La sirène frissonne dans l'air du soir, elle enroule ses longs cheveux d'or autour d'elle pour se réchauffer oubliant qu'ils sont aussi mouillés que sa peau. Elle lève les yeux vers le ciel et elle regarde au loin la lune qui éclaire la scène d'un éclat fantomatique.
Puis elle se met à chanter et sa voix cristalline emplit l'air que le vent emporte aussitôt au loin. Nul bateau à l'horizon, elle est seule sans compagnon en ce soir d'hiver. Elle ressent à peine le froid mais peu à peu, malgré sa solide constitution adaptée aux températures hivernales en haute mer, il s'immisce en elle. Ce n'est pas tant le froid de l'extérieur qui la glace mais le froid de son cœur qui se meurt de solitude et de tristesse.
- Je suis la dernière sirène, je ne sais où sont mes compagnons qui ont fui ma plage bien-aimée, j'ignore s'ils sont en vie et s'ils voguent sur d'autres flots. Seule, sans amour, sans chants, sans rires et sans jeux, je me languis de vivre et parfois je songe à cesser de lutter. Si les hommes me découvraient qu'adviendrait-il de moi ? Me laisseraient-ils vivre à proximité de leur communauté, me chasseraient-ils ou me feraient-ils prisonnière ? Je ne sais et je ne parviens à me décider alors je chante sous la lune et sur les flots.
Un soir d'été, un jeune pêcheur titube légèrement sur la plage, les mains dans les poches. Soudain, un chant atteint son oreille et il cherche du regard d'où il provient. Il sait qu'il a trop bu mais il sait également qu'il n'a pas rêvé et que l'air frais qu'il cherchait en se rendant sur le rivage a commencé à remplir son office.
- J'ai bu trop de cidre à la taverne. se dit-il.
Pourtant, il cherche la chanteuse dans le noir mais il ne distingue rien dans la pâle lumière lunaire. Le chant s'est tu et il abandonne sa recherche, certain d'avoir rêvé ou entendu le bruit du vent. Mais de nouveau, le chant s'élève et il s'approche du rivage pour se passer le visage à l'eau dans l'espoir d'avoir les idées plus claires. Il tend l'oreille et il est certain de bien avoir entendu un chant de femme non loin de lui apporté par la brise légère. Il ôte ses chaussures et il marche dans l'eau dans la direction de la voix qui vient de la mer, il en est sûr. Un bateau ? Ou une baigneuse nocturne ? Puis il la voit. Une frêle jeune fille aux longs cheveux blonds chante dans l'eau à demi-nue, ignorant qu'un indiscret l'observe. La lumière donne à sa peau de porcelaine un aspect fantomatique et fragile qui rehausse sa beauté naturelle. Le jeune homme sourit, l'amour vient d'envahir son cœur qui se met à battre un peu plus vite. Il hésite un moment, craignant de faire fuir l'apparition. Mais sans réfléchir, il lance ses chaussures au loin et il remonte son pantalon pour s'avancer dans l'eau en silence.
A son approche, la jeune fille tourne la tête vers lui et il lui sourit, craignant de la faire fuir.
- Pardon, je vous ai entendu chanter et je vous ai vue. Je ne voulais pas vous importuner.
Il détaille la jolie demoiselle qui lui fait face et il ne peut ignorer sa poitrine découverte qui le met mal à l'aise ; il détourne le regard et il rougit dans l'obscurité.
- Je ne voulais pas vous déranger, je vous souhaite une bonne nuit.
Il s'éloigne, craignant de la déranger mais il se retourne pour lui crier :
- Vous chantez divinement bien, j'espère vous entendre de nouveau chanter. Je vous souhaite une bonne baignade au clair de lune.
La jeune fille ne répond pas et il s'éloigne en se retournant plusieurs fois. Le lendemain soir, après une journée passée en mer, il revient sur la plage guettant la jeune fille de la veille. Et elle est là, chantonnant dans la mer le dos tourné à la plage, une fois la nuit tombée. Sans réfléchir, il se glisse dans l'eau à moitié habillé pour la rejoindre et elle se retourne en l'entendant plonger.
- Bonjour, je vous demande pardon, il n'est guère poli de me rapprocher ainsi de vous mais je vous ai trouvé si sereine que je n'ai pas voulu vous troubler. Je m'appelle Morgan et vous ?
- Océane. dit-elle avec un sourire.
- Et où vivez-vous ?
- Ici...
- Je ne vous ai jamais vue au village. Je dois y aller, je suis passé en rentrant de mon travail mais je ne puis m'attarder, je me lève tôt demain pour aller pêcher avec mon cousin. Venez au fest-noz demain soir, je vous y attendrai.
- Je serai là. répond la sirène en le regardant s'éloigner.
Puis elle lève les yeux vers la lune et elle se remet à chanter, elle sait qu'elle vient de tomber amoureuse mais elle ne sait pas comment elle se rendra à cette fête.
Le lendemain matin, cachée derrière un rocher, elle guette le jeune homme et son cousin qui montent dans un petit bateau de pêche au petit matin alors qu'il fait encore frais en ce jour d'été. Le vent lui amène leurs rires et elle entend l'homme raconter sa rencontre de la veille avec une jeune fille blonde à la voix d'ange qu'il espère voir le soir au fest-noz et qu'il compte bien faire danser toute la nuit. La sirène les observe un long moment de loin puis elle suit le bateau à distance sous l'eau.
Le soir venu, la jeune sirène solitaire tente de se représenter la fête qui se déroule sans elle et elle imagine Morgan danser au bras d'autres jeunes filles, des filles humaines avec des jambes pour danser et marcher. La jalousie lui tord le cœur et ses larmes se mêlent à l'eau de la mer tandis que son chant déchirant emplit la nuit. Elle sait qu'elle doit lui dire la vérité et que de toutes manières, son secret ne tiendra pas longtemps. Il ne vient pas le lendemain ni le surlendemain et Océane sait qu'elle ne le reverra sans doute jamais et que c'est mieux ainsi ; pourtant elle a du mal à quitter la petite plage où personne ne vient jamais. Le troisième jour, la sirène chantonne à moitié allongée sur un rocher sortant de l'eau en pente douce qu'elle affectionne.
- Vous êtes là, je vous ai attendue l'autre jour.
Surprise, son premier mouvement est la fuite puis elle se dit qu'il vaut mieux en finir et lui avouer la vérité surtout qu'il a pris la peine de nager jusqu'à elle. Elle lève ses grands yeux bleu foncé vers lui qui se noient de larmes. Après un moment d'hésitation, le jeune homme se hisse vers elle sur le rocher en lui disant qu'il ne voulait pas l'offenser.
- Je ne pouvais pas venir mais j'aurais aimé venir.
- Pourquoi donc ? dit-il en l'observant attentivement et en s'accoudant plus confortablement sur le rocher face à elle.
La jeune fille ne répond rien et elle tremble. Le pêcheur croit qu'elle tremble de froid et il lui propose de rejoindre la plage où le soleil les réchauffera. Il a ramené une couverture pour s'asseoir sur le sable et elle pourra s'en envelopper.
- Je ne peux pas. répond la jeune fille en regardant la main qu'il lui tend tandis que le sourire du pêcheur s'efface.
- Pourquoi donc ? Je vous ai attendue hier et vous n'êtes pas venue, êtes-vous en train de vous moquer de moi ?
Il sent qu'elle s'apprête à fuir et il prend son fin poignet dans sa main et elle se débat en vain. La colère se mue en incompréhension et il attend sa réponse.
- Si ma compagnie vous dérange, dites-le moi et je rejoindrai la plage. murmure-t'il, inquiet à l'idée de l'avoir offensé.
- Non, je suis désolée, je ne pouvais pas venir même si j'aurais aimé me rendre à cette fête. Je suis si seule. dit-elle alors que sa voix se brise.
- Avec moi, vous n'êtes plus seule. dit le pêcheur d'une voix douce en l'attirant dans ses bras sans lui laisser le temps de protester.
La jeune fille se laisse aller à ce contact, elle qui est seule depuis des années lorsque tous ceux de son espèce qui vivaient sur ces rivages les ont quitté quand les hommes ont commencé à s'installer dans les parages. Elle seule n'a pas eu la force de quitter son foyer tant aimé, elle aurait pu retrouver ceux auprès de qui elle a grandi mais sans famille, personne n'a pensé à lui dire où les retrouver si elle changeait d'avis. Depuis deux ans, elle chante dans la nuit en espérant que quelqu'un l'entende et maintenant que c'est arrivé, elle a peur et elle regrette que son vœu se soit réalisé. Elle sent le jeune humain se raidir lorsque sa queue de poisson frôle ses jambes et instinctivement, il baisse les yeux dans l'eau pour tenter de distinguer ce qui l'a effleuré et elle se met à trembler. Dans la lumière déclinante, le pêcheur a entrevu la queue de poisson qu'elle avait tenté de lui dissimuler et il comprend mieux son absence à la fête une fois la surprise passée.
- Je croyais que les morganez n'étaient que des légendes.
- Alors que vous portez notre nom. lui répond Océane avec un sourire triste. Me tuerez-vous ? demande-t'elle, inquiète.
- Non, bien sûr que non. Viendriez-vous vivre avec moi, si c'est possible...
- Je suis la dernière sirène de la région, je ne puis partir.
- Mais si vous restez la seule sirène, qu'adviendra-t'il dans le futur ?
- Il n'y aura plus de sirène dans la baie. murmure Océane dans un murmure. Tout mon peuple est parti au loin en un lieu que j'ignore pour fuir les hommes.
- Mais pourquoi ? Personne vient jamais par ici, on dit les grottes hantées. Si je n'avais pas bu l'autre soir, je ne serai jamais passé par là. On dit qu'on entend des voix chanter la nuit.
- Nos chants ? Nous avons failli être découverts par un naufrageur qui examinait la plage pour savoir s'il pourrait l'utiliser à son profit, ce qui n'est pas le cas, elle est petite et il n'y pas de bas fonds. Il était lourdement armé et nous avons pris conscience du danger, maintenant que les hommes s'aventurent sur cette plage qui est notre refuge depuis des décennies.
- Nos deux espèces ont peur l'une de l'autre semble-t'il. Mais cela ne change rien au fait que vous voilà seule.
A ces mots, la sirène fond en larmes ce qui émeut le pêcheur jusqu'au fond de son âme. Il reprend d'une voix douce en lui tendant la main.
- Il y a un sorcier qui vit dans le Menez-Bré, un ermite que j'irai voir, il est réputé très puissant. Je partirai demain et je reviendrai dès que possible, je vous le promet Océane. M'attendrez-vous ?
La jeune sirène acquiesce un peu inquiète à l'idée qu'il revienne avec des amis pêcheurs pour la capturer. Ils parlent longuement cette nuit-là et au matin, la sirène regarde le jeune homme s'éloigner certaine de ne jamais le revoir.
Morgan marche durant des jours, voyant dans son prénom un signe du destin et du rôle qu'il a à jouer. Sans famille, il n'a rien à perdre à tenter sa chance et la jolie sirène l'a atteint au plus profond de son âme lui qui dédaigne les filles qu'il connaît depuis toujours en sachant bien que sa future compagne n'est pas parmi elles. Enfin, il va trouver l'ermite du Menez-Bré et il lui expose son cas et son idée. Puis il repart aussitôt qu'il a obtenu ce qu'il voulait, un flacon à la main. Gwenc'hlan a écouté sa requête et l'un des derniers druides de Bretagne a mis tout son talent dans sa potion, refusant d'être payé pour ses services autrement qu'en renseignements sur la créature que le jeune homme lui expose une nuit durant autour d'une marmite de soupe épaisse et nourrissante.
Arrivé de nuit, le pêcheur se rend dans sa petite cabane solitaire dont il fait rapidement le tour. Il ne veut rien emporter et il sait que personne ne s’inquiétera de son absence. Alors, il se rend sur le rivage où la sirène lance au vent une chanson mélancolique dont il ne comprend pas bien les paroles mais qui parle de solitude et d'amours perdus.
- Je suis revenu ! Océane, tu m'entends ? la hèle-t'il face à son manque de réaction.
La jeune fille se retourne et la surprise envahit son visage à sa vue. Inquiète, elle observe les alentours mais elle n'entend que le bruit de la mer, il ne semble pas être venu avec des renforts dans le but de la capturer. Il est entré dans l'eau et déjà, il la serre dans ses bras en l'embrassant longuement.
- Je ne te quitterai plus jamais. dit-il avant de boire, craignant de perdre son courage.
Puis comme le sorcier le lui a recommandé, il tend la fiole à la jeune fille qui craint qu'il n'ai ramené un poison mais lorsqu'elle voit ses jambes se changer en queue de poisson, elle boit à son tour.
- Désormais nous pourrons choisir de vivre sur terre ou dans la mer avec des jambes ou une queue de poisson selon notre envie du moment. Ainsi que tous nos descendants et leurs descendants qui transmettront ce pouvoir à tous leurs descendants pour l'éternité, le grand sorcier que je suis allé voir me l'a assuré. dit-il en serrant Océane contre lui, le cœur battant. S'ils le veulent, la mer se repeuplera sur ces côtes.
La sirène met du temps à comprendre ce qu'il lui dit et elle rit sous la lune avant de l'entraîner dans la mer main dans la main pour lui faire découvrir son royaume en rêvant à une mer repeuplée dans un futur lointain si leurs enfants choisissent la mer et non la terre. Et si le vent murmure aux sirènes exilées au loin que cette partie du rivage se repeuple.
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