C’est avec un sursaut que je me réveille. Je crois avoir entendu un bruit, comme un choc, quelque chose qui tombe. Je papillonne, soupire et me frotte les yeux. Je ne reconnais pas l’endroit dans lequel je me trouve. Ce n’est pas ma chambre.
Il me faut quelques secondes avant de me souvenir ce qui s’est passé et où je suis. Quand je me redresse, je ne vois personne. Pourtant, je suis persuadée d’avoir entendu quelque chose. À moins que ce soit mon imagination ou que ça vienne de mon rêve. Ce ne serait pas la première fois qu’une telle chose arrive.
Mais j’entends un autre bruit et le vase blanc qui se trouvait sur la petite table au bout de la pièce tombe à terre et se brise, dévoilant une étrange petite créature. Son corps et sa tête ressemblent à ceux d’un lapin, mais elle possède deux petites canines qui dépassent légèrement de sa gueule, et quatre pattes comme celles d’un chat, avec une longue queue touffue et quelques rayures noires sur son dos. Ses oreilles sont incroyablement grandes et au bout de chacune d’elles se trouve une petite touffe de poils. Ses grands yeux bleus me fixent avec peur et curiosité mélangées. Je la regarde en retour. Je ne sais pas si je dois être attendrie, apeurée ou intriguée. J’ignore de quoi il s’agit et si cette bestiole est innocente ou hostile.
Elle éternue et son museau heurte la table sur laquelle elle est. Alors elle en descend en pleurant et court se réfugier sous le lit. Je reste immobile. Mon cœur bat à folle allure. J’ai envie de me baisser, regarder sous le lit, l’appeler et la rassurer, mais comment va-t-elle réagir ?
— Hey ?
J’entends encore ses pleurs sous le lit et ses petites griffes racler le sol. La pauvre. Finalement, prise de pitié, je quitte la chaleur du lit puis me baisse. Elle est là, recroquevillée, tremblante, et me regarde avec peur.
— Ce n’est rien, viens, je lui dis d’une voix douce pour tenter de la rassurer. Plus de peur que de mal, non ?
Je tends ma main pour tenter de l’attraper, mais ses pleurs se transforment en une longue plainte aiguë. La porte de la chambre s’ouvre alors et je me relève. C’est Elya.
— Shou ?
Quand elle reconnaît son prénom, et probablement la voix de son maître, la bestiole accourt aussitôt pour se précipiter aux pieds d’Elya. Il se baisse alors pour la prendre dans ses bras et la caresser. Moi, je me relève et la désigne du doigt, encore surprise.
— Qu’est-ce que c’est ?
Il me répond, comme il est coutume de le faire quand une personne pose une question, seulement je ne comprends rien. Comme d’habitude. Pourquoi lui poser des questions et même lui parler alors que je suis parfaitement incapable de traduire ce qu’il me dit ? Je suis vraiment stupide.
— Toriel ? Toriel ?!
Une voix lui répond et Elya soupire, me parle à nouveau, puis se tourne vers la porte. J’entends quelques bruits de pas et la jeune femme entre dans la chambre. Elle échange quelques mots avec son compagnon puis se tourne vers moi.
— Nerhak.
— Nerhak ?
Je suppose que ce doit être le nom de la créature. Je ne suis pas certaine de pouvoir retenir le nom de cette bestiole. D’ailleurs, il n’y aura sans aucun doute pas grand-chose que je puisse retenir. Je ne suis pas douée pour mémoriser. C’est à se demander en quoi je suis véritablement douée, en fait.
— Est-ce que je peux sortir ? Il y a un moyen de rentrer chez moi ?
— Sortir ? Moyen ? Moi ?
Je m’approche alors de la fenêtre pour lui désigner l’extérieur, lui exprimer mon envie de sortir, mais quand je l’atteins, je me fige aussitôt, surprise. Jamais je n’aurais cru, un jour, assister à un spectacle aussi époustouflant. Sous le rebord de la fenêtre s’étend une forêt. Elle est composée d’arbres divers et variés, de tailles, de formes et de couleurs différents, parsemée par des plantes et des fleurs étranges. La flore est curieuse, mais la forêt est sublime. Les couleurs sont harmonieuses et je n’ai plus qu’une seule envie : descendre et visiter cette forêt. Pourtant, ce n’est pas elle qui m’impressionne le plus. Loin s’en faut.
Un peu plus loin s’étend un lac d’un bleu lagon, comme les yeux d’Elya. Il s’achève par une multitude de chutes et plusieurs bassins descendent en escalier jusqu’à un lac plus vaste et majestueux, encerclé par la forêt. Et, plus loin encore, à l’horizon, se dresse une chaîne de montagnes hautes et vertigineuses. Dans le ciel, j’aperçois une multitude d’oiseaux curieux voler et planer au-dessus de cet incroyable paysage. C’est magnifique. J’ai peine à croire ce que je vois, et pourtant cet extraordinaire tableau s’étend juste sous mes yeux. J’ai l’impression qu’il me suffit de tendre la main pour toucher ce rêve du bout des doigts.
La voix de Toriel me ramène à la réalité et je me tourne vers elle en clignant des yeux, encore stupéfaite.
— Je voudrais sortir, je lui dis. Je voudrais pouvoir visiter cet endroit !
Je lui désigne la forêt et elle me sourit, puis se tourne vers Elya, dit quelques mots. Il hausse les épaules, tourne les talons et s’en va. Il est d’un genre très avenant, j’ai l’impression. Ce n’est pas très étonnant venant de quelqu’un qui achète des personnes sur un marché. Toriel me fait signe de la suivre et je lui emboîte le pas. Mon cœur s’affole et bat à tout rompre. J’ai du mal à contenir mon excitation.
Quand je sors de la chambre, je m’arrête aussitôt, étonnée. Je pensais déboucher sur un couloir plutôt carré et fermé. Celui-ci est ouvert. Le mur d’en face n’est composé que de quelques colonnes qui soutiennent la charpente. Derrière elles, je peux voir un splendide jardin que le couloir contourne. Il forme un petit carré, c’est très joli à voir, très agréable à l’œil. Le plafond, au-dessus de ma tête, est arrondi. Tout est blanc, éclatant, lumineux. C’est très gai.
Effarée, je trottine pour rattraper Toriel qui s’est déjà éloignée. Elle s’approche d’une petite porte et l’ouvre, puis s’efface pour me laisser passer.
J’hésite un peu. Des escaliers se présentent à moi, mais ils sont un peu raides. Nous sommes déjà à l’extérieur, les escaliers sont de pierre et descendent le flanc de la colline où nous sommes. Ils sont entourés par un paysage champêtre mais, plus bas, ils s’enfoncent directement dans cette incroyable forêt. Il n’y a pas de rambarde pour me maintenir. Je crains de faire un mauvais pas, une mauvaise chute. Je me tourne vers Toriel, inquiète, mais elle me pousse gentiment à avancer.
Soit.
J’inspire profondément et entame la descente avec prudence. J’aurais voulu pouvoir admirer le paysage autour de moi, mais je préfère rester concentrée sur les marches de l’escalier. Le soleil tape fort et une chaleur malsaine m’enveloppe. Je commence à me sentir mal et quand j’arrive à la dernière marche, dans la forêt, une agréable fraîcheur chasse le malaise que je ressens et j’ai l’impression de revivre. Je peux à nouveau respirer.
Je passe ma langue sur mes lèvres et avance doucement sur un sentier battu. Quelques plantes imposantes débordent sur le chemin tout tracé et m’effleurent. Je peux entendre une multitude d’oiseaux chanter, gazouiller, des grenouilles croasser. Je crois même avoir aperçu une libellule. C’est beau. C’est incroyable. Je me trouve en plein cœur d’un magnifique rêve. Et c’est moi, Amanda, qui y suis.
C’est moi qui ai eu l’honneur d’atterrir ici, dans ce monde.
Je me sens unique et privilégiée. C’est fantastique. C’est divin comme sensation.
Tout à coup, j’entends le bruit de l’eau. Je tends l’oreille. Il vient de ma droite. Je quitte alors le sentier pour m’engouffrer dans la forêt. Toriel m’appelle à plusieurs reprises, mais je refuse d’obéir. Je veux tout explorer et tout voir, je suis avide de découvertes ! Ma course folle à travers la flore ne dure que quelques secondes et je m’arrête brusquement, brassant l’air de mes bras pour retrouver l’équilibre. Une autre merveille de la nature se présente à moi. C’est un bassin de taille moyenne. Il s’achève par une splendide chute d’eau. L’eau est transparente. De là où je me tiens, je peux apercevoir le fond du bassin, son sable blanc, ses poissons étranges de toutes les couleurs possibles et inimaginables, et de toutes les tailles. Il y a aussi quelques coraux. J’ai envie de plonger.
Oh, oui, j’ai envie de plonger.
Je trempe rapidement un orteil dans l’eau tout en regardant les poissons qui nagent paresseusement. Est-ce que je vais oser ? Vais-je vraiment le faire ? Après tout… pourquoi pas ? Je m’empresse de retirer ma chemise de nuit et plonge dans l’eau alors que Toriel arrive à ma suite et hurle derrière moi. J’émerge de l’eau, tout sourire, et lui fait signe de me suivre. Elle s’affole, prend ma chemise et me la désigne avec un air faussement outré, mais je me contente de hausser les épaules.
— Et alors ? Tu as peur ?
— Peur ?
J’imite comme je peux quelqu’un d’apeuré et elle secoue la tête, affiche une moue dubitative, comme si elle était incertaine. Je la sens un peu… coincée. J’étais comme elle, avant, mais ce nouveau monde m’offre l’occasion de changer et de mener une nouvelle vie et il est absolument hors de question que je revive ce que j’ai vécu par le passé. Je veux me sentir vivre, je veux profiter de chaque instant, je veux que chaque seconde soit magique !
Je continue de sourire à pleines dents et insiste pour qu’elle vienne. Elle se retourne pour regarder derrière elle, comme pour s’assurer que nous ne sommes pas suivies, puis enlève sa longue tunique bleue pâle et saute en m’éclaboussant au passage. Quand elle remonte à la surface, nous rions et elle parle vite. Sa voix tremble, oui, mais je la sens toute excitée. Je crois que c’est la première fois qu’elle se lâche autant. Puis elle me désigne un des poissons qui s’approche vers nous et ses yeux vert forêt m’observent.
— Poisson, je lui dis.
— Poisson ? Poisson !
Elle rit, les joues roses, et puis nage, plonge sous l’eau, et je la suis. Nous restons dans l’eau jusqu’à la nuit tombée, à nager, nous esclaffer, tenter de communiquer. Je passe un agréable moment, si bien que je ne vois pas le temps passer. Et nous y serons restées probablement quelques heures de plus si Elya n’avait pas tout à coup fait son apparition avec un air sévère gravé sur le visage. Aussitôt, j’ai le réflexe de protéger ma nudité quand je me souviens que l’eau du bassin est aussi claire que de l’eau de roche, mais il ne doit sûrement rien voir à cause de l’obscurité. Heureusement !
Il aboie quelques mots et Toriel affiche un air coupable. Je ne comprends pas ce qu’il lui dit, mais je me sens vexée et outrée par son comportement. Il coupe court à notre amusement. Il est clair que Toriel passait du bon temps, et lui vient tout briser d’un coup. Je la voix nager vers lui et sortir de l’eau. Elya l’enveloppe dans une grande serviette. Il y en a une deuxième, sûrement pour moi. Il continue de parler d’une voix forte, les sourcils froncés, et je nage jusqu’à eux.
— Eh, ce n’est pas la peine de l’engueuler comme ça ! je lui crie en sortant de l’eau.
Je prends la serviette dans un geste furieux et m’enveloppe à l’intérieur sans le quitter des yeux. Je lui tiens tête.
Je tiens tête à quelqu’un.
— Elle passait du bon temps, nous nous amusions bien jusqu’à ce que M. Grincheux vienne faire son show ! Si vous voulez crier sur quelqu’un, criez sur moi mais pas sur elle, elle n’a rien fait !
Il pince les lèvres, reste immobile quelques secondes, puis se détourne de moi et pousse Toriel en direction du petit sentier.
J’ai tenu tête à quelqu’un.
Moi-même je n’en reviens pas. Et pour une fois que j’arrive à prendre mon courage à deux mains, à faire preuve d’autorité, je suis ignorée en force ! Je récupère ma chemise et la tunique de Toriel puis cours pour rattraper Elya, courroucée.
— Elya ! je crie en essayant d’éviter les branches à terre qui m’écorchent les pieds. Elya, je vous parle !
Il doit sûrement comprendre son prénom, mais continue d’avancer comme si de rien n’était. C’est exaspérant.
— Elya, vous pouvez faire un effort ! Elya !
Il n’y a rien à faire. Je tends la main pour essayer de l’attraper, mais il marche beaucoup trop vite et mon pied glisse sur une petite branche bien ronde. Je trébuche et tombe à terre.
Merde.
Je suis encore plus en colère qu’avant à cause de cette stupide chute. Je m’amusais quelques minutes plus tôt, et maintenant je risque de me coucher en étant de mauvaise humeur.
Une paire de bottes se présente à moi et je relève la tête. Elya se tient devant moi. Il grommelle et se baisse pour m’aider à me relever sans ménagement, puis me traîne vers les escaliers. Comme ils sont trop étroits, nous sommes obligés de les monter l’un derrière l’autre. C’est en silence que je les gravis, à la fois bouillonnante de colère et honteuse. C’est la chute qui me rend honteuse et l’ignorance d’Elya, sa perpétuelle colère contre moi, qui me vexe à un point… Je soupire et franchis la petite porte. Elya donne probablement un ordre à Toriel avant de nous quitter, car elle m’indique de la suivre. Nous passons la porte de ma chambre et en franchissons une autre. Je reconnais aussitôt les traits familiers d’une salle d’eau. Nous venons pourtant de nous baigner.
Mais quand je baisse la tête, je ne peux que constater l’étendue du désastre. Avec ma chute, je suis couverte de poussière, d’herbe et de feuilles mortes.
Je prends le temps d’admirer la pièce. Elle est aussi lumineuse que ma chambre et le couloir que j’ai eu l’occasion de visiter. Un carrelage bleu clair recouvre tout le sol et au-milieu de la petite pièce exigu se trouve un bassin. L’eau d’un bleu électrique projette des reflets lumineux contre les murs, créant une atmosphère quasi surréelle s’il n’y avait pas eu autant de flambeaux allumés pour les atténuer.
Quelques bancs en bois longent les murs, ainsi que des étagères sur lesquelles ont été disposées des serviettes et des produits, sûrement nécessaires pour un bon bain. Toriel jette sa serviette et nos vêtements dans une corbeille à linge en osier, retire ma serviette et lui réserve le même sort. J’entre dans le bassin et elle sélectionne quelques produits, puis entre à son tour. Et tandis qu’elle frotte une pierre savonneuse blanche contre sa paume en tenant mes cheveux, créant de la mousse, je ne peux m’empêcher de lui parler.
— Elya semble constamment furieux, je murmure.
J’éveille son intérêt, car je lui parle d’Elya et elle se penche légèrement vers moi, sans arrêter son frottement.
— Elya ?
Elle dit quelques mots et je me tourne légèrement vers elle. De son index, elle se désigne puis me désigne plusieurs fois de suite en disant « Toriel, Elya ». Oh. Ils sont donc ensemble… ?
— Vous sortez ensemble ?
Elle ne comprend pas et, avec mes mains, je fais un cœur. Elle secoue la tête avec un air à la fois choqué et amusé.
— Non, non, non ! Elya…
Elle cherche ses mots, mais ne trouve pas.
— Ce n’est pas grave, tu sauras peut-être me le dire un jour. Notre langue est compliquée et l’apprendre du jour au lendemain, ce n’est pas possible.
— Elya ?
Je souris. Même si elle ne peut pas tout saisir, elle est quand même intriguée et veut connaître ma pensée. Elle ne perd pas le nord.
— Il est en colère contre moi, non ? Pourquoi est-ce qu’il m’a achetée ? Je ne comprends pas très bien… J’ai dû lui coûter une fortune et maintenant, il doit être déçu. Je me demande à quoi il s’attendait en m’achetant.
— Moi… Moi, Sylphide. Et toi ?
Une conversation de sourds, mais nous progressons.
— Humaine.
— Humaine ?
À en juger par sa réaction, j’en déduis que c’est la première fois qu’elle entend ce mot. Il ne doit pas exister d’humains dans ce monde. J’ai peur de me sentir seule au bout d’un moment. J’espère que ça n’arrivera pas, que je n’aurai pas le mal du pays, que je ne vais pas souffrir d’un manque. Je préfère ne pas y penser pour le moment.
Je soupire.
Toriel termine de me laver, je me sèche rapidement avec une serviette et rejoins ma chambre. Quand je me glisse dans les draps du lit, il ne me faut que quelques secondes à peine pour m’endormir.
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