Althéa avait descendu les marches si rapidement, qu’elle trébucha, attirant l’attention de toute la famille sur elle : ses cinqs sœurs et sa mère l'entouraient et la gênèrent affreusement.
Elle sentit ses joues s’échauffer et, dans un geste maladroit, elle tenta de couvrir sa poitrine à peine dissimulée par sa robe anthracite transparente.
« Et bien, que diable vous arrive-t-il ? s’exclama la mère en s’approchant d’elle.
- Je ne peux pas porter ça ! » lui répondit l'aînée en la regardant dans les yeux.
Elle espérait qu’en semblant sûre d’elle, elle parviendrait à se faire obéir, entendre de sa mère. Cela n’eut pas l’effet escompté puisque cette dernière agrippa ses poignets pour l’empêcher de cacher son corps. Elle recula ensuite en arborant un air satisfait.
« Il s’agit d’un présent de votre tante. »
Les prunelles couleur café d’Althéa s’illuminèrent en pensant à sa lointaine tante, devenue le calice d’un vampire et qu’elle n’avait plus revu depuis quelques années. Penser à elle lui fit momentanément oublier son problème vestimentaire. L’absence de cette parente était douloureux : un désagréable sentiment de nostalgie s’insinua en elle, la ramenant quelques années en arrière.
Lorsqu’elle était plus jeune, elles passaient certains après-midis ensemble. Sa tante lui contait des histoires au sujet de sombres créatures dont elle doutait de l’existence aujourd’hui. Althéa arborait un air rêveur à présent. Du moins, jusqu’à ce qu’elle se rappelle la raison de sa chute dans sa précipitation.
« Mère ! s’offusqua-t-elle alors. Cette robe est… obscène ! Je ne peux porter pareil vêtement… Je refuse, finit-elle sur un ton se voulant ferme.
- Vous allez porter ce vêtement, je ne veux rien savoir. Avec lui, vous êtes assurée d’attirer l’attention du Comte ! lui rétorqua son interlocutrice, pas même déstabilisée par l’assurance nouvellement acquise de sa fille.
- Mais, ne puis-je pas au moins mettre un gilet ? Je risque de tomber malade… » tenta-t-elle en se sachant vaincue.
Elle vit la vieille femme peser le pour et le contre. Cela se voyait qu’elle réfléchissait sérieusement à la question puisqu’elle porta son index sur son menton, tout en la dévisageant de haut en bas. Althéa attendit patiemment sa réponse, en croisant les doigts.
« Nous verrons cela plus tard. Judith, coiffez-la, je vous prie. »
Sur cet ultime ordre, elle tourna les talons et s’éloigna du petit groupe de jeunes filles dans lequel elle faisait tache.
L’une d’entre elles s’avança et glissa timidement sa main dans celle d’Althéa, en lui adressant un sourire réconfortant. Judith la dépassait de presque une tête.
Sa mâchoire carrée et ses cheveux courts lui donnaient un air de garçon manqué. Ce charme atypique n’attirait que peu d’hommes, au grand désarroi de leur mère. Judith n’en avait que faire, les hommes étaient le cadet de ses soucis.
La demoiselle faisait ses études dans un internat pour fille, loin du petit village dans lequel sa famille vivait. Elle ne revenait que rarement et, chaque fois, elle passait tout son temps libre avec ses soeurs. Elle profitait de leur présence et reprenait courage et motivation auprès d’elles.
Aujourd’hui, Althéa était le centre de son attention et elle en était enchantée. Elle savait Judith douée avec ses mains et lui portait donc une confiance quasi aveugle pour dompter sa chevelure ébène.
Ces quelques heures passées aux côtés de sa sœur eurent un effet plus que bénéfique sur le petit bout de femme qu’était Althéa. Cette dernière était parvenue à complètement se détendre et à oublier son destin déjà tout tracé.
Elle s’émerveilla face à sa nouvelle coiffure : un chignon haut parsemé de petits bijoux en argent et deux mèches encadrant son visage, l’affinant pour lui donner un air plus adulte. Une autre de ses sœurs l’avait très légèrement maquillée.
Celles-ci la trouvaient resplendissante de beauté, elles en étaient même fort étonnées.
« Tu es magnifique ! s’exclama l’une.
- Le Comte ne pourra te résister ! lui confia une autre.
- On dirait une poupée ! »
Althéa était amusée par les réflexions et compliments qu’elle recevait. Elle se regardait timidement dans la petite glace du salon. Elle n’était pas narcissique d’ordinaire, mais aujourd’hui, à cet instant, elle passa de longues minutes à contempler sa personne.
Vêtue de la sorte, elle donnait l’impression d’être une femme fatale, quoi qu’un peu fragile. Elle était à présent le genre de femme que tout homme rêvait d’épouser.
Belle, séduisante, frêle et délicate.
Elle était telle une rose s’ouvrant au monde, s’épanouissant et offrant aux yeux de tous sa beauté véritable jusqu’alors cachée.
La maîtresse de maison entra dans le salon, mettant fin à la découverte de sa toute nouvelle apparence. Althea se tourna vers la vieille femme qui semblait affolée.
« Ils sont là ! » s’écria-t-elle.
Althea la regarda avec étonnement, avant de comprendre ce que cela signifiait.
Le cocktail d’émotions qui l’assaillit fut comme un violent coup de poing porté contre sa cage-thoracique. Il l’empêcha de respirer tout d’abord, puis il la paralysa.
Deux coups retentirent à la porte d’entrée du manoir, accentuant l’inquiétude que ressentait la demoiselle. Sa mère la poussa, l’incitant à aller elle-même ouvrir.
« Mère, chuchota-t-elle, puis-je mettre un plaid ?
- Non. Maintenant dépêchez-vous ! Ne les faites pas attendre ! Judith, allez chercher ses valises !
- Tout de suite, mère ! » lui répondit cette dernière en s’activant.
Althéa dut prendre son courage à deux mains.
Elle quitta le salon, traversa le couloir menant à l’entrée puis elle s’arrêta sur le pas de la porte. Elle posa lentement sa main sur la poignet, comme pour repousser ce qu’elle ne pouvait empêcher de se produire, et… elle hésita. Elle voulait rebrousser chemin, quitter sa robe outrageuse, se décoiffer, laver son visage et retrouver son lit. Elle voulait y dormir et oublier cette éprouvante journée.
Elle ne pouvait se le permettre, hélas.
Elles comptaient sur elle.
Elle sentait leur regard dans son dos.
Un troisième coup fut porté contre la porte et Althéa ferma les yeux tout en l’ouvrant.
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