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tome 1, Chapitre 7 tome 1, Chapitre 7

En rentrant, je posai délicatement la boîte sur la table du salon. Une boîte à pâtisserie en carton si ordinaire, avec rubans à bouclettes sur le couvercle. J’avais bien envie de découvrir ce qu’elle contenait, d’autant que j’avais un petit creux. Mais j’avais surtout la tentation de m’offrir une petite douche pour me détendre avant que l’autre olibrius ne débarque.

Ne sachant exactement quand il ramènerait à la vie l’espèce de cornemuse qui me tenait lieu de sonnette, j’optai pour un petit verre de Cointreau. Je l’avalai presque d’un trait, gagné par la nervosité. J’aurais à rester courtois quoi qu’il arrive. Je m’assis dans le fauteuil, rongé par l’envie de faire les cent pas. Le chat mettait lui-même une énergie débordante à tourner et virer dans l’appartement, reniflant tout comme si d’inquiétantes nouveautés étaient apparues depuis son dernier somme.

Je m’assoupis un peu. J’aurais du mal à expliquer comment j’y parvins. L’heure plutôt nocturne devait y être pour beaucoup. Un rêve particulièrement tordu s’esquissait, dans lequel tout un chacun traînait son vampire – et devait le présenter à ses proches –, quand une corne de brume retentit. J’allai ouvrir, le chat sur mes talons, dos rond et poil hérissé pour tous deux.

Raphaël bis entra sans rien dire, alluma et parcourut du regard mon humble habitation avant de s’affaler dans le fauteuil encore chaud. Il désigna mon verre.

« J’en prendrais volontiers un, moi aussi. »

Je nous servis cérémonieusement sans faire de commentaire et posai mes fesses sur un tabouret bancal. Préoccupé par des questions d'équilibre, je manquai le début du discours de Machin.

« Vous avez des façons de croire si simplistes, si superstitieuses… et si manichéennes : anges et démons, dieux et diables… Naturellement, nous avons toujours eu besoin de nous mettre à votre niveau. Quelle horreur ! Si ce n’était pas nécessaire, je vous apparaîtrais tel que je suis. Mais ça vous tuerait sur-le-champ. »

Il me regardait avec des yeux impitoyables. Fasciné par leur éclat, je manquai encore une partie de sa diatribe.

« Et puis vos anges déchus… Quelle plaisanterie ! S’il y a eu réelle déchéance, c’est surtout à votre contact. »

Le ton et la façon de parler changeaient. Il devenait un peu familier. Pris par la fatigue, j’espérais qu’il ne tarderait pas à en venir au fait et m’agrippais à mon verre vide, dérisoire bouée de sauvetage. Je lorgnai sur la bouteille. Oserais-je m’en emparer ? Plein de commisération, il me versa une goutte minuscule.

« Personnellement, vous ne croyez ni au Paradis ni en l’Enfer. Vous n’avez pas tort. Et d’un autre côté pas raison non plus. Maintenant, juste une question. Qu’est-ce qui vous a poussé à entrer dans son jeu ?

— Je ne sais pas.

— Moi, si. Vous étiez dans une impasse. Votre existence vous paraissait bien étriquée. Voilà qu’on arrive et qu’on vous propose de réaliser des miracles. Tentant, n’est-ce pas ? Et puis, vous n’avez plus qu’à claquer des doigts pour que l’ordinateur s’allume, à saisir le stylo pour qu’éclose l’inspiration. Le bonheur, en somme. Vous vous imaginez que ça ne va pas se retourner contre vous, un beau jour ?

— Je ne sais pas. Je pense que non.

— Bien entendu ! Je ne vois pas pourquoi vous penseriez le contraire, tant que tout se passe bien. Même si vous ne voulez pas me croire, laissez-moi vous dire que vous allez regretter d’avoir croisé le chemin de Raphaël. Maintenant que vous avez mis le doigt dans l’engrenage, vous aurez hélas du mal à l’enlever. Je suis là juste pour vous avertir que vous risquez de vous le faire réduire en pâtée pour chat, et le bras pourrait suivre sans parler du reste de votre personne. Enfin, je dois vous faire cette modeste suggestion : restez le plus possible en dehors de nos affaires. Elles ne vous regardent pas.

— Qu’est-ce que ça signifie ?

— Que vous avez ma bénédiction pour accepter sa proposition, mais dans certaines limites non négociables. Vous saurez très vite quand vous les aurez franchies. Ce sera un peu comme pour les moutons qui se frottent à la clôture électrique. » L’image lui tira un sourire fugace. « Pour le reste, je vais tout faire pour que vous ne receviez pas de proposition de la part de ceux que vous appelez diables, mais ce n’est pas gagné. Vous avez la malchance de n’être pas tombé en de mauvaises mains. Votre Raphaël s’ennuie un peu, il est normal qu’il ait envie d’épicer son ordinaire. On ne va pas le blâmer pour si peu. Même si votre cas est délicat. Pas inédit, mais délicat. Vous êtes en position très délicate, insista-t-il en se régalant de l’assonance. Vous n’imaginez pas à quel point. Tout à l’heure, j’ai voulu vous faire douter, mais rassurez-vous : vous êtes encore dans le bon camp. À vous de tâcher d’y rester. »

Il s’était levé. Seigneur qu’il était grand, soudain. Il me tendit un papier.

« Mon numéro de portable. C’est très à la mode, même chez nous. Surtout, n’hésitez pas. »

Je le reconduisis jusqu’à l’entrée. Il se ravisa soudain et me reprit le papier.

« Faisons plus simple. D’autant que vous n’avez qu’un fixe, n’est-ce pas ? Alors pour m’appeler, sifflez le Dies Irae. »

Il franchit la porte et, comme un peu plus tôt, s’inclina très légèrement.

« Au revoir, dis-je d’une voix atone.

— À très bientôt. »

Puis, hop, de dévaler en silence l’escalier.

*

Je refermai la porte. J’aurais dû lui demander ce qui se passerait si je déclinais les offres. Le chat s’était réfugié derrière le canapé et n’osait pas pointer le bout de son nez. Je tentai de le convaincre de réapparaître sereinement. Lui au moins semblait avoir un avis déterminé sur la question : tout ceci était très négatif. Puis, je décidai que me calmer un peu était nécessaire et qu’il me fallait me défouler sur quelque chose. J’allai me poster devant l’ordinateur et pressai avec vigueur le bouton argenté qui le ramènerait à la vie.

Rien.

Je fis une nouvelle tentative. Il était branché, et la dernière fois que je l’avais allumé, il fonctionnait correctement. Pourquoi donc cette nuit m’opposait-il un refus obstiné de démarrer ? Tant pis. Je sortis une feuille. Où était le stylo ? Le beau stylo ? Néant. Que dalle. Disparu. Dans les limbes ou ailleurs. Je l’avais posé dans le salon, sur la petite table à côté du fauteuil. Il était certain que Raphaël bis me l’avait embarqué. Un si beau stylo et qui écrivait si bien. Je pestai, retournai dans le bureau et me rabattis sur un vieux crayon en bout de course, puis me concentrai un peu en prenant un air des plus inspirés, imité de celui que j’arborais chez Solange.

Rien.

Ça, c’était vicieux. Raphaël aurait dû me prévenir que, tant que je n’aurais pas dit oui ou non, j’aurais à me traîner misérablement comme jadis, et que les idées ne germeraient plus à la demande. D’ailleurs, si ma réponse était non, il était évident que je retournerais à la case départ. À la fois nerveux, angoissé et frustré, je cassai le crayon et une écharde se planta dans mon pouce. La vengeance du monde matériel imprudemment délaissé. Le tétant comme un bébé, je retournai dans le salon. J’avais une soudaine envie de m’effondrer quelque part, de préférence dans le fauteuil.

Occupé.

Ce visiteur-là ne s’était pas annoncé.

Il avait l’air d’une asperge, à la couleur près. Vêtu d’un manteau noir en similicuir pourri, jaunâtre, infect.

« Je vous invite à refuser. Et vite. Dans votre intérêt. »

Il avait des yeux d’un beau vert mais trop petits, plantés dans un visage qui, loin d’être désagréable, ne me faisait pourtant pas vraiment bonne impression. Bien qu’il se soit rasé de près, ça ne le rendait pas plus séduisant pour autant.

« C’est même plus qu’une suggestion. Non négociable, bien entendu. » Il ricana. « Dites non et tout ira vraiment, vraiment bien. Vous pourriez même garder un peu d’inspiration, pour vos insignifiantes proses. Ce serait ma reconnaissante petite compensation pour ne pas avoir eu à vous forcer la main. »

Il ne disait pas ce que je risquais si j’acceptais la proposition des deux Raphaël. Sans doute rien. Par contre, jusqu’à ce que je prenne une décision définitive, effectivement, ça pourrait de ne pas être triste. Il avait l’air de quelqu’un qui saurait très bien s’acharner à me faire passer toute envie de dire oui. Je lui jetai un regard mauvais. Car après tout, j’étais un peu en position de force. Je pouvais accepter tout de suite.

« Mais vous ne le ferez pas. »

Plus personne.

Je notai que lui aussi s’était permis de lire dans mes pensées. Ce manque de tenue me froissa.

Le chat était venu renifler le fauteuil. Soupçonneux, oreilles rabattues. Il devait y rester une odeur déplaisante. Je terminai la bouteille. Mes mains tremblotaient. Finalement, je soupirai du plus profond de mon âme et allai me coucher en me disant que la nuit porterait conseil. Des clous, oui.


Texte publié par JC Heckers, 17 mai 2017 à 08h37
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