»

Les cordes mordaient ses poignets. Trop serrées. Beaucoup trop serrées.

La mélopée se faisait de plus en plus sonore, étrange, lancinante. Il n’en comprenait pas un mot mais il sentait la puissance qu’elle portait en elle. Et c’était terrifiant.

La pierre de l’autel était dure contre son dos. Il se débattait, tirant davantage sur les cordes qui l’entravaient et qui s’enfoncèrent profondément dans sa chair. La douleur lui fit serrer les dents. Il était perdu. Plus rien ne pouvait le sauver, désormais. Il le savait.

La voûte et les murs lépreux de la chapelle renvoyaient les échos de l’incantation. Ils déformaient les sons, les amplifiaient. Comme si les voix des statues brisées, nichées dans leurs alcôves, se mêlaient à celles de ses bourreaux. Les flammes vibrantes des chandelles plantées ici et là faisaient danser les ombres dans les recoins et il avait la distincte impression que les ténèbres n’étaient pas les seules à s’y ébattre.

Son cœur battait à tout rompre. Une sueur froide lui emperlait le front. L’odeur âcre du sang et des herbes brûlées était partout.

Une lame d’obsidienne, noire, luisante, presque vivante, entra dans son champ de vision. Il se tortilla de nouveau pour échapper à ses liens. En pure perte. Il allait mourir. Il ferma les yeux pour ne pas voir le reflet de sa terreur dans les facettes multiples et impitoyables de la dague sur le point de plonger dans sa poitrine.

Comment avait-il pu être aussi stupide ?

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« Des rumeurs étranges nous sont venues de l’ouest », déclara Sir Roderick Paine en guise de préambule.

L’assemblée restreinte des Affaires internes s’était réunie, comme à l’accoutumée, en fin d’après-midi, dans la salle des Légats. Ses huit membres assis autour de la table échangèrent des regards brefs mais pas franchement étonnés par cette brusque entrée en matière. Même Taylor, pourtant le dernier arrivé au sein de l’assemblée, ne semblait pas surpris, nota Bedford.

« Quel genre de rumeurs étranges ? » demanda Thomas.

Paine ne se fit pas prier pour répondre.

« Enlèvements, meurtres, mutilations, rituels magiques et satanisme. »

Bedford fronça les sourcils. Voilà qui était plutôt inattendu. Face à lui, Pierce eut la même expression et hasarda :

« On ne devrait pas laisser cela à l’Inquisition ?

— Pas quand le principal concerné est le baron Thornton. »

Un silence accueillit ces propos.

« Depuis combien de temps ça dure ? s’enquit Seymour.

— Cinq à six mois, d’après nos informations, répondit Paine. Peut-être plus longtemps. C’est difficile à dire. Les gens du commun sont trop terrifiés pour parler. Quant au shérif du comté, il n’y croyait pas avant de retrouver le corps mutilé de sa fille dans la Bramble. Quoi qu’il en soit, cette affaire prend une ampleur déplorable. Il nous faut rétablir la paix du roi au plus vite et faire taire ces rumeurs obscènes. »

Nouveau silence.

« Comment sait-on qu’il s’agit de Thornton ?

— On ne le sait pas. Mais ces événements étranges se sont produits à Thorn et dans ses environs. Thornton a toujours été versé dans les arts occultes. Ce n’était déjà un secret pour personne lorsqu’il vivait à la Cour. Et après cette sombre affaire de duel avec lord Stonehill… Bref. Il n’y a qu’une seule autre sorcière notoire dans les parages et c’est une vieille pomme qui n’aurait jamais pu maîtriser les victimes. Ne reste que Thornton. Il est haut-justicier sur ses terres. Nous ne pouvons pas nous contenter d’envoyer un détachement pour le ramener ici et l’interroger.

— Il nous faut des preuves », conclut Pierce sur un soupir.

Paine acquiesça. Bedford ferma brièvement les yeux. Cela allait encore lui retomber dessus.

« Je rendrai compte au roi dans quatre jours. D’ici là, il nous faut des résultats. Sir Bedford ? »

L’interpelé réfréna son envie de lever les yeux au plafond et se tourna vers Paine.

« Il nous faut un commissaire. Sérieux, pas trop superstitieux, diplomate, inconnu de Thornton et capable de comprendre les enjeux délicats de cette affaire. Vous auriez cela à disposition ? »