Quelques semaines plus tard, une lettre annonce enfin le retour de Rune. La mission diplomatique a été un succès, il a parcouru la fédération en tous sens et vu des choses merveilleuses qu'il a hâte de leur raconter. Il leur annonce également qu'il a décidé de mettre son courage à l'épreuve et de mettre son épée au service du roi et de la reine dès son retour. Ses trois amis concluent qu'il risque de ne jamais revenir vivre avec eux sur l'île et que son retour sonnera sans doute comme un adieu.
Un jour, Rune revient enfin, il toque timidement à la porte et il est chaleureusement accueilli par ses amis. Lorsqu'il leur annonce qu'il maintient son projet de départ, ses amis tentent de l'en dissuader mais il leur dit qu'il veut se dépasser et que sa décision est prise. Après quelques jours de repos, il les quitte de nouveau pour rejoindre un champ de bataille sur lequel il est affecté en qualité de sorcier. Ses amis se rassurent à l'idée qu'il sera relativement à l'abri car les sorciers sont précieux même ceux au bas de l'échelle comme lui qui n'a que son B.O.U.M. d'autant plus qu'au vu de son faible niveau, il sera sans nul doute affecté à l'arrière à des tâches subalternes et qu'il leur a promis d'écrire.
Un matin, ils reçoivent une lettre où le jeune garçon leur raconte en détail comment il a créé une drôle de créature qui tient de la chauve-souris. Elle était tellement grande qu'elle a mis fin à la guerre car les armées se sont liguées contre elle pour la tuer et ont décidé qu'après avoir travaillé main dans la main, il leur est difficile de continuer à se battre et qu'il vaut mieux trouver un compromis. De nouveau libre, car le royaume est en sécurité, il sera bientôt de retour mais il souhaite aller se promener vers l'archipel des perles rouges tout au nord-ouest de la mer de Muir dans l'île de Sorona car il a entendu dire qu'un étrange tableau s'y trouve. Il leur promet de leur donner des nouvelles et de revenir très bientôt.
La vie sur l'île de Lathi se poursuit, monotone, entre potions et promenades sur l'île. Souvent ils parlent de Rune et ils s'interrogent sur ce qu'il a vraiment en tête et quand il reviendra, s'il revient.
Les semaines passent, pleines d'angoisse jusqu'à ce qu'ils reçoivent une lettre du jeune garçon qui leur dit que dans l'île de Cinabre dans l'archipel des perles rouges, il a trouvé un tableau de Falba Slikar. La peinture trône dans la salle à manger de la maison du gouverneur de l'île qui l'a reçu à dîner. L'homme de haute taille à la fine moustache rousse le reçoit à dîner sur l'insistance de sa femme, petite personne mince aux longs cheveux frisés d'un blond presque blanc sur de grands yeux émeraude. Dans la grande maison de bois peint en blanc au milieu d'un immense jardin envahit de plantes exotiques, le jeune garçon se sent mal à l'aise mais les deux jumeaux du gouverneur, un garçon et une fille à peine sortis de l'adolescence se montrent curieux de ses voyages ce qui le met à l'aise. Le tableau représente une plage de sable turquoise bordée par une mer violette. Au loin, le soleil se couche à l'horizon et on ne voit sur les bords de la plage que des arbres aux feuilles vert tendre avec des fleurs noires. Rune leur dit qu'il aurait aimé se rendre sur cette plage et que le tableau l'aurait volontiers aspiré mais il s'est repris et il s'est éloigné de la toile, à regret car il était l'heure de passer à table et il n'aurait pas voulu se montrer impoli auprès du gouverneur. Une fois tout le monde couché après une fort agréable soirée, il leur raconte être descendu à pas de loup pour s'approcher du tableau. Face à la toile, il s'est senti irrésistiblement aspiré et il est certain que s'il l'avait voulu, la toile l'aurait attirée dans son monde. Avec un frisson, il est remonté se coucher et il s'est endormi des rêves plein la tête. L'île en elle-même n'a rien de passionnant mais il admet que ses perles sont magnifiques. Elles vont d'un rouge de feu à un rouge tendre comme un bouton de rose.
Rune s'interroge sur la vie de soldat qui l'attend et il n'est pas certain d'avoir fait le bon choix. Peut-il seulement démissionner ? Sera-t'il considéré comme déserteur, lui le héros du royaume qui a participé à sa délivrance ? Il n'ose y croire, mais il se souvient de la marque des héros et il l'observe longuement. « Je ne la mérite plus. » se dit-il et cette idée la rend triste, il sait confusément qu'il a fait erreur et que sa place n'est pas ici ni auprès de ses amis mais il ne saurait dire où. Peut-être dans un autre monde, qui sait ? Mais quel monde ? Et comment y accéder ? Et que cherche-t'il ou que cherche-t'il à fuir ? Incapable de répondre, il hésite à renoncer et à faire marche arrière mais il sait qu'il est trop tard, il sera considéré comme déserteur et il le paiera cher. Se satisfera-t'il d'une vie d'explorateur ? Il ne le sait pas mais il sait seulement qu'il a besoin de changements et de se prouver qu'il saura faire les bons choix... même si cela implique de vivre loin de ses amis.
Il sait qu'il va les décevoir et puis où aller si les choses ne tournent pas comme il le souhaite ? Et ses parents ? Ils ne sont déjà ni enchantés ni rassurés de le savoir si loin sans moyens de communication , il ne se voit pas ne pas les prévenir mais il craint leur réaction et leur inquiétude. Mais s'il ne leur dit rien pour ne pas les inquiéter et que les choses tournent mal ? Sait-il d'ailleurs seulement à quoi il s'engage ? Et s'il se montre lâche et qu'il veut quitter l'armée, le laissera-t'on faire ? S'il se trouve en première ligne ? S'il doit tuer ?
- Je n'avais pas pensé à tout ça mais c'est le moyen le plus rapide de me prouver que je vaux quelque chose.
Hésitant sur la décision à prendre, Rune sort pour marcher et réfléchir ; seul sur la plage, il regarde la mer qui l'appelle et il se demande quel besoin il a de partir. Au fond, il peut se téléporter n'importe où dans le royaume comme il le souhaite « Ce n'est pas la même chose » lui murmure une voix au plus profond de son être. « Non, mais ça pourrait suffire » « Combien de temps ? ». Il n'a pas de réponse à cette question et il admet que rester ne fera que reculer l'échéance. Mieux vaut qu'il parte maintenant en espérant que ses envies de vastes espaces et de gloire s'épuisent face à la réalité d'une campagne militaire. Puis il reviendra sur l'île, là où est sa place, là où il a ses seuls amis. Et ceux qui sont devenus sa famille. Il rentre un peu apaisé pour ne pas être en retard pour le dîner au risque d'inquiéter ses amis pour rien. Du moins, pour rien pour le moment. Il sait que la question se reposera tôt ou tard mais repousser son choix dans un avenir plus ou moins lointain lui permet de ne pas prendre de décision ferme. Pas tout de suite, plus tard.
De retour dans la petite maison de Raya où ses amis se sont réunis, il s'attable en bredouillant quelques mots d'excuses mais personne ne lui pose de questions. Andrea le sert sans rien dire après l'avoir observé un instant avec intensité comme si le sorcier cherchait à sonder son âme et ses pensées.
- Mon dieu, faites qu'il ne sache pas lire dans les pensées. Il en serait bien capable doué comme il est. Je suis sûr que des sortilèges existent pour ça et qu'il s'en servirait à l'occasion. Non, je le surestime, il faut une magie puissante pour ça, je suppose du moins.
Mais le jeune garçon se rassure en voyant que son ami se désintéresse de lui et se joint à la conversation des filles qui parlent de leurs meilleurs souvenirs d'école en riant, il écoute d'une oreille distraite pour se changer les idées.
- Vous ai-je raconté le jour où j'ai créé des rats bleus en cours de science ? Ils ont sauté partout dans la classe après avoir avalé une poudre de ma composition et tous les élèves ont fui en hurlant avant de fermer la porte quand ils ont voulu jouer avec eux. Le professeur les a paralysés et détruits.
- C'était donc toi ? demande Andrea en reposant sa cuillère pleine de ragoût dans son bol avant de la regarder les yeux fixes et la bouche ouverte.
- Oui, têtard comment le sais-tu ?
- Justement, il y a eu une enquête et on n'a jamais su qui avait fait ça. Même si à y réfléchir, ça te ressemble bien.
- J'ai été discrète, je ne voulais pas finir en retenue, mes parents m'en auraient voulu. dit la sorcière en lissant ses cheveux mauves et en riant au souvenir de ce jour mémorable.
- Ou pire. se retient de dire Andrea qui replonge dans son assiette pour ne pas poursuivre cette conversation.
Mais Raya ne remarque rien et elle continue son récit de ses exploits passés.
- Un jour, j'ai accidentellement jeté un sort à des flocons de neige. Il neigeait ce jour-là et je suis sortie pour regarder cette pluie de confettis blancs qui tombaient du ciel. Les étoiles commençaient à se lever et j'ai eu une idée. J'ai pensé à des lucioles et je me suis dit que je pourrais transformer les flocons de neige en lucioles, que ce serait joli.
- Tu avais quel âge ? questionne Andrea, intéressé.
- J'avais seize ans, je crois.
Un silence s'abat et la sorcière ne dit rien.
- Et ensuite ? questionne le sorcier en la regardant.
- Ensuite ? Je ne sais pas bien ce que j'ai fait mais j'ai transformé la tempête de neige en aurore boréale, c'était très joli mais j'ai eu du mal à... à remettre les choses dans l'ordre. bredouille Raya.
Elle regarde vers sa moitié-magique qui s'étouffe de rire dans son bol et elle soupire.
- Bon, têtard, on a du travail, je crois. dit-elle en quittant la table.
Redevenu sérieux, le sorcier aux cheveux vert émeraude soupire. Il vient de se souvenir qu'il n'a pas fait la potion de guérison des ongles incarnés pour un client qui vient le chercher le lendemain à la première heure. Cette idée ne l'enchante guère et il se demande s'il ne pourrait pas confier à Raya une recette tirée d'un grimoire de magie élémentaire.
- Je n'ai pas fini la recette contre les ongles incarnés de monsieur Verdegris. Il n'y a rien de spécial, je crois que tu trouveras une recette dans un de nos grimoires dédié aux soins courants. Tu pourrais t'en occuper ?
- Bien sûr, têtard. dit Raya, au fond, fière qu'il lui fasse confiance.
- Tu suis la recette à la lettre, compris ? s'inquiète le jeune sorcier. Pendant ce temps-là, je vais faire les comptes et donner un coup de balai dans le laboratoire.
Un peu nerveux, le sorcier tente de ne pas regarder par-dessus l'épaule de sa moitié-magique pour avancer sur ses travaux et il attend le cœur battant, un long moment. Raya lui tapote l'épaule et il se retourne vivement, inquiet d'avoir quitté des yeux la paillasse de la jeune femme trop longtemps.
- J'ai fini ! dit la sorcière, un air de triomphe sur le visage.
Le jeune homme se retient de la questionner pour s'assurer qu'elle a bien fait ce qu'il lui avait demandé et il s'avance vers la potion. Il note avec agacement le désordre de la paillasse mais il ne dit rien. Il examine la mixture mais la texture et l'odeur lui semblent engageante, il jette un œil à la feuille sur lesquelles il avait inscrit ses notes mais elle ne comporte que son écriture.
- Où as-tu noté la formule que tu as utilisé ? demande-t'il en cherchant le parchemin.
- Inutile, j'ai tout en tête. lui répond Raya d'un ton tranquille.
Le sang du sorcier ne fait qu'un tour mais il se retient de crier sa rage. Il prend le récipient dont il jette le contenu avant de laver les ustensiles souillés sous les yeux médusés de Raya.
- Recommence, note ta formule et pas d'approximation. Il ne faudrait pas que notre client se retrouve avec les pieds couverts de poils rose frisés qui sentent la rose comme madame Chocon le mois dernier. dit-il d'un ton sec en désignant le papier. Raya, je suis désolé mais je ne peux pas tout faire. Suis la formule, d'accord ? C'est une mixture simple, tu ne devrais pas avoir de soucis. Toutefois, une liste d'ingrédients ne font pas un remède efficace, tu le sais.
La sorcière grommelle des mots incompréhensibles et le sorcier choisit de se taire, son ton sec marque son agacement et il sait que la colère risque de le submerger.
- Je dois repartir ! dit Rune en entrant dans le laboratoire. Je vous donnerai des nouvelles.
Ses deux amis l'embrassent et ne posent pas de questions en voyant le jeune garçon s'éclipser aussitôt. Andrea jette un regard vers sa moitié-magique qui boude visiblement et il lui propose d'une voix plus douce de demander de l'aide à Ambrelune afin de lui apprendre cette recette. La sorcière sourit et elle quitte la laboratoire à la recherche de son ami sous le regard insistant du sorcier, un peu rassuré, il sait qu'Ambrelune est une élève appliquée et qu'elle ne gâchera pas des ingrédients par des approximations. Quelques minutes plus tard, il entend les deux femmes rire et il tourne la tête. Ambrelune a décrété qu'elles doivent peser les ingrédients avec précision et il la regarde un moment faire sans rien dire. La jeune fille questionne Raya avec patience afin de la canaliser et toutes deux semblent bien parties pour réussir leur recette. Soulagé, le jeune homme se remet à son travail en écoutant malgré tout la conversation qui se tient quelques pas derrière lui. Lorsque sa moitié-magique lui présente la recette qui lui semble correctement exécutée avec un sourire de triomphe, il félicite les deux jeunes filles de leur travail, soulagé de voir que la cliente sera satisfaite de leur travail.
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