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Dans le monde de Raya la sorcière, les pouvoirs magiques n’atteignaient leur apogée qu’une fois jumelés avec ceux de sa « moitié magique ». Cette sorcière de trente ans avait le pouvoir de modeler les molécules pour transformer tout ce qu’elle voulait en n’importe quoi. Elle voyait ses proches trouver leur moitié-magique et leurs pouvoirs conjugués décuplés mais pas elle. Tout au fond d’elle, elle les enviait mais elle se rassurait en se disant qu’elle trouverait bientôt son alter ego. Au début, on la regardait étrangement, puis ses amis et sa famille prirent leur distance, quelque chose n’allait pas avec elle, c’était sûr. Elle n’était pas comme les autres, elle était différente, destinée à demeurer seule.

Pour oublier sa condition de paria, elle se livrait à des expériences dans son laboratoire en parlant avec Acédie, son têtard domestique qu’elle désespérait de voir devenir un jour grenouille. La sorcière lui avait aménagé un confortable bocal mais elle perdait peu à peu espoir de le voir un jour se métamorphoser et ainsi avoir plus d’interactions avec lui ou elle. Au fond, Acédie était comme elle, un être à part. Dans le voisinage, elle était connue comme l’effrayante Raya suite à quelques blagues ratées qui avaient effrayé les personnes à qui elle les destinait. Un jour, elle avait voulu créer une créature à la douce fourrure bleue clair pour amuser les enfants mais la créature, à la vue des enfants, avait tenté de les dévorer. Ce n’est qu’à grand peine que la sorcière était parvenue à la maîtriser.

Elle observait souvent son têtard, elle lui parlait mais l’animal se contentait de frétiller dans l’eau ou de la regarder à travers la paroi de verre de son bocal. Elle avait l’impression qu’il la comprenait. Elle lui parlait de son désarroi de ne pas avoir trouvé sa moitié-magique, ce sorcier ou cette sorcière qui compléterait ses pouvoirs. Dans son monde, cet alter ego permettait de tirer le meilleur parti de ses pouvoirs ; en unissant leurs forces, ils compensaient leurs faiblesses. La plupart du temps, les sorciers se rencontraient à la haute école de magie ou à l’académie de magie qu’ils avaient choisi ; comme une évidence, ils se liaient et se nouait alors une relation de collaboration et d’amitié puissante. Mais Raya avait toujours été seule et elle avait peu à peu été rejetée par ses camarades au fur et à mesure qu’ils se liaient les uns aux autres puis s’enfermaient pour exploiter leur lien après les cours. En quittant l’université, toujours seule, le reste du monde la considérait d'un œil mauvais en cherchant à élucider le mystère de sa solitude. Dans son laboratoire, elle avait travaillé seule à perfectionner ses pouvoirs mais son cœur noircissait au fil des années, racorni par la solitude et de plus en plus souvent, elle se laissait aller à des expériences discutables, elle se surprenait à lancer des maléfices sans vraiment le vouloir sous l’effet d’une impulsion. Sa petite maison isolée dans un charmant coin de campagne lui semblait toujours plus solitaire.

Raya avait croisé, quelques jours auparavant, une ancienne camarade de l’académie de magie qui s’était moqué d’elle. De rage, Raya avait fait brûler la magnifique pelouse de son ancienne camarade de classe qui lui avait lancé un regard furieux avant de tenter de rattraper les dégâts tandis que Raya fuyait à toutes jambes, ses longs cheveux violets flottant derrière elle. Une fois rentrée chez elle, ses yeux violines lançaient des éclairs. Elle balança son sac en peau de chauve-souris dans un coin avant de chercher sur quoi passer sa colère.

- Et toi, Acédie ? Tu me sers à quoi ? Tu ne te changes pas en grenouille, tu ne parles pas et tu n’as même pas de pouvoirs magiques ! Je ferais mieux de te remettre dans ta mare où tu te feras dévorer.

Le têtard tourna un moment dans son bocal avant d’aller se cacher parmi les algues. Raya se demanda s’il avait compris ce qu’elle venait de dire ou si seul le ton de sa voix l’avait effrayé. Depuis quelques temps, elle se disait de plus en plus souvent que ce têtard était bizarre. Toute la nuit, elle rêva que son têtard se changeait en grenouille et qu’il sautait à ses pieds alors qu’elle se promenait sur la berge. Elle le regardait puis elle l'écrasait avec rage comme s'il était responsable de la situation.

Au réveil, elle se trouva de nouveau en seule compagnie de son têtard domestique. Devant ses tartines beurrées, elle l’observait du coin de l’œil. Raya l’avait depuis un an, elle l’avait ramassé pour obtenir une grenouille en deux ou trois mois mais il ne changeait pas d’aspect. Au départ, elle avait guetté l’apparition de pattes ou d’un début de métamorphose puis elle avait renoncé. Elle avait longuement observé la transformation des têtards de sa mare et puis, il n’était resté qu’Acédie qu’elle avait fini par prendre en pitié, il restait seul avec pour unique protection les hautes herbes de son environnement, à la merci des échassiers. La sorcière l’avait adopté dans l’espoir de pouvoir utiliser sa bave pour ses potions car cet ingrédient coûtait très cher et elle ne roulait pas sur l’or.

- Et toi, qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça, à la fin ? Tu pourrais au moins parler !

Le têtard tournoya dans son bocal et lui tourna le dos. Raya n’en revenait pas, voilà que son têtard lui faisait la tête ! Il n’était décidemment pas normal. Elle se questionna un instant en se demandant si elle ne pourrait pas le transformer en grenouille au moyen d’un de ses sortilèges mais elle craignait de se retrouver avec une grenouille morte sur les bras. Elle pourrait toujours la faire sécher pour décorer son intérieur mais elle s’était étrangement attachée au petit animal. Et au fond, elle commençait à s’inquiéter qu’il ne se métamorphose pas.

Quelques jours plus tard, en revenant du marché, elle avait pris sa décision. Son bocal à têtard sous le bras, elle marcha avec précaution jusqu’au logis de son ancien professeur de métamorphose. Le vieil homme à la longue barbe blanche se raidit à son entrée.

- Tiens, mais qui voilà ? L’effrayante Raya, pardon, mon ancienne élève Raya !

- Trêve de formalités. Je sais très bien que je suis mal considérée depuis que l’école a été accidentellement envahie par ma faute d’araignées et de serpents venimeux.

- Accidentellement, vraiment ?

- Oui, je jure que c’était un accident !

- Les apparences sont contre vous et nous avons accepté que vous poursuiviez vos études par correspondance et obteniez votre diplôme en session extraordinaire après cela.

- Oui, vous avez fait de moi une paria.

Le vieux mage l’observa avec circonspection.

- Bien, continua la sorcière, j’ai trouvé cette chose l’an dernier, elle ne se métamorphose pas en grenouille et semble comprendre et entendre ce que je dis lorsque je lui parle.

- Intéressant ! D’où vient-elle ?

- De la mare près de chez moi. C’est le seul têtard à ne pas s’être transformé en grenouille, j’ai eu pitié de lui.

- Cette chose n’est pas un têtard ordinaire ma petite, tu aurais dû le deviner seule. Comment as-tu donc obtenu ton diplôme ?

- En session extraordinaire, seule et isolée de mes camarades sans personne pour me soutenir ou juste parler avant et après les épreuves. marmonna Raya en levant les yeux au ciel et en s’asseyant dans le fauteuil car son hôte ne le lui proposerait visiblement pas.

Après quelques incantations, le têtard laissa place à un jeune homme aux cheveux et aux yeux vert émeraude. Très mince, sa peau laiteuse luisait sous la flamme de l’âtre, accentuant sa maigreur.

- Raya, vous avez entendu mes appels et vous m’avez sauvé ! Pardon, je me présente, Andrea pour vous servir.

- Non, je n’ai entendu aucun appel, je me demandais pourquoi tu ne te transformais pas en grenouille !

- Pardon, je peux vous en offrir une pour me faire pardonner !

- Ce serait la moindre des choses, dit-elle en croisant les bras.

- Comment te remercier ? Tu t’es toujours si bien occupée de moi, tu me parlais tout le temps et je sais tout de toi.

- Trouve-moi une grenouille et déguerpis, dit-elle en quittant la maison, très contrariée d’avoir perdu son confident.

Peu après, le jeune sorcier revint, une grenouille verte dans la main.

- Tiens ! Je me demandais… N’as-tu jamais songé que je pourrais être ta moitié de sorcier ?

- Pourquoi donc ? dit-elle d’un air bougon en haussant les épaules. Tu as bien trouvé la tienne à l’académie, non ?

- Oui, mais elle est morte dans un accident de laboratoire avant la fin de nos études. Et c’est dans ta mare que j’ai atterri et moi que tu as choisi entre tous les têtards.

- D’ailleurs, comment es-tu parvenu à ma mare ?

- J’ai fait une mauvaise manipulation un jour de pluie, je me suis transformé en têtard et le ruissellement de l’eau m’a mené à ta mare. Bien, essayons toujours ! Commençons par un sort simple !

- Mais tu n’as pas faim ? Envie de retrouver ta famille ? s’inquiéta Raya.

- Plus tard ! Tout ceci est trop important, je ne peux attendre. Le reste, si !

Et ils durent se rendre à l’évidence, leurs pouvoirs magiques s’accordaient parfaitement.

- Maintenant, je veux bien manger un morceau et prévenir ma famille…

Raya lui montra la table garnie pour le petit déjeuner et le téléphone bien visible dans la cuisine. Elle était de mauvaise humeur, elle s’était attachée à son animal de compagnie.

- Au fait, pourquoi m’as-tu appelé Acédie ?

Raya ne répondit rien, comment lui avouer qu’en premier lieu, elle avait projeté de le laisser dans son bocal pour voir combien de temps il survivrait sans son aide ?


Texte publié par Bleuenn ar moana, 2 mai 2017 à 19h01
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