“Tu ne te souviens donc de rien ? Ce n’est pas grave. Ils t’ausculteront. Nous devons nous rendre au Centre. Il nous faut te ramener auprès du Conseil.”
Je m’empresse de secouer la tête.
“Non ! Je ne peux pas. Je ne peux pas partir maintenant !
- Mais tu… elle grogne légèrement, vous êtes en danger ! me rétorque-t-elle.
- En danger… ? Peut-être, mais je ne peux pas. Je dois rentrer chez moi immédiatement ! m’exclamé-je avec conviction.
- C’est impossible.” finit-elle par dire sèchement.
Je fronce légèrement les sourcils, en posant mes mains sur mes hanches pour paraître plus impressionnante. Dans cette situation, il me faut faire preuve de persuasion.
“Comment ça ? la questionné-je.
- Ce que vous appelez “maison” est un repaire de démon, m’apprend-elle.
- Mais…”
Je ne trouve rien à redire. C’est une raison valable, suffisante, pour me faire changer d’avis.
Du moins, en temps normal, je l’aurais gentiment suivie sans demander mon reste. Mais le fait est que je ne peux pas. Je dois rejoindre le bureau de mon père. D’autant plus que j’aimerais m’assurer que le chat est encore en vie.
“Je ne peux pas. Partez sans moi s’il le faut.
- Tu vas te faire tuer si tu y vas seule ! s’exclame brutalement Gabriel. Je t’accompagne.”
Il se tourne vers l’inconnue, et reprend :
“Lucifer, je sais que tu ne l’abandonneras pas.”
Luci… fer ?
Je vacille légèrement.
“Vous êtes… un démon… ? osé-je lui demander.
- Non, me répond froidement Lucifer.
- Lucifer est un ange déchu.
- Ca n’a aucune importance.” rétorque-t-elle.
Je sursaute. Son ton est sec et une menace tacite vibre dans sa voix. Elle ne m'attire à présent plus du tout. Non, elle me terrifie. Pourtant, en dépit de mes jambes tremblantes, je lui tiens tête.
“Je retourne chez moi, avec où sans vous.” répété-je avec conviction.
Lucifer soutient quelques instants mon regard. Il est dur, froid, fermé, il ne possède plus rien de magnétique.
Je ne sais où je puise la force de l'affronter.
Elle tourne la tête, rompant le contact visuel, puis elle soupire longuement. Elle me semble lasse, fatiguée.
Je ne réprime que difficilement cette étrange envie de l’enlacer à mon tour.
Un ange déchu… un démon… ne font-ils pas partie de la même famille ?
“Fort bien. Nous venons avec toi.”
Je m’abstiens de crier victoire.
Je porte mon attention sur le cadavre de ma meilleure amie, puis je serre fermement les poings. Pour toi, Alexa, je deviendrai plus forte.
“Comment fait-on pour elle ? Sa mère rentre ce soir… si elle trouve le cadavre de sa fille…” je ne termine pas ma phrase, elle est on ne peut plus claire. En un instant, mes yeux s’embuent et je sanglote à nouveau sous le poids de cette violente solitude amicale.
Que m’arrive-t-il ?
Qui suis-je réellement ?
Enchanteresse ? C’est ainsi qu’ils m’ont appelée.
C’est à n’y rien comprendre !
Je suffoque… je panique… je m'écroule alors sur le sol, les mains appuyant, comprimant ma poitrine.
Je suis dans un rêve et je vais me réveiller !
N'est-ce pas… ?
Un bras se glisse sous mon genou et un autre sous mon dos, pour me soulever, me porter. Je relève la tête pour voir Lucifer s’envoler par la fenêtre, moi dans ses bras. Mon réflexe premier est alors de m'accrocher à son cou, par peur de tomber. Ses ailes sont gigantesques et d’une telle beauté… C’est à en couper le souffle.
Cette sensation d’oppression des plus désagréables me quitte, emportée par le vent qui me fouette le visage. Je ferme les yeux et je la laisse m’emmener. Dans ses bras, j’ai l’impression d’être en sécurité. Plus rien ne peut m’arriver.
“Qui suis-je ? murmuré-je d’une si faible voix qu’il serait étonnant qu’elle m’ait entendue.
- L’enchanteresse.” me répond-elle platement.
Je n’ose pas lui poser plus de question. J’ai l’impression de la déranger. Mais ce mystère qui m’entoure me rend perplexe, attise ma curiosité. Je veux savoir qui je suis vraiment.
C’est un besoin incoercible que je ressens.
“L’Enchanteresse est l’unique humaine pouvant communiquer avec la matière et la soumettre à son bon vouloir. Elle la contrôle et la manipule en faisant usage d’une énergie mystique que les Hommes nomment Magie. C’est ce que tu es, depuis la nuit des temps.”
Je hoquette, surprise par cette soudaine explication.
“Ce que je suis…? Mais… comment ? Pourquoi ? m’empressé-je de lui demander, avide d’en apprendre plus sur ce qui fait de moi cette incroyable… chose ?
- Tu le sais déjà, la mémoire finira par te revenir.
- D’accord, lui dis-je, un tantinet déçue. Mais… et toi, qui es-tu ? Qui es-tu pour moi ?”
Je la regarde maintenant avec espoir. Il s’agit là de la plus longue conversation que nous ayons jamais eue, de surcroît !
“Lucifer, le porteur de lumière.
- Gabriel a dit que tu étais un ange déchu !… Est-ce que tout ce qui se trouve dans la bible est vrai ? Je ne vais jamais à l'église, Dieu va me punir ? Il existe ?”
Je me vois contrainte d’arrêter de lui poser des questions. En effet, j’ai parlé à une telle vitesse qu’il me faut à présent reprendre mon souffle.
Force est de constater que je ne reçois nulle réponse.
J’entreprends donc de fermer ma bouche et de ne plus émettre le moindre son jusqu’à ce que nous parvenions à destination. Je dois donner l’impression de n’être qu’une enfant un peu naïve. J’imagine que dans une telle situation, je dois me comporter comme une adulte responsable.
“Tiens… où est Gabriel ? ne puis-je m’empêcher de questionner en remarquant l’absence de cet être céleste.
- Il s’occupe du corps d’Alexa. Il nous rejoindra plus tard.” me renseigne Lucifer.
Alexa…
Je cache mon visage dans le cou de cette femme et je hume son odeur.
Elle sent le printemps. C’est lénifiant… Je pourrais m’endormir, ainsi blottie contre elle.
Mais je ne peux me permettre une telle chose, je me dois de rester vigilante. Je n’ai pas pu sauver Alexa, je n’ai pas été capable de la protéger.
Au loin, j'aperçois ma maison.
Cette dernière est encerclé par une aura noire, malfaisante. Mon instinct de survit me dicte de ne surtout pas m’en approcher.
Comment diable ai-je fait pour vivre dans une telle demeure des années durant ?
Comment se démon est parvenu à usurper l’identité de ma mère ?
Qu’est-il réellement advenu de mon père ?
Je sens une certaine rage grandir en moi.
Et, alors que nous nous approchons de la bâtisse, je fais de nouveau appel à cette incommensurable force.
Cette fois-ci, je vais me battre.
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