Les mains dans les poches, Rune repense au rêve de la nuit précédente, il s’en souvient parfaitement. Sa gibecière de cuir noir nonchalamment posée sur son épaule, il avance d’un pas rapide car il a prévu d’aller acheter une bande dessinée qui vient de sortir. Le jeune garçon jubile sur le chemin qui le mène à la librairie, ce nouvel auteur français qui vient de faire une entrée fracassante dans le monde de la bande dessinée semble plein de promesses et il trépigne d’impatience à l’idée de s’immiscer dans son univers et peut-être découvrir de nouveaux trésors.
Alors qu’il attend que le feu passe au vert, il oublie toute prudence et il entame sa course pour traverser la rue au plus vite. Un éclair de cheveux blond vénitien tourne au coin de la rue et il court comme un dératé pour la rejoindre. Il voudrait l’appeler mais il n’ose pas, il a agi sans réfléchir, peut-être qu’il se trompe. Haletant, il voit la fille qu’il a suivi passer la porte du musée de l’opéra. Il n’y était jamais allé et c’est fébrile qu’il paie son entrée, un peu inquiet ; et si la fille travaille au musée, comment la retrouver ? Il parcourt les salles au pas de course et il finit par repérer une robe vert émeraude. Il reprend sa respiration durant quelques secondes et il se décide à l’approcher. Mais que lui dire ? Bonjour, je vous ai vue en rêve, que me voulez-vous ? Indécis, il la détaille du regard sans oser lui parler.
Ambrelune se retourne, elle se sent observée. D’un geste brusque qui fait voler ses longs cheveux, elle tourne la tête et elle se trouve face à un garçon de son âge qui l’observe d’un air indécis. Elle ne le connaît pas et son regard la met mal à l’aise. Elle sourit faiblement avant de se détourner et d’avancer en se frayant un chemin au cœur d’un groupe qui stationne en plein milieu de la pièce. La jeune fille se poste devant un tableau qui représente un homme d’une grande beauté qui semble regarder les visiteurs d’un air rêveur et quelque peu ennuyé. Assis sur un bureau, un cahier à la main, il semble interrompu dans la retranscription d’une partition et se remémorer l’air qu’il a inventé.
Elle penche la tête de côté pour mieux examiner la toile, elle se demande si cet homme a réellement existé ou s’il n’est que le fruit de l’imagination du peintre. L’étiquette sous le tableau ne lui fournit pas d’indication précise à ce sujet et elle se détourne tout en jetant un coup d’œil en arrière. Il est là et il fait mine d’observer une sculpture située derrière elle ; leurs regards se croisent et prise de peur, elle décide de quitter le musée.
Surpris par cette fuite, Rune suit la demoiselle qu’il suivait il y a encore quelques instants. Elle tourne la tête pour voir s’il la suit et il lui emboîte le pas. Devant le musée, elle l’attend.
- On se connaît ? demande-t’elle en le détaillant du regard.
- Je t’ai vue en rêve.
- Moi aussi. Mais tu pouvais venir me parler au lieu de me suivre comme ça, c’est inquiétant.
- Je suis désolé mais je ne savais pas quoi faire. Il est rare que je croise une personne que j’ai vue dans un rêve.
- Tu m’étonnes, dit-elle en riant. Bon, on finit la visite du musée ?
- D’accord !
Les deux adolescents discutent de leurs rêves qui sont similaires. Rune a vu une jeune fille s’éloigner dans la nuit tandis qu’Ambrelune a rêvé qu’un jeune homme s’approche d’elle dans un jardin en pleine nuit. Ils conviennent qu’ils ont rêvé qu’ils allaient à la rencontre l’un de l’autre sans même se connaître. Mais cela n’explique pas pourquoi ils ont rêvé l’un de l’autre et si ce n’est pas une simple coïncidence, peut-être qu’au fond, ils se font des idées.
Face à un tableau qui représente un étrange château composé de tours de pierre ocre de tailles variables accolées entouré par un mur, ils s’arrêtent car il leur semble étrangement familier.
- Ca te dit quelque chose ? demande Ambrelune.
- Oui et toi ?
- Si je te pose la question, c’est que ça m’évoque un souvenir.
- Tu as déjà été à l’opéra ? Moi, jamais et ce décor ne semble pas provenir d’un opéra célèbre.
- Jamais et cet opéra m’est également inconnu.
- Le souvenir d’un rêve… Mais je ne me souviens pas de ce songe, juste de l’avoir rêvé.
Ambrelune regarde autour d’elle, personne ne les observe. Elle tend la main vers la toile en espérant qu’aucune alarme ne va retentir. Rune tente de l’en empêcher en l’attrapant par le bras, mais la jeune fille a touché la toile qui réagit aussitôt.
Ambrelune sent que le tableau aspire sa peau et ses cheveux vers lui, elle les sent s’éloigner de son corps pour l’entraîner vers le tableau. Quelques secondes plus tard, ils sont face à un mur, la toile a disparu ; ils ont seulement pu apercevoir l’envers de la peinture avec un numéro d’identification inscrit à la craie blanche avant qu’il ne disparaisse. Paniqués, ils explorent à tâtons la pierre froide du mur durant d’interminables secondes dans un silence glaçant. Ils sont coincés derrière le tableau et aucune porte ne se devine pour repasser de l’autre côté.
- Tu perds ton temps ! dit Rune derrière elle.
- Et comment le sais-tu ? Tu n’as même pas examiné ce mur, dit-elle en croisant les bras et en se tournant vers lui dans le noir.
- Tu crois vraiment qu’un tableau va nous aspirer et que comme par magie, une porte va apparaître pour nous permettre de rentrer chez nous ? Au fait, je m’appelle Rune et toi ?
- Attends, Rune comme une rune ? dit-elle en s’esclaffant.
- Oui, pourquoi ?
- Disons que c’est, comment dire, peu commun.
- Parce que tu t’appelles comment, toi ? Histoire de voir si c’est mieux que moi, mademoiselle.
- Je m’appelle Ambrelune.
- Genre c’est mieux de s’appeler Ambre et lune que Rune.
- Ne t’énerve pas, c’est joli et je ne connaissais pas ce prénom. Mais admets qu’après avoir été aspirée par un tableau, entendre parler de rune me fait penser à de la sorcellerie.
- Parce que tu crois que l’on est passés de l’autre côté du mur grâce à une technologie avancée, peut-être ? Mon prénom t’interpelle plus que ce que nous venons de vivre, une téléportation et des rêves prémonitoires communs.
- Pardon, Rune, j’ai été impolie, la situation est particulière. Bon, allons voir où nous sommes.
Dans le noir, ils explorent les murs en se tenant par la main pour ne pas se perdre jusqu’à sentir une porte qu’ils ouvrent avec circonspection. La première chose qu’ils voient est un château majestueux qui s’élève dans le lointain. Ils se regardent en se chuchotant : Où sommes-nous ?
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