Au départ, on pensait que l’existence virtuelle était la solution.
Les systèmes avaient radicalement évolué ces cinquante dernières années : la possibilité d’interfacer les univers virtuels directement avec le cerveau avait permis de les appréhender non plus seulement avec la vue, mais avec les quatre autres sens. On pouvait revêtir n’importe quelle apparence de son choix et vivre en toute sécurité des expériences physiquement impossibles ou potentiellement mortelles.
Mais quelque part, une petite partie de la conscience savait que rien de cela n'était la réalité et, au bout d'un temps d'accoutumance de quelques mois, une certaine indifférence faisait place au sursaut d'adrénaline que ces expériences extrêmes suscitaient.
Cette prise de conscience a entraîné les travaux sur les rêves : il y a environ vingt ans, les premières machines à rêver sont arrivées. Leurs promoteurs se basaient sur le fait que le sentiment de réalité, dans un rêve, est si absolu qu'aucune pensée parasite ne vient traîner au fin fond des cerveaux.
Mais là encore, un écueil imprévu s'est dressé au travers de leur chemin : certains rêveurs ne retenaient qu'un souvenir imparfait de leur voyage au pays des songes, fait d'images et de sensations furtives. Au final, ils se réveillaient bien plus frustrés qu'avant de s'endormir. Sans oublier le fait que même si les stimuli subliminaux parvenaient à diriger les rêves dans la direction voulue, ils n'en faisaient parfois qu'à leur tête...
Alors, les marchands de plaisir se sont souvenus des tout premiers efforts des humains pour créer autour d'eux une réalité plaisante qui les arrachait à leur quotidien : les mondes recréés des parcs d'attractions, les villes artificielles dédiées au spectacle et au jeu. Ils ont instauré les Bulles.
Sous d'énormes demi-globes de verre synthétique, qui peut à loisir être translucide, opaque ou simuler l'éclat de milliers de constellations, des mondes sont recréés : vous voulez partir au moyen-âge, explorer le futur, découvrir un monde sauvage en apparence épargné par la civilisation ? Vivre la vie d'une star de la pop, d'une princesse des temps jadis, d'un détective privé des années 1930 ? Vous n'avez qu'à le demander. Et payer, bien entendu.
Et moi ?
Je suis une biographiste.
Je fais partie de ces employés dont le travail est de créer pour les clients de la firme, Alternate Destiny, des vies de remplacement. J'invente pour eux une biographie complète, sur la base maladroite qu'ils nous font parvenir. A partir de leur curriculum vitae, de leur profil psychologique et de leurs souhaits débridés, je les aide à apprendre et retenir tous les détails de leur vie rêvée. Je conseille les costumiers, les accessoiristes, les décorateurs qui seront à même de répondre au mieux à leur désir de changement.
Rien ne remplace la réalité.
Même si pour cela, il faut la trafiquer, la masquer, la manipuler. Et puis, pour être mise en œuvre, cette solution exige bien plus de moyens matériels et humains. L'industrie du rêve ne se contente plus d'une poignée d'ingénieurs et de programmeurs. Et ne parlons pas de tous ces figurants qui peuplent les différentes réalités d'Alternate Destiny. Il m'arrive de me mêler à eux, dans un Broadway virtuel comme dans un Chicago de film noir, quand ce n'est pas dans une mégapole futuriste... A goûter un peu de ce que je ne pourrai jamais me payer. En me disant que c'est peut-être mieux...
Le soir, je regagne mon petit appartement en banlieue, je glisse un plat dans le micro-onde et je mange seule devant mon poste de télévision.
Chacun sa vie.
« Show must go on... » (1)
(1) Le spectacle doit continuer
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