Le vaisseau venait tout juste de dépasser la première strate de vitesse supraluminique quand Ludwig, seul pour piloter l’engin sentit poindre dans sa nuque le stress de la rencontre à venir. Il savait que cette nouvelle vie qui s’offrait à lui et ses enfants après le deuil de son épouse s’accompagnerait d’une période compliquée d’adaptation dont il avait pris toute la mesure à leur départ de la planète Terre.
Le petit cargo de transport était un véhicule familial composé d’un pont principal qui pouvait accueillir jusqu’à dix personnes et autant de marchandises et d’un cockpit où deux sièges s’alignaient face aux commandes du monstre métallique.
Lud avait investi ses dernières économies dans l’achat coûteux de ce seul moyen de transport et, bien que les voyages personnels spatiaux étaient courant en ces temps de changements et de conquête de la galaxie, il n’avait que très peu d’options : pas d’armement ni de bouclier cinétique, l’unique propulseur atmosphérique était à peine capable de soulever la masse de métal dans une atmosphère dense.
Non vraiment, les enfants VanHagen n’avaient pas compris la démarche de leur père et Gretel, l’aînée, le lui avait bien fait comprendre. Pourtant, ils étaient là, assis silencieusement dans les sièges baquets, ceinture bouclée. Hansel était un jeune garçon de six ans bien trop petit pour exprimer ce qu’il ressentait au fond de lui ; il commença à pleurer et Gretel leva les yeux au ciel. Se détachant, elle sauta sur ses deux jambes et s’accroupie devant son frère.
« Ne pleure pas Hansel… Je suis là, et je suis sûr que nous allons nous sentir comme chez nous là-bas, dit-elle avec un enthousiasme sur-joué.
— Je… je sais… pleurnicha le petit homme le regard planté sur ses pieds.
— Alors tu ne dois pas pleurer… Tu es grand, maintenant ! »
Le môme feignit d’arrêter, retenant sa respiration pour calmer le hoquet de ses sanglots ; Gretel n’était pas dupe, mais pour l’encourager, elle s’installa dans le siège à côté de lui et prit sa main dans la sienne.
« Tu verras Hanny, tout ira bien, j’en suis certaine, » dit-elle pour se convaincre.
Les dernières heures du voyage pour atteindre la planète Schwarzwald leur semblèrent interminables mais quand enfin le vaisseau avertie ses passagers de leur entrée dans l’atmosphère, les deux enfants fermèrent les yeux, comme pour éviter de voir ce qui allait se passer.
Quelques minutes et un haut-le-cœur plus tard, les patins en acier se plantèrent dans le sol granuleux et ferme de la planète ; la cale s’ouvrit sur la plateforme de béton bordée par une pelouse d’un vert-jaune très étrange.
« Les enfants ! Détachez-vous, nous sommes arrivés ! » hurla Ludwig d’un air guilleret.
Le quadragénaire s’approcha de la descente de métal et fut accueilli par un homme en uniforme militaire bleu et gris, caractéristique des nouvelles colonies humaines établie en bordure de la galaxie.
« Vos papiers, cher monsieur, » ordonna sèchement le militaire dont la carrure était impressionnante.
Lud s’éxécuta sans broncher et l’homme aux iris d’un rouge primaire dévisagea les deux gamins qui s’approchaient sans faire de bruit.
« Combien de passagers ?
— Trois, affirma Lud.
— Animaux ?
— Aucun, dit-il encore.
— Vos papiers sont en règle. Veuillez désactiver les pare-feu de votre navigateur pour mise-à-jour. »
L’officier de la marine interstellaire coloniale qui assurait la sécurité sur les colonies terriennes jeta un dernier coup d’œil par-dessus l’épaule de Ludwig et s’en fut en les saluant, sans mot-dire.
Ludwig saisit la console du terminal numérique du hangar et exécuta la série de commandes basiques sur le système du vaisseau afin de recevoir les cartes des zones autorisées au survol par des aéronefs de classe civile.
Comme toute nouvelle colonie, Schwarzwald avait fait l’objet d’une décennie de recherches avant d’être déclarée rentable et habitable par les entreprises et les colons civils ; le gouvernement du Noyau – unique organe gouvernemental habilité à contrôler l’espace colonial, disposait de ressources quasi-illimitées et favorisait la colonisation de planètes extrasolaires économiquement viables par un système de subvention à l’installation.
A la manière de la conquête de l’Ouest américain, les terrains étaient vendus pour de modiques sommes et une aide financière substantielle permettait aux colons de s’établir sans grande difficulté, loin de la Terre et de leurs racines.
Ludwig était autrefois un fermier dans les grandes plaines d’Amérique du Nord, mais son exploitation avait fait naufrage lorsque les retombées radioactives de l’attaque de Mexico avaient contaminé les sols et rendu l’agriculture dans ces régions illégale. L’une des victimes de cette contamination ne fut autre que sa défunte épouse : Hermine.
Sans trop s’attarder, Lud commanda la fermeture de la cale et, demanda à ses enfants de l’accompagner dans le cockpit – si le voyage spatial pouvait se révéler dangereux pour les passagers, il en était tout autre lors d’un transport dans l’atmosphère sur ces machines étudiées pour de tel transports.
Les filtres solaires désactivés, le vaisseau prit de la hauteur et la famille se retrouva propulsée au-dessus d’une épaisse forêt noire semblant interminable. Ludwig était pleinement concentré sur la navigation mais il ne put s’empêcher de constater avec satisfaction le sourire sur les lèvres de ses deux bambins.
Il en était certain maintenant : il avait pris la bonne décision.
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Une heure s’était écoulée depuis leur départ du spatioport de Schwarzwald et un étrange phénomène se profilait sur l’horizon ; le soleil d’un jaune orangé sur couchait sur la forêt noire qui semblait reprendre pied au loin mais dans le ciel, un astre étrange tout juste coloré d’un bleu pâle s’étalait sur une bon quart du ciel.
« Qu’est-ce que c’est ? hasarda Hansel la tête posée sur les genoux de sa sœur.
— La planète autour de laquelle tourne notre nouvelle maison, dit pensivement la fillette allongée sur le dos, admirant le spectacle de la nuit tombante au travers du cockpit translucide.
Et pourquoi elle est plus grande que le soleil ? poursuivit l’enfant en serrant une peluche au teint défraichi entre ses bras.
— Elle est beaucoup plus près de nous Hanny…
— On dit qu’elle est couverte de glace, intervint Lud qui avait relâché les commandes pour l’atterrissage. Nous sommes arrivés les enfants… » dit-il, impatient de voir la nouvelle terre qu’il avait acheté.
Le vaisseau se posa sans encombre dans la prairie d’herbe courte et drue poussant dans la région ; la forêt de bois noir s’étendait à un kilomètre de là et tout autour d’eux. La plaine où Lud avait acheté sa nouvelle propriété était légèrement vallonnée et les deux modules d’habitation fourni par le consortium chargé de financer l’installation des nouveaux colons étaient installés au sommet de sa plus haute colline. Ludwig imagina qu’il était possible de voir depuis la tour d’observation du second module toute la plaine qui les entourait.
Le vaisseau était posé sur l’ère d’atterrissage à une trentaine de mètres de la nouvelle maison de sorte que les vibrations engendrées par les envolées du petit transporteur n’entament pas l’équilibre et les fondations sommaires de la demeure.
L’air frais et pur de Schwarzwald leur emplis les narines d’une sensation qui n’était plus sur Terre qu’un vague souvenir ; l’odeur de l’humus et de la végétation humide avait saisi Hansel et Gretel d’une façon insoupçonnée et si elle ne leur paraissait pas désagréable, elle était étrange et attisait leur curiosité.
Après quelques minutes d’une marche assez maladroite dans leur sol meuble et couvert d’une épaisse couche végétale, les nouveaux habitants parvinrent à l’entrée de leur nouvelle propriété.
Le sas se déverrouilla sur un premier espace ouvert servant de pièce-à-vivre et menant à un étage de nuit avec trois chambres et une salle-de-bain. Les modules d’habitation coloniaux étaient modernes, autonomes et propres dans un souci permanent de préserver les planètes nouvellement colonisées.
Gretel pensa en elle-même que cette nouvelle maison était bien plus belle que celle qu’elle avait connue pendant près de douze ans ; elle comprit au sourire de son petit frère qu’il la trouvait également à son goût.
Satisfait, Ludwig demanda aux deux bambins de s’occuper de déballer leurs affaires dans les chambres qui leur avaient été assignées pendant que lui retournait au vaisseau et apportait dans le garage du second module l’essentiel du matériel qu’il avait apporté : de quoi cultiver suffisamment de nourriture pour lui et sa famille tandis que son contrat le menait à embrasser une nouvelle carrière.
Schwarzwald était loin d’être une exploitation agricole commune. En effet, son activité économique reposait entièrement sur la récolte et le travail du bois noir dont était constituée la forêt couvrant la majeure partie de la planète. Contrairement à la Terre, la lune gravitant autour de la géante de glace du système stellaire, n’avait aucun océan, aucune mer qui fut digne d’être nommé ainsi.
Bien sûr il y avait ça-et-là quelques lacs d’eau douce et des marais nauséabonds, mais aucune étendue d’eau susceptible de submerger les terres ; l’essentiel de l’eau se trouvait en sous-sol et c’est la raison pour laquelle la végétation à sa surface était si dense et vivace.
Chaque année, la compagnie offrait de nouvelles vies à ses futurs employés, chargés pour la majeure partie de surveiller le fonctionnement des machines de récolte et de superviser le transport des marchandises jusqu’à la capitale de Schwarzwald par des vaisseaux automatisés. Rien de bien sorcier en réalité.
Les premières semaines passèrent rapidement et avec elles, l’été s’en était allé pour plusieurs mois. La planète n’était pas soumise aux mêmes règles que la Terre : un jour était plus long de quelques heures, une année comptait dix-sept mois et pour finir, il n’y avait que deux saisons séparées par deux semaines de transition.
En un rien de temps la prairie s’était fanée, les feuilles des arbres alentours passées d’un vert sombre à un rouge éclatant tombaient par dizaines, couvrant le sol d’une épaisse couche flaboyante.
Gretel et Hansel regrettèrent rapidement la chaleur et le soleil de l’été Schwarzwaldien qui avaient laissé place à d’intenses pluies hivernales et des températures proche de zéro. Pourtant l’eau ne gelait pas encore et si la plaine avait soudainement pris un autre visage –ça-et-là de petites marres s’étaient formées au gré de la topographie des prés, ils ne pouvaient plus mettre un pied au dehors.
La fillette conservait un rituel quotidien pendant que son père se rendait aux abords de la forêt pour suivre l’avancée des machines dévorant le bois voisin :
8 heures : petit-déjeuner et toilette.
8 heures 30 : apprentissage scolaire via l’holo-professeur fourni par la compagnie.
11 heures 30 : déclenchement des tâches ménagères automatisées (TMP).
14 heures : entretien du potager pour elle ; jeu pour Hansel.
18 heures : repas pour toute la famille.
Sa journée restait invariablement rythmée par les quelques tâches que son père lui avait assignées ; pourtant, quand l’ennui la gagnait elle se plaisait à dévorer les livres de papier de la bibliothèque de sa mère.
Sur Terre, Hermine possédait une immense bibliothèque dans la demeure familiale et si nombre de personnes se plaignaient aujourd’hui d’une absence totale d’hygiène et un mouvement totalement obsolète de lecture sur papier, la jeune fille trouvait un charme indéniable aux volumes jaunis à l’odeur sans égal. Sa chambre se trouvait à l’étage et jouxtait celle de son frère tandis que celle de Ludwig occupait l’autre côté du module.
La décoration était sommaire, mais son lit se trouvait contre la baie vitrée donnant une vue imprenable sur toute la vallée, vers le sud. Blottie au milieu des coussins et, tandis qu’Hanny dormait paisiblement au bout de son lit, elle s’installait là, le regard plongé dans les pages blanches et jaunes à dévorer des histoires des siècles passés.
« Qu’est-ce que tu fais ? demanda Hansel, les yeux encore chargés de sommeil.
— Je lis les histoires de maman… dit-elle pensivement.
— Moi aussi je peux lire ? »
Gretel eut un sourire discret à la remarque toute mignonne du petit homme.
« Bientôt, tu pourras, répondit-elle. Tu veux venir avec moi au jardin ?
— Oui ! » dit le bonhomme en se relevant.
La serre était une extension dans le prolongement de la grande pièce qui servait à prendre les repas et à passer du temps en famille. La baie vitrée ouvrait sur cet espace isolé de l’extérieur et qui permettait d’avoir en toutes saisons de quoi nourrir la famille sans ravitaillement venu de l’extérieur.
Cette mesure était d’ailleurs obligatoirement exigée du colon qui acceptait de signer le contrat afin que, lors des jours de tempête de l’hiver, la famille ait suffisamment à manger.
Elle devait mesurer près de dix mètres sur cinq et Gretel y cultivait de nombreuses variétés locales de légumes et de fruits. Seul un oranger et un citronnier à floraison continue venaient de la planète Terre. La jeune fille mis ses bottes et installa son petit frère sur le banc à côté de l’entrée le temps de lui mettre les chaussures qu’il convenait de porter à l’extérieur.
L’air était chaud et contrastait avec la pluie et la grisaille qui sévissaient au sortir de la serre ; de lourds panneaux vitrés cloisonnaient l’espace tandis qu’au plafond un large tuyau de métal dispensaient ça-et-là un bruine nourrissante sur les plantes qui en avait besoin.
« Ca sent bizarre ! dit le jeune garçon à la mine renfrognée.
— Ce sont les plantes, expliqua Gretel qui lui tenait la main et le menait vers le fond du petit hangar.
— Les plantes ?
— Oui, dit-elle, celles qui nous donne légumes et fruits !
— Oooh… » répondit Hansel sur le ton de la compréhension.
Gretel s’approcha d’une sorte de salade aux feuilles épaisses, semblables à des feuilles de chêne et, se saisissant de son couteau, la coupa à sa base sous les yeux de son petit frère.
« Voilà notre repas de ce soir, dit-elle en présentant la salade au petit homme qui regardait avec intérêt les feuilles aux reflets violet.
— C’est quoi ?
— Un chou de Driss, c’est comme ça qu’ils l’appellent. »
Mais le gamin s’était retourné vers le pied qui fanait dans le sol meuble de la rangée du potager ; lentement il disparut et une nouvelle feuille verte sortit de Terre.
« Qu’est-ce que c’est ? s’étonna le garçonnet.
— Le nouveau chou qui poussera à sa place. Il sera bon à manger d’ici quelques semaines, » expliqua-t-elle patiemment en posant la plante qu’elle tenait en main sur la table de travail.
Sur Schwarzwald, les journées plus longues et le rythme de travail important des nouveaux colons obligeait les familles (et particulièrement les enfants) à devenir autonomes rapidement.
Gretel manipula les commandes de l’ordinateur qui surveillait les plantations du potager et ils quittèrent la serre une heure plus tard.
Le soir-même lorsque leur père rentra, une délicieuse odeur de légumes cuits avait envahis la pièce principale et, tandis que Gretel s’affairait à surveiller la cuisson du repas, Hansel disposait sur la table du côté cuisine les assiettes et les couverts.
« Papa ! cria le garçonnet en courant vers son père et délaissant sa tâche.
— Hey Hanny, qu’as-tu fais de beau aujourd’hui ? »
Et le petit garçon s’empressa de raconter à son père comment il avait appris à compter avec son holo-classe et détailla le programme de l’après-midi avec une extrême précision. Depuis le début de la transition vers l’hiver Ludwig ne rentrait plus chez lui pour déjeuner et s’était résolu à laisser ses enfants seuls à la maison. Même s’il savait que Gretel était capable de s’occuper correctement de son petit frère –elle ressemblait vraiment à sa mère sur tous les points, il ressentait beaucoup de culpabilité.
Pendant le repas, les discussions joyeuses du petit Hansel animèrent ce rare moment en famille et à la fin il eut le droit de s’installer devant un dessin-animé transmis sur l’holoécran par l’extranet planétaire de Schwarzwald.
Lud finit de débarrasser la table après avoir embrassé son fils correctement installé dans le salon et posa sur le rebord de l’évier les assiettes souillées.
« Alors comment se passent les journées ici ? demanda-t-il à sa fille, tout en sachant ce qu’elle s’apprêtait à répondre.
— Terriblement longues.
— Voilà qui a le mérite d’être clair.
— Il y a un cinéma qui ouvre mercredi prochain à Edori-ville…
— J’en parlerais à Alma. »
L’évocation de ce prénom qu’elle n’avait entendu qu’en de rares occasions la contraria, non pas qu’elle en voulait à son père d’avoir des liens sociaux avec leurs voisins de la vallée (leur unique voisin qui devait s’occuper de la lisière sud en réalité), mais elle concevait assez mal que cette femme qu’elle avait pu apercevoir aux informations de la région dispensées sur l’extranet puisse vouloir bien plus de son père que de simples rapports de voisinage ou de travail.
Grande et mince, elle avait tout d’une peste : du regard rehaussé de noir à la chevelure brune parfaite des grandes dames de la ville… Et ce sourire…
Non véritablement elle n’appréciait pas cette Alma, sans même vouloir la connaître.
« Nous dinerons chez elle demain soir, ce sera l’occasion de lui demander, » lança Ludwig sans un regard.
La nouvelle était loin d’être la bienvenue, mais Gretel savait qu’elle n’avait aucun argument permettant de contrecarrer les plans de son père pour ce diner qu’elle appréhendait de voir venir depuis quelques semaines déjà.
« J’ai hâte ! dit-elle avec un faux enthousiasme que Lud ne remarqua même pas.
— Je compte sur toi pour être prête à vingt-et-une heure ?
— Aucun problème. Il y aura d’autres enfants ? Et son mari sera là ?
— Non, Alma n’a pas d’enfant et elle vit seule. »
Décidemment, elle n’avait rien pour plaire à Gretel cette femme-là ; qu’elle ne s’avise pas d’essayer de mettre la main sur papa, pensa-t-elle silencieusement en terminant d’essuyer les assiettes.
Le soir venu, vers vingt-cinq heures, et débarrassée de ses corvées, la jeune fille se saisit du livre entamé pendant l’après-midi et le rouvrit à la page marquée par un coin replié.
Le titre « De la terre à la lune » avait attisé sa curiosité, et, malgré l’année de l’écriture du roman, elle s’était prise d’affection pour les aventures de Michael Ardan. Curieusement, elle aimait ce monde qui se dessinait dans son esprit à chaque phrase parcourue ; les mots prenaient un sens que les programmes extranet ne savaient pas délivrer. Là aussi, elle était semblable à sa mère qui préférait de loin le plaisir de la lecture à celui de l’holovision moderne.
Ainsi Gretel passait chaque soirée à lire, blottie au coin de son lit, le regard quittant parfois les pages de son ouvrage pour glisser sur le paysage sombre de la vallée ; elle finissait toujours par s’endormir ainsi.
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Le lendemain, comme prévu, la famille VanHaggen se rendit chez la dénommée Alma VonStröm à quelques kilomètres au sud de leur propriété ; Ludwig admirait profondément le courage d’Alma, qui était venue seule sur cette planète, dans ce vallon isolé quelques mois avant leur arrivée.
Il n’était pas non plus insensible à ses charmes, ses boucles brune et son sourire parfait, mais il s’était interdit de s’engager émotionnellement avec une nouvelle compagne tant que le deuil de sa défunte femme n’était pas achevé. Ses enfants étaient tout ce qui primait pour lui désormais et rien ne lui ferait rompre la promesse faite à Hermine sur son lit de mort : continuer à vivre, trouver une nouvelle mère pour Hansel et Gretel, une personne aimante et capable de leur donner l’amour dont ils auraient toujours besoin.
Le dîner se passa sans encombre et malgré son appréhension, Gretel réussit à trouver quelques points positifs chez la jeune femme qui sut se montrer sous son meilleur jour.
Les mois passèrent et un soir au cœur de l’hiver, Ludwig ne revint pas de la forêt où il avait passé la journée. Gretel qui était plutôt dégourdie pour son âge s’était occupé d’Hansel comme il convenait de le faire : le rassurant quand il en avait besoin bien malgré son propre sentiment sur la question.
Au dehors la neige et la glace avait envahi la vallée ; Gretel scrutait le côté Nord, vers la forêt depuis la tour d’observation, avec l’espoir de voir les lumières de la moto de son père surgir d’un vallon. Les heures s’égrenèrent sans que rien ne se passe.
Les lourds nuages chargés d’eau gelée masquait le soleil en plein jour comme s’il n’était jamais apparu et elle tenta d’appeler Alma par l’appareil de communication : rien à faire, tout restait parasité et aucune réponse ne lui revenait.
D’après l’heure affichée sur le cadran de l’ordinateur, il était cinq heures du matin et la jeune fille comprit à la lourdeur dans ses yeux qu’elle avait passés la nuit à fixer l’horizon blanc.
Décidée à ne pas laisser les choses filer sans rien faire, Gretel réveilla Hansel le plus calmement du monde et, après lui avoir donné quelques gâteaux et une bouteille de lait, ils se dirigèrent en silence vers le garage où se trouvaient les petits véhicules de transport. La jeune fille ne savait pas vraiment comment piloter mais ce n’était pas ce qui l’inquiétait le plus.
« Où on va ? avait demandé le petit Hansel, curieux.
— On va voir papa, là où il travaille pour lui faire une surprise, décida-t-elle de lui dire, afin qu’il ne se doute de rien.
— Y aura Alma aussi ? s’enquit le bonhomme aux yeux rieurs.
— Seulement nous trois, dit-elle en s’installant devant l’ordinateur de navigation. Tu es bien attaché ? »
Hansel avait pris sa mission de mettre la ceinture de sécurité seul très à cœur et exhiba fièrement l’attache bouclée sur son torse. Gretel lui sourit et la bulle de verre qui couvrait le cockpit se referma sur eux tandis que le moteur se mettait en chauffe.
Lentement la porte du garage se souleva et un courant d’air fit voleter la neige à l’intérieur de la pièce en béton ; l’interface de commande du vaisseau s’adaptait à la personne qui la conduisait et elle se souvint des quelques notions que son père lui avait enseigné durant l’été.
Le trajet jusqu’au lieu de travail était préenregistré dans la base de données et la jeune fille n’eut qu’à le valider pour que la moto s’engage en direction de la frontière nord de la forêt noire. La neige couvrait la vallée à perte de vue et ils n’eurent besoin que de quelques dizaines de minutes pour rejoindre l’orée de la forêt.
Hanny observait les flocons se déposant sur le verre de la bulle tandis que sa sœur, crispée, détaillait l’horizon : les arbres coupés laissaient place à un chemin large vers l’intérieur de la forêt tandis que les coupes les plus anciennes étaient couvertes par de nouvelles pousses de pin noir aux épines acérées. Au loin la jeune fille aperçu les lumières de la coupeuse –nom donnée à l’unité de récolte du bois automatisée ; Ludwig devait s’y trouver…
« On est bientôt arrivé ? dit Hanny d’un ton timide.
— Bientôt oui, » répondit Gretel, la peur au ventre.
Elle savait très bien que la machine continuait de travailler que son père soit présent ou non, et la voir fonctionner n’était pas un gage de bonne nouvelle pour autant, aussi commanda-t-elle à la machine de reprendre sa route vers la coupeuse qui devait se trouver une dizaine de kilomètres devant eux.
Lorsqu’ils furent à une distance satisfaisante, Gretel observa méticuleusement la machine qui s’étendait sur une cinquantaine de mètres de large et devait bien mesurer une vingtaine de mètres de hauteur ; la cabine et la plateforme se trouvait sur leur gauche mais aucun véhicule ne s’y trouvait. Trop peu habituée à contrôler la navette de transport, Gretel ordonna à l’ordinateur de se poser sur la plateforme pour ne commettre aucun impair.
La petite cabine de contrôle de la coupeuse affleurait à peine à l’avant de la plateforme, mais elle était vide ; la porte était grande ouverte et le poste de travail désert.
« Papa ? hurla la jeune femme dont la voix était couverte par le blizzard et le vacarme de la machine. Papaaaaa ? » insista-t-elle.
Son appel demeura sans réponse et Hansel, assit dans le cockpit refermé du petit vaisseau commençait à comprendre ce qui se tramait. Les yeux larmoyant et les joues rosies, il regardait sa sœur avec insistance comme pour la supplier de revenir vers lui.
La jeune fille ne fit rien de plus, comprenant que toute tentative d’appel resterait vaine tant le bruit était intense et se répandait tout autour d’eux ; elle regagna le cockpit et déposa sur le front de son petit frère un baiser qui se voulait apaisant.
« Où est papa ? pleurnicha le bonhomme en séchant ses larmes.
— Je ne sais pas Hanny, je ne sais pas, mais il ne doit pas être loin. On va le retrouver, d’accord ?
— Oui-uiii, » pleura-t-il encore.
Gretel prit sur elle, respira profondément pour se calmer et s’adressa à l’ordinateur de bord :
« La navette de mon père est-elle proche de nous ? »
Les systèmes du petit module n’étaient pas équipés des dernières technologies de réponse vocale trop couteuses pour de simples bûcherons, aussi pu-t-elle lire la réponse sur l’écran de contrôle :
« Distance estimée : un kilomètre et sept cent mètres au sud-ouest. »
Elle regarda dans la direction indiquée sachant qu’elle se trouvait au nord de sa propre maison qui se trouvait derrière elle, mais elle ne vit rien d’autres que plus de neige balayée par le vent ; Gretel ne pouvait même pas distinguer les lumières qui éclairaient le pourtour de la petite tour d’observation de leur habitation perdue dans une vallée blanche.
« Conduis-nous là-bas. »
L’ordinateur fit les calculs nécessaires et s’envola de la plateforme pour descendre au niveau du sol qu’il côtoyait à un mètre seulement de sa surface.
Si seulement ils avaient pu obtenir des radios pour communiquer, mais aucune d’elle n’avait répondu lorsqu’elle avait tenté d’appeler à l’aide avant leur départ. Le trajet fut mouvementé et au bout de quelques minutes, le vaisseau s’engagea dans une forêt dense qui l’obligea à ralentir et serpenter au milieu des troncs.
Un quart d’heure plus tard et alors qu’Hansel commençait à vraiment paniquer, ils aperçurent à quelques dizaines de mètres d’eux une navette qui semblait plantée dans la neige amoncelée sur le sol. Leur propre véhicule ralentit à son approche et décrivit quelques larges cercles autour du lieu du crash ; il n’y avait désormais plus de doute possible, le véhicule de leur père s’était bel et bien posé en urgence sur le sol accidenté et enneigé de la grande forêt noire.
Gretel avait le souffle coupé, imaginant le pire scénario possible et elle ordonna à l’ordinateur de se poser à une dizaine de mètres de là pour éviter qu’Hansel n’assiste à sa découverte.
Le cockpit s’ouvrit et se referma presque immédiatement sur l’enfant qui protestait silencieusement ; le vent froid battait ses oreilles pourtant protégées par un épais bonnet de laine et elle peinait à garder les yeux ouverts.
Plus que quelques mètres et elle saurait, l’estomac noué, si son père était encore là, s’il était vivant ou non. La jeune fille remonta l’écharpe devant sa bouche et se forçait à ne pas inspirer l’air gelé par le nez.
Trois.
Deux…
Le verre brisé se répandait sans doute sous la neige épaisse et l’intérieur était maculé des cristaux translucides, mais il n’y avait personne.
Soulagée mais loin d’être tranquillisée, Gretel souffla et fit demi-tour quand elle aperçut Hansel juste derrière elle.
« Je t’avais demandé de rester au chaud, dit-elle feignant la colère.
— Je m’excuse, répondit le petit, tout penaud. Une dame ronchonne dans la radio, je pensais que tu voulais le savoir. »
Rassurée, Gretel saisit la main de son frère et l’entraina à nouveau vers leur vaisseau ; sur le chemin elle se rappela que la fréquence de communication leur avait été attribuée personnellement et elle comprit que si quelqu’un parlait, il ne pouvait que vouloir s’adresser à eux. Du moins l’espérait-elle.
Une fois la bulle refermée, elle sentit de nouveau la chaleur du chauffage rendre à sa peau toute la sensibilité que le froid lui avait ôtée. Elle manipula les données sur l’écran et monta le son qui était extraordinairement parasité – sans doute par le temps maussade qui sévissait dans la plaine.
« Toutes les unités biologiques doivent impérativement regagner leur habitations sous peine de sanction. Une action interdite sera immédiatement sanctionnée par la rupture du contrat et la récolte des unités concernées… »
Le message était diffusé en boucle sur les ondes et même si la jeune fille ne saisissait pas tout, cela ne lui disait rien de bon ; elle avait on ne peut plus raison.
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Ludwig se sentait mal et il n’arrivait pas à ouvrir les yeux. Autour de lui il pouvait entendre le grincement des machines à l’œuvre sans toutefois comprendre ce qui lui arrivait. L’air qu’il inspirait était chargé d’une odeur cuivrée dont il ne parvenait pas à définir l’origine ; peu-à-peu il comprit qu’il se trouvait dans l’eau par la sensation des remous et des bulles d’air glissant sur son visage.
La panique le gagnait ; ses membres immobilisés et ses sens entravés, il se sentait totalement impuissant mais il survint l’idée la plus destructrice qui soit : qu’ont-ils fait à mes enfants ?
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La première idée de Gretel fut de se rendre chez Alma ; elle ne pourrait qu’accepter de les aider à retrouver leur père. Après tout, elle avait des vues sur lui depuis bien longtemps.
La radio était en sourdine tandis que sur l’écran de contrôle du véhicule, le même message s’affichait depuis qu’il avait été diffusé. Le vaisseau avançait en contournant les arbres et conservant au maximum sa trajectoire initiale vers la destination programmée dans sa base de données. Mais la jeune femme n’imaginait pas une seconde que c’était cela qui les mènerait à leur perte.
La carte était faussée et le vaisseau piquait tout droit vers le spatioport de Schwarzwald où s’organisait lentement la machination prévue depuis longtemps par la compagnie. Lorsqu’ils dépassèrent le module d’habitation d’Alma, un gaz se répandit dans l’habitacle aussi silencieusement et rapidement qu’il était possible de sorte qu’aucun de ses deux occupants ne soit conscient plus de quelques secondes.
Lorsque Gretel se réveilla, elle eut d’abord la sensation d’avoir été piétinée par un troupeau tant ses membres la faisait souffrir lorsqu’elle tentait de bouger. Elle prit le temps de prendre une profonde inspiration et tentât d’ouvrir les yeux une première fois sans succès ; la seconde fut la bonne et si la lumière l’aveuglât tout d’abord, elle s’habitua rapidement à la luminosité de la petite pièce dans laquelle elle se trouvait.
De taille modeste elle percevait trois murs en béton brut et une paroi de verre où se découpait l’unique petite trappe. Des statistiques qu’elle pensa être les informations médicales sur elle-même s’affichait à l’extérieur sans qu’elle ne put vraiment les lire ; Gretel repensa à la navette, au crash de celle de son père et à son petit frère qu’elle ne voyait pas.
Que pouvait-il s’être passé ? Mais le trou noir dans sa mémoire semblait s’être éternisé. La jeune fille ne comprenait pas où elle se trouvait, ni même comment elle s’était retrouvée là.
Une seule solution pouvait expliquer ceci, et il fallait qu’elle trouve Hansel au plus vite.
« Heeeeeey, hurla-t-elle… Je suis là ! »
Mais la femme en blouse blanche qui s’était arrêtée devant elle l’ignora comme si elle ne l’avait pas entendue, tourna les talons et poursuivit l’inspection qu’elle menait dans le corridor.
Au prix d’un effort dont elle se croyait incapable, Gretel se redressa et, avec un courage certain, elle ôta le bandage qui lui serrait le coude droit d’un pincement intense ; elle eut l’impression que son sang circulait à nouveau et fut prise d’une violente douleur lancinante.
Après avoir grimacé, elle détailla l’endroit dans lequel elle se sentit plus prisonnière que patiente et se mit enfin sur ses deux pieds. Elle avait écopée d’une tunique bleue et l’air frais la fit frissonner quand ses pieds touchèrent le sol de résine froide. Elle s’approcha alors lentement de la vitre et posa ses mains en visière pour tenter de voir au-delà du puit sombre qui semblait la séparer d’une cellule jumelle juste en face de la sienne ; ses yeux encore endoloris par la puissance du sédatif dont elle avait été la victime ne purent s’adapter et elle les referma instinctivement.
« Allons, allons, dit finalement la femme qui se trouvât à nouveau devant elle. Qu’avons-nous là ? Retournez-vous coucher jeune fille, il n’est pas permit aux unités de se relever sans un ordre explicitement donné.
— Mais où suis-je et où se trouve mon frère ? s’enquit Gretel, enhardie par la colère.
— Par-ici, ou par-là… quelle différence cela peut-il bien faire ? répondit froidement la femme dont le visage lui était familier.
— Cela en a ! » clama la jeune fille, contrariée.
Pour toute réponse elle n’obtint qu’un ricanement amusé et son interlocutrice disparut à nouveau le long du couloir dont elle ne pouvait aucunement juger la longueur. Ce qu’elle ignorait encore à ce moment était que ce qu’elle avait pu apprendre dans les livres loin de l’holo-éducation des systèmes de Blackwood lui servirait à se sortir de ce qu’elle pensait maintenant être un mauvais pas.
Sans vraiment s’en rendre compte, la fillette avait commencé à explorer l’ordinateur qui se trouvait à gauche de la baie vitrée par un clavier sortie du mur. Les données qui apparaissaient étaient incompréhensibles mais lui revint alors le message qui tournait en boucle sur les ondes alors qu’elle avait découvert le vaisseau accidenté de son père. Cette voix ne pouvait qu’être celle du médecin qui l’avait à l’instant méprisée.
Après plusieurs grésillements, les fichiers apparurent à l’écran et la jeune fille naviguait sur l’interface comme si elle en avait toujours été capable ; lentement mais surement elle visualisa les photographies des pensionnaires et tomba au bout de quelques instants sur la fiche de Hansel VanHagen.
« C-22, » répétait l’adolescente en murmurant.
Sans grande difficulté elle parvint à ouvrir la cellule et mémorisant les plans menant à celle où son frère avait été enregistré.
Le couloir était légèrement courbe et semblait à priori s’échapper de façon parfaitement symétrique de part-et-d’autre de son ancienne geôle. Sans l’ombre d’une hésitation, elle prit par la droite et passa devant nombre d’individus alités et vraisemblablement maintenus inconscients par la perfusion qu’elle-même avait extrait de son bras en s’éveillant. Au bout d’une dizaine de minutes elle parvint devant la pièce où se trouvait son frère, bordé et maintenu en sommeil par le même procédé.
Sans attendre plus longtemps, elle s’empressa d’opérer les commandes nécessaires sur la console extérieure et entra.
« Hanny, dit-elle en s’agenouillant à côté de lui, puis en retirant la perfusion de son petit bras : Hanny réveille-toi, tu m’entends ? Réveille-toi s’il te plaît. »
Mais rien n’y faisait, le garçonnet gardait inévitablement ses yeux clos et Gretel s’empressa de le prendre dans ses bas ; ils ne pouvaient rester là plus longtemps.
Alors qu’elle courait, Hansel dans ses bras, elle pouvait entendre une alarme résonner dans tout le bâtiment ; bien sûr il eut été bien trop simple de ne pas pouvoir être détectés. Elle s’imagina que les médecins de toute la structure –aussi grand puisse-t-il être, allait se mettre à leur trousses ; elle avait repéré sur la carte une zone désignée comme l’aire d’échange, un terme largement usité dans l’aérospatiale civile et définissant l’embarquement des voyageurs.
Elle prit à gauche dès qu’une ouverture se présenta puis à droite à l’intersection suivante ; le corridor couleur crème était éclairé de rampes lumineuses intégrées dans le sol et paraissait glauque, presque effrayant à y repenser.
« Cesse de courir, » ordonna la voix du médecin derrière elle.
La personne en blouse blanche se trouvait être celle qui lui avait ri au nez lorsqu’elle s’était éveillée dans sa cellule ; bizarrement son visage lui apparut plus familier encore, sa voix plus commune…
« Alma ? laissa échapper l’adolescente, le cœur serré.
— Alma XV, pour être tout-à-fait précise, » dit-elle d’une voix monotone, le sourire aux lèvres.
L’incompréhension se fit plus nette sur le visage de Gretel, essoufflée par sa course chargée.
« Tu ne pensais tout de même pas qu’un être de chair et de sang pouvait s’intéresser à toi pour autre chose qu’une utilité particulière. Quelle ironie… »
Le visage de son interlocutrice s’était refermé aux derniers mots qu’elle avait prononcés ; ainsi les repas, les sourires et les bons moments des derniers mois n’avaient été que comédie ? Gretel peinait à y croire, mais il restait quelque chose qui la fit sortir de ses pensées : Hansel.
Le petit garçon soupira en s’éveillant dans les bras de sa sœur.
« Greta ? dit-il les yeux mi-clos. Où on est ?
— T’en fais pas, on va chercher papa, et on rentrera chez nous… expliqua-t-elle en fusillant Alma du regard. Personne ne nous en empêchera.
— Tout est sous contrôle, sourit son vis-à-vis. Ce n’est pas une pauvre unité biologique limitée qui pourra y changer quoi que ce soit. »
Mais Gretel n’entendait pas se laisser faire de la sorte et, saisissant la main de son petit frère debout à côté d’elle, elle s’enfuit derrière un sas qui se verrouilla après son passage. De tous temps, on lui avait toujours trouvé quelques capacités intellectuelles et de raisonnement hors-norme ; les résultats étaient bel et bien là.
Protégés d’Alma par la porte infranchissable tout juste refermée, l’adolescente rassura son frère d’une caresse sur la joue et d’un sourire bienvenu avant de lui expliquer qu’ils devraient sauver leur père comme dans les histoires que leur racontait maman lorsqu’ils vivaient sur Terre.
« Tu dois être courageux Hanny, d’accord ?
— Oui, bouda le petit garçon attristé…
— Tant que nous sommes ensemble, nous ne risquons rien, je te le promets ! »
Pour toute réponse il approuva d’une oscillation de la tête et Gretel observa les alentours pour chercher la direction qu’ils devaient ensuite prendre pour rejoindre la station où était « stocké » leur père d’après la base de données.
Ils parcoururent plusieurs couloirs, autant d’escaliers avant de parvenir à une immense salle où trônait ce qui semblait être une sphère de plusieurs mètres de diamètre et constitués de branchages entrelacés ; par endroits des bourgeons et quelques feuilles épineuses ravivaient le bois noir d’une note de couleur.
« Qu’est-ce que c’est ? s’extasia la jeune fille, perdue entre émerveillement et appréhension.
— On dirait un arbre ! répondit Hansel, l’air ingénu.
— On dirait bien oui… »
Une rampe en acier traversait la sphère qui paraissait émettre au travers de ses branchages une lumière vert-jaune assez peu charmante. Puis, à sa grande stupeur, le bois se délassa dans un craquement sourd et un coffre en métal en sorti et quitta la grande salle par une porte dans le plafond tandis qu’un autre arrivait pour prendre sa place au cœur de la ronce.
Le coffre ajouré avait la forme d’un corps humain et Gretel reconnut au travers de la vitre le visage familier de son père.
« Non, non il faut arrêter ça ! Papa ! s’égosilla-t-elle en pressentant le malheur. L’ordinateur…Hanny, viens, on doit ouvrir ça ! »
Le petit garçon la suivit jusqu’au panneau de contrôle non loin du cœur de ronce qui recommençait à vibrer ; lentement elle vit les serres de bois se refermer sur le cercueil de métal et un vrombissement sonore résonna tout autour d’eux.
L’adolescente tapota sur le clavier des commandes qu’elle connaissait par cœur et une voix caverneuse provenant du cœur de bois s’adressa à elle :
« Les unités biologiques ne pourront se soustraire au destin fixé par le contrat, dit-elle…
— Comment ? Non ! Relâchez-le !
— C’est impossible, le recyclage des êtres de chair assure la survie de la grande forêt. Tel est le pacte conclut, tel il sera. »
Hansel qui ne comprenait rien de ce qui se passait hormis que son papa était en danger commença à pleurer et, remarquant cela, Gretel, prise d’un courage sans faille commença à dérégler la machine qui nourrissait le cœur de ronces des êtres prisonniers.
La nausée lui tordait le ventre à cette idée quand une voix qu’elle espérait ne plus avoir à entendre l’interpella depuis l’entrée du hangar :
« Ne fais plus un geste ! ordonna-t-elle sèchement. Recule et ne t’approche plus de cette console ! »
La jeune fille obéit et fit un clin d’œil à son frère ; si Alma concentrait désormais toute son attention sur elle, son petit frère serait alors capable de valider les commandes qu’elle avait entré comme lorsqu’ils jouaient tous deux.
« Pourquoi faire ça ? demanda-t-elle à la créature synthétique au visage familier.
— Le renouveau ! Ce monde survit et nous laisse exploiter ses enfants, en échange des nôtres. Ainsi va la vie ici-bas, ainsi le pacte a été conclu.
— N’éprouvez-vous pas le moindre sentiment de remord ?
— Je ne ressens pas le remord, je ne le comprends pas plus. Il est absent de ma programmation… »
Distraire la machine était d’une facilité déconcertante malgré la situation dans laquelle ils se trouvaient et, quand Hanny frappa la touche, les yeux bleus cendrés d’Alma devinrent rouges et lumineux.
« Qu’avez-vous fait !? » s’emporta-t-elle, soudainement prise d’une panique incontrôlable.
Le cœur de ronce crépita, craqua et finit par se rompre en plusieurs endroits stratégiques ; sa constitution suggérait qu’il s’y trouvait des branches plus importantes que les autres chargées de maintenir l’ensemble cohérent, un squelette sur lequel s’appuyait le reste des pousses végétales.
Alma s’écroula comme si toute vie mécanique l’avait quitté et ses yeux devenus un temps le reflet de joyaux d’un pourpre sombre se tarirent. L’énergie vacillait faisant passer la lumière par des phases de baisse de tension.
« Pauvre vermine, gargouilla la voix avant que le cœur ne s’ouvre. Vous ne pouvez pas rompre un accord millénaire…
— Un accord qui a couté la vie à autant de monde ? s’enhardit Gretel, piquée au vif par l’étendue de la machination. Au contraire.
— La vie appelle la richesse que la forêt lui cède, en échange de la vie elle-même. C’est une nécessité partagée par mes enfants… Mon trépas mènera ce monde à sa perte. »
L’humanité sacrifiée servait à nourrir la forêt qui en échange, sacrifiait ses plus jeunes pousses ; l’entité du cœur était un organe profond capable d’extraire des êtres sacrifiés l’essence de vie donnée au nouvelles pousses de ses arbres. Le cycle permanent semblait être en place depuis si longtemps que les premiers hommes qui scellèrent ce contrat avaient chargé des entités robotisées de veiller au bon échange entre la forêt et la vie des colons dupés.
La graine du chaos avait germé sur Schwarzwald d’une façon inattendue : une adolescente et son jeune frère allait briser ce sort millénaire pour l’amour de leur père…
Les branches démêlées, le sarcophage s’était ouvert et Ludwig s’en était extirpé avec difficulté ; étourdi, le père de la famille VanHagen comprenait difficilement où il se trouvait et ce qui se jouait autour de lui, mais en apercevant ses enfants il comprit que tout irait maintenant pour le mieux.
« Papa ! hurla Hanny sans se préoccupé du cœur dont le rythme de pulsation ne cessait de décroître.
— Mon bonhomme… Qu’est-ce que tu fais là ? » dit-il d’une faible voix.
Gretel resta un long moment devant le cœur de ronces, prise entre l’empathie de la mort d’un être et la satisfaction d’avoir rompu le cycle infernal d’une machine de mort.
Elle ne savait dire combien de milliers de colons avaient servis de carburant à l’exploitation de la forêt, ni même si ceux qui avait manigancé ce pacte étrange avaient été un jour conscients de leur actes. Mais une chose était certaine pour elle, plus rien ne serait jamais pareil pour les colons de Schwarzwald…
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