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« Mers chers amis,

l'expédition se passe bien et nous sommes arrivés en vue de Muir. Saviez-vous que dans ces îles se trouvent des perles merveilleuses de presque toutes les couleurs ? C'est un riche royaume insulaire composé de plusieurs archipels et de quelques bandes de terres rattachées à notre royaume. Le climat y est tropical et il rappellera à Ambrelune les mers du sud de notre monde. Mais revenons à ces perles, je crois n'avoir rien vu d'aussi beau. J'ai appris que ces perles devenues fort rares chez nous coûtent une fortune ce qui n'était pas le cas autrefois. La reprise du commerce avec le royaume de Muir devrait les rendre de nouveau abordable. Toute l'économie du pays repose sur ces perles, je n'ose imaginer si une maladie ou un cataclysme devait les décimer. Ce pays est presque uniquement tourné vers la mer, ce qui est logique car il ne possède que peu de terres émergées. Je pensais me lasser du poisson et des fruits de mer mais il n'en est rien tant ils sont divers et les recettes et modes de préparation sont infinis. On y trouve également des fruits et des coquillages d'une beauté qui éclipse parfois leur dangerosité. 

Autre nouvelle j'y ai trouvé un tableau de Falba Slikar qui représente un pays inconnu dont les couleurs ne sont pas les nôtres. Je n'ose imaginer vers quel pays il pourrait entraîner celui qui y serait aspiré. A part ça, j'ai trouvé des poudres de perles, j'ignore leurs propriétés mais il s'en vend un peu partout. On m'a dit qu'elles proviennent de perles cassées ou non arrivées à maturité. Ce qui est drôle, c'est que les huîtres d'ici forment de grosses perles rondes lorsqu'un débris vient les déranger. En quelques jours, elles forment une perle de nacre colorée selon l'espèce d'huître qui a avalé le débris qu'elles recrachent. C'est pour cela que l'on trouve parfois des perles parfaites en se promenant sur les plages. Mais la plupart se trouvent à grande profondeur car c'est là que vivent ces huîtres si particulières et la difficulté à les atteindre explique leur prix. On m'a dit qu'il est fréquent que les huîtres avalent des débris de cailloux ou de coquillages, les perles n'ont donc rien de rare ou d'exceptionnel.

Le roi et la reine de ce pays sont tout à fait charmants et ils ont accueilli notre délégation avec empressement et intérêt.

J'espère que tout va bien chez nous et que les études d'Ambrelune se passent bien.

Amicalement.

Rune»

La lettre de Rune les soulage, il est arrivé à bon port et il leur donne envie de se rendre dans les pays qu'il traverse. L'ouverture des frontières va leur permettre de se téléporter sans danger un peu partout dans la fédération ce qui semble irréel à Ambrelune. Déjà qu'elle avait du mal à imaginer passer d'un lieu à l'autre de Berethiel-Nienor en un instant, pouvoir voyager dans la fédération lui semble irréaliste. Et elle comprend mieux pourquoi Rune lui a dit à de nombreuses reprises qu'elle devrait apprendre à mieux connaître la géographie du pays où ils vivent, elle comprend qu'il est dommage que depuis une année, ils se soient cantonnés aux frontières du petit royaume.

- Mais avec le travail, le quotidien, ce n'est pas évident. se dit-elle.

Sur ces entrefaites, les partis se sont formés et ils ont commencé à monter leurs projets. Partout, les habitants sont sollicités pour donner leur avis. Ambrelune s'amuse de voir la population se prêter au jeu, elle imagine qu'il a dû en être ainsi lorsque la république a fait place à la royauté dans de nombreux pays. Elle se sent spectatrice d'une page de l'histoire qui se tourne.

De plus en plus souvent, Ambrelune aide Andrea à élaborer de nouvelles formules afin de répondre aux problèmes posés par les clients du magasin. Elle rechigne à cet exercice mais il estime cet exercice nécessaire et particulièrement formateur. Il passe bien du temps à corriger ses formules et ses potions mais il est heureux de ses progrès même si Ambrelune fait son possible pour éviter cette corvée car le sorcier ne lui passe rien. Elle passe ses journées à peser, piler, mélanger, cuire des ingrédients pour satisfaire les clients. L'élaboration des potions et sortilèges l'amuse tout comme la préparation mais il y a une énorme différence entre réaliser un sortilège pour résoudre un problème personnel de temps en temps et passer ses journées à tenter de résoudre ceux de ses clients et de risquer de les décevoir. Elle mesure peu à peu la responsabilité qui est la sienne tant pour la santé que pour la destinée de ses clients. La magie est un art dangereux et elle en vient à songer souvent qu'elle préfère de loin la sécurité de la pharmacie qu'elle connaît dans son monde. Il y a peu de risques à avaler un médicament fabriqué dans une usine à la chaîne selon une recette standardisée et toujours identique mais une potion faite sur mesure artisanalement ? Si le sorcier a confondu deux ingrédients, mal étiqueté un pot ou s'il s'est trompé dans les doses ? Elle songe que ses préparations pourraient fort bien être mortelles ou tout au moins nocives pour ses clients. Aussi, elle s'applique à peser les ingrédients au gramme près et à suivre les recettes scrupuleusement pour ne pas se trouver responsable de la mort de quelqu'un. D'autant plus qu'Andrea lui fait parfois manipuler sous son étroite surveillance des poisons et d'autres substances que son diplôme lui interdit normalement de toucher. Il rit de sa peur et il estime qu'elle doit apprendre dès maintenant à maîtriser ses gestes et à utiliser des substances dangereuses, faute de quoi, elle aura peur toute sa vie et elle n'arrivera à rien en magie. La jeune sorcière n'apprécie guère la plaisanterie mais elle se plie à ses exigences. Elle n'a pas oublié son projet de reprendre ses études en cycle court et elle sait que pour cela, elle doit maîtriser sur le bout des doigts des notions que son B.O.U.M. ne lui a pas apprises. Elle doit profiter tant qu'elle le peut d'avoir du matériel, des ingrédients et un professeur à disposition pour avancer dans le programme de cette année à venir. Et du temps libre pour expérimenter et apprendre.

Raya de son côté confectionne des sorts plus ou moins réussis. Toutefois, elle est parvenue à créer des friandises que les enfants s'arrachent. Des caramels mous qui restent collés aux dents jusqu'à ce qu'ils aient fondus, des sucettes qui piquent la langue comme des orties, des chocolats fourrés à la liqueur tellement forte qu'elle brûle la gorge ou encore des araignées en réglisse qui bougent comme de vraies araignées une fois en contact avec la salive. Il faut rapidement les croquer pour qu'elles ne s'échappent pas en marchant le long des vêtements de celui qui par malheur l'a laissé échapper. Fort heureusement, elles sont fort lentes si elles entendent un rire et elles sont plus mignonnes qu'effrayantes. Elle a également créé des bonbons multicolores qui colorent la langue et les dents malheureusement de manière définitive mais elle ne désespère pas d'améliorer sa création. D'autres bonbons de sa création ne sont pas commercialisés car trop dangereux. Des sucettes ont le pouvoir de paralyser la langue durant une bonne dizaine de minutes, d'autres sucettes fondent en une masse visqueuse qui manque d'étouffer la personne qui la met en bouche si elle n'y prend pas garde. Ravie de voir ses produits se vendre merveilleusement bien, Raya se sent heureuse et à sa place ce qui ne lui est pas arrivé depuis bien longtemps. Elle a pris sa revanche sur ses camarades d'école et ses professeurs qui ne voyaient en elle qu'une catastrophe et un danger ambulants. Elle oublie qu'elle a passé son diplôme seule et presque en cachette comme une faveur faite par ses professeures et surtout le moment où ses amies lui ont tourné le dos. Sa peine s'envole enfin et elle oublie le passé pour se tourner vers l'avenir. Elle espère un jour ne plus être la sorcière effrayante mais la sorcière amusante. Ce rêve lui semble à portée de main lorsqu'elle voit les enfants inspecter ses confiseries le regard un peu inquiet mais les yeux brillants d'excitation. Et elle a envie d'inventer bien d'autres friandises aux propriétés particulières.

Extrait du grimoire de Raya

« Idées pour les enfants :

- fruits à croquer qui cherchent à mordre les lèvres

- graines à faire germer qui libèrent des insectes si on les arrose

- échasses assez hautes pour voir par-dessus les arbres« 

- Je me demandais si je ne pourrais pas me consacrer pleinement à la création de sorts divers... propose Raya au petit-déjeuner.

Le regard noir que lui lance Andrea la met mal à l'aise mais il se radoucit et il avale une gorgée de thé avant de lui répondre.

- Pour nous consacrer pleinement à nos recherches, il nous faudrait une personne pour tenir la boutique, gérer les comptes, les stocks et les relations avec les fournisseurs sans oublier les réclamations. Et nous n'avons pas les moyens de la payer. Pour l'instant. ajoute-t'il après un instant de réflexion.

-Dommage ! conclut Raya avant de changer de sujet.

Un peu plus tard, le jeune sorcier se rend dans le laboratoire où Ambrelune s'est glissée sans se faire remarquer.

- Bien où en es-tu ? demande Andrea en se tournant vers Ambrelune.

La jeune fille avait espéré qu'il l'avait oubliée mais il n'en est rien à son grand regret.

- J'ai un début de proposition. répond-elle timidement en cachant sa feuille derrière son dos comme une enfant prise en faute.

Elle se dit qu'elle est stupide d'avoir agi ainsi mais il est trop tard. Andrea glousse de rire en voyant sa réaction mais il choisit de se taire, restant la main tendue à attendre qu'elle se décide. Avec un soupir, Ambrelune finit par céder et lui donner la feuille que le sorcier lit en remuant les lèvres. De temps en temps, il lui lance un regard tantôt amusé tantôt consterné. Puis il prend une grande inspiration avant de rendre son verdict.

- Je suis d'accord pour la potion contre les pucerons de madame Ouistre. Le sort pour soigner les rhumatismes de ce pauvre monsieur Toulcan ne me dit rien de bon, le pauvre, je le plains sincèrement s'il recevait de tels soins, il y a de bonnes idées mais comment te dire les choses avec délicatesse ? Au mieux, ça le soulage un peu, au pire, il ne peut plus bouger tant il souffre de douleurs. Donc non, même si je suis d'accord pour le choix des ingrédients mais pas autant et pas comme ça. Pour le sort improvisé...

Le jeune homme marque une pause cherchant visiblement ses mots tandis qu'Ambrelune s'applique à rester impassible.

- L'idée de vouloir transporter de la musique est... mignonne même si je n'en saisis pas l'intérêt mais tu es libre donc je n'ai rien à dire.

- Dans mon monde, il existe des appareils qui permettent d'emmener de la musique avec soi. marmonne la jeune fille mal à l'aise.

- Intéressant.. Bref, non. Créer des ondes sonores comme ça, non. Tu obtiendras un bourdonnement léger au mieux. Créer un son structuré, encore moins. Bref, pas comme ça et je ne saurais te faire une proposition, je te l'avoue. Je crois que ça dépasse mes compétences. conclut le sorcier en lui rendant la feuille. Mais c'est un bel effort. dit-il en voyant son visage crispé.

Ambrelune sourit timidement avant de reprendre sa feuille.

De son côté, Andrea se demande s'il ne s 'est pas montré trop dur avec elle ; il a voulu la mettre à l 'épreuve et évaluer ce dont elle était capable mais il sait qu'il aurait dû la diriger un minimum. Face à sa paillasse où il teste un remède contre la fièvre chevaline, il fait semblant de ne pas remarquer le silence de la pièce.

- Ca va ? se risque-t'il à demander.

- Je n'y arriverai jamais ! couine la jeune fille, les larmes aux yeux.

- Bien sûr que si, tu t'es trompée, ça arrive à tout le monde. Et je t'ai demandé quelque chose de très difficile, tu sais ?

- Sans doute. Mais combien de temps me faudra-t'il pour achever ma formation ?

- Elle ne s'arrêtera jamais. répond Andrea avec un petit sourire. Tu ne cesseras jamais d'apprendre, d'expérimenter et d'inventer.