Toi qui lis ces mots, j’espère que tu verras les sorcières sous un nouveau jour après avoir lu ce qui suit.
Bien, commençons :
Je suis née d’une maman sorcière et d’un papa ordinaire mais ce dernier est mort peu de temps après ma naissance. J’ai vécu toute mon enfance dans une petite chaumière perdue au fin fond du Bois Interdit. La maison était remplie d’ingrédients en tout genre, de chaudron et de livres de magie. Je n’avais jamais rencontré d’autres êtres humains, maman ne voulait pas que je sorte du bois. Elle disait que le monde extérieur ne nous accepterait jamais car les gens avaient peur de nous. Et il y avait de quoi être terrorisé, nous les sorcières, étions des êtres malaimés, incompris et effrayants. C’est vrai que nous avions des coutumes étranges mais nous ne faisions de mal à personne … enfin si, certaines d’entre nous le faisaient pour se venger du rejet que nous imposaient les gens extérieurs. Et c’était ce que faisait maman mais pas pour cette dernière raison, elle, elle vengeait la mort de papa. Elle m’a raconté une fois comment c’était arrivé.
Papa était un beau jeune homme à l’époque et il s’était perdu dans le Bois Interdit. Fatigué et mort de faim, il était tombé sur la chaumière de maman en fin de journée. Dès qu’il vit maman ouvrir la porte et sortir sur le perron, il ne recula pas devant son physique. Comme toutes les sorcières, maman avait la peau sale, le nez crochu et des pustules plein le visage. Elle portait une robe noire toute déchirée sur le bas et son chapeau noir trop grand lui tombait devant les yeux. Malgré cette apparence repoussante, papa accepta volontiers l’invitation de maman à venir passer la nuit dans la chaumière bien au chaud. Maman avait été très étonnée par la gentillesse de ce monsieur et n’avait pas eu besoin de le tuer comme tous les autres avant lui qui s’enfuyaient en courant en la traitant de monstre. Mais lorsque papa commença à avancer vers la chaumière, maman compris pourquoi il ne fuyait pas devant elle, il était blessé et affaibli. Avant de monter les marches il chancela et elle se précipita pour le retenir avant qu’il ne chute et perde connaissance. Ensuite elle l’amena dans la maison, l’allongea sur le lit et le soigna. Au réveil de papa, elle apprit qu’il s’était battu avec un ours. Elle n’en revenait pas et commença à apprécier ce jeune homme plein de courage. Les jours passèrent et papa guérissait bien. Pour la remercier, il lui offrit son plus grand trésor : un livre de cuisine moléculaire qui appartenait à sa famille depuis des générations. Papa revenait régulièrement revoir maman.
Les jours devinrent des mois, les mois devinrent des années et ils finirent par tomber amoureux l’un de l’autre. Papa n’avait que faire du physique de maman, il voyait en elle la jeune femme intelligente et charmante qu’elle était. Ils décidèrent de vivre ensemble dans la chaumière et peu de temps après je suis venue au monde.
Dit comme ça, cette histoire d’amour parait merveilleuse mais quelques jours après ma naissance, des gens de l’extérieur armés de fourches, de faux et d’outils en tout genre sont arrivés près de la chaumière. Papa était dehors en train de jardiner et lorsqu’ils l’ont vu, ils se sont rués sur lui en le traitant de traître et de monstre. En entendant tout ces cris, à l’intérieur de la maison, maman prit peur et me posa sur le lit pour aller voir se qu’il se passait. Lorsqu’elle ouvrit la porte, il était trop tard, les gens de l’extérieur avaient tué papa. Elle entra alors dans une colère noire et utilisa les sorts dévastateurs les plus puissants qu’elle connaissait pour anéantir les agresseurs. Tous moururent dans d’atroces souffrances puis elle fondit en larmes auprès du corps inerte et méconnaissable de papa.
Ca c’était l’histoire de la mort de papa, maintenant, laissez moi vous raconter la mienne.
Depuis ce jour tragique maman vouait une haine contre les gens de l’extérieur si profonde qu’elle me l’avait transmise. Je détestais ces gens pour ce qu’ils avaient fait, ils m’avaient privé de mon papa ! Maman commença dès mon plus jeune âge à me former aux arts de la magie des sorcières. Très vite j’ai porté la robe et le chapeau noirs. Elle m’a appris aussi à survivre seule dans ce bois, pour cela, nous partions régulièrement camper et elle m’expliquait tout ce qu’il y avait à savoir. Et quand nous croisions des gens de l’extérieur, maman entrait dans une rage intense et les tuait sans même leur laisser le temps de dire un mot. Et moi, à côté, je regardais, même que je participais parfois au massacre.
Un jour, lors de l’année de mes vingt-trois ans, maman tomba très malade et je ne trouvais pas de remède à son mal. La maladie s’aggravait au fil des jours et elle était tout près de la mort. C’est alors qu’elle m’a appris que cette maladie était très fréquente chez les sorcières, que c’était le prix à payer pour avoir hérité de tous nos pouvoirs. Mais sans savoir pourquoi, je n’y croyais pas un mot. Maman souffrait beaucoup et j’étais impuissante, cela me rendait furieuse. Pendant cette période, j’ai tué pas mal de gens de l’extérieur pour me calmer. Et un matin, en me levant, j’ai trouvé maman étendu au sol recroquevillée sur elle-même en tenant quelque chose entre ses mains. Quand je me suis approchée, je me suis rendue compte qu’elle avait rendu l’âme. Je l’ai alors portée et posée sur son lit puis j’ai pris la chose qu’elle serrait contre elle. C’était le livre de cuisine moléculaire de papa. Je l’ai alors ouvert, j’ai aussitôt reconnu l’écriture de papa et il était rempli de recettes étranges. En regardant la liste des récipients nécessaires, j’ai alors compris pourquoi maman avait installé tout un tas de tuyaux, béchers, erlenmeyers et autres ustensiles d’alchimie près de son chaudron. Ce n’était pas de la cuisine ordinaire. On pouvait extraire de la force, de l’amour, des minéraux et plein d’autres choses de toutes sortes de plantes ou êtres-vivants. Je n’en revenais pas, comment papa avait pu écrire tout ça ? Peut-être était-il issu d’une grande famille d’alchimiste. Ca expliquerait beaucoup de choses. Mais malheureusement, je ne le saurais jamais. Les jours suivants, j’ai commencé à essayer les recettes du livre et ce dernier est devenu mon objet le plus précieux car j’avais l’impression d’être avec mes parents.
Trois années plus tard, alors que j’étais partie à la récolte aux champignons et vers de terre, j’ai entendu des cris de détresse et de douleur. Ils venaient de ma droite et sans comprendre pourquoi, j’ai lâché mon panier et j’ai couru dans cette direction. C’est au détour d’un chêne majestueux que j’ai trouvé l’origine de ces cris. Un homme était allongé au sol recouvert de sang et il se débattait tant bien que mal contre un makmarou. Heureusement pour lui, ce makmarou n’était encore qu’un bébé. Adulte, il mesurait au moins six mètres de haut et pesait environ deux tonnes. Là, ce petit ne faisait qu’un mètre cinquante de haut. Ces créatures étaient rares mais très puissantes. Les adultes pouvaient cracher des jets d’acide brûlants et mortels à plusieurs dizaines de mètres devant eux. Je préférais largement me confronter à une famille d’ours enragés qu’à un makmarou. Ces bêtes ressemblaient à des singes avec de longues griffes acérées. Leur museau allongé et garni de crocs pouvait décapiter un homme, les adultes eux pouvaient carrément en avaler un en entier. Les makmarou faisaient partie des créatures les plus féroces et dangereuses du Bois Interdit.
Je suis restée là, à regarder cette scène de combat ne sachant que faire. Les avertissements de maman au sujet des gens de l’extérieur et des makmarou passaient en boucle dans mon esprit. Le bon sens aurait voulu que je m’enfuis en courant au loin comme si je n’avais rien vu mais je me rendis compte que ce n’était pas en accord avec moi-même. Du coup, sans réfléchir, je me suis précipitée sur le makmarou en jetant toutes sortes de sorts dévastateurs. Avec mon aide, l’homme put donner le coup de grâce à la créature. Cette dernière s’écroula au sol dans un cri rauque et la vie quitta son corps. Lorsque l’homme se retourna pour voir qui avait bien pu lui porter secours il recula sur la défensive en me voyant. Ses yeux exprimaient une telle peur que j’eus presque pitié de lui, tout effrayé et ensanglanté qu’il était. Je ressemblais beaucoup à ma maman pour ce qui concernait le physique. J’avais même une grosse pustule sur le bout de mon nez crochu rendant ma vue encore plus repoussante que celle de maman. Ma peau sale devait surement sentir un peu fort car une expression de dégoût se dessina sur le visage de l’homme.
Je commençais à me demander si j’avais fait le bon choix. Avoir tué un bébé makmarou allait à coup sûr nous attirer la colère de sa mère. J’ai alors avancé en direction du blessé en lui assurant que je voulais seulement l’aider. Sans grand étonnement, il ne me croyait pas et fit un pas en brandissant son épée maladroitement dans ma direction en me mettant en garde de ne pas aller plus loin. Mais dès qu’il posa le pied au sol, je l’entendis gémir et il tomba à terre inconscient. Je me suis alors approchée de lui et suis restée plantée là un bon moment, indécise sur la décision à prendre. Si je le ramenais au village de Vertbourg en leur expliquant ce qui s’était passé, personne ne me croirait et je serais bonne pour le bûcher. Mais d’un autre côté, si je le gardais chez moi pour le soigner, tout le monde penserait qu’il a disparu et se mettrait à sa recherche. Et s’ils tombent sur ma chaumière je suis aussi bonne pour le bûcher.
Après plusieurs minutes de réflexion, j’ai opté pour la deuxième solution car je serais tout de même sur mon territoire et je le connaissais mieux que personne. Une fois ma décision prise, j’ai porté l’homme vers ma maison en prenant bien soin de lui retirer son épée et de la laisser là où il avait combattu. Les villageois penseront sûrement qu’un makmarou adulte était venu se venger de la mort de son bébé. Mais en revanche, ce subterfuge ne marcherait pas avec la mère de ce petit, elle retrouvera aisément la trace de l’homme. Pour rendre sa traque plus difficile j’ai alors fait un grand détour pour rentrer chez moi avec l’homme sur les épaules. Ce dernier pesait lourd et c’est avec soulagement que je l’ai étendu sur le lit. Mes draps se sont alors tout de suite imbibés de sang, à ce moment j’ai compris sans même examiner plus en détail son corps que l’homme était gravement blessé. En effet, après l’avoir déshabillé, des plaies très grandes et profondes recouvraient une majeure partie de son corps. Il avait perdu beaucoup de sang et si je ne faisais rien il serait mort avant même la fin de la nuit. J’ai expiré un grand coup et ai commencé à entreprendre des séances de soins. J’ai désinfecté toutes ses blessures et j’ai pris le soin de les bander puis je me suis installée devant mon chaudron le livre de cuisine moléculaire de papa en main. Il fallait que je créé du sang animal compatible avec celui d’un être humain. Je savais que j’avais déjà lu cette recette et la retrouva donc facilement. C’était une des recettes les plus compliquées que j’avais eu à faire mais cela ne me faisait pas peur, maman m’en avait souvent donné à réaliser dans mon enfance. Mais celle-ci, c’était la première fois que je la préparais. Une fois tous les ingrédients réunis il ne me manquait plus qu’un seul élément : du sang de la victime.
Je n’espérais qu’une seule chose, que l’homme ne se réveille pas au moment où j’allais prélever un échantillon de son sang. Ma tâche terminée sans encombre, je me suis attelée à la confection de la recette. J’étais tellement occupée à faire chauffer mes erlenmeyers et à remuer mon chaudron que j’ai sursauté au cri de l’homme. Je me suis vivement retournée, craignant le pire et j’avais eu raison. En effet, l’homme essayait de se lever, aggravant ses blessures. Je me suis alors prudemment avancée vers lui :
« Restez calme, sinon vous allez vraiment mourir, lui dis-je d’une voix un peu tendue.
– Qui êtes vous ? Que me voulez vous ? me demanda-t-il tremblotant de peur.
– Je ne fais que vous soigner, me défendis-je
– Mais pourquoi ? me questionna-t-il alors intrigué.
– En vérité je ne sais pas trop, j’ai juste entendu des cris et quand je suis arrivée et que je vous ai vu vous battre contre ce bébé makmarou j’ai suivi mon instinct et vous ai porté secours. C’est tout.
– Mais vous êtes une sorcière non ?
– Oui, fis-je en reculant un peu. Mon physique n’a pas l’air de vous convaincre suffisamment.
– Si au contraire, ça plus les sorts que vous avez lancé m’ont totalement convaincu. C’est juste que je croyais que les sorcières aimaient tuer les gens au lieu de les sauver.
– Et bien pour tout vous dire, j’ai déjà tué des gens, c’est vrai, mais cette fois je ne sais pas pourquoi, ça ne correspondait pas avec ce que je suis réellement. »
L’homme paraissait s’être totalement calmé et il tenta de se rallonger en gémissant en vain. Je vins l’aider et il se laissa toucher.
« Les gens de l’extérieur ont tué mon père il y a vingt-six ans de ça du coup je ne l’ai jamais connu. Ma mère avait tant de haine à l’époque qu’elle me l’a transmise. Mais je n’ai jamais été en phase avec moi-même lorsque je tuais. Je me disais juste que ça viendrait avec le temps. Or c’est quand je me suis retrouvée devant vous que j’ai réalisé tout ça et j’ai décidé de vous sauver. »
De la douceur passa dans les yeux de l’homme.
« Merci beaucoup. » me dit-il alors.
J’ai rougit comme une tomate en entendant ces mots et j’ai légèrement détourné le regard. L’homme laissa échapper un petit rire et continua :
« Vous n’avez pas l’air d’être habituée à recevoir des remerciements.
– En effet, lui répondis-je en le regardant de nouveau, j’ai plus l’habitude qu’on me traite de monstre que de sauveuse. »
Il m’afficha alors un grand sourire et me tendit tant bien que mal sa main.
« Je m’appelle Gaël, me lança-t-il.
– Jeannette. » déclarai-je en lui serrant timidement la main.
Après, je suis retournée à ma préparation pendant qu’il se reposait. Les étapes de fabrication étaient de plus en plus difficile à réaliser et j’ai même cru ne pas y arriver. Mais en pensant à l’homme allongé sur le lit j’ai alors redoublé d’effort et au beau milieu de la nuit, le sang était créé. J’ai donc confectionné un système de perfusion artisanale et peu de temps après, Gaël était alimenté en sang. J’ai veillé tout le reste de la nuit à son chevet pour être sûre qu’il n’y avait pas de rejet de sang. Cet homme était beau, ses cheveux courts de couleur brune se mariaient à merveille avec ses yeux bleus. Son visage allongé le rendait mince et élancé.
Aux premières lueurs de l’aube, Gaël ouvrit les yeux et une satisfaction naquit en moi : il avait passé la nuit ! Sa vie n’était plus en danger, il allait s’en remettre, doucement mais sûrement. C’est alors qu’un cri rauque retentit à l’extérieur de la chaumière. Je me suis alors figée, les yeux remplis de peur.
« Qu’est-ce que c’est ? me demanda Gaël aussi affolé que moi.
– Un makmarou, lâchai-je dans un souffle. C’est sûrement la mère qui vient venger la mort de son petit que nous avons tué hier. »
Sur ces mots je me suis levée et je suis sortie dehors pour faire face à la créature. Je me suis alors retrouvée devant une très jeune femelle, une chance pour moi, elle n’était donc pas en pleine possession de ses capacités. Son jet d’acide n’était pas mortel mais il restait brûlant. Nous sommes restées toutes les deux à nous regarder pendant un long moment puis elle s’est mise à fondre sur moi en me montrant les crocs et en poussant des rugissements. J’ai réagi au quart de tour, je me suis éloignée de sa trajectoire et l’ai bombardée de sorts dévastateurs. Elle, de son côté, lançait des jets d’acide dès qu’elle le pouvait. Malheureusement, un de ses jets me toucha le bras droit provoquant une grave brûlure. Le contact du liquide sur ma peau me fit pousser un cri de douleur. Après quelques minutes de combat intense je réussis à porter le coup fatal à la femelle makmarou. Cette dernière s’écroula sur mon potager et son âme partie rejoindre celle de son bébé je ne sais où.
Lorsque j’ai pénétré dans la chaumière suite à mon affrontement, en voyant mon bras brûlé, Gaël a essayé de se lever.
« Vous êtes blessée ! lança-t-il affolé.
– Ca va aller, le rassurai-je. Rallongez-vous avant d’aggraver vos blessures. »
Il obéit et je pus me diriger vers mon armoire à potions. Je l’ouvris et en pris une dont je versa quelques gouttes sur ma brûlure me faisant arracher des grognements de douleur malgré mes dents serrées.
Les jours passèrent et Gaël se remettait tranquillement. Nous discutions beaucoup et j’appris qu’il avait une femme et deux fils qui l’attendaient à Vertbourg mais pas avant quelques jours. Il était parti chasser dans le Bois Interdit car la viande manquait dans les environs. Il avait même prévu de partir trois semaines pour ramasser le plus de choses possible.
A la fin de cette troisième semaine, Gaël fut en état de voyager et j’ai alors décidé de l’accompagner jusqu’à l’orée de la forêt. Durant tout ce temps, nous avons fini par devenir ami au point où j’en oubliais même mon affreux physique.
Les mois suivants, il me rendait régulièrement visite et nous prenions du bon temps. Les mois devinrent des années et je n’ai rencontré aucun problème venant des gens de l’extérieur. Je ne savais pas ce que Gaël leur avait raconté mais plus personne ne venait m’importuner.
Mais un jour, la maladie que maman avait attrapé me toucha. Je n’avais que trente-trois ans et j’étais vouée à mourir car personne à ma connaissance ne connaissait de remède. Cela commença par des douleurs dans les muscles et des vomissements. Je savais que ça allait s’intensifier au fil des jours et que des maux de tête violents allaient venir s’y rajouter. C’est lors de cette période que Gaël me rendit visite et lorsqu’il me découvrit allongé sur mon lit avec une forte fièvre et poussant des gémissements au moindre mouvements, il accourut à mon chevet.
« Ca va ? Qu’est-ce qui se passe ? Tu es brûlante de fièvre ! »
Je lui ai alors expliqué tant bien que mal la situation et lorsque j’eus fini j’étais essoufflée et tremblante. Il me regarda gravement.
« Je t’emmène au village, me lança-t-il déterminé. Le guérisseur saura sûrement quoi faire, c’est le meilleur de la région. »
Et il me souleva dans ses bras en emportant la couverture. De mon côté, je protestais, il était hors de question que je me rende là-bas, j’allais finir sur le bûcher. Il me garantissait que non car il allait s’occuper de tout. J’avais beau résister avec fermeté mais j’étais si affaibli que cela ne menait à rien, il continuait à marcher à grandes enjambées à travers la forêt.
Deux jours plus tard nous arrivions en vue du village. J’étais si mal en point que j’ouvrais à peine les yeux. Ma tête et tout mon corps me faisaient souffrir à chaque pas de Gaël. Ce dernier entra en trombe dans une maison.
« Claude ! » criait-il à tout-va.
Un bruit de porte se fit entendre.
« Que se passe-t-il Gaël ? demanda l’intéressé.
– Elle a un besoin urgent de soins. » lui répondit Gaël pressement.
Mais lorsque Claude vit que c’était moi qui me trouvait dans les bras de Gaël, il recula vivement en criant :
« Une sorcière ! »
Mon ami tenta de le calmer en lui racontant comment je l’avais sauvé des années auparavant et que je méritais d’être sauvée à mon tour. Cette tentative de rassurer le guérisseur ne fonctionna pas, d’autant que ces cris avaient ameutés les voisins.
Mais tout à coup un puissant rugissement se fit entendre, accompagnés de cris de détresse. Je n’avais pas besoin de voir l’origine du bruit, je savais ce que c’était : un makmarou ! Leurs rugissements sont si spéciaux qu’on les reconnait aisément lorsque l’on en a déjà croisé un. Très rapidement, mes soupçons se confirmèrent quand un habitant entra dans la maison du guérisseur en disant que l’un de leurs chasseurs était mort sous les coups de ce monstre et que ce dernier avait suivit sa piste jusqu’ici. L’affolement a commencé à gagner tout le monde et plus personne ne faisait attention à moi.
C’est alors que j’ai tiré légèrement sur la tunique de Gaël pour attirer son attention.
« Gaël, l’appelai-je faiblement en tremblotant, c’est un makmarou.
– Oui il semblerait bien, me répondit-il calmement.
– Emmène-moi là-bas s’il te plait.
– Quoi ? s’indigna-t-il. Je sais ce que tu as en tête et c’est hors de question ! Pas dans ton état !
– Gaël, c’est … un adulte … ce ne sont pas … des arcs et des épées … qui vont le tuer. »
Je peinais beaucoup à parler alors me battre allait être un vrai calvaire mais si je ne faisais rien tous ces gens allaient mourir. Je me suis même surprise à me demander depuis quand je m’inquiétais du sort des gens de l’extérieur. C’était depuis ma rencontre avec Gaël. En réalité j’étais surtout inquiète pour lui et sa famille. Conformément à ma demande mon ami m’emmena à l’orée du village où les hommes se défendaient comme ils pouvaient face au makmarou adulte. Beaucoup d’entre eux mouraient sous les jets d’acide de ce dernier.
Gaël me déposa non loin du conflit mais la douleur à travers mon corps était si intense qu’il m’était impossible de tenir debout toute seule. Comme il me fallait mes deux mains, mon ami me soutint par les épaules en restant derrière moi pour ne pas me gêner lors de mon offensive.
Je rassemblai tout le courage et la force que je pouvais trouver en moi et me mis à lancer des sorts dévastateurs sur le makmarou. Ce dernier se désintéressa soudain de ses agresseurs et se tourna vers moi en m’envoyant un jet d’acide qui passa à deux pas de mon visage. Dès lors, le combat se déroula entre moi et la créature gigantesque. Des sorts et des jets d’acides volaient en tout sens. Au bout d’un moment, je commençais à faiblir dangereusement et le makmarou était toujours debout, gravement blessé, certes, mais toujours debout.
J’ai alors réfléchi rapidement et me suis souvenue d’un sort dont maman m’avait parlé peu de temps avant qu’elle ne succombe de la maladie. Mais vu mon état, ce fameux sort risquait de m’être mortel. Une question se posa alors dans mon esprit : est-ce que cela valait le coup que je meure pour ces gens qui avaient été à deux doigts de me mettre au bûcher une demi-heure plus tôt ? J’ai repensé à Gaël et sa famille et la solution me paru évidente. Oui ça valait le coup que je meure, pas pour ces gens bien sûr, mais pour mon ami.
J’ai alors fermé les yeux et j’ai commencé à entonner une formule dans une langue inconnue des gens ordinaires. J’ai levé les bras et quand j’ai rouvert mes yeux, des pointes noires s’étirèrent à une vitesse incroyable vers le makmarou, le transperçant de toute part. Ce dernier hurla de douleur tandis que moi, je criais de rage. De la lumière noire longeait les pointes en partant de mon corps pour aller rejoindre celui de la créature. Ne comprenant pas ce qui lui arrivait, cette dernière fini par tomber inerte au sol. Les pointes se redirigèrent alors vers moi où elles pénétrèrent dans mon corps. Je me retrouvais sans force et sombrais dans les ténèbres.
Lorsque je revins à moi, j’étais étendue sur un lit avec Gaël à mon chevet en train de dormir sur son fauteuil à bascule. Je me sentais vidée de toutes mes forces, je n’arrivais même pas à lever la tête ou émettre un son. Mais quelque chose m’interpella : je n’avais plus mal nulle part ! Je n’en revenais pas, comment était-ce possible ? Etais-je tellement mal en point que je ne sentais plus la douleur ? C’est alors que Gaël se réveilla et posa sa main sur mon bras.
« Comment te sens-tu ? » me demanda-t-il doucement.
Ne réussissant pas à faire sortir le moindre bruit, j’ai alors articulé que ça allait plus ou moins. Gaël m’expliqua alors que je me trouvais chez lui, que les villageois m’étaient très reconnaissant et que Claude avait entrepris des séances de soins pour me remettre sur pieds. Sans savoir pourquoi, j’ai tout d’un coup compris quelque chose : la maladie des sorcières, comme l’appelait Gaël, n’était pas mortelle lorsqu’un guérisseur ordinaire s’en occupait. Cette maladie n’était qu’une sorte de test pour les sorcières à s’intégrer dans la société. C’était vraiment étrange comme mal mais beaucoup de choses en notre monde n’avaient pas d’explication. Cette maladie n’était qu’une chose de plus.
Au moment de passer à table, Gaël me laissa seule pour rejoindre sa famille. Mon regard était fixé sur le plafond de la chambre et des larmes de joie se mirent à ruisseler le long de mon visage. J’étais enfin acceptée dans la société malgré mon effroyable physique et mes dangereux pouvoirs.
Les années suivantes, j’ai décidé de m’installer dans ce village et ai mis ma science au service des habitants. J’aidais beaucoup Claude dans son travail et de cette façon la vie de certaines personnes put être sauvée.
Quand vint le temps de ma retraite, je suis retournée vivre dans ma petite chaumière pour être un peu au calme pour mes dernières années.
Cela fait maintenant quelques jours que je me sens faiblir, mon heure a bientôt sonné et je me suis dit que ce serait une bonne idée d’écrire mon histoire pour que le monde entier puisse avoir une autre vision des sorcières.
Voilà, c’est mon heure, tout commence à devenir noir. J’espère seulement que j’aurai réussis à te convaincre, toi, que nous, les sorcières, ne sommes pas si méchantes que ça.
Signé Jeannette
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