— Mmh ?
— Amanda ?
Cette voix-là, je la connais. Je commence à bien la reconnaître. Pourtant, je voudrais qu’elle me laisse tranquille. Je me sens fatiguée, le lit est confortable. Mais elle insiste et me secoue vigoureusement. Finalement, j’ouvre les yeux et la première chose que je vois, c’est son visage. Son regard soulagé. Elle me sourit et me parle. Un vrai moulin à paroles. Pourtant, je l’aime bien. Elle s’intéresse vraiment à moi, elle. À défaut d’autres personnes. Évidemment, je ne vise personne. À part Elya.
— Quelle heure est-il ?
— Heure ?
— Oui… Le temps…
— Soleil…
Je me tourne alors vers la fenêtre. Il fait effectivement très beau, comme depuis que je suis arrivée ici, mais je ne lui parle pas de la météo. Le temps existe-t-il bien chez eux ou alors ne comprend-elle vraiment pas ce que j’essaie de lui dire ? Je ne sais pas, mais si elle m’a réveillée, c’est qu’il doit être tard. Et cette seule pensée suffit à réveiller mon estomac qui gargouille. Toriel me tend une pile de vêtements et continue de parler. Elle me saisit le poignet et me tire hors de mon lit, puis m’amène près de la porte, désigne les vêtements, moi, puis une porte un peu plus loin. Si je suis bien ce qu’elle tente de me faire comprendre, je dois m’habiller et une fois habillée, je me rends à l’endroit qu’elle m’a désignée.
Informations enregistrées.
J’acquiesce d’un signe de la tête et elle referme la porte derrière elle. Je retire la chemise de nuit que je porte et déplie les vêtements fournis par Toriel. Il s’agit d’une longue robe blanche en soie, cintrée à taille. Le haut du corps n’est que de la dentelle. En guise de chaussures, j’ai ce qui ressemble à s’y méprendre à des ballerines blanches. Il y a un miroir sur pieds, j’en profite alors pour m’examiner et je regarde mon reflet, la bouche entrouverte.
Oh, la vache.
C’est à peine si je me reconnais.
Pourtant… je ne suis pas très à l’aise. C’est idiot, mais les habitudes de mon ancienne vie me manquent. En fait, le confort de mon ancienne vie. Si je ne porte pas de robe, c’est pour deux raisons : premièrement, je suis frileuse, j’ai rapidement froid. Deuxièmement, j’ai la flemme de m’épiler pour avoir de jolies jambes. Et là…
Toriel est déjà partie, je ne peux pas l’appeler et je me vois mal crier à travers le couloir pour la faire revenir. Heureusement, la robe recouvre mes jambes, mais tout de même. Je ne sais pas si je vais être capable d’assumer ça.
Et puis, tout à coup, j’ai une idée. Je quitte la chambre et me rend au-devant de la porte de la salle d’eau où nous étions Toriel et moi la veille. Je tente de l’ouvrir, mais elle reste obstinément fermée. Fermer une salle d’eau, sérieusement ? Je soupire et trépigne nerveusement, anxieuse. De toute manière, je crois ne pas avoir le choix. J’inspire profondément et prie pour que personne ne fasse attention à ce détail, même si ça ne se voit pas. C’est idiot. Mon Dieu, je me sens tellement idiote. J’ai l’occasion unique de découvrir un monde absolument merveilleux, et il faut que je me focalise sur mon physique. Je ne dois pas être normale, au fond. Et malgré cette pensée, je suis incapable de me calmer et me concentrer sur autre chose.
Je me dirige vers la porte que Toriel m’a désignée plus tôt et j’hésite longuement à abaisser la poignée pour entrer.
Oh, et puis zut ! La robe descend jusqu’à mes pieds et puis, ce doit être une petite pièce ! Cet endroit me semble ridiculement petit, je ne crains rien après tout ! N’est-ce pas ? J’inspire profondément puis pousse la porte. C’est un vertige qui me prend quand je constate avec effroi à quel point je me suis superbement plantée.
La salle est… Elle est immensément immense. Elle est aussi large que longue, haute de plafond. Sa voûte pourrait crouler sous le poids des nombreux chandeliers qui y sont suspendus. Une grande table a été dressée, en forme de U, couverte par une nappe blanche. De nombreuses personnes sont déjà présentes. D’autres, habillées de manière un peu plus modeste, s’occupent d’apporter les victuailles et de les déposer là où la place le permet. Au centre s’élève une petite fontaine entourée par de la végétation, quelques arbrisseaux, ce qui semble être du bambou, des fleurs et plantes en tous genres… La fontaine représente une belle créature ailée. Une licorne avec des ailes, en fait, qui se cabre. L’eau sort de sa gueule. Juste au-dessus d’elle, le dôme est constitué de vitres. Des colonnes parcourent la salle et derrière elles, il y un ruisseau sculpté dans le marbre du sol. Il longe tranquillement les murs. Le carrelage blanc rend l’eau plus lumineuse et permet de voir le fond, les poissons qui suivent le chemin tranquillement. C’est beau. Très beau.
Mais riche. Et il y a beaucoup trop de monde à mon goût. Je ne m’attendais pas à ça. La fontaine m’empêche de voir les personnes assises en face de moi alors je m’écarte et fais quelques pas de côté. J’aperçois en premier lieu Toriel, qui me désigne ma place. Puis Elya.
Et lui.
Et puis il y a lui. Lui avec une couronne d’or incrustée de rubis sur la tête. Je crois qu’il doit s’agir d’un personnage important. Un roi.
Rien que ça.
Je commence à me sentir mal, mon estomac se soulève et je me penche violemment, mais rien ne sort. Aussitôt, Toriel et un autre homme se précipite vers moi, mais je secoue la tête. Ils sont dingues. Ils sont complètement dingues de me mettre dans la même pièce qu’un roi ! Mais qu’est-ce qui leur est passé par la tête, sérieusement ? Comment est-ce que je dois me comporter vis-à-vis de lui ? Comment est-ce que je dois m’exprimer face à un roi ? Ah, non… En fait, je n’ai pas à m’inquiéter de ça il ne comprend sûrement pas ma langue. Heureusement. Mais tout de même. Le souffle court, je me relève lentement et Toriel me conduit jusqu’à ma place où je m’assois. Elle me sert un verre d’eau et m’oblige à le boire. Je le vide d’un trait. Elle m’en sert un autre, mais cette fois je suis un peu plus sage et n’en bois qu’une gorgée, tout en zieutant en direction de Sa Majesté. Il sourit, rit, et discute gaiement en tenant fermement la main d’une ravissante jeune femme. Probablement son épouse. Son ventre est arrondi. Elle est enceinte. Quelle chance…
Les plats passent de mains en mains et quand le premier arrive, je le passe directement à Toriel. Les haricots rouges sont définitivement rayés de ma vie. Elle me sourit et quand le deuxième plat arrive, je le regarde avec un air dubitatif. L’odeur qui s’en dégage est pourtant délicieusement bonne, mais je préfère me méfier. Il s’agit d’une sorte de purée verte. Je me sers. Je prends aussi de la salade et quelques légumes crus, constatant avec étonnement que, là encore, il n’y a pas de viande.
Je crois que ces gens sont végétariens.
Ce n’est pas bon. J’ai besoin de viande. Des légumes, c’est trop léger. Je ne vais jamais survivre avec aussi peu à manger. Ce n’est pas bon. Pourtant, je suis tellement affamée que je ne cherche pas à m’interroger plus longtemps ou à vouloir poser des questions à Toriel. Je dévore littéralement mon assiette. Ça fait du bien par là où ça passe. La purée verte est juste sublime. Je ne sais pas ce qu’ils ont utilisé pour la faire, mais le goût est exquis. Finalement, je n’hésite pas à me resservir sous le regard satisfait de Toriel. J’espère ne pas trop faire mauvaise impression, car je suis assis à la table d’un roi. Je constate avec soulagement que d’autres m’imitent. Je crois même que l’un des convives en est à sa troisième assiette.
Et puis le dessert arrive. Ce ne sont que des fruits et une salade de fruits. Je ne crois pas que les yaourts, la glace ou les pâtisseries existent par ici. Je me sers un bol complet de la salade. Voilà quelque chose que je connais et que j’aime. Quand j’avale ma première bouchée, je ferme les yeux et savoure le goût des fruits mélangés dans ma bouche, si frais et si fondants.
— Je connais, je dis à Toriel. Je connais la salade de fruits. Salade de fruits.
— Salade de fruits ?
Je hoche d’un signe de la tête.
— Très bon, je lui dis en levant mon pouce.
— Bon.
Elle me sourit.
— Salade de fruits bon.
Elle est adorable à essayer de comprendre ma langue. J’espère sincèrement qu’un jour nous puissions nous comprendre, ce serait absolument fantastique. Malgré l’absence de viande, je suis totalement repue, mais je ne pense pas que ça va durer. Les légumes, ça ne tient pas au corps. Pas plus que les fruits. J’ai besoin de quelque chose de solide et consistant, mais je ne suis pas certaine qu’ils soient du genre à sacrifier les animaux pour les manger. Et je respecte leurs coutumes. Après tout, je ne suis qu’une intruse dans leur monde.
Perdue dans mes pensées, je constate tout à coup qu’un étrange silence pèse dans la salle. Quand je relève la tête, la plupart des regards sont braqués sur moi. Mes joues rosissent et je regarde autour de moi, puis me tourne vers Toriel, affolée.
— Toriel ?
Une voix rauque s’élève et je me penche pour déterminer d’où elle vient. C’est Sa Majesté qui a parlé. Il me désigne de la main et Elya se contente de lui répondre. Il acquiesce sans me quitter des yeux, comme s’il me détaillait et tentait de savoir ce que je suis. Je n’aime pas ça. Je déteste être le centre d’intérêt, la bête de foire. Toriel le regarde, un sourire poli sur les lèvres. Elle prononce quelques mots dans sa langue natale, cependant je parviens à saisir le mot « humaine » dans sa phrase. Et le roi plisse les yeux.
— Humaine…
Bon, maintenant il est clair que les humains n’ont décidément pas leur place dans ce monde. Si même un roi ignore ce que je suis, lui qui doit être au courant de tout ce qui se passe dans le monde, alors ça signifie que je n’ai absolument aucune chance de rencontrer l’un de mes compères quelque part dans ce monde. Je me sens soudainement seule ; si seule. Ma gorge se noue. De toute manière, ça ne changera pas d’habitude, mais je n’ai pas envie de passer pour un monstre. Et pourtant, je n’en suis pas loin. Je suis un objet de convoitise, quelque chose qu’ils ne connaissent pas. Je dois les intriguer, ils vont peut-être vouloir… m’examiner. Je ne sais pas. J’ignore comment fonctionne leur monde, j’ai encore beaucoup à découvrir. Une chose est sûre : il est gouverné par un roi. Un roi en présence duquel je suis. Il faut que j’arrête d’y penser avant de me sentir mal encore une fois. J’ai déjà dû faire mauvaise impression.
Toriel pose délicatement sa main sur moi et m’interroge. Cette fois, je suis incapable de deviner ce qu’elle me veut alors je me contente de la regarder fixement. Quelques personnes se lèvent et s’en vont après avoir salué le roi. J’aimerais pouvoir moi aussi m’en aller, mais j’ignore comment exprimer mon envie de quitter cette pièce au plus vite à Toriel. Je voudrais regagner le refuge de ma chambre pour retirer cette robe et pleurer sur mon pauvre sort. C’est un bouleversement trop important pour moi et c’est seulement maintenant que j’en prends conscience. Il y a trop de choses qui diffèrent du monde dans lequel j’ai toujours vécu.
Je tente pourtant de rester calme. Je ne parle pas et laisse Toriel et Elya parler entre eux puis échanger, parfois, quelques mots avec le roi et la reine. Je m’ennuie. Ma tête est remplie de trop de choses. Trop de pensées, trop de questions, trop d’inquiétudes. Trop de trop. Il faut que ça sorte. Ma gorge se noue et je sers mes doigts autour de la fourchette avec force pour tenter de contenir ce flot d’inquiétudes qui menace de me submerger. J’ai l’impression d’être en train d’étouffer, il faut absolument que je sorte de là.
Finalement, n’y tenant plus, je me lève et m’incline respectueusement face au roi et à la reine, puis quitte la pièce. J’ignore si c’est très poli, si c’est ainsi qu’il faut se comporter en présence de personnes aussi importantes, mais je ne peux pas rester une seconde de plus. C’est impossible. Quand je sors, j’aspire de grandes bouffées d’air frais et me dirige d’un pas fébrile vers le petit jardin carré. Heureusement, quelqu’un a eu l’ingénieuse idée de placer un banc là, et je m’assois. La porte s’ouvre derrière moi et Toriel débarque. Elle me cherche du regard et quand elle m’aperçoit, elle s’avance en murmurant quelques paroles d’un ton inquiet.
— Ne t’inquiète pas, ça va, je lui dis. C’est juste que… C’est que… Je… Pourquoi est-ce que j’ai été conviée à la table d’un roi ?
À cet instant-là, j’aurais tellement aimé qu’elle ait l’incroyable capacité d’apprendre ma langue en un temps record. Malheureusement, c’est impossible et je crains que nous ayons encore quelques semaines devant nous avant de pouvoir nous comprendre. Le temps va me paraître long et je me sens déjà perdue. Sans repère.
Toriel s’assoit à côté de moi et pose sa main sur mon genou. Elle continue de parler, probablement pour me rassurer. C’est touchant, mais ça ne sert à rien. Puis elle pince légèrement le tissu de ma robe.
— Bon, dit-elle en me souriant.
Son sourire est communicatif et je me sens également dans l’obligation de la corriger. Si elle veut s’améliorer, je n’ai pas trop le choix.
— Bonne. Jolie.
— Jolie ? Aaah, jolie !
— Toriel ?
— Oui ?
Je m’assure qu’il n’y ait personne alentours et soulève ma robe pour lui dévoiler mes jambes. J’en étends une sous ses yeux, puis lui montre les siennes en soulevant sa robe et je caresse sa peau. J’espère qu’elle va comprendre quelque chose.
— Comment est-ce que je peux faire ?
Je n’ai pas envie de ressembler à un ours hirsute. Elle fronce les sourcils, se lève et m’amène jusqu’à la salle d’eau. Cette fois, elle est ouverte. Là, elle fouille une étagère à la recherche d’un produit, puis me montre un pot transparent contenant un produit crémeux jaune poussin. Elle me fait signe de m’asseoir près du rebord de la piscine. Mes jambes vont être mouillées et s’il s’agit de cire comme je le suspecte, il y a un risque que ça ne tienne pas sur la peau.
— Tu es sûre ? Il faut qu’elles soient sèches, non ?
— Sèches ?
— Oui, pas… Pas eau.
— Pas eau… Non ! Regarde.
Elle ouvre le pot et applique le produit sur sa main, mais sa peau l’absorbe comme s’il s’agissait d’une simple crème. Je m’assois donc sur le bord du bassin et plonge mes jambes dans l’eau. Toriel en ressort une et applique une bande tout le long de ma jambe, avant de la replonger dans l’eau. Elle répète le même processus pour l’autre jambe, puis revient sur la première et, sans la sortir de l’eau, retire la bande. Je ne ressens rien. Aucune douleur. C’est stupéfiant ! Impressionnée, je replie ma jambe et caresse la zone. C’est incroyablement doux.
— Waouh ! C’est fantastique, Toriel ! C’est… C’est quoi comme produit ?
— Kilegg !
— Kilegg ? Ok, je ne sais pas ce que c’est, mais c’est divin ! C’est exactement ce qu’il me fallait, tu es super !
Si elle n’a pas compris un traître mot de ce que je lui ai dit, elle doit probablement deviner que je la flatte, car son visage s’enflamme et elle reste avec moi pour m’aider à faire de moi une sublime jeune femme. C’est ainsi que je me préfère. Nous quittons la salle d’eau une heure plus tard et, cette fois, je ne me sens plus mal-à-l’aise. Je n’ai plus honte de porter la robe et j’irais même jusqu’à dire que je me sens belle et attirante. Bien que, ici, je n’ai aucune chance de séduire quelqu’un. Il me faudrait déjà pouvoir être en compagnie d’hommes. Or, je suis la seule humaine que ce monde connaisse. Mon espèce va s’éteindre sans même avoir eu le temps d’exister. Dommage.
La journée vient seulement de débuter et je n’ai pas envie de retourner dans ma chambre. La peur qui m’a saisie plus tôt, au cours du repas, s’est volatilisée. J’ai à nouveau envie de découvrir d’autres merveilles de ce monde, maintenant que je n’ai plus à m’inquiéter de mon souci premier, à savoir mes jambes. Je me sens légère, aussi libre que l’air, et pourtant j’ignore si c’est réellement le cas. Est-ce que je peux me permettre de quitter cet endroit sans autorisation ? Et pour aller où ? Je ne connais pas cet endroit, je ne connais rien, je ne saurais pas où me rendre.
Toriel est bien plus maligne et futée qu’elle ne le laisse croire, car elle semble avoir deviné mes intentions et m’amène vers une autre porte encore, que je n’ai pas encore eu le temps et l’occasion de franchir. Je me demande où est-ce qu’elle amène. Quand je passe le seuil, j’éprouve un mélange de déception et de fascination. Nous débouchons simplement sur un autre couloir, mais large et manifestement très long. Le mur de gauche est longé par une multitude de portes et celui de droite par de grandes fenêtres qui donnent sur la forêt que j’ai eu l’occasion de brièvement visiter. Des tableaux sont accrochés au mur et des lustres pendent au plafond. Tout est blanc, ça ne change pas, mais c’est très joli. Ce n’est pas triste. Au bout du couloir, il y a une autre porte, cette fois un peu plus grande que les autres. C’est peut-être elle qui va nous mener vers la sortie. Je ne sais pas. J’ignore où m’amène Toriel, mais j’ai hâte de le découvrir. Toriel semble tout aussi excitée que moi, pourtant elle doit mieux connaître l’endroit que moi. Est-ce le fait d’être en ma présence qui la rend si heureuse ? Ce serait bien la première fois que quelqu’un apprécie autant ma compagnie. Même mon compagnon semblait ennuyé par moi.
Elle ouvre la porte et me laisse passer la première, comme elle le fait toujours. Et en un temps trois mouvements je me retrouve… dans un hall d’entrée. Je suis à l’étage. Un escalier descend vers un palier. En face se trouve un autre escalier qui conduit à l’étage, et à droite un second escalier qui descend vers le rez-de-chaussée. Ce serait mentir que de dire que cet endroit n’est pas majestueux, riche en décorations et réellement impressionnant. J’en ai le souffle coupé. Étonnée, je descends une à une les marches, laissant ma main glisser sur la rambarde. Mes pieds foulent un tapis rouge bordé d’or avec des entrelacs dorés complexes et sinueux. Quand j’arrive au rez-de-chaussée, je constate qu’il y a une porte entre chaque colonne qui soutient le palier de l’étage, ainsi qu’une armure, un tableau ou une tenture en guise de décoration. De larges chandeliers sont accrochés au plafond et un immense vitrail au-dessus de la lourde porte d’entrée colore le hall. C’est éblouissant autant de beauté. Je n’en reviens pas.
Deux gardes surveillent la porte d’entrée et je remarque qu’une petite porte a été construite à même la grande. Elle est ouverte et la lumière du jour filtre à travers elle. Ça y est, nous sommes à deux pas de l’extérieur. Mon cœur bondit de joie mais, en même temps, j’éprouve une certaine appréhension. Qu’est-ce que je vais découvrir derrière cette porte ? Quelles autres merveilles m’attendent ? Est-ce si différent de mon monde ou y aura-t-il malgré tout quelques similitudes ? J’espère l’un comme l’autre. Je voudrais que tout soit différent pour ne jamais me lasser de tout découvrir, mais je n’ai pas envie que ça soit trop différent pour garder un pied sur terre. Pourtant, s’il y a des similitudes avec mon monde, j’ai peur d’éprouver du regret, de vouloir revenir en arrière, de ne pouvoir supporter ce magnifique voyage.
Plus j’avance et plus mon cœur se serre. Je sens rapidement les larmes monter à mes yeux et Toriel me pousse doucement. Nous y allons à mon rythme. Finalement, malgré moi je me retrouve dehors et bon Dieu, que c’est beau ! C’est une ville toute entière qui s’étend à mes pieds, avec de hautes maisons. Je remarque notamment la large allée, bordée d’arbres et de parterres de fleurs. C’est celle qui rejoint directement le petit chemin que nous devons longer pour y arriver. Il nous faut descendre aussi quelques escaliers. Il y a du monde dans les rues. Beaucoup de monde. J’ignore si la nouvelle de mon débarquement est répandue. J’ignore comment les gens vont se comporter en me voyant. J’ai peur de franchir ce cap. Je lance un regard perdu à Toriel, mais elle me sourit pour me rassurer. J’espère qu’elle sait ce qu’elle fait, car j’ai l’impression de sauter d’une immense falaise pour plonger tête la première vers les rochers qui m’attendent plus bas, et non l’océan.
Allez, courage Amanda ! Tu peux le faire.
Mes jambes se remettent en marche et mes pieds me guident malgré moi vers l’allée principale. Quelques regards curieux se tournent vers moi et je cherche nerveusement la main de Toriel. Je sens ses longs doigts froids se glisser entre les miens. Elle me murmure quelques mots à l’oreille alors qu’un silence lourd commence à s’installer. Les derniers chuchotements s’évaporent et les gens s’écartent pour me laisser passer en me regardant avec des yeux ronds comme des soucoupes. Là, je me sens mal. Je déteste ça.
Je tremble. Je sens mes jambes flageoler et Toriel serre ma main un peu plus fort dans la mienne. Elle est moite. Pourquoi me regardent-ils comme ça ? Arrêtez de me fixer ! Vous avez probablement mieux à faire que de me regarder !
Je m’arrête au milieu de l’allée et, lentement, prudemment, les gens s’approchent de moi, les mains tendues. Je les sens sur mon corps. Ils me palpent, me touchent, murmurent, parlent, crient, sourient, chantent. Ils sont étonnés, stupéfaits, impressionnés, et un peu effrayés aussi. Je crois que je vais rapidement faire le tour du monde, ma venue risque de faire du bruit. Elle ne va pas passer inaperçue, c’est certain.
Je les laisse me toucher et cela dure quelques minutes jusqu’à ce que la foule commence à se dissiper. Une heure plus tard, tout est redevenu normal, je ne sens plus de mains sur moi, les gens sont retournés à leurs activités et je peux enfin reprendre mon souffle. Tout ce temps, Toriel est restée à mes côtés et m’a soutenue. Elle est fantastique. J’ai l’impression qu’elle me comprend et ça me soulage de savoir qu’il y a quelqu’un sur qui je peux compter ici. Maintenant que la curiosité des gens est assouvie, je vais pouvoir visiter tranquillement la ville autant de fois que je le veux. Je me retourne pour contempler l’endroit où j’ai séjourné et constate avec surprise qu’il s’agit en vérité d’un château. Oh, ça ne devrait pas plus m’étonner que cela. J’y ai rencontré un roi, et un roi vit dans un château.
Toriel me fait visiter quelques magasins et je découvre des objets étranges et curieux. Malheureusement, ils sont incroyablement coûteux. Enfin, je crois. Je ne connais pas cette monnaie, mais quand je lis le nombre 250 sur l’étiquette d’une robe, j’ai juste envie de faire demi-tour. Malgré tout, je dois avouer que les vêtements ne manquent pas de charmes. Il y a en particulier une robe qui me plaît. Elle est magnifique. La jupe est complexe, je dois l’admettre. Il y a une première couche en soie, bordeaux aux reflets dorés, légèrement remontée à certains endroits pour lui donner du charme. Elle est surmontée par un voile en dentelle plus clair, qui rejoint les plis du premier tissu, le tout ceint par un bandeau noir qui relie la jupe avec le corset. Il est dans les mêmes tons et se ferme par-devant avec de petites agrafes discrètes. Les motifs en dentelle noirs rendent l’habillage plus discret, mais les plis aux extrémités et le nœud papillon situé au niveau de la poitrine ne peuvent qu’attirer le regard.
Cette robe est un chef-d’œuvre. Toriel s’approche de moi et la pointe du doigt en me regardant. Elle me propose certainement de l’acheter, mais son prix est beaucoup trop élevé pour que j’accepte. Et de toute manière, elle m’a déjà acheté bien trop de choses. Elle porte trois sacs d’objets divers et variés sur lesquels j’ai flashé et qu’elle a payé. Mais combien d’argent possède-t-elle ?
Je la vois prendre en main la robe et je secoue vivement les mains avec un air affolé.
— Non, non, non ! Tu rigoles ou quoi ? C’est trop cher ! Regarde, c’est… C’est 650 Selphyrs ! C’est comme ça que s’appelle la monnaie, n’est-ce pas ?
Il m’a semblé entendre ce mot plusieurs fois et elle acquiesce.
— Oui, 1 650 Selphyrs, répète-t-elle.
— Trop cher. Et… Et regarde tout ce que tu as déjà pris pour moi.
Je lui montre les sacs qu’elle tient.
— J’en ai assez. C’est bon. Merci, Toriel. Merci, mais tu as déjà trop dépensé pour moi, je ne peux pas.
Elle cligne des yeux.
— Stop.
— Stop ?
— Stop, non.
— Oui, non.
Ça y est, je crois qu’elle a enfin compris. Elle repose la robe. Nous quittons la boutique. Il commence à faire nuit. Décidément, je ne vois pas le temps passer. Je commence à avoir faim, j’espère que nous n’avons pas raté l’heure du dîner, mais je n’ai pas envie de me retrouver à nouveau en présence de Sa Majesté.
Nous rebroussons chemin pour retourner au château et Toriel m’accompagne jusqu’à la chambre où elle dépose les affaires sur le lit, puis elle me demande tant bien que mal de la suivre pour aller manger. Je constate avec regret que nous empruntons le même chemin que ce matin.
Curieusement, de nombreuses places restent vides et le roi, ainsi que sa reine, ne sont pas présents. C’est assez étrange cette absence d’autant de monde au dîner. Elya, en revanche, est là. Nous nous installons près de lui et Toriel se penche vers lui pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Qu’est-ce que c’est que ces messes basses ? Habituellement, elle ne me fait pas de telles cachotteries. Je le vois se lever et quitter la salle sans plus de cérémonie. Étonnée, je hausse les sourcils et me tourne vers Toriel, intriguée.
— Qu’est-ce que tu lui as dit ?
— Quoi ?
— Qu’est-ce que tu lui as dit ?
— Quoi ?
Ah, j’ai horreur de ça ! Elle fait semblant de ne pas comprendre, c’est horripilant ! Mais qu’est-ce qu’elle me cache ? Anxieuse par son comportement, j’en perds littéralement l’appétit et c’est Toriel qui se voit dans l’obligation de me servir pour que j’ai quelque chose dans l’assiette. Malgré l’odeur agréable qui s’en dégage et l’aspect visuel très plaisant, mon appétit ne revient pas et je joue avec la fourchette dans l’assiette, touillant les aliments. Je reste là jusqu’à la fin du dîner, quand il ne reste plus que trois personnes. Pour la énième fois, Toriel me lance des reproches et tente de m’obliger à manger, mais mes paupières sont lourdes et je suis fatiguée. J’ai besoin de dormir.
Finalement, je secoue la tête, lui présente des excuses et lui montre comme je peux que je suis fatiguée. Elle ne peut que capituler et me laisse partir. Quand j’entre dans la chambre, je constate que les sacs qui étaient posés sur le lit se retrouvent désormais par-terre. Quelque chose d’autre, en revanche, est dessus.
La robe.
Celle sur laquelle j’ai flashé et qui coûte au moins deux bras et une jambe. Je n’en reviens pas. Il n’y a pas de mot, j’ignore qui l’a achetée. Et puis les messes basses de Toriel me reviennent à l’esprit. Elya était parti au début du repas, mais n’est pas revenu. Ça ne peut être que lui.
Mon cœur s’affole et je reste encore quelques minutes, émerveillée, à serrer la robe contre moi en souriant bêtement, heureuse. Puis la fatigue l’emporte et je m’endors sans même m’être changée.
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