En maugréant, Raya les transporte dans la baie de Wyvre.
- Nous y voilà ! C’est joli, non ? Surtout la nuit !
- Merci mais que sommes-nous supposés faire ici ? demande Ambrelune qui ne comprend pas son allusion à la nuit qui ne permet pas d’admirer le paysage.
- Je vous ai rapprochés, ce n’est pas à moi de vous dire où vous allez. Bon voyage et au revoir !
- Attends Raya ! Que risquions-nous à boire l’eau de la cascade du destin ?
- Ben, de connaître ton avenir, quelle question ! dit la sorcière d’un ton sarcastique en mettant ses poings sur les hanches.
- En quoi, est-ce mal ? demanda la jeune fille, décontenancée.
- Tu veux savoir ce qui t’arrivera ? L’heure de ta mort ? Avec qui tu vas te marier ? Quel intérêt de vivre si on sait tout d’avance ?
- Mais il serait possible d’influencer le cours du destin, non ?
- J’ai essayé, crois-moi, le destin ne bascule que quand il le veut bien. En plus, cette eau est gelée à ce que l’on dit, même s’il paraît que son goût est divin.
- Des gens y ont donc bu ?
- Oui et par un étrange hasard, ils se sont tous noyés dans le bassin sous la cascade. Va savoir ce qu’ils ont appris…Je dois y aller, Acédie, euh mon têtard, je veux dire Andrea m’attend.
- Merci Raya, nous reviendrons peut-être te voir un de ces jours, disent-ils d’une seule voix. Si tu le veux bien.
- Moui, peut-être. Je n’ai pas l’habitude des gens. Je n’ai pas d’amis, sauf Andrea évidemment. Dans un éclair de gentillesse extraordinaire, j’aurais volontiers lavé vos effets, mais ma machine à laver a tendance à salir le linge.
- Tiens, c’est mon adresse et mon numéro de téléphone dans mon monde. Tu es une sorcière alors si tu viens par chez nous, viens nous voir.
- Tu sais, mon petit, j’ai eu mon B.O.U.M., pardon, mon brevet de l’ordre universitaire magique, parce que l’université voulait se débarrasser de moi en ne me faisant pas redoubler. Mais je m’améliore !
- Andrea t’aidera. dit Rune en riant.
- Oui, il est doué ce petit têtard. Il a quand même fini par me faire comprendre qu’il était un problème à résoudre. Bon vent !
En un instant, Raya a disparu.
- Elle nous a abandonnés ! Je n’en reviens pas ! s’exclame Rune. En même temps, elle n’avait pas l’air si gentille que ça. Bon, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? En plus, il doit être près de midi et je commence à avoir faim.
- Nous pouvons toujours aller vers cette montagne. Ce volcan qui a l’air éteint.
Les deux voyageurs hésitent, le volcan semble éteint mais l’est-il vraiment ? Il est à trois heures de marche à vue d’œil et ils ne savent pas ce qu’ils vont y trouver. Perdus, ils observent le paysage alentour. Après une âpre discussion, ils décident de se rendre au volcan éteint pour se faire une idée de l’endroit, la curiosité l’emporte.
Au terme d’une agréable marche dans une prairie où ils n’ont croisé que des lapins et des oiseaux, le duo arrive en vue du volcan.
- Bon, quand il faut y aller, il faut y aller ! dit Rune.
Peu à peu, l’étendue d’herbe se change en un terrain boueux. Lorsqu’un cri leur glace le sang en provenance de la baie, ils observent le rivage au loin et aperçoivent une chauve-souris dont le corps de la taille d’un lapin adulte semble pourvu de longs tentacules velus. Sans demander leur reste, les adolescents courent droit devant eux sans un mot. Un marécage nauséabond succède à la prairie, leur but se rapproche. Epuisés par plus de trois heures de marche, ils cherchent un endroit où se reposer mais ils ne trouvent pas d’îlot suffisamment ferme pour s’y attarder. Ils constatent, en outre, avec horreur que s’ils s’arrêtent plus de quelques minutes, ils s’enfoncent à grande vitesse dans la vase qui émet un bruit de succion et semble les attirer vers le fond. Avec une grimace de dégoût, ils se décident à avancer jusqu’à épuisement.
Enfin, le volcan éteint est en vue et ils se reposent sur ses pentes, un peu inquiets. Peu à peu, le climat a changé. De chaud et humide mais agréable, il est devenu très chaud et très sec, le soleil semble s’abreuver de leur sueur et l’eau vient rapidement à manquer. Ils trouvent quelques sources qui se font de plus en plus rares au fur et à mesure de leur avancée.
Alors qu’ils se reposent, Ambrelune montre du doigt une cabane délabrée au loin. Epuisés, ils reprennent leur route, reconnaissants au destin de les avoir menés en vue de cette cabane qui les dispense d’entamer l’ascension de la montagne. Durant cette halte, ils mangent les sandwichs que Raya et Andrea leur ont fournis, ils ne parviennent pas à définir ce qu’ils contiennent mais après réflexion, ils décident de ne pas chercher à en savoir plus. Une demi-heure plus tard après plusieurs détours à cause de la végétation, ils frappent à la porte de la cabane.
- Bonjour, que puis-je pour vous ?
Un homme leur fait face, son regard avide les détaille longuement lorsqu’ils entrent.
- Bonjour, nous nous reposions près de votre cabane et nous avons jugé impoli de ne pas venir vous dire bonjour, commence Ambrelune.
- Je vois. Vous n’avez donc pas peur de Gurloës, le sorcier de la montagne fumante.
- Non, pourquoi ?
- Entrez donc mes amis, dit le sorcier d’un ton obséquieux. Vous n’êtes pas d’ici.
- Quelle importance ?
- Parce que vous êtes en mon pouvoir, jeune homme ! Inutile de tenter de fuir, la porte est verrouillée. Je vais faire des potions merveilleuses grâce à votre sang venu d’ailleurs, dit le sorcier en frétillant de plaisir. Et si je m’y prends bien, je vais devenir roi !
Interdits, les deux adolescents reculent et se trouvent bientôt bloqués contre la porte.
- Pour ce genre de potions, il faut du sang royal. C’est d’ailleurs l’ingrédient principal.
- Comment le sais-tu, jeune fille ?
- Je suis une très grande sorcière dans le monde d’où je viens. Une sorcière de niveau cinq qui maîtrise les cinq arcanes lunaires, solaires, terrestres, stellaires et opalescentes.
Rune profite de la stupéfaction de leur ravisseur qui réfléchit à ses paroles pour lui asséner un coup de poing dans la mâchoire qui l’envoie contre une table. Assommé, il ne bouge plus.
- Bien joué ! On a eu de la chance sur ce coup-là ! On file, déclare Ambrelune. Surveille-le, je fais le tour pour voir ce qu’on peut voler. Quoi ? Pourquoi me regardes-tu ainsi, c’est un dédommagement pour le préjudice moral qu’il nous a causé !
- Fais vite dans ce cas !
Quelques minutes plus tard, ils fuient avec des provisions et deux grimoires qu’ils ont pris sans réfléchir. Ils courent droit devant eux vers des montagnes, ils ont besoin de solitude pour prendre la meilleure décision. Ils marchent durant trois jours en essayant de passer inaperçus. Mais ils croisent peu de voyageurs sur les grands axes, ce qui les conforte dans leur choix. Peu à peu, le terrain monte et la température descend ce qui les réjouit, ils approchent de leur but. Durant des heures, ils marchent dans le froid et la neige qui se fait de plus en plus présente. Ils se disent qu’ils sont fous et qu’il est temps de rebrousser chemin lorsqu’ils aperçoivent une maison devant eux. Ils n’ont pas le choix, une tempête de neige se prépare. Ils ont passé la dernière dans un igloo de fortune fait de glace, ils sont gelés car ils n’ont pas les vêtements adaptés et c’est sans réfléchir qu’ils courent vers la maison. Abandonnée, la maison de bois leur paraît accueillante et inhabitée depuis quelques temps. Transis de froid, ils décident de fermer tous les volets pour se protéger du froid et ne pas éveiller la curiosité d’un habitant de la région. Enfin, ils font un feu dans le poêle à bois puis chauffer de l’eau pour de rapides ablutions dans un baquet avant de se changer. Réchauffés, leurs estomacs se rappellent à eux et ils se servent dans le garde-manger bien garni.
- Cette maison semble abandonnée depuis des lustres. dit Ambrelune après une rapide inspection. On dirait que les habitants ont fui. Il y a un tas de déchets dans la buanderie.
- On peut toujours aller regarder, ce ne sera pas du vol, vu qu’ils allaient jeter tout ça. répond son compagnon.
Avec un haussement d’épaule, elle lui emboîte le pas. Des effets sont entassés parmi des déchets alimentaires momifiés, des objets et des meubles cassés. L’odeur n’a rien de particulier, ils estiment que la pièce est vide depuis assez longtemps pour avoir chassé l’odeur de pourriture. Ils récupèrent une toile qui pourra de tente de fortune, des ustensiles de cuisine, des livres de contes et légendes de la région, des couvertures chaudes et légères, des bottes ainsi que le nécessaire pour faire du feu.
Plus tard, le ventre plein, ils s’installent dans une chambre à l’étage après avoir pris soin de fermer tous les rideaux de la maison pour masquer leur présence de l’extérieur. Par prudence, ils ont baissé le poêle au minimum pour limiter la fumée qui pourrait intriguer un improbable passant. Epuisés, ils s’endorment immédiatement.
Le lendemain matin, reposés par leur nuit dans un vrai lit, ils fouillent de nouveau la maison et concluent qu’elle est abandonnée depuis longtemps. Ils ajoutent à leur butin une carte du pays qu’ils examinent en prenant leur petit déjeuner. Après concertation, ils décident de quitter la chaîne de montagne des Élondianes où ils se trouvent pour tenter de revenir vers la porte par laquelle ils sont entrés en longeant la côte qu’ils espèrent tranquille. Ils estiment leur périple à quatre jours de marche forcée. Mais la perspective de retrouver un climat plus clément est une source de réconfort. Peu enclins à quitter leur nid douillet malgré les risques, ils s’accordent une journée de repos supplémentaire qu’ils passent à lire et à parler de leur avenir. Pourront-ils rentrer un jour chez eux ?
Le jour prévu, après avoir nettoyé la maison en dédommagement de ce qu’ils ont pris, ils partent à l’aube par crainte d’être remarqués. Ils ferment soigneusement la porte de leur éphémère logis et marchent d’un bon pas en espérant prendre la bonne direction. Ils suivent la chaîne de montagne sans savoir à quel moment bifurquer, ils n’osent pas entrer dans les rares villages qu’ils voient sur leur chemin. Après avoir comparé leurs estimations basées sur la carte, ils décident de poursuivre durant deux jours avant de s’éloigner de la montagne, ils l’espèrent, pour rejoindre la mer et un climat plus clément. Peu à peu, ils atteignent la vallée et la neige se fait plus rare, la température se radoucit. Vêtus à la mode du pays, ils saluent gaiement les personnes qu’ils croisent de plus en plus souvent dans l’espoir de ne pas se faire remarquer s’ils tentent de passer inaperçus.
En quittant les montagnes, ils s’accordent une journée de repos dans un bois. Ils ramassent des noisettes, des mûres et des champignons qui complètent leurs provisions avant de se promener sous les arbres en quête d’un lieu où faire une halte. C’est là que des soldats les surprennent et les assaillent.
- Nous recherchons des étrangers.
- Nous venons des montagnes d’Élondianes, nous n’avons croisé personne de suspect.
- Dans ce cas, vous ne verrez pas d’inconvénient à nous suivre.
- Non, bien évidemment.
Ambrelune foudroie Rune du regard. Ils partent avec les soldats qui les emmènent jusqu’à un poste de police hâtivement construit avec des planches où on les interroge. Ils disent habiter au pied de la montagne fumante, près de la maison d’un sorcier étrange, Gurloës, dans l’espoir que les soldats ne connaissent pas la région.
- Que faisiez-vous chez ce vieux fou ? Il est connu de tout le pays.
- Nous voulions être moins souvent malades pour servir au mieux le roi et la reine.
- Tu n’as pas vu d’étrangers ou des gens habillés bizarrement, petit ?
- Non, dit Rune.
- Et toi ?
Ambrelune secoue la tête pour dire que non, elle n’a rien vu.
- Filez, vous deux !
Ce qu’ils s’empressent de faire.
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