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Habitant au dernier étage de mon immeuble, la chute promet d’être douloureuse. Du moins le sera-t-elle si je ne fais rien pour y remédier. De fait, pour ne pas me blesser, je modifie la densité de l’air et ainsi ralentir ma vitesse pour atterrir sans encombre.

Après que mes deux pieds ont touché le sol, je lève la tête pour voir Satan penché par la fenêtre, en train de me regarder. Il me semble, vu d’en bas, quelque peu agacé par ma fuite précipitée et dangereuse. J’espère que Le Chat aura trouvé un moyen de fuir, autre que la fenêtre. De toute façon, avec un peu de chance, il ne doit pas même l’avoir remarqué. Il pense surement qu’il s’agit d’un simple animal de compagnie, je ne me fais donc aucun soucis pour elle.

Je m’engage donc dans la rue adjacente et je me mets aussitôt à courir. Fuir est mon unique choix dans une telle situation, mon adversaire est bien trop fort. Et comme il l’a si bien fait remarquer, je ne suis encore qu’une apprentie ! Mes tours de passe-passe ne l’impressionnent pas.

Je doute aussi qu’il soit venu seul, des démons peuvent arriver à tout instant, ajoutant de l’angoisse à cette scène pittoresque.

Cela ne manque pas, un premier ennemi surgit face à moi, coupant ma route. L’imbécile reçoit un violent coup de genoux dans le ventre, suivi par un morceau de cristal planté dans le crâne. Blessure dont il se remettra vite. Ce genre de bestiole ne meurt pas aussi facilement, hélas.

L’abandonnant là, je reprends ma route avec empressement. Je ressens tous les reliefs qui parsèment le sol puisque je ne porte pas de chaussures. De plus, la basse température est difficilement supportable : je ne suis vêtue que d’un pyjama. Je peux tenir, certes, mais combien de temps encore ? Ce ne sont pas des conditions adéquates à la fuite. Et il fait encore nuit noire, quelle poisse ! Pourquoi faut-il que ce genre de situation me tombe à chaque fois dessus ?

Je ralentis la cadence et je me tourne pour regarder derrière moi.

Personne.

Personne devant et personne derrière.

Je prends une grande inspiration, avant d’entreprendre d’ouvrir un portail, un trou dans l’espace susceptible de me mener en sécurité. En Inde, par exemple. Quand bien même la demande en énergie est immense, je suis prête à tout pour me tenir éloignée de Satan.

Alors que je confectionne avec sérieux cette porte de sortie, ce qui semble être une main se pose sur mon épaule et me déconcentre dans mon entreprise.

Cette même main me force à me retourner pour me retrouver face à la déstabilisante asiatique. Un énième démon à forme humaine, un monstre de plus à affronter. Une bête détestable et qui n’a rien à faire dans ce monde.

Dans un pur réflexe, je lui assène un violent coup de poing dans l’espoir de lui briser son nez.

Geste stupide, je me fais mal et elle, elle sourit vicieusement en comprenant que ma force, comparée à la sienne, est insignifiante. Elle me donne l’impression de n’être qu’un pitoyable insecte.

Je rage, je peste, tout en massant ma main endolorie.

Heureusement, je possède d’autres atouts : elle ne devrait pas me sous-estimer.

Je me concentre sur chaque molécule composant l'atmosphère autour de mon poing droit serré. Je mobilise tout mon esprit dessus et je la modifie pour la rendre plus dense, plus épaisse. Je fais mine de vouloir la frapper sauf que ce n’est pas mon poing qui la touche, mais une onde de choc d’une impressionnante intensité. Elle se retrouve projetée vers l’arrière avec une violence inouïe. J’entends distinctement un craquement d’os et je peux voir son bras faire un angle improbable.

Je recule de quelques pas, sur mes gardes. Ce sont des êtres vils et vicieux. Ils sont capables de choses que je ne peux moi-même imaginer.

L’asiatique vêtue de rouge se relève et son sourire a maintenant disparu. Je remarque que sa paupière inférieure gauche tremble, signe d’un énervement certain. Son bras craque et elle le replace correctement. Je déglutis difficilement, trouvant cette scène particulièrement dégoûtante.

“Un peu de nerf Cristal, tu peux le faire…” me dis-je à moi même pour me redonner confiance et courage.

Je fléchis légèrement les jambes et j'essaye de ressentir la matière dans l’espace qui m’entoure. Elle m’est familière, comme une vieille amie que je retrouve par hasard au coin d’une rue. Je la sens plier entre mes doigts, prête à exécuter le moindre de mes désirs.

J’entre dans un état de conscience si particulier qu’il m’est impossible de le définir. Je ressens absolument tout. L’air, le battement d’aile d'une mouche à 50 mètres, la vibration produite par les atomes du goudron, l’onde produite par le miaulement d’un chat au bout de l’allée...

Le démon s’approche dangereusement, prenant de la vitesse dans le but de me capturer et de se venger. Mais à un mètre de ma position, avant qu’il ne m’atteigne, je lève ma main gauche et son corps suit mon mouvement : il gesticule dans l’air sans pouvoir avancer, reculer ou atterrir.

Je ne me contente pas de ressentir. Non, je contrôle, également.

“Je pourrais te désintégrer, te faire redevenir poussière en une fraction de seconde…” menacé-je la démone d’une voix étonnamment grave.

Elle rugit et elle grogne, griffant l’air de ses ongles acérés, en vain.

“Tu comprends pourquoi le Conseil te désirait, à présent ?” murmure la voix de Satan contre mon oreille.

Je sursaute et, perdant ma concentration, le démon à l’apparence d’une asiatique échappe à mon contrôle et tombe sur le bitume.

“Comment…? murmuré-je, consternée et déstabilisée par sa voix suave.

- Chhhht… Ne dis rien…” me murmure-t-il de plus bel, tout en posant ses mains sur mes hanches.

Son regard se pose sur sa semblable qui se relève difficilement. Je me tourne également pour la regarder, en me demandant ce que cet énergumène a derrière la tête.

“Recommence.” m’ordonne-t-il d’une voix doucereuse.

Un indéfinissable frisson me parcourt l’échine, tandis que je tends une main tremblante vers la femme.

Que m'arrive-t-il ?

Elle pose sur nous un regard inquiet, à raison j’en conviens.

Je me focalise sur la matière que compose ce corps féminin et, levant derechef le bras, je la fais léviter.

Elle s’affole et me supplie du regard de ne pas écouter Satan. Mais je me trouve sous son emprise à présent, comme hypnotisée par sa voix qui me dicte ce que je dois précisément faire.

Pourquoi lutter m’est impossible ?

“Tue-la.” me demande-t-il.

J'hésite quelques instants, je ne voulais pas la tuer mais la renvoyer dans son monde, comme je l’ai toujours fait avec ses prédécesseurs. Mais Satan l’exige et son timbre séduisant et chaleureux m’incite à l’exécuter.

Quelques secondes plus tard, elle s'effrite et devient cendres et poussières, dans un cri aigu capable de vous percer les tympans.

Mon rythme cardiaque s’emballe lorsque je me rends compte de ce que je viens de faire.

Peu importe qu’elle soit un démon, je l’ai tuée sans état-d’âme, sans aucun remord.

J’ai pris une vie !

Je l’ai détruite !

La panique me gagne à mon tour, alors que je sens les bras de Satan se refermer autour de mes hanches. Il m’attire contre son torse et me murmure de douces paroles pour me détendre.

“Tu es d’une incommensurable puissance, Cristal. Ne veux-tu pas mettre cette incroyable capacité à profit ? Ne veux-tu pas mettre un terme à cette stupide guerre ? me questionne-t-il.

- Si… murmuré-je en retour, atterrée et toujours horrifiée par ce que je viens de faire.

- Tu sais comment faire… Qui sont les instigateurs de cette guerre ?

- Je... je ne sais pas…

- Bien sûr que si, tu le sais.

- N… non… réponds-je avec hésitation.

- Dis-le Cristal, je sais qu’au fond de toi, tu le sais… Dis-le ! m’ordonne-t-il cette fois-ci plus sèchement.

- Lâche-la !” s’exclame une voix dans mon dos qui me fait reprendre conscience.

Je tente de repousser Satan avec force mais ce dernier refuse me lâcher. Je suis prisonnière de ses bras.

“Luci !” crié-je, dans l’espoir qu’elle me vienne en aide.

Je ne la vois pas, c’est frustrant. Elle est si proche et je ne peux pourtant l’atteindre.

Je lui en veux autant que je la désire…

Ma belle Lucifer…