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tome 3, Chapitre 25 tome 3, Chapitre 25

- Tu devrais y songer !

Ambrelune ne répond rien, indécise. Elle est rentrée pour réviser avec Andrea et il la presse de tenter de valider une double année malgré ses lacunes. Il estime que ses années à l'université sont une perte de temps, elle apprendra dans les livres et par la pratique, le programme s'il lui semble lourd ne lui donnera que des bases largement incomplètes. Raya se désintéresse de plus en plus de la boutique et il ne peut pas tout gérer même si leurs farces et attrapes complètent l’activité de la boutique. Mais il n'est pas le moins du monde intéressé par ces activités, il se sent seul, il a l'impression de gâcher son talent. Le jeune homme tente de lui faire comprendre de manière insistante qu'il a plus que jamais besoin d'elle au magasin, ils ont tenté d'embaucher mais ils n'ont trouvé personne à cause de la réputation de Raya. Il avait pensé qu'elle pourrait rentrer durant ses jours de repos pour l'aider un peu et mettre en pratique ce qu'elle a appris en cours. En contrepartie, le jeune homme promet de l'aider à réviser ses leçons et faire le travail demandé si elle a des soucis. Ambrelune reconnaît que la proposition est alléchante car elle lui permet d'éviter ses camarades quand elle n'a pas cours mais elle perd le bénéfice de la bibliothèque pour faire des devoirs et combler ses lacunes. Toutefois, elle réfléchit qu'en rentrant tôt en fin de congés, elle aura le temps de passer une grande partie de l'après-midi à terminer ses recherches et parcourir la bibliothèque. Et l'idée de ne pas se trouver seule face à ses lacunes lui permettra de ne pas se décourager ; de plus, elle pourra trouver une oreille attentive lors de ses périodes de découragement : parler directement à ses amis sera plus efficace que d'envoyer des lettres et d'attendre une réponse. Aussi, elle acquiesce en disant qu'ils peuvent essayer. Elle remercie son ami avant de lui demander s'il a besoin d'aide pour l'inventaire des produits à jeter et remplacer, elle a besoin de se changer les idées. Il accepte et ils parlent des nouvelles de Rune reçues récemment. Lorsque la fin de la journée de travaille arrive et que sonne l'heure de rejoindre son école, Ambrelune se sent libérée d'un poids.

Une annonce sur le tableau d'affichage attire le regard d'Ambrelune alors qu'elle marche dans le hall, désœuvrée. Un commerçant recherche un employé pour l'aider dans sa boutique à deux pas de l'école. La jeune fille s'y rend durant la pause déjeuner et elle pénètre dans une minuscule boutique sombre où un vieil homme aux longs cheveux blancs frisés et au regard malicieux l'accueille. La jeune fille bredouille qu'elle vient pour l'annonce et qu'elle craint de ne pas avoir le niveau requis. L'homme l'étudie attentivement avant de lui répondre qu'elle devra surtout l'aider à faire un peu de ménage, de rangement et à ranger les ingrédients. Elle n'aura pas à toucher aux préparations ni même à les vendre. Soulagée, la sorcière répond qu'elle est intéressée et qu'elle pourra venir en fin d'après-midi à la fin de ses cours comme le stipule l'annonce. L'homme lui demande si elle peut commencer dès le lendemain ce qui convient à la jeune fille. Elle quitte l'échoppe un peu inquiète mais ravie.

Le lendemain, épuisée par sa journée de cours, Ambrelune se rend dans la petite échoppe pour prendre son poste. Son nouvel employeur lui explique le fonctionnement de la boutique et il lui demande de commencer par faire le ménage. Il a été un peu déçu d'apprendre qu'elle ne parle pas bien la langue du pays même si la majorité des clients de la ville sont liés à l'université de magie et parlent les langues venues de l'extérieur sans souci. Rassurée, elle se met à la tâche et elle ne voit pas le temps passer, la nuit est tombée lorsqu'elle rejoint l'université. Elle a à peine le temps de manger qu'elle se dirige dans la salle d'étude vide pour faire ses devoirs et réviser ses cours. Ce n'est que tard dans la nuit qu'elle rejoint son lit et le réveil est difficile.

Au fil des jours, la jeune fille se fait à son rythme de travail qui est épuisant, elle néglige un peu ses leçons pour se concentrer sur les devoirs à rendre et elle rattrape son retard ses jours de repos. Mais comme elle rejoint ses amis en fin de semaine pour travailler une partie du temps à la boutique et rattraper son retard, elle a finalement peu de temps pour son travail scolaire. Pourtant, elle sait que c'est la meilleure solution pour combler son retard. Elle espère travailler un an à la boutique près de son université et avoir suffisamment de connaissances pour être en mesure de s'en passer, une fois une partie de son retard rattrapé. Tous les soirs, elle manipule des poudres inconnues dans la réserve et elle lit des livres poussiéreux lorsqu'elle est seule dans le petit réduit sombre. Elle prend des notes qui s'accumulent sur des morceaux de parchemin avec des notions à approfondir dans le silence de la vaste bibliothèque de l'université à la nuit tombée. Ses amis remarquent sa fatigue lorsqu'elle revient les voir durant ses jours de repos mais elle ne veut rien entendre et ils doivent se montrer ferme pour qu'elle dorme suffisamment.

Un matin alors qu'elle a mal dormi, Ambrelune s'éveille en pleurs, la pression est insupportable, elle est stressée par sa formation et par les lacunes qu'elle cumule. Pourtant, elle sait qu'elle ne peut continuer ainsi, elle va finir par manquer son année. Elle sait également que son isolement parmi ses camarades ne l'aide pas. Elle songe que son emploi lui sera d'une grande aide pour consolider ses connaissances peu à peu et qu'elle ne peut continuer ainsi à dormir trop peu et à passer ses soirées à la bibliothèque. Elle sait qu'elle peut se tourner vers Andrea et vers son employeur en cas de question. Pour la première fois, la jeune fille prend conscience qu'elle n'est pas seule face à son manque de connaissances, ils l'aideront à s'en sortir chacun à sa façon. Rassurée, elle s'endort enfin d'un sommeil paisible jusqu'au moment où Rune vient toquer à la porte pour la réveiller. Elle se lève, joyeuse, et elle se promet de revenir autant que possible parmi ses amis et de ne plus passer ses jours de congés enfermée dans la bibliothèque seule avec ses parchemins et ses livres toute la journée. Pour la première fois, elle se sent capable de réussir son année. Soulagée, elle se rend dans la salle commune pour prendre son petit-déjeuner et elle n'a pas à courir pour être à l'heure à son premier cours de la journée. Elle s'est acheté un cahier où elle note les choses à approfondir durant ses cours et même si au terme de la journée, la liste est particulièrement longue, c'est avec optimisme qu'elle se rend à la bibliothèque pour s'absorber dans de longues heures de recherche. Elle sait qu'au fil des mois la liste se fera de moins en moins longue et elle s'accroche à cette idée pour continuer à lire les manuscrits malgré la fatigue qui rend sa lecture difficile, seule dans la bibliothèque silencieuse.

Les semaines passent et la jeune fille se plonge plus que jamais dans la lecture méthodique des ouvrages de la bibliothèque et la découverte du monde dans lequel elle a choisi de vivre. Les notes s'accumulent de tous côtés et elle peine à les ranger mais dans cette frénésie, une seule pensée la pousse : combler coûte que coûte son retard et absorber toujours plus d'information pour ne plus être la risée de ses camarades et de ses professeurs. Ses nuits toujours plus courtes et les jours de repos qu'elle ne prend que par peur de subir les remarques de ses amis s'amenuisent au fil des semaines qu'elle passe le nez dans les livres. Epuisée, Ambrelune s'endort de plus en plus souvent sur ses livres dans la bibliothèque silencieuse. Elle sait que cette situation ne peut plus durer, elle doit s'y prendre autrement. Heureusement, son emploi lui permet d'accéder à de nombreuses substances nouvelles et peu à peu de découvrir des produits dont elle ne soupçonnait pas l'existence. Elle écoute les recommandations que son employeur fait aux clients et sous la direction d'Andrea, elle passe beaucoup de temps durant ses jours de congés à élaborer et préparer des sorts de toutes sortes bien au-dessus de son niveau. Mais peu à peu, elle apprend à se débrouiller seule, à élaborer des sorts, trouver des solutions et tenir un magasin tout en faisant ses préparations en parallèle.

- Dis-moi, Andrea, excuse ma question mais je me suis toujours demandé pourquoi tu te noies ainsi dans le travail...

Ambrelune regrette aussitôt sa question. Au fond, les raisons profondes qui conduisent son ami à passer son temps libre dans la solitude du laboratoire ne la regarde pas. Mais les longues heures passées à travailler ensemble et leur correspondance les ont rapprochés ; la jeune fille s'est laissée aller à cause de ce rapprochement.

- Pardon, je n'aurais pas dû. Oublie ma question, je te prie de m'excuser. dit-elle en baissant les yeux, les joues empourprées.

Elle a croisé le regard douloureux de son ami, noté son teint pâle, ses lèvres serrées et ses mains crispées. Elle l'entend soupirer un long moment puis elle l'entend bouger avant qu'il ne se racle nerveusement la gorge.

- Ce n'est rien, c'est une question normale, je veux dire, nous sommes des amis proches et nous vivons l'un à côté de l'autre depuis plus d'un an. J'évite d'en parler, c'est tout. J'ai perdu ma famille quand j'avais dix ans et mon tuteur, un ami de mes parents à dix-sept ans. J'étais à peine majeur et seul au monde. Depuis, j'ai continué à étudier pour éviter de penser. Je crois que c'est devenu une habitude, un mode de fonctionnement qui convient à ma nature. J'aime expérimenter, comparer, réfléchir aux choses et la magie est un bon support d'expérimentation pour un esprit tel que le mien.

- Je vois. murmure Ambrelune avant de reprendre son travail.

Andrea aurait voulu oser lui confier son sentiment de solitude depuis que Raya s'est trouvé une âme sœur mais il craint de la voir se moquer de lui. Il sait qu'il ne pourra se retenir de lui avouer sa jalousie de la voir rayonner et avoir trouvé sa place auprès de Violine tandis qu'il se sent seul et de moins en moins à sa place aux côtés de sa moitié-magique.

Le silence revenu, le jeune homme ouvre la bouche mais il se ravise. A quoi bon assommer son amie avec ses émois et lui parler de sa peur d'échouer dans le domaine où il excelle. Il envie secrètement Raya d'oser expérimenter sans tabous malgré ses résultats parfois déconcertants qu'il doit réparer, la peur le paralyse et il préfère les sorts soigneusement élaborés pour ne pas refaire la même erreur que son camarade d'école. Osera-t'il jamais avouer à quiconque qu'il craint toujours que Raya ne commette une erreur fatale et qu'il tremble souvent en la voyant préparer ses sorts ? Qu'il s'assure toujours qu'elle ne se met pas en danger mortel en recensant discrètement les ingrédients qu'elle a rassemblés devant elle ?

- Pardon, je rêvasse et je te laisse tout gérer toute seule... dit le sorcier en se levant de la chaise sur laquelle il s'était assis pour rêvasser.

- Ce n'est rien, j'ai l'habitude de travailler seule. Et ce ne sont que des tisanes, je doute de tuer quelqu'un en commettant une erreur. répond doucement Ambrelune.

- Oui, mais ce n'est guère poli de ma part. dit Andrea en prenant la liste des commandes.

En chantonnant, il s'affaire à préparer les tisanes les plus difficiles qu'Ambrelune avait laissé de côté et il l'aide à ranger les ingrédients qu'ils ont utilisé avant de nettoyer le plan de travail.

- Je crois que nous avons mérité un moment de détente. Je pensais nous faire du thé, il va être l'heure de fermer boutique de toutes manières.

- Où sont les autres ? demande Ambrelune en fermant la porte de la boutique après un rapide regard pour voir si ses amis sont dans les parages.

- Je n'en ai aucune idée. répond Andrea en chantonnant avant de quitter la pièce. Un peu plus tard, devant du thé et des biscuits secs, les deux amis parlent de leur avenir.

- Tu comptes passer ta vie ici ? interroge Andrea en leur resservant du thé.

- Je ne sais pas, je n'ai pas réfléchi. Si Rune était resté, je serai sans doute restée avec lui mais comme il est parti au loin, les choses sont différentes. Pourtant, je sais que vous n'avez pas besoin de moi pour faire tourner la boutique donc je ne sais pas.

Songeur, le sorcier ne dit rien et il replonge son nez dans sa tasse qui est vide pour se donner une contenance.

- Nous avons besoin d'aide à la boutique. Je m'ennuie des sorts mineurs qu'on me demande souvent. Je n'ai pas fait tant d'années d'études juste pour de menus problèmes même si cette routine m'a fait du bien après mon accident. Mais au fil du temps, j'ai repris confiance. Seulement, je répugne à m'éloigner de ma moitié-magique.

- Oui, mais avec la téléportation... commence Ambrelune avant de se taire et de se lever pour aller refaire du thé.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 1er août 2019 à 20h39
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