemment son épée contre l’extrémité de mon lit, puis se baisse et ramasse un objet. C’est un sac. Un vrai sac. Un sourire étire mes lèvres.

— Vous n’auriez pas dû.

— Vous avez pensé à prendre de la nourriture avec vous, vous avez confectionné vous-même un sac, alors je ne peux que vous récompenser en vous en offrant un véritable. Tout en vrai cuir.

Il me le lance et je le rattrape, étonnée. C’est une blague ? Du vrai cuir ? Il a dû payer ça une petite fortune, j’imagine, à moins qu’ils ne vendent pas de cuir synthétique dans ce monde. Ce qui ne serait pas étonnant. Mélisandre me fait signe de patienter et je pose le sac juste à côté de moi. Il se baisse à nouveau pour prendre un autre objet et quand il se relève, j’écarquille les yeux.

C’est un arc. Un arc très modeste, très simple, mais un arc tout de même. Quand il me le jette, je manque de le faire tomber. Il pose à côté de moi un carquois avec des flèches et j’en tire une pour l’encocher.

— Et euh… C’est quoi ?

— Un arc !

— Non, ça je sais, mais je veux dire pourquoi un arc ?

— Vous ne vouliez pas d’une épée.

Ah, c’est donc ça. Bien. Je dévisage l’arme en grimaçant et me relève sans le relâcher. Je suis sceptique.

— Mélisandre, ce que j’essayais de vous faire comprendre c’est que je suis dangereuse avec une arme entre les mains.

— Il vaut mieux !

— Même avec un arc. Je risque de me tirer une flèche dans la tête…

— Si vous le tenez comme ça, c’est sûr…

Aussitôt, il le tourne, se place derrière moi, relève mon bras gauche et positionne correctement mon coude droit, à hauteur de la flèche.

— C’est un peu mieux comme ça. Il faut que vous appreniez à manier une arme, c’est important.

— Il n’y a pas besoin d’un permis de port d’armes dans ce monde ?

— Non.

Je tire mon bras au maximum, jusqu’à ce la corde soit totalement tendue. J’ai l’impression qu’elle va céder à tout instant. Je pense qu’avec le temps je pourrai apprécier cette arme. Elle est légère, peut se porter assez facilement et se révéler meurtrière.

— Vous avez fait un bon choix, je souris.

— Merci. Ce n’était pas compliqué. Vous voyez, c’est un peu comme le fameux cliché où les femmes préfèrent utiliser du poison plutôt qu’un moyen plus direct et expéditif.

— C’est un moyen efficace de tuer quelqu’un, j’approuve en hochant la tête.

— Vous en avez quelques flacons dans votre sac.

Quoi ? Mais…

— Qu’est-ce qu’il y a d’autre dans ce sac ?

Je détends mon bras, pose l’arc à terre et attrape mon sac pour commencer à fouiller à l’intérieur. Une tenue noire et légère, très discrète. Sûrement un camouflage. Une carte. De quoi fabriquer une torche. Des rations de survie. Quelques fioles curieuses. Trois petits livres. Des livres, sérieusement ? Une trousse de premier secours. Le nécessaire pour camper. Un couteau, un canif, une dague et un poignard. Rien que ça ! Et… du savon et du shampoing ! Il a pensé à moi… Je n’en reviens pas, il a pensé à mon petit confort personnel !

— Je… Mais je croyais que vous n’aviez pas beaucoup d’argent !

— Les affaires ont été très fructueuses cette nuit.

— Vous vous fichez de moi ?

— Est-ce que ça vous plaît, oui ou non ?

— Oui ! C’est… Vous avez même pensé au shampoing et au savon !

— Tant mieux. Il s’avère que je me suis acheté le même équipement.

— Les affaires ont été vraiment très fructueuses !

— Plus que vous ne pouvez le croire… Allons manger. Ensuite, nous partirons.

Je souris comme une idiote, ravie. J’ai toujours aimé avoir de nouveaux objets, peut-être un truc de femme, mais il n’empêche que je suis heureuse. Certes, il ne s’agit pas tout à fait d’objets typiquement féminins à proprement parler, plutôt l’attirail d’un assassin, d’un voleur et d’un campeur, mais je suis malgré tout enchantée.

Le repas que m’offre Mélisandre est un festin de roi. J’ignore encore ce qu’il a trafiqué cette nuit pour avoir autant d’argent, mais je suis littéralement scotchée. Il semblerait que j’ai complètement bouleversé ses petites habitudes, sinon il n’aurait pas investi dans un sac suréquipé pour sa propre personne.

Nous prenons notre temps pour manger et une bonne heure doit sûrement s’écouler avant que nous quittions l’auberge. Je pensais que nous tournerions à droite pour longer l’allée principale et quitter ainsi le village, mais au lieu de cela Mélisandre s’approche d’une rambarde en bois où sont attachés plusieurs chevaux. Il dénoue la bride de l’un d’eux et je ne peux que le regarder faire.

— Mélisandre, je croyais que les chevaux étaient trop chers ici !

— Oui, et c’est toujours le cas, mais quelqu’un me devait un service et un autre a perdu un pari.

— Vous jouez à un jeu risqué.

— Je sais.

Il me fait un clin d’œil et me tend les brides du cheval, puis s’occupe d’en détacher un deuxième. Eh bien, je pense être en droit d’affirmer que nous sommes vraiment très bien équipés pour un voyage de longue durée. En revanche, je ne connais toujours pas notre destination et je doute que Mélisandre la connaisse lui aussi.

— Vous savez monter à cheval ?

— Je pense pouvoir me débrouiller.

Je n’attends pas qu’il me vienne en aide, pose un pied sur l’étrier, soulève mon corps en prenant appui sur l’étrier, passe ma jambe au-dessus de la selle et m’assois à ma convenance.

— Si j’avais un chapeau, je le tirerais. Vous avez peut-être des talents cachés !

— J’en doute, monter à cheval n’est pas très compliqué, d’autant qu’il était déjà sellé.

Il me sourit et monte sur le dos de son cheval, puis nous nous dirigeons vers la sortie du village alors qu’un millier de questions se bouscule dans ma tête.

— Mélisandre, où va-t-on ?

— En toute honnêteté ? Je n’en n’ai strictement pas la moindre idée ! Mais nous devons continuer de voyager, ne jamais nous arrêter. Il faut empêcher à ces personnes malveillantes de nous atteindre.

— Et pourquoi ne pas trouver refuge auprès de la plus grande puissance de ce monde ? Nous pourrions les implorer de nous protéger comme ils le font avec ce magicien.

— C’est une bonne idée, mais le roi est inaccessible. Il faut formuler une demande d’audience par écrit et le temps qu’elle soit examinée et traitée, puis qu’une réponse nous soit donnée, si tant est qu’elle est positive, il faut attendre un mois. Un mois pour la réponse seulement. Après, il faut compter un délai de six mois minimum pour obtenir cette audience.

— Autant de temps ?

— Il s’agit d’un roi, Amanda.

— Je sais, mais j’ai rencontré Sa Majesté Arthurion, j’ai plus ou moins réussi à discuter avec lui.

— Ce n’est pas pareil, vous avez été achetée par un membre de la famille royale, Amanda. Au fait, vous devriez peut-être changer de nom, en choisir un plus approprié et qui fasse moins… humain.

— Amandine ?

— J’ai dit moins humain.

— Amaranthe ?

À son regard éloquent, je devine que ce prénom lui plaît et qu’il est bien adapté à la situation. Il faut croire que je progresse et j’en suis probablement la première étonnée, mais cela ne manque pas de me ravir. Finalement, je vais peut-être réussir à m’accoutumer plus facilement que je ne l’aurais cru, et peut-être même vais-je parvenir à me plaire, qui sait !

— Amaranthe, marmonne-t-il. C’est très joli…

Je sais. En revanche, je ne sais pas d’où ça me vient, je l’ai peut-être lu dans un livre ou entendu dans un film, mais ce nom me plaît.

Quelques minutes plus tard, nous quittons le village et sillonnons en long en large et en travers de vastes champs dont je ne vois plus la fin, jusqu’à ce que nous atteignons la lisière d’une forêt alors que le jour tombe. Je pensais qu’il aurait été plus adapté de s’arrêter là pour lever le camp, plutôt que de devoir dormir en plein cœur de la forêt, mais Mélisandre ne semble pas tout à fait du même avis que le mien, car je le vois s’enfoncer dans la forêt. Eh bien soit !

— Nous aurions dû nous arrêter, non ? je lui dis pourtant, bien malgré moi.

— En temps normal, pour deux Sylphidens, Cereusians ou Dolomenians, oui, mais nous sommes deux humains. Et à la lisière de la forêt, nous aurions été trop exposés. La forêt va nous protéger, nous cacher.

— Elle n’est pas dangereuse ? Je veux dire, il n’y a pas de bêtes hostiles dedans ?

— Si je vous retrouve morte à moitié dévorée demain matin, je vous en tiendrai informée, c’est promis.

Ah, mais c’est qu’il tente d’avoir de l’humour le vil chacal ! Je lui lance un regard réprobateur pourtant empreint d’amusement et il me retourne mon petit sourire que j’essayais de dissimuler.

Sale teigne.

Depuis le début de notre voyage, Shou est resté parfaitement silencieux. En revanche, j’ai cru entendre de vagues sons sortir de son gosier, de petits « Owwwawww ! ». Je suppose qu’il s’agit d’une sorte de cri d’admiration, car son regard était complètement fasciné par les paysages qu’il découvrait à ce moment. Il ne doit pas voyager souvent et j’espère que ça lui plaît, mais j’ai peur qu’il ne se soit mis en danger à cause de moi. Je prie de tout cœur pour qu’aucun malheur ne lui arrive. Je vais le protéger, le surveiller et, tôt ou tard, je le ramènerai saint et sauf à son maître.

Mélisandre nous déniche une petite clairière et m’explique comment préparer un feu de camp tout en étant sûr de le maîtriser, surtout en plein milieu d’une forêt.

— Vous voyez ? Ce n’est pas très compliqué. Vous ramassez des branches sèches, il ne faut pas qu’elles soient vertes ou humides. Si elles sont vertes, la fumée va être trop dense et pourrait vite trahir notre présente, et si elles sont humides le feu ne va jamais prendre. Ensuite, vous assemblez des pierres plus ou moins grosses pour bloquer le feu et l’empêcher de s’étendre. Puis vous posez cette feuille-là à un endroit stable et vous frottez jusqu’à ce qu’il y ait des étincelles pour créer le feu.

Étonnée, je saisis l’une des feuilles qu’il m’a désignée. Je ne connais pas ce type de feuilles, elle est curieuse.

— Elle est bordeaux et de longues épines l’entourent, Mélisandre.

— C’est un spécimen de ce monde. Vous pouvez en trouver sur ce type de buissons, il me désigne alors un buisson qui, dans la nuit, me paraît noir. Vous en trouvez dans la majorité des forêts et ces feuilles ne doivent en aucun cas être consommées. Elles sont mortelles. Certains fabriquent des poisons avec, et vous en possédez un.

— Oh…

Aussitôt, je jette la feuille dans le feu et une petite explosion retentit. Mmh, en effet, je ne m’aventurerai pas à manger ce type de feuilles. Elles ont l’air plus que mortelles.

— Le plus difficile dans la construction d’un feu de camp reste la recherche de pierres, en vérité, continue Mélisandre. Il n’y en a pas tant que ça dans une forêt.

— Bah… Nous pourrions peut-être les emmener avec nous !

Il se retient d’exploser de rire, mais je vois parfaitement le rouge qui teinte ses joues. Je suis peut-être bigleuse mais pas aveugle. J’ai probablement sorti la plus grosse bêtise de toute ma vie pour qu’il soit aussi hilare.

— Vraiment, Amanda ?

— Amaranthe, je lui rappelle.

— Amaranthe, pardon. Vous étiez sérieuse ?

— Oui, pourquoi ?

— Ce sont des pierres et avec vos soixante-dix kilos tout mouillés, je suis persuadé que ces pierres seront plus aptes à vous traîner vous plutôt que vous à les transporter.

— Ce n’est pas très aimable ce que vous venez de dire, je l’accuse en me retenant de ne pas rire à sa blague.

— Soyez un peu plus perspicace et j’arrêterai de vous vanner, je vous en fais le serment.

— Très drôle !

Je lui balance quelques brindilles d’herbe qu’il esquive habilement, puis il se fige tout à coup et me regarde. En fait, il me regarde sans me voir, la bouche entrouverte. Inquiète, je passe ma main devant ses yeux, mais il ne cligne pas.

— Mélisandre ?

Il me fait signe de me taire et se lève silencieusement, puis dégaine doucement son épée pour éviter de faire du bruit. Non.

Non, non, non, non !

Je ne suis pas prête ! Je ne peux pas ! Je ne me suis même pas encore entraînée, c’est trop tôt ! C’est trop tôt !

Pourtant, je me lève à mon tour et saisis mon carquois que je place dans mon dos, puis maintiens d’une main ferme mon arc, nerveuse et le cœur palpitant. Je prends une flèche, l’encoche, mais ne sais pas où viser. D’ailleurs, je ne sais même pas si ma posture est bonne et si je vise bien mais est-ce que cela a-t-il vraiment de l’importance ?

Shou dormait paisiblement jusque-là, mais il se réveille tout à coup, ses oreilles sont plaquées en arrière et il montre les crocs en grognant.

— Shou, non !

— Faites taire cette satanée bestiole !

— Et qu’est-ce que vous croyez que j’essaie de faire ? Shou, la ferme !

Il ne m’écoute pas et continue de grogner. Et puis une chose étrange se produit. Il renifle l’air, s’assoit, redresse les oreilles et pousse sa longue plainte que j’ai déjà eu l’occasion d’entendre.

— Amaranthe !

— Je suis désolée ! Shou !

Trop tard. J’entends les buissons frémir tout autour de nous et plusieurs silhouettes surgissent d’entre les arbres pour nous encercler. Affolée, je tourne sur moi-même en braquant ma flèche sur eux. Ils doivent être dix. Quinze. Peut-être vingt. Oh, bon Dieu, nous n’allons jamais nous en sortir vivants !

— Mélisandre ?

— Je contrôle la situation.

— Vraiment ? Nous ne sommes que deux contre… contre vingt !

— En vérité ils sont quarante.

Mon cœur rate un battement. Si j’avais pu m’enterrer, je pense que je l’aurais fait. Il en compte quarante, mais où les voit-il ? Comment sait-il qu’il y en a quarante ?

— Vous connaissez leur nombre ?

L’un d’eux aboie et je me raidis. Je sens une sueur froide parcourir mon dos. Je tremble. Mes jambes ne sont plus que du coton et j’ignore par quel miracle elles parviennent encore à me tenir debout.

L’un des hommes se détache du groupe. Il tient dans ses mains ce qui ressemble à une machette et son regard n’a vraiment rien d’amical. Ses yeux me détaillent de la tête aux pieds et son regard malsain me donne un haut-le-cœur. J’ai l’impression d’être mise à nu, c’est horrible.

Il parle, mais je ne comprends rien et Mélisandre lui répond en retour. Je ne comprends rien des mots qu’ils échangent, mais je veux savoir.

— Mélisandre ? Ils veulent nous enlever pour nous utiliser, c’est ça ?

— Non, pas eux.

— Pas eux ?

— Je vous avais parlé d’un pari, vous vous en souvenez ?

— Oui.

— C’était un pari contre un Cereusian. Les Cereusians sont têtus et mauvais perdants. Très mauvais perdants. J’ai parié contre lui son plus beau cheval. Il veut seulement nous tuer.

Oh, la poisse.


Texte publié par Nephelem, 12 juillet 2017 à 09h06
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