C'est amusant de voir comme certaines phrases restent, ressurgissent en écho quand bon leur semble.
Tu as vu comme ils nous regardent ? Ils sont jaloux. Ils se disent "qu'est-ce que ce vieux machin fait avec cette jolie fille".
Ah ah, c'est vrai c'est amusant. Ils sont idiots... C'est mon grand-père, c'est normal de marcher main dans la main, même à quinze ans. Et puis je n'ai rien d'une jolie fille...
Ça me semblait normal et pourtant j'ai toujours su que l'on ne devait pas s'embrasser en public ou faire de bruit quand il me rejoignait la nuit... Comme quoi, on peut trouver des choses normales par la force de l'habitude et saisir pourtant inconsciemment qu'elles ne le sont pas. Mais cette histoire ne commence pas ici.
Petite déjà, nous dormions ensemble lorsqu'il venait à la maison. Pas de chambre d'ami, on m'avait acheté un grand lit double qui me semblait gigantesque du haut de mes quatre / cinq ans et que je partageais donc quand mon grand-père était à la maison. Ce qui arrivait très souvent. Il y avait toujours une réparation sur la voiture à faire, une tapisserie à poser, une murette à bâtir... En vérité, il vivait bien plus chez nous que chez lui mais ce n'était un secret pour personne, pas même pour moi, que ma grand-mère et lui ne se supportaient plus. Moi, je trouvais ça chouette. Il n'y avait que quand il était là que je n'avais pas envie de partir de la maison. Et puis le soir, dans notre lit, il me caressait le dos pour m'endormir. Mais pas à travers le pyjama, parce qu'on ne sent pas grand chose avec le gros tissu. Peau contre peau, sa grande main toute chaude sur mon petit dos.
C'est amusant de voir, qu'au final, tout est parti de ce petit rituel innocent. Mais il ne devait pas vraiment l'être finalement...
Rapidement, la main a quitté sa balade habituelle le long de ma colonne pour se promener largement sur mon dos, explorer mes flancs. Pendant quelques temps, j'ai répondu en resserrant les bras, pour coincer sa main. C'était un jeu, mais comme il revenait sans cesse, qu'il insistait, j'ai fini... par me lasser ? Par me dire que je l'embêtais ? Qu'il ne trouverait plus ça drôle à force ? Je ne sais plus. Mais une chose est sûre, j'ai fini par arrêter. Alors sa main a pu se balader tranquillement sur mon flanc, se glisser entre le matelas et moi pour effleurer la poitrine que j'étais encore très loin d'avoir. De tentatives explicites en répétitions, j'ai peu à peu changé de position pour m'endormir. De sur le ventre, je suis passée au flanc, puis au dos. Finis les caresses le long de ma colonne, c'est à présent avec sa main sur le torse que je m'endors.
C'est à cette période qu'il a commencé à réclamer des bisous. Pour tout. Pour être venu me chercher à l'école, pour m'avoir aidé à faire mes devoirs, pour me pousser sur la balançoire, pour avoir un bonbon... Quand les bisous sont devenus notre monnaie d'échange, il s'est mis à réclamer des "vrais bisous" : des bisous lèvres contre lèvres déposés en un instant avant que je ne m'enfuis. Puis ce sont ces-derniers qui sont devenus des "bisous" et il a alors réclamé des "vrais bisous" : lèvres ouvertes, sa langue bien enfoncée dans ma bouche. Alors il s'amusait à partager ses bonbons ou ses chewing-gums ainsi. J'ai jamais aimé ça, mais ça avait l'air de lui faire plaisir puisqu'il recommençait à chaque fois, alors je le laissais faire.
Parallèlement, nos nuits voyaient les continuelles explorations de sa main. De la poitrine elle était passée au ventre, l'élastique de ma culotte, un léger survol sur le tissu tout doux, sous le tissu tout doux, un doigt qui s'aventure plus intimement, plus profondément, puis deux... Et pendant ce temps son autre main guidait la mienne à l'exploration de son corps à lui, de son plaisir tandis qu'il s'occupait du mien.
Avec la puberté, sont venus les reproches... Pourquoi tu mets des poils sur mon doudou ? Pourquoi tes nénés poussent autant ? Ma mère me trouvait grosse, mon grand-père déjà trop femme et moi je flirtais avec l'anorexie et je haïssais déjà ce corps avant que le lycée se charge de me rappeler que je n'étais pas une jolie fille. J'ai cru pendant quelques temps que ces changements éloigneraient mon grand-père, qu'il arrêterait de venir me voir et qu'il me préfèrerait ma petite sœur. Mais il a fini par oublier les poils et apprécier de jouer avec ma poitrine.
J'ai bien conscience, à présent, que tout ceci n'avait rien de normal. Pourtant je suis, aujourd'hui encore, incapable de dire quand ça aurait du s'arrêter, à quel moment la limite a été franchie. Est-ce que c'est moi qui ai fait ou pas fait quelque chose ? Est-ce que j'aurais dû continuer à coincer sa main sous mon bras pour qu'il reste cantonné à mon dos ? Sûrement. Mais je n'ai jamais su dire non.
Les choses ont continué ainsi durant des années. Nous partions en vacances rien que tous les deux chaque été. C'était reposant. Je n'avais pas à faire attention à ne pas respirer trop fort pour ne pas réveiller mes parents mais il fallait penser à défaire le deuxième lit le matin pour que les femmes de ménages de l'hôtel ne trouvent pas ça bizarre. C'est d'un de ces voyages que date le seul écho qui m'empoissonne réellement la vie. Cette nuit là, un couple s'adonnait bruyamment au plaisir dans la chambre voisine tandis que nous baignions dans notre discrétion habituelle.
Bientôt, toi aussi tu gémiras comme ça.
Sur le moment, je l'ai à peine noté. J'étais trop occupée à me demander ce que son mari pouvait bien faire de plus à cette femme pour la mettre dans un état pareil. Mais près de vingt ans après, elle continue à se manifester dans l'intimité de mon couple. Le temps de quelques soupirs je dois lutter pour rester la femme dans les bras de son mari et ne pas redevenir la petite fille qui découvre les jeux d'une langue sur son intimité. En dehors de ces moments, je n'ai jamais eu de mal à vivre ma vie de femme mais le cunnilingus me dégoûtera toujours profondément. En vérité, c'est encore sa langue et sa salive à lui que je sens.
Et puis après avoir été aussi loin, aussi longtemps, aussi intime, tout s'est arrêté du jour au lendemain. Avec une lettre. Le jour de mes dix-huit ans. Plus rien. Il n'est plus venu à la maison ou alors en semaine, quand j'étais dans mon logement étudiant. La lettre ne contient aucune explication, seulement des remerciements. Des remerciements pour ces moments passés ensemble, pour ces différents lieux que nous avions découverts au fil de nos voyages. Une simple phrase pour annoncer qu'il était temps de me laisser à un autre homme à présent. Je lui en ai longtemps voulu pour cette lettre. Parce qu'il m'abandonnait après tout ça avec seulement quelques mots sur une feuille de papier. Parce qu'il me laissait seule alors qu'aucun autre garçon ne voulait de moi. Parce qu'au fond, lui non plus, il ne voulait plus moi. J'étais devenue encore plus vilaine avec mes boutons, mon corps trop grand, mes os qui dépassent, mes muscles trop faibles. Je n'avais jamais été jolie mais, sous ses mains, je m'étais sentie désirable pour au moins quelqu'un sur cette planète. Et à présent, ce n'était plus le cas.
Je ne l'ai plus revu depuis mes dix-huit ans, à l'exception d'une fois où nous nous sommes invités à l'improviste chez mes parents avec mon mari, qui ne l'était pas encore, pour pouvoir le lui présenter. Il n'a pas prononcé un mot de tout le repas. Puis il a disparu, dans une chambre d'hôpital, il y a de ça quelques années. Il a refusé de me voir sur ses derniers jours alors que tout le reste de la famille y a été, sans me prévenir. Parce qu'il avait dit ne pas supporter ce que j'étais devenue, qu'il préférait emporter avec lui l'image de celle que j'étais avant... Ça n'a choqué personne... Seul mon frère a eu le courage de me rapporter ses paroles parce que, selon lui, je n'avais pas pris tant de poids que ça. Je suppose que je n'ai jamais été quelqu'un de très fort, mentalement parlant. Alors oui, l'anxiété et la dépression m'avaient fait prendre un peu de poids mais rien de bien dramatique après mes années d'anorexie... Mais manifestement, c'était déjà trop pour la plupart de ma famille, ou du moins suffisant pour justifier la réaction de mon grand-père.
J'y ai longtemps cru, moi aussi, à cette histoire de poids. Je ne sais même plus à quoi je ressemblais à l'époque alors comment juger ? Mais je me demande aujourd'hui si ses mots n'allaient pas beaucoup plus loin... Si, au fond, ce n'est pas avec l'image d'une petite fille qu'il s'est éteint sur son lit d'hôpital.
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