Rune pose la main sur le tableau soigneusement conservé chez le gouverneur de l'île et il sent que la peinture l'aspire, il respire à fond et il se laisse aller. Peu après, il passe de l'autre côté de la toile. Il se trouve sur une petite île très haute dont la falaise tombe à pic dans une mer déchaînée, il le sait, c'est ce que représente le tableau. Il a froid dans ses habits de lin léger et autour de lui, il ne voit nulle lumière dans le noir environnant. Il se demande si le tableau est resté caché dans la petite grotte au fond de laquelle il est niché à dessein. Mais il ne comprend pas en quoi le passage entre les mondes est une mauvaise chose. Il frissonne debout face à la mer qu'il ne voit pas dans le noir qui l'entoure et il décide de repasser par le tableau. Il hésite à sortir avec le tableau pour le mettre ailleurs mais il se dit que si le passage est ici, il y a sans doute une bonne raison et que rien n'empêche à l'avenir de le mettre ailleurs.
De retour dans la capitale de Berethiel-Nienor, le jeune garçon se rend chez les souverains où il leur remet les impressions qu'il a fait des tableaux de Falba Slikar qui se trouvent dans son pays. Ravis, le roi et la reine examinent le papier et le remercient de son don en lui promettant que les copies seront mises dans un musée. Les grimoires au sujet de la magie des rêves rejoignent les étagères de la bibliothèque royale et des exemplaires sont acheminés vers la Haute université de magie, Rune garde les plus intéressants pour ses amis qu'il sait trouver un intérêt dans les disciplines magiques.
Raya teste la magie des rêves durant plusieurs semaines, elle crée des sorts-blagues de mauvais goût qu'elle fait tester à ses amis à leur insu. Elle leur fait respirer l'essence du rêve qu'elle a créé en plaçant la fiole sous leur nez à leur insu, ils s'écroulent immédiatement de sommeil.
- Il faut que je pense à préciser qu'il ne faut pas utiliser cette potion partout. Et que ce sont ses vapeurs qui agissent, il faut donc bien la faire chauffer avant utilisation.
Réveillés quelques minutes plus tard par un horrible cauchemar, elle s'attire les reproches de ses amis durant plusieurs jours. Elle tente de nier mais la fiole qu'elle tient et ses notes éparpillées sur la paillasse du laboratoire l'accusent et elle finit par avouer son forfait sous les reproches de ses amis qui lui font remarquer qu'elle aurait pu les tuer n'ayant pas testé sa potion auparavant. Dépitée, elle finit par renoncer à son projet pour se concentrer sur d'autres objets d'étude en se promettant de ne plus utiliser ses amis comme cobaye sans leur consentement.
- Tu es dangereuse, tu as de la chance que jusqu'ici personne ne soit mort de tes facéties ! s'emporte Andrea avant de sortir en claquant la porte du laboratoire.
- Tu n'as pas été prudente. se contente de dire Ambrelune en rangeant des fioles dans le placard.
- L'expérimentation, il n'y a que ça qui marche. déclare Raya avant de sortir à son tour.
Seul dans le jardin, Andrea réfléchit, il sait que sans sa moitié-magique de nombreux sorts lui sont inaccessibles mais il est las de toujours devoir surveiller Raya lorsqu'il se lance dans des préparations compliquées.
- Elle ne sera jamais assidue et elle ne comprendra jamais que la magie est dangereuse. Mais la laisser seule ? Et comment me passer de ma moitié-magique ? Ambrelune n'a pas trouvé la sienne, nous faisons du bon travail ensemble, il y a peut-être un moyen pour qu'elle remplisse ce rôle mais comment faire ?
Le sorcier passe les doigts dans ses cheveux vert émeraude en réfléchissant, il n'est pas bon de tenter de changer la nature des choses, il le sait mais c'est pourtant ce que fait la magie et il ne voit pas de raison pour que ses dons ne s'accordent pas avec ceux d'Ambrelune même de manière artificielle.
Quelques jours après cet incident, Andrea attaque dès le petit-déjeuner.
- Nous devrions faire un catalogue pour la boutique, nous commençons à avoir une belle liste de sorts qui se vendent bien et qu'on nous achète souvent. Si nous les classons par thème et que nous rédigeons une petite description sous chaque sort, nous perdrons moins de temps à répondre aux clients. Nous pourrions afficher la liste ? Ainsi, nous perdrons moins de temps à renseigner les clients en plus de susciter des envies chez les clients qui flânent. Nous choisirons les sorts pour lesquels nous avons toujours des préparations en stock pour perdre moins de temps. Qu'en dis-tu ?
- J'en dis que tu veux nous faire travailler encore plus.
- J'avoue que c'est mon idée. Rune parti en voyage, Ambrelune partie faire ses études, nous nous retrouvons seuls et je doute que les clients cessent d'affluer pour autant, nous ne pourrons bientôt plus les fournir et ils finiront par aller voir ailleurs. Quant à embaucher, honnêtement qui voudrait venir ici ? Travailler dans notre minuscule boutique ? Et j'ai très envie de voir ce que nous pouvons faire des magies que Rune a découvertes et découvrira. Je doute qu'il revienne travailler un jour avec nous, même si je l'espère.
Raya soupire et elle va à la fenêtre. Elle inspecte le jardin tout en étudiant la proposition de son ami, elle songe qu'il a raison mais la masse de travail à fournir en plus de leurs tâches habituelles l'effraie, elle aura moins de temps pour ses expérimentations. Et elle se demande quel besoin son ami peut bien avoir de vouloir augmenter leur activité. Elle se tourne alors vers Andrea qui fait mine de ne pas voir son agacement et qui farfouille dans les pots d'un air concentré.
- Pourquoi donc ? Les choses fonctionnent bien comme elles sont, non ?
- Oui, mais soit nous parvenons à fournir nos clients les plus fidèles soit ils iront voir la concurrence . Nous n'auront plus de cas intéressants à traiter et nous allons nous ennuyer. boude le jeune homme qui regarde son amie, les bras croisés. Et avec l'ouverture des frontières, nous devons nous démarquer. Si on dit de nous que nous pouvons répondre à presque toutes les demandes, on s'adressera à nous pour les cas complexes. Sinon, on nous ignorera et nous ne pourrons pas évoluer, nous traiterons les maladies et les blessures mais ce sera monotone et ennuyeux, tu ne penses pas ?
- Oui, bien sûr, je comprends bien et tu as raison mais en attendant, nous devons faire face par les moyens à notre disposition. Et je n'ai plus de temps pour mes expérimentations. dit la sorcière.
- Oui, nous devons réfléchir à la meilleure façon de nous organiser. J'ai, moi aussi, besoin de temps pour mes expérimentations. D'où ma proposition de créer un catalogue, ainsi, nous orienterons les clients pour les sorts les plus courants et nous aurons quelques sorts de référence que nous n'aurons qu'à reproduire à chaque fois ou pourquoi pas, préparer à l'avance ? Il nous sera facile de les adapter à partir d'une base, tu ne penses pas ?
Raya capitule et ils conviennent de profiter de la fin de semaine qui arrive pour mettre au clair leur idée. Le reste de la journée se passe dans une ambiance calme à ranger et nettoyer la boutique en l'absence de clients. Aussitôt qu'ils ferment boutique, ils se dépêchent d'aller chercher des parchemins pour noter leurs idées. La soirée s'écoule parmi les parchemins qui jonchent rapidement le sol ; ils mettent leurs provisions en commun pour improviser un rapide repas qu'ils mangent tout en discutant assis sur le sol de la boutique. Ils rient en imaginant la tête de leurs clients s'ils les surprenaient ainsi. Lorsque la lune se lève, ils ont fini de mettre leurs idées en ordre. Ils ne sont pas sans savoir qu'il leur reste beaucoup de travail à faire mais ils estiment qu'en travaillant tous les soirs, ils peuvent mettre sur pied leur premier catalogue d'ici quelques jours.
Dix jours après, leur première proposition est disponible dans la boutique. Les clients se pressent pour feuilleter le recueil et faire leur choix. Le temps gagné permet aux deux sorciers de perdre moins de temps à expliquer les sorts les plus simples aux clients. De plus, ils décident de faire des statistiques sur une semaine ; ainsi, ils ont une idée précise des sorts les plus demandés et ils préparent les sorts à l'avance durant une longue soirée qu'ils terminent, épuisés, autour d'une soupe préparée à la hâte qui se révèle tout juste mangeable mais trop occupés par leurs affaires, ils n'y prennent pas garde. Mais si cette nouvelle organisation les soulage, ils continuent à refuser des clients, submergés de travail.
Ambrelune se glisse dans la salle encore déserte. Elle se plonge dans un manuel qui traite des généralités en matière de divination. La jeune fille apprend qu'en Berethiel-Nienor, il est courant de lire l'avenir dans le mouvement de la mer ou de l'onde d'un étang, d'une fontaine ou de toute surface d'eau courante. De même, la luminosité des étoiles est parfois utilisée. Elle feuillette encore et encore les pages pour tenter de comprendre le fonctionnement de la divination par l'observation de la luminosité des étoiles qui lui semble particulièrement nébuleuse car il faut commencer par écarter les conditions climatiques telles que des nuages ou un éclairage à proximité.
- On tente de combler son retard ?
La jeune sorcière lève la tête tandis que le professeur d'herbologie lit par-dessus son épaule.
- Ainsi vous ignorez tout des divinations élémentaires dont tout le monde connaît au moins les grands principes ?
- Euh, oui, nous n'avons pas les mêmes dans le pays d'où je viens.
- Je vois. Vous avez beaucoup de connaissances à acquérir pour réussir, mais ne vous épuisez pas, mademoiselle. conclut'il alors que les étudiants entrent dans la salle.
Ambrelune se rend compte qu'en effet, elle est épuisée mais que peut-elle faire d'autre ?
« Cher Andrea,
je suis fatiguée et je crains de ne pas terminer mon année. Le rythme est élevé et je dois rattraper mes lacunes, il y a tant choses que j'ignore. J'aurais sans doute dû attendre de mieux connaître votre monde qui semble pourtant proche du mien de prime abord. Je regrette ma décision. Pourquoi ne m'avez-vous pas mise en garde ? N'y avez-vous pas songé comme moi ? Je me prépare à rater mon année et je vis mal cet échec. On ricane dans mon dos quand je montre mon ignorance et la bibliothèque ne suffit pas à remplir le puits sans fond de ce que je ne sais pas...
Pour changer de sujet, j'ai remarqué il y a quelques semaines une plaque commémorative disant que tu as gagné le prix du sorcier il y a quelques années, j'ai fait des recherches poussée par la curiosité et je serais vraiment curieuse de voir ton sortilège à l’œuvre si tu veux bien et est en mesure de le refaire. »
Ambrelune pose sa plume, elle ne peut pas lui écrire cela, ses amis vont s'inquiéter, elle le sait. D'ordinaire, ils parlent de ses études par courrier interposé, elle ne peut se laisser aller à de telles confidences. A regret, elle brûle le parchemin et elle ne recopie que la partie relative au prix du sorcier avant d'aller se coucher.
Andrea, cette nuit-là, envie Ambrelune d'avoir rejoint une grande ville avec une grande bibliothèque à disposition et des boutiques bien achalandées en ingrédients magiques de toutes sortes sans avoir à se téléporter. Il aurait aimé qu'on lui livre ses ingrédients dans sa boutique sans devoir attendre les colis ou payer un supplément pour qu'un livreur se téléporte jusqu'à eux. Plus que jamais, le jeune homme regrette de s'être établi dans cette petite île, même s'il la chérit et qu'il y a vécu toute sa vie. Une fois de plus, il se souvient qu'avant son accident magique, il avait pour projet de s'établir dans la capitale, il se rêvait sorcier attitré d'un grand personnage de la cour ou de la noblesse qui lui donnerait un bon salaire et lui laisserait le temps de créer les sorts de son choix. De nouveau, l'idée de s'établir à la capitale se fait lancinante mais cela signifie laisser Raya seule et il craint que tout ce qu'ils ont construit depuis deux ans parte en fumée et de voir leurs efforts réduits à néant mais il se sent las de toujours veiller à la bonne marche de la boutique, il aspire à plus de stabilité professionnelle et à un environnement plus propice au travail. Incapable de dormir, le sorcier se lève et il se rend dans le laboratoire pour se confectionner une infusion pour dormir, il y ajoute un soupçon de poudre de perlapinlapin dans l'espoir de parvenir à dormir un peu. Alors qu'il verse la poudre dans un gobelet, il entend l'eau chanter dans le chaudron, il se retourne pour prendre la louche afin de verser l'eau bouillante dans le gobelet quand il voit sa poudre de divination ; sortilège qu'il a créé pour se débarrasser des clients qui viennent pour des questions de divination qui le plus souvent l'ennuient. Le jeune homme hésite avant d'en déposer une pincée dans l'eau bouillante. Puis il boit lentement avant d'aller se coucher après avoir rangé le désordre qu'il a mis dans le laboratoire.
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