Aveuglée par la lumière du jour, je peine à ouvrir les yeux, mes volets ne sont donc pas fermés. Or, je les ferme toujours avant de me coucher. Quelque peu étonnée par ce constat, j’essaie donc de me remémorer ma soirée et, chose étrange, je n’y parviens pas.
Du moins, je me souviens que maman s’était endormie devant la télévision et, ensuite, de m’être levée avec l’intention de me rendre aux toilettes. Je me revoie, par ailleurs, grimper les escaliers. Mais après ça, c’est le trou noir.
Je me gratte les yeux, puis je me redresse en m’étirant. Je me sens… épuisée, en dépit de mes probables huit heures de sommeil.
Je parcours ma chambre du regard, rien n’a changé. Mon bordel est resté tel quel. Quoique l’on ne peut nommer cela “bordel”. Comme je le dis si bien, il s’agit là de ‘bordel organisé’ made in Cristal !
Je quitte mon lit, puis je glisse mes mains dans mes poches. Dans l’une d’elles s’y trouve une feuille pliée en quatre. Perplexe, je la déplie et je découvre dessus un magnifique dessin représentant une femme. Son visage m’est familier mais je ne parviens pas à savoir pourquoi. Je ne pense pourtant pas avoir déjà rencontré pareille personne.
Le regard de cette fille retient mon attention. Il est... hypnotique. Il ne s’agit pourtant que d’un dessin et je sens malgré ça mes joues s’échauffer et mon cœur s'emballer.
"Ce n'est qu'un dessin, Cristal." me fustigé-je.
je reporte mon attention sur le bout de papier que je caresse avec toute la délicatesse dont je peux faire preuve.
“Qui es-tu ? murmuré-je.
- Tu es réveillée ? tonne la voix de ma mère, me faisant sursauter.
- Oui !” lui crié-je à mon tour, tout en repliant le morceau de papier pour le ranger dans la poche de ma veste.
Je m'empresse alors de me changer, mais je garde tout de même le dessin sur moi. Cependant, après avoir mis le pied dans le couloir, je sens une étrange sensation me gagner. Un sentiment similaire à de l'angoisse.
Mon regard se porte alors sur la porte en bois blanche du bureau de mon père.
Je la fixe intensément, comme si elle renfermait un secret que je me devais de découvrir.
Aujourd'hui semble être différent des autres jours.
Aujourd'hui est... effrayant.
Je me sens mal à l'aise et étonnamment effrayée.
Je recule d'un pas.
Je dois fuir.
Je dois partir, quitter cette maison.
Je dois...
"Cristal ?"
Je relève la tête jusqu'à croiser le regard inquiet de ma mère. Elle s'approche lentement, en tenant dans la main une boîte de médicaments. Des calmants. Je secoue lentement la tête, puis je me redresse.
"Ça va, ce n'est rien... " la rassuré-je aussitôt.
Elle m’ordonne de prendre un cachet, en plus de ne pas oublier de prendre mon petit-déjeuner.
Je quitte le domicile familial une heure plus tard.
Mon esprit a besoin de s’évader, je ressens la nécessité de m’éloigner de cette ambiance oppressante. Naturellement, je n’ai pas mis maman au courant. Elle n’aurait pas été d’accord.
C’est donc avec une certaine insouciance que je me rends chez Alexa.
Elle seule peut me comprendre.
Elle n'habite qu'à cinq minutes à pied de chez moi.
Elle m'accueille à bras ouverts, puis nous nous rendons directement dans sa chambre.
"Je ne sais pas si tu as vu ta tête, mais on dirait que tu viens de voir un fantôme ! me dit-elle, amusée.
- Très drôle... Non, je me suis réveillée il y a peu de temps. Je suis fatiguée...
- Oula, tu m'inquiètes ! s'exclame-t-elle en posant une main sur mon front. Cristal, tu as de la fièvre."
Je ferme les yeux, alors qu’un vrombissement couvre peu à peu sa voix. Je ne sens plus rien, je n’entends plus rien et je ne vois plus rien.
Ce que je perçois est indéfinissable : ni blanc, ni noir, ni odorant, ni bruyant, ni silencieux.
Je suis comme transportée dans un autre monde, une autre réalité échappant au commun des mortels. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive et je n’ai pas envie de le savoir : je me sens bien.
Des flashs, des images de la veille s’imposent à mon esprit et me font grimacer tant elles sont violentes.
Un chat noir.
Des papiers qui volent.
Un monstre.
Et le noir.
Tout ce que j’ai vécu hier me revient en mémoire si subitement que cela me donne la nausée.
“Cristal ! Cristal, je t’en prie !” hurle Alexa, en me secouant.
J’ouvre lentement les paupières et je gémis de douleur. Ma tête me semble peser plusieurs tonnes, si bien que je peine à me relever. Mais je connais une formule pouvant me permettre de régler ce petit problème...
Encore groggy, je m’entends prononcer cette phrase qui fait léviter tous les objets aux alentours. Notamment ma meilleure amie, qui se met à crier de plus belle.
Je la sens ensuite se cramponner à moi, alors que je grommelle, mécontente car cela n’a nullement mis un terme à cette désagréable gêne.
Un bruit strident se fait entendre, me faisant perdre ma concentration.
Alexa, ses affaires et moi-même retombons lourdement. Heureusement, son lit amortit notre chute.
Je regarde dans la direction de la source sonore perturbatrice. Il s’agit de la fenêtre qui se trouve être grande ouverte, alors qu’elle ne l’était précédemment pas.
Alexa semble vouloir me percer les tympans aujourd’hui. Elle resserre son étreinte autour de moi et je la sens cacher son visage baigné de larmes dans mon cou. Elle est effrayée par la gigantesque ombre s’apprêtant à entrer dans la pièce.
J’enlace délicatement le corps fin de mon amie, comme pour la protéger de ce danger surnaturel.
Maintenant que la mémoire m’est revenue, je sais de qui il s’agit. Je sais que ce démon n’est nul autre que cet imposteur maternel.
Si hier, elle m’effrayait, aujourd’hui je me sens le courage de lui tenir tête. Quand bien même dénuée d’arme, je suis prête à lutter de toutes mes forces contre ce belliqueux personnage.
Je lui adresse par ailleurs un regard aussi noir que doit l’être son âme.
Ce titan démoniaque ne m'impressionne plus, désormais.
Je sens en moi naître puis croître une force nouvelle, une énergie si forte et si puissante qu’en puisant dedans, je suis assurée de sauver au moins ma camarade.
Mon amie d’enfance, une sœur, une confidente.
“Ne t’inquiète pas, Alexa, je suis là.”
Mes prunelles ne quittent pas un seul instant le démon qui se met à rire, moqueur.
J’inspire une grande goulée d’air, puis j’expire longuement, tout en faisant appelle à cette puissance que je devine magique.
Un halo de lumière blanche nous entoure, Alexa et moi, faisant sursauter notre ennemie qui se précipite vers nous. Hélas pour lui, c’est trop tard : il ne peut plus nous atteindre.
Le démon hurle et tente de traverser mes barrières.
C’est une entreprise qu’il sait perdue d’avance, mais cela ne l’empêche pas d’espérer…
L’espoir est un carburant des plus puissants. Et il est celui qui me fait tenir.
Je caresse avec douceur les cheveux longs, blonds et soyeux d’Alex, tout en lui chuchotant que nous sommes désormais hors de danger. Elle sanglote piteusement, encore sous le choc, effrayée par la chose qui s'évertue à frapper l’aura protectrice qui nous englobe.
Un plume blanche vient chatouiller mon nez, manquant de me faire éternuer. J’en conclus que les objets physiques peuvent pénétrer mes défenses spirituelles.
“Qu’est-ce que… c’est ?”
Je m’interroge sur la provenance de cette plume, jusqu’à ce que notre adversaire se retrouve projeté violemment par Gabriel. L’homme replie ses majestueuses ailes immaculées, pour pouvoir entrer dans la chambre à son tour. Il s’agenouille sur le rebord de la fenêtre, prêt à décocher une flèche dans la direction du démon. Il tend un bras et replie l’autre, armé d’un gigantesque arc couleur d’or. Je remarque sa fine musculature, et le fait que cet homme tient plus de l’ange que de l’humain.
Le démon l’attaque subitement, tel un chien enragé, le faisant lâcher la corde de l’arc dans la mauvaise direction.
Cette dernière se plante dans le crâne d’Alexa.
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