- Toi d'abord !
Rune tend la main, les yeux fermés, il se concentre sur la question qui l'occupe puis il tire trois runes. Ambrelune les note avant de faire de même. La feuille à côté d'eux, les deux amis tirent les conclusions qui s'imposent, leurs chemins vont se séparer.
- Tu vas rester dans le pays des glaces et moi ici, mais nous le savons déjà ; tu ne reviendras pas vivre avec nous. dit Ambrelune. Tu es mon seul lien avec notre monde.
- Je sais, Ambrelune, mais nous nous verrons très souvent.
- Oui.
Les deux amis restent quelques temps enlacés avant de ranger leur matériel et de rejoindre leurs amis dans le salon.
- Au fait, les graines de ce pays ont poussé dans le jardin de tes parents ? demande la jeune fille en se rasseyant dans son fauteuil.
- Oui, elles poussent très bien et les graines de notre monde plantées dans le jardin ?
- De même. A croire que nos mondes sont plus proches qu'on le pense.
- En effet. répond Violine en resservant de la limonade à tout le monde.
- Je suis désolée, j'ai des devoirs à faire. dit Ambrelune en rejoignant sa chambre.
Penchée sur ses cahiers, la jeune fille n'a pas vu l'heure passer. Elle a tant de travail à terminer qu'elle craint de ne pas y arriver. Elle entend toquer à la porte et elle relève la tête, les yeux hagards, perdue dans les méandres des sorts de guérison des fractures.
- Nous allons passer à table. dit Andrea. Raya me charge de te rappeler que tu es en vacances et que tu devrais en profiter pour te reposer.
- Je sais mais je n'y arrive pas.
- Je pensais aller à Kittery cet après-midi. Si tu veux venir avec moi, ça te changera les idées et comment dire, c'est un bon moyen de te familiariser avec les ingrédients, non ? Nous trouverons peut-être des livres intéressants.
Andrea rougit légèrement mais Ambrelune ne remarque rien, les yeux dans le vague.
- Tu as raison, je ne dois pas rester enfermée toutes les vacances.
Quelques heures plus tard, les deux jeunes gens dégustent un gâteau cerise-caramel en déambulant dans les rues. Leurs sacs les gênent et ils rient à l'idée de ne pas en avoir pris de plus grands, leurs achats sont limités par la taille de leur sac pour le plus grand bien des finances de leur commerce et vu leur niveau de remplissage, ils devront bientôt rentrer. Andrea s'arrête devant une boutique qui cherche un nouveau propriétaire et il regarde à travers les carreaux durant quelques minutes.
- Attends, laisse-moi prendre ton gâteau, tu verras mieux. dit la jeune fille en tendant la main.
Les mains en coupe devant ses yeux, le sorcier examine à loisir l'intérieur de l'échoppe au rez-de-chaussée d'une étroite maison en pierre blanche. Il se retourne vers son amie pour récupérer sa friandise.
- Merci.
- Tu comptais l'acheter ?
Mal à l'aise, Andrea note l'air sérieux de son amie et il décide de ne pas adopter le ton de la plaisanterie comme il avait pensé le faire.
- C'est un vieux rêve, parfois j'y pense.
- Notre boutique ne te suffit donc pas.
Gêné, le sorcier ne répond rien. Le ton affirmatif suffit à lui faire entendre qu'Ambrelune a compris qu'il commence à étouffer sur l'île trop petite pour lui.
- Tu n'as jamais pensé à voyager ? Comme Rune ?continue la jeune fille d'une voix douce.
- Si, bien sûr mais cela reviendrait à laisser Raya seule dans la boutique.
- Elle n'est plus seule désormais. Violine est auprès d'elle, tu le sais.
Ils se regardent et ils savent qu'ils se sont compris. Ambrelune passe son bras sous le sien pour l'entraîner vers la place.
- Allons boire quelque chose, tu veux ? Nous ferons plus ample connaissance pour une fois que nous ne sommes que tous les deux, je ne sais presque rien de toi. Tu sais ? Je connais mieux Rune que toi.
- Il n'y a rien à dire sur moi. répond le sorcier mal à l'aise qui se laisse malgré tout entraîner vers un salon de thé sans opposer de résistance.
Peu à peu, il se détend et il se laisse aller à quelques confidences. Il se rend compte que parler de toutes ces choses qu'il a repoussé en permanence dans les méandres de sa mémoire lui fait du bien. Le regard d'Ambrelune, attentif le met en confiance et il se dit que sa présence lui a manqué depuis qu'elle a repris ses études. Il sent son cœur se serrer mais il n'y prête pas attention car le serveur vient remplir leur théière à ce moment-là.
- Le prix du sorcier vient de commencer ! Nos quinze participants se soumettront à votre jugement ! Vous êtes prêts ?
Des cris de joie répondent à monsieur Loyral, le directeur de la Haute Université de Magie qui sourit, c'est le dernier grand événement avant la fin de l'année scolaire et il espère que les élèves seront à la hauteur du concours et de la réputation de leur école. Les quinze candidats se succèdent, ils font éclater des animaux en bulles colorées avant de leur rendre leur apparence originelle ou ils font sortir du sol des villages miniatures où des ruisseaux coulent en chuchotant. Emerveillée, Ambrelune prend note des différents sorts et des ingrédients qu'elle reconnaît, elle espère parvenir à reconstituer les sortilèges qui l'intéressent avec l'aide d'Andrea et de la bibliothèque.
Dans la grande salle redécorée aux couleurs de la fédération de Berethiel-Nienor, les étudiants en grande tenue de cérémonie se pressent pour prendre les meilleures places. La joie se lit sur tous les visages et les rires fusent dans le brouhaha ambiant. Ambrelune s'avance timidement, mal à l'aise dans sa longue robe de soirée. Elle observe autour d'elle l'accoutrement de ses camarades et elle remarque qu'ils semblent avoir revêtus les costumes traditionnels de leurs pays et régions d'origine. Parmi la foule, elle cherche ses amis du regard ainsi que sa famille qui est venue leur rendre visite mais elle ne les voit pas. L'étudiante se retourne, sentant un regard peser sur elle, et elle croise le regard de braise du professeur de divination qui semble perdu dans son monde intérieur comme de coutume. Elle s'attarde sur son habituel costume noir de la même couleur que ses longs cheveux gras et filasses avant de hausser les épaules, il met tout le monde mal à l'aise.
Enfin, une chevelure couleur miel attire son regard et la jeune sorcière soupire de soulagement. Ses amis sont arrivés et elle bouscule quelques invités dans sa hâte de les retrouver.
- Vous êtes enfin là ! s'exclame-t'elle un peu trop fort.
- Oui, nous sommes partis un peu en retard. Rune était un peu nerveux et ce nigaud a fait tomber la boîte où il range ses pierres ; nous ne pouvions pas partir sans que tout soit rangé comme il se doit. Même si mon père lui a assuré qu'il s'en occupait, il n'a rien voulu entendre.
Ambrelune sourit à son amie et elle cherche Rune du regard. Vêtu d'un costume noir à la mode de leur pays d'origine, elle le félicite sur son élégance avant de s'enquérir des nouvelles.
- J'ai un cadeau pour toi, je voulais attendre l'arrivée de Raya et Andrea mais au fond, quelle importance ? Sabline est dans la confidence et elle m'a promis de tenir sa langue.
Le jeune garçon tend un petit paquet emballé avec soin à son amie qui s'empresse de le remercier et de l'ouvrir. De longues boucles d'oreille pendantes alternant des perles roses et dorées de la mer de Muir séparées par des purs diamants du pays de Nix reposent dans l'écrin.
- Mais Rune, je ne peux pas accepter un tel cadeau !
- Je l'ai fabriqué de mes mains. se justifie le jeune homme en rougissant.
Tout à coup, il se sent ridicule, il se demande si son présent est approprié à la situation mais il est trop tard. Ambrelune hésite face à ce cadeau bien trop précieux pour elle mais elle se ravise face à l'air penaud du bijoutier improvisé.
- Merci, merci infiniment ! conclut-elle en l'embrassant.
- Je t'avais bien dit que ça lui ferait plaisir. murmure Sabline à l'oreille de Rune. Tiens, Raya et Andrea arrivent, ils ne sont finalement pas si en retard qu'ils nous l'avaient dit. dit-elle en montrant la porte du menton.
En effet, les deux sorciers les cherchent du regard. Attirés par les signes de la main qu'ils leur font, ils se fraient un chemin dans la foule en terminant une vive discussion.
- Pardon, nous nous interrogions sur le meilleur moyen de te l'annoncer. Comme cadeau pour ton diplôme, nous avons décidé de tous vous emmener prendre quelques jours de vacances dans un pays étranger de ton choix, Ambrelune. Tu choisis la destination et nous nous chargeons de tout organiser à une date déjà convenue il y a plusieurs semaines.
Ambrelune sourit à les voir si fiers de leur conspiration commune et elle les remercie chaleureusement en précisant qu'elle a bien l'intention de profiter de ces vacances improvisées et qu'il est hors de question qu'elle travaille durant ces quelques jours, elle leur rappelle qu'elle a tout l'été pour le faire. Ses amis acquiescent et ils lui font signe qu'on appelle les étudiants pour le bal qui va bientôt débuter. Ils restent jusque tard dans la nuit et
- Tout est prêt ? murmure Rune.
- Oui, avec Raya, nous avons été chercher vos parents et les avons installés comme il faut. Vous les retrouverez à notre retour chez nous, ils sont un peu inquiets mais au fond, ravis de découvrir enfin le pays où vous vivez.
- Mais vous les avez laissés seuls ? s'étonne le jeune homme.
- Ils n'ont pas osé venir, je les ai laissés faire connaissance entre eux, j'ai pensé que c'était la meilleure solution. Je veux dire que si nous y avions pensé plus tôt, nous n'aurions pas eu à improviser cette visite ce matin dans l'urgence. Raya et moi sommes allés les trouver et ils ont accepté sans difficulté, heureusement que chez vous, c'est un jour de repos. Enfin, si j'ai bien compris ce qu'ils m'ont dit. Mais silence, le discours du directeur est toujours un moment important.
Rune regarde Andrea, un peu surpris par son enthousiasme. Lorsque le discours se termine enfin, il se rend compte qu'il s'est assoupi durant les quelques minutes qu'il a duré. Un brouhaha se fait alors entendre et toutes les têtes se tournent vers la grande porte. Le roi et la reine de Berethiel-Nienor font une entrée remarquée avant de se diriger vers le directeur de l'école avec qui ils échangent quelques mots à voix basse. Dans la salle, chacun s'interroge sur l’événement qui a bien pu se produire dans le royaume pour pousser les souverains à se rendre à l'université. On spécule sur une guerre imprévue, une attaque de rebelles ou un maléfice lancé par l'ennemi d'une personnalité en vue. Enfin, le directeur se monte sur l'estrade et il fait un signe d'apaisement à la foule qui se masse à ses pieds.
- Le roi et la reine sont venus nous rendre visite afin de nous faire l'honneur de féliciter personnellement les diplômés. Pour la première fois depuis le départ des tyrans qui ont gouverné notre royaume durant soixante ans, la Haute Université de Magie a l'honneur de former les premiers sorciers libres de notre royaume dans le respect de nos traditions, sans craindre de voir nos étudiants forcés de se mettre à la disposition des anciens souverains, afin d'assurer la soumission du peuple et la domination de Berethiel-Nienor sur les autres pays de la fédération par des guerres sanglantes. Je vous avoue aujourd'hui ouvertement que nous n'avons jamais appliqué les programmes présentés par l'ancien gouvernement et que nous avons fait suivre le cursus traditionnel de notre école durant les années de domination à l'insu des anciens gouvernants qui nous ont toujours fait confiance.
Un tonnerre d'applaudissement suit cette déclaration.
Puis les élèves se réunissent par niveau pour recevoir leur diplôme de la main de leurs professeurs avant que la foule se dirige vers le buffet. Ambrelune cherche ses amis du regard et elle les rejoint, soulagée.
- Pouvons-nous y aller ?
- Tu ne veux pas rester avec tes amis ? s'étonne Andrea.
- Têtard, tu ne sais donc pas ce que c'est que d'être mis à l'écart ? dit Raya en poussant la jeune fille vers la sortie. Tu es parfois si tête en l'air.
Le sorcier ne répond rien, il a en effet oublié les confidences d'Ambrelune quelques mois plus tôt, lui qui a toujours été entouré et admiré par ses camarades.
- J'ai sympathisé avec deux filles de ma promotion mais je ne les trouve pas.dit la jeune fille en haussant les épaules.
De retour chez eux, Ambrelune retrouve avec joie ses parents dont elle n'attendait pas la visite. Les larmes aux yeux, elle n'entend qu'à peine leurs reproches car elle ne vient pas les voir assez souvent à leur goût. Ensemble, ils visitent la petite maison tandis que les parents de Rune font plus ample connaissance avec Sabline qui les charme d'emblée. Durant les quelques jours qu'ils passent ensemble, la joyeuse troupe se réunit comme presque toujours pour les repas, les trois natifs de Berethiel-Nienor ne se chargent de la boutique pendant que Rune et Ambrelune font découvrir l'île, le pays et la magie à leur famille. Après une semaine, des adieux déchirants ouvrent la période des vacances tant espérées.
Ambrelune a repris son travail à la boutique, Andrea lui laisse de plus en plus d'autonomie, se contentant de valider ses propositions. Ils passent leur temps côte à côte dans le laboratoire bercés par les babillements de Raya et Violine. Ils meublent le silence en se laissant aller à quelques confidences sur leur vie passée et leurs projets pour l'avenir. Ambrelune voudrait lui faire découvrir son monde durant ses vacances. La boutique va fermer lorsque Violine va retourner voir sa famille et ses amis avec Raya sur l'insistance de la sorcière gaffeuse pour qui il s'agit surtout d'un prétexte pour forcer sa moitié-magique à prendre des congés loin de ses fioles et de son laboratoire. Andrea d'abord boudeur a semblé comprendre le message et a accepté de prendre une semaine de vacances au loin. Sans famille ni ami, il ne savait où aller ni que répondre aux questions de plus en plus insistantes au fil des jours de Raya quant à sa destination. Il remercie Ambrelune de lui sauver la mise, gêné de voir les parents de cette dernière l'héberger.
- Ils seront heureux de te connaître et rassurés aussi. Tu comprends, Raya fait beaucoup de gaffes et tu es plus sérieux qu'elle. Enfin, je veux dire que tu fais plus sérieux, tu les rassureras plus.
- Tu m'as quand même dit deux fois de suite que je ne sais pas m'amuser. bougonne le jeune homme.
- N'est-ce pas la vérité ? lui chuchote Ambrelune avant de quitter la pièce, le laissant seul.
Le sujet n'est plus abordé et Ambrelune est convaincue qu'Andrea a oublié leur conversation jusqu'à ce qu'un soir au dîner alors que Raya insiste auprès de lui pour connaître ses projets de vacances, celui-ci répond qu'il accepte la proposition d'Ambrelune de visiter son pays d'origine durant ses congés. Il soupçonne à tort les trois femmes d'avoir comploté contre lui mais la mine surprise de Raya et Violine lui apprennent qu'il s'est trompé.
- Quand tu te décides à prendre des vacances, tu ne fais pas les choses à moitié, têtard ! répond Raya avant de glousser de rire en resservant du vin à tout le monde.
Le travail reprend à la boutique mais face au manque d'affluence, la petite équipe décide d'avancer ses vacances. Raya et Violine partent pour le pays de Medelis dans le but de visiter le palais de porcelaine de Médratine, tant vanté par Rune. Restés seuls, Andrea et Ambrelune préparent leurs bagages. Cette dernière a informé ses parents de leur arrivée et ceux-ci ont répondu par l'affirmative, au fond rassurés de faire plus ample connaissance avec le colocataire le plus raisonnable de leur fille.
Aux côtés d'Ambrelune, Andrea découvre le cinéma, internet, les voitures et bien d'autres choses qui l'émerveillent au plus haut point. Il a du mal à comprendre que ces inventions n'ont rien à voir avec la magie mais sont des technologies que tout le monde peut reproduire avec la formation nécessaire. Il fait connaissance avec sa famille qui semble l'apprécier rapidement et les parents de son amie s'intéressent à son métier, un peu inquiets des risques liés à une telle profession.
Le sorcier regarde d'un œil perplexe ce monde à l'air vicié et à la nature disparue où il n'est pas certain de se sentir à son aise. Il regrette son pays mais il ne dit rien. Il cherche à comprendre comment ce que son amie nomme électricité permet de telles avancées technologiques qui fonctionnent sans magie et que tout le monde peut reproduire. Il comprend confusément que c'est un peu similaire aux mécanismes complexes comme ceux utilisés en horlogerie par exemple même s'il ne parvient pas à comprendre ce que la jeune fille tente de lui expliquer. Perplexe, il allume maintes fois la lumière dans l'espoir d'en percer les secrets sans succès.
De retour de leur semaine de vacances, Rune et Ambrelune se sont enfermés dans leurs chambres. Emus, ils tirent les runes l'un après l'autre. Penchés sur les pierres, ils comprennent que leur route commune s'arrête ici et que désormais chacun suivra son destin en parallèle toujours proches mais plus côte à côte.
- Nous nous verrons souvent. se rassurent-ils, les larmes aux yeux.
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