Les deux adolescents avancent prudemment sur un large chemin de terre battue. Autour d’eux, ils ne voient pas âme qui vive, ils sont entourés de prairies qui font place, à la mer d’un côté et de l’autre, une forêt luxuriante. Intrigués et inquiets, ils regardent autour d’eux et Ambrelune les fait même s’arrêter quelques minutes pour écouter les sons alentour. Ils n’entendent que le bruit de la mer dans le lointain et les oiseaux gazouiller dans les arbres. Ils avancent sur un large chemin qui n’est guère fréquenté même s’il semble pourtant un lieu de passage comme en attestent les traces de sabots et de roues.
Au bout de deux heures de marche, ils parviennent à la porte du château après un arrêt pour se rafraîchir à l’ombre des arbres.
- Psst ! Venez par ici, vite !
Ils se regardent en voyant un paysan leur faire signe d’un air affolé. D’un hochement de tête, ils décident d’un commun accord d’aller lui parler. Il les ramène sous le couvert des arbres.
- Vous êtes fous ou quoi ? Vous voulez vous faire tuer ?
- Pourquoi donc ?
- Vous venez d’ailleurs, n’est-ce pas ? Vous venez pour nous sauver, non ?
- Nous venons, en effet d’ailleurs, continue Rune, mais de quoi voulez-vous être sauvés ?
- Le roi de ce pays est un tyran sanguinaire. Une prophétie nous a appris que des étrangers viendraient nous sauver et…
Un sifflement suivi d’un gargouillis les fait sursauter. Une flèche venue de nulle part s’est plantée en travers de la gorge du paysan qui leur fait signe de fuir, ils savent qu’il est condamné et ils fuient sans demander leur reste alors que des soldats n’arrivent. Ils courent dans la forêt droit devant eux puis ils finissent par monter sur un arbre pour conserver leur avance. Avec des morceaux de bois qu’ils lancent au loin, ils font suffisamment de bruit pour tromper les soldats en armure qui leur courent après. Aussitôt la troupe passée, pour se mettre hors de portée des soldats, ils s’enfoncent dans la forêt perpendiculairement au trajet de la troupe même s’ils savent qu’ils courent un risque. Ils n’ont pas le choix car ils ne peuvent revenir en arrière ou vers le château. Ils courent durant des heures et peu à peu, les cris des soldats se font plus rares jusqu’à disparaître. Soulagés, ils s’arrêtent enfin pour se reposer.
Alors seulement, ils se souviennent du paysan tué sous leurs yeux. En larmes, ils laissent leurs émotions sortir et ils parlent de l’horreur qu’ils viennent de vivre alors que la nuit commence à tomber. Il leur faut repartir, ils ne songent qu’à trouver un abri et un point d’eau dans l’immédiat. Après une heure de marche dans la nuit de plus en plus sombre, ils trouvent une source qui leur permet de s’abreuver et de faire une halte.
- Nous ne savons même pas où nous allons, déclare Rune avec un soupir.
- Je sais mais nous ne pouvons retourner au village. Pourtant, ces gens semblaient nous connaître, nous pourrions y trouver des alliés. continue Ambrelune.
- A moins que ce ne soit un piège ! Je propose que l’on cherche de quoi manger et des vêtements, histoire de passer inaperçus et d’avoir des provisions pour marcher. On pourrait visiter un peu ce pays.
- Nous devons retrouver le village, il y a des lumières par là. C’est notre meilleure option, même si cela signifie que nous avons tourné en rond.
Ils entrent dans le village mal éclairé, quelques chiens aboient à leur passage mais des clôtures de bois les protègent. Ils volent des habits qui sèchent dans plusieurs jardins en espérant pouvoir se vêtir à la mode du pays. Ils se décident à entrer par une fenêtre ouverte après avoir dérangé un chat errant qui fouillait dans une poubelle et ils y volent un sac, une gourde, un couteau et de la nourriture avant de rejoindre les bois. Au matin, ils se lavent à une rivière et étalent leur butin.
Après leurs ablutions, ils examinent leur prise. Ambrelune a le choix entre une longue robe fluide à manches longues vert émeraude ou la même robe d’un beige clair doré à manches courtes ornée d’une ceinture noire et d’un large col de dentelle. Elle estime que la deuxième est plus discrète accompagnée d’une longue cape noire à capuche.
- Tu me trouves comment ? demande Rune en arborant un costume trois pièces gris clair assorti d’une chemise blanche et d’une cape noire à capuche.
- Très élégant, allons-y !
Le cœur battant, ils entrent dans la ville, un peu inquiets que leur mise les fasse remarquer et que le propriétaire des vêtements reconnaisse ces derniers. Mais ils se fondent parfaitement dans la masse colorée vêtue de semblable manière. Ils notent qu’ils paraissent appartenir à une classe aisée de la société mais ils ne dénotent nullement dans l’immense marché qu’ils traversent. De petites maisons de pierre claire côtoient des édifices de pierre sombre en un charmant mélange. Ils essaient de ne pas regarder autour d’eux d’un air trop curieux et de marcher droit devant eux en faisant semblant de connaître leur destination. Bientôt, ils se rendent compte qu’ils sont arrivés à la sortie du village et qu’un château se dresse au loin.
- Peut-être que nous devrions aller au château pour savoir où nous sommes tombés ?
- Ce n’est pas une bonne idée, jeunes gens.
Ils se retournent pour faire face à une vieille femme voûtée cachée par une grande cape noire à capuche.
- Pourquoi ? demandent-ils d’une seule voix.
- Un sorcier y vit. Tout le monde le sait !
- Nous ne sommes pas d’ici.
- Pas d’ici ? rit la vieille femme. Vous voulez dire que vous venez d’un autre monde ?
- En quelque sorte, dit Rune qui se voit aussitôt gratifié d’un coup de coude dans les côtes.
- Suivez-moi, il n’est pas prudent de rester dans ces parages.
Après s’être consulté du regard, ils se décident à suivre leur interlocutrice.
- Venez, venez, suivez-moi de manière discrète, je ne voudrais pas que l’on nous remarque ou que l’on me voit en votre compagnie.
Les deux jeunes gens suivent la vieille femme à distance et ils craignent plusieurs fois de la perdre mais ils la retrouvent toujours. Enfin, elle entre dans une maison et elle s’empresse de refermer la porte du logis dès qu'ils l'ont passée.
- Je m’appelle Roséliande et je suis une fée victime d’une malédiction. Condamnée voilà soixante ans, je vieillis comme une humaine et ma vie touche à sa fin, dit la femme voûtée aux longs cheveux gris et aux yeux d’un bleu céleste. Vous n’êtes pas de ce monde, n’est-ce pas ? Ne niez pas, je le sens.
- En effet, répond Rune en la regardant dans les yeux pour mieux se fier à son intuition. Il lit de l’espoir et beaucoup de douceur dans son regard.
- Un puissant sorcier a asservi ce monde voici soixante ans et nous attendons que l’on vienne nous délivrer.
- Il vous a jeté ce sort ? demande Ambrelune.
- Oui.
- Donc si je comprends bien, continue-t’elle, votre peuple au lieu de se révolter, attend que des gens qui n’ont rien à voir avec tout ça fassent le travail à leur place ! C’est un peu facile, vous ne trouvez pas ?
- Mais nous avons essayé, tous ceux qui se sont révoltés sont morts dans d’atroces souffrances ! Vous avez des pouvoirs.
- Aucun, je suis désolée mais je suis une fille ordinaire.
- Vous les trouverez le moment venu… Reposez-vous, je vais vous faire réchauffer de la soupe et vous pourrez dormir ici en paix, cette nuit. Nous en reparlerons plus tard.
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