Le charme mort. TENENAN
Un combat commencé par un regard, s’achèvera dans un cauchemar,
cinquième précepte des arts ténébreux,
La terre vibra sous ses pieds, un tremblement grogna sous la terre, les deux armées se percutèrent avec une rumeur de coup de tonnerre. Une odeur de fumée emplissait l’air, un parfum d’El - un parfum de magie. Tout était réfléchi, mais il s’attendait à de l’imprévu, la principauté de Minos avait beau être faible, elle avait le soutient de Vesper. L’armée adverse constituée de fermiers, paysans et forgerons était mue d’un certain courage qu’il respectait. Voilà une qualité que les faibles pouvaient aimer brandir quand venait le début d’une bataille, ils fonçaient à l’aveugle dans la mêlée, l’épée serrée contre leurs plastrons, puis après quelques bouffées de sauvagerie déféquaient dans leurs braies en espérant survivre assez longtemps avant la capitulation.
La nuque d’un soldat de Minos craqua comme une brindille, le sang n’eut pas le temps de salir son armure, que déjà un autre mourrait. Un inconscient courut en sa direction, sa tête ne tarda pas à rouler par terre. La lame trouvait et tranchait les obstacles trop remuant. Derrière lui, Eadun avait peine à le suivre. La baptême du sang était la dernière épreuve d’un élève Elector : « Donnez moi la chance de vous prouvez encore que je suis capable de vous épauler… ». Il avait accepté, parce qu’Eadun lui rappelait un enfant qu’il avait connu, et que surtout les charmeor capables de le contenir étaient aussi rares qu’une vierge dans un bordel de Palmyra.
Le soleil du crépuscule saignait le ciel, et déjà les armées de Minos se dispersait. Il donna l’ordre d’isoler le bétail mortel prêt des Chutes, car l’Apprenti du renégat prenait la fuite sur la colline jonchée de cadavres, tirant le jeune roi de Minos par le bras. Le roitelet braillait, finissant de réduire à néant la faible motivation des survivants. Sa faiblesse jurait avec la magnificence de sa cité, une cité qui serait bientôt sous son contrôle. Minos trônait sous la couronne incandescente du ciel, belle et invisible depuis cinq siècles, ses hautes tours blanches baignée dans la lueur de la fin du jour. Aujourd’hui, cette cité inviolée tomberait comme tous les autres royaumes face à la puissance de Sterenn.
En laissant son apprenti derrière lui, le renégat pensait-il réellement que cela suffirait à l’arrêter ? La victoire était une main tendue qu’il n’avait qu’à saisir. Les armées de Minos avaient capitulées avec une facilité déconcertante, ils avaient déposés les armes et fuyaient vers la cité en laissant leurs morts à la merci des chimères, qui, lâchées par leurs maîtres allaient se repaître de leurs récompenses. Un nuage de poussière dissimula un instant l’Apprenti et le roi vaincu à sa vue - une chimère traînait une cage thoracique, ses yeux globuleux et vides pleuraient, les intestins de sa prise pendaient misérablement comme la queue d’un animal infernal, et la carcasse termina en morceaux dans sa gueule béante. Un Elector du cinquième bataillon l’a rappela à lui, la chimère devînt translucide, regagna son ḱḗr et s’évanouit laissant de son passage qu’un tas d’os que son maître évita gracieusement avant de rejoindre sa cohorte .
- Monseigneur, je peux les rattraper, hurla Eadun en s’élançant à la poursuite les fugitifs.
Quel imbécile, il désobéissait encore aux ordres – un charmeor restait toujours derrière son seigneur.
Une victoire. L’Apprenti s’arrêta sur la plage, le voile de gaz du roitelet ondulait sous les caprices du vent marin. Une bourrasque fit s’envoler le tissu vers l’océan. Le mugissement des vagues écrasées contre les rochers faisaient taire les sanglots du roi, son visage convulsé paraissait muet et donnait un spectacle presque comique. Il était jeune, lâche, aussi fluet qu’une femme, et pourtant il régnait sur Minos. Les dieux avaient un sens de l’humour étrange, se dit-il. Une victoire. L’Apprenti jeta un regard en arrière, et leurs yeux se rencontrèrent.
Un combat commencé par un regard, s’achèvera dans un cauchemar.
Les yeux dorés de l’Apprenti étincelaient de malice.
- Eadun, revient immédiatement, rugit-t-il, tandis que se fracassait une autre vague. C’est un piège !
Le voile s’éleva dans les airs, virevolta jusqu’au pieds de son disciple, tourbillonnant, s’étirant et se modelant en une silhouette spectrale qui s’enroula autours du visage d’Eadun, alors il contre-attaqua. L’El de la chimère et le sien rentrèrent en collision, le voile enchanté brûla comme un chiffon et la créature poussa un cri strident en chœur avec celui du roitelet dont la peau pelait et carbonisait en même temps que sa chimère.
- Voici donc la chimère du grand roi de Minos, dit-t-il en achevant de brûler le voile. A l’image de son maître…
Il leva sa paume et le voile libéra Eadun.
- Lâche et pitoyable…
Un nouveau hurlement sortit de la bouche baveuse du roi, il se traînait à genoux, plongeait ses doigts tremblotants dans le sable.
L’Apprenti prit le roi par le col et le releva. A côté, Eadun avait repris ses esprits.
- Oui, Mnémée est son nom, dit l’Apprenti, il caressa la tête du petit roi geignard, c’est une petite bête très intéressante, pourtant on a tendance à l’oublier, c’est fâcheux. il rabattit son capuchon blanc sur son visage, et sourit à pleine dent.
- Son nom m’appartiendra, gronda-t-il, alors qu’il changeait ses pupilles. Je n’ai qu’à la regarder, elle ira avec les autres dans le néant.
Wyllt l’Apprenti du Renégat, ouvrit ses bras et ses longues manches noirs se déplièrent comme les ailes du chauve-souris.
- Tu es si sûr de toi, quel genre de chimère crois-tu avoir à faire ? Mnémée n’en a cure de brûler, elle trouve son chemin dans les méandres de l’esprit, c’est une chimère spirituelle, l’aurais-tu oublié ? Alors, regarde devant toi quand tu es face à un précipice, et prends garde à ta chute, Tenenan.
Les sons se déformèrent, discordant. Sa vision fondait comme une toile de cire.
Charme
Mort
L’aurais-tu oublié ? Oublié. Oublié. Oublié. Mnémosyne est son nom. Un nom...Un nom. Un nom.
Nom. Non
Ta chute,
Chute,
Shtttt…, mon enfant.
Fall...
Fallan.
XxX
« En garde. »
J’évite de justesse le coup du maître. S’il réalise la prise, je gagne, pari fait sur la tête du Dagda. Un petit sourire fini de décontracter mon visage en sueur. L’écho de ma colère, de ma tristesse raisonnent encore en moi, une douleur lancinante que l’entraînement rend supportable. Le combat m’évite de parler, de confier mes inquiétudes. Happé dans la fièvre belliqueuse, je m’amuse comme le cheval fou du Dieu-Roi. Le maître me rend mon sourire. Imposant, aussi haut de taille que père, le maître Ganelon est vêtu d’un pantalon renforcé de cuir. Son torse massif luit au soleil comme une pièce de bronze, et à son avant-bras étincelle le brassard métallique des Elector – une étoile à sept branches : un niveau d’exception pour un Elector, quand on sait que gagner ne serait-ce qu’une branche nécessitait cent années de chasse. Les yeux vert anis du maître sont allumés d’une lueur d’amusement, et tout de lui impose le respect dû à un Homo-Deus. Ganelon Atheros. Seigneur de haut parage, invité à rejoindre la cour de l’empereur, mais qui refusa de tourner le dos à père et lui offre désormais son conseil.
Le maître m’enseigne depuis dix ans, j’ai trouvé en lui un père donné par les dieux. Nous avons ce lien indéfectible du disciple et du maître. On m’enleva à ma mère à cinq ans, arraché à ses bras par la garde impériale pour devenir otage de l’empereur. Payer les crimes de mon oncle, ils disaient… Je lance un coup de pied furieux qui est évité. Oberon Sandor, vassal de père m’avait sauvé de cet enfer et quand je revenais à moitié mort, le conseil de Portanciel décida qu’il fallait m’éduquer au combat, malgré le refus de père. Se défendre des ennemis, ne jamais attaquer soi-même, défendre et protéger la paix de la cité sacrée. Ma vie se résume à l’enseignement des arts sombres, au maniement des armes, au combat à main nue. Un héritier est une pierre que ses maîtres liment à coup de bâton, de sermons et de privations. Le maître d’arme comprend ma rébellion, il m’’écoute, me parle et égaille ma vie les jours où quand, gris et froid, trempé dans une mer de brume, le soleil ne suffit plus à me réchauffer. Vient Ganelon et ses rires, son humour qui ne me laisse aucun cadeau, et me laisse aussi nu qu’un nouveau né.
A la fin de l’entraînement, le maître m’avais promis un présent. L’impatience transparaissait dans mes mouvements, mon pied pivote, puis je baisse la tête, évitant le poing légendaire du maître. Rapide, transi d’excitation, j’éprouve un plaisir formidable à combattre. La cour d’une blancheur immaculée est irradiée d’une lumière froide, et moi je brûle de l’intérieur, allumé d’une flamme joueuse insatiable. Je sais contrôler ma respiration, la vitesse de mes enchaînements. Depuis la prime enfance, je me bats tous les matins dans la cour intérieure du château. Chaque fissure sur la pierre. Je me mets en garde, mon souffle mêlé à celui du maître. Chaque branche ployant sous le poids des oranges parfumées, et la vigne gravissant les piliers de marbres. La botte du maître claque contre les dalles. Même les yeux fermés je peux voir ce lieu familier, plus familier que les appartements de mère. Le maître est rapide, ses gestes possédés de la grâce qui habite les guerriers dont le combat est aussi naturel que reprendre sa respiration après un plongeon dans un lac. Un jour, je lui ressemblerai.
« Maintenant » .
Je vais attraper le bras du maître, mais je me sens chuter en arrière. J’ arrondis mon dos, essayant de rouler et éviter de m’étaler comme un misérable sur le sol. La prise du maître est expéditive. En un battement de cil, je goûte à l’implacable dureté des dalles brûlantes de la cour. Je grimace de douleur, me relève sur les coudes. La silhouette du maître se découpe au couteau dans l’aveuglante lumière de l’œil d’Enlil. Je renverse mon visage en arrière, offrant mon visage au soleil. Combien de temps me suis-je entraîné cette fois ? Ais-je approché de la victoire ?
Je me mâchonne l’intérieur des joues, les mots me brûlaient les lèvres. Je veux dire à au maître ce que j’ai vu ce matin… A quoi bon ? J’ai promis à père de ne rien dire. Trahir la confiance de père ou tarir la mer de questionnement en révélant à mon maître, ce que je sais ?
« En garde ».
Derrière le mur ouest, la garde manie l’épée. Je brûle de recevoir la mienne et de rejoindre mes cousins de l’autre côté de la barrière. Le maître dit que je ne suis pas prêt et c’est aussi l’avis de son père. Selon lui, je ne serai jamais prêt… Une perle salée goutte le long de mon front, plaque de métal en fusion au contact du feu solaire. La cérémonie de majorité approche, j’ai travaillé dur pour que je puisse enfin apprendre à contrôler l’El – la magie que le Dieu offrit au premier peuple, il y a vingt-mille ans. Je connais ma leçon. Ce soir, je réciterai les Lois et les Devoirs des Immortels à mon père et à son conseil. Ennuyeux. Je dois trouver un moyen d’éviter cette corvée… Eskil m’avais proposé d’aller chasser. Merveilleuse idée !
- Fallan, debout ! C’est cette confiance illusoire qui te fait chuter. Hier je te disais que tu étais comme un jeune faucon sans plumes s’élançant hors du nid à la conquête du monde. Aujourd’hui, tu t’étales telle la merde du pigeon. Quelle prouesse me montreras-tu demain ? demanda le maître d’une voix caustique.
Voilà, le maître Théodus, ne m’aurait jamais parlé de cette manière. Les autres sont des vieux hiboux puants flottant dans des hideuses toges grises orages, ils semblaient ne jamais éprouver d’autres plaisirs que de me tourmenter. Le maître lui était un guerrier, un mage Elector puissant, il connaissait le monde, lui !
Je bondis, debout face à au maître. Je fais semblant de lui donner des coups de poing, cela le fait rire. D’un geste du pouce, j’écarte une mèche humide de ma vision.
- Donnez moi une épée, et je vous montrerai mon talent !
Le seigneur Ganelon lisse sa barbe. Un serviteur apporte un plateau d’argent garni de grenades, d’une grappe de raisin noir perlée de gouttes d’eau, une carafe d’eau froide du puits, si froide que de la buée s’est formée sur les bords de porcelaine blanche, deux coupes de bronze nous attendent, et ma bouche s’ouvre déjà à l’idée d’y tremper mes lèvres à la sécheresse de parchemin.
- Ton talent à fanfaronner, enfant ? Peut-être… Il ouvre la grenade, l’intérieur brille comme un trésor, et prend un couteau d’argent sur le plateau, les grains tombent comme des rubis sur le métal. Je suis pendu à ses lèvres. Non…, acheve-t-il dans un sourire. Tu te couperais.
Mes épaules s’affaissent.
- Je ne suis plus un enfant, maugrée-je en bondissant comme un lionceau.
- Oui, tu es en âge de fourrer ta queue dans une gueuse ou de prendre femme, mais tu restes un enfant si tu continues à te comporter comme tel.
Il prend le gobelet d’eau fraîche et s’asperge le visage.
- Tu as des facilitées due à ton sang, à tes ancêtres… L’El coule en toi naturellement… Il me tend l’autre gobelet. Mais tu es arrogant, tes autres maîtres se plaignent au seigneur ton père. Tu préfères aller à la chasse avec ton ami Eskil plutôt que t’enfermer dans la bibliothèque et lire les anciens textes. Ah, jeune sot, la pratiques des arts ténébreux nécessitent un apprentissage de tête et de corps. Tu dois apprendre à dissimuler tes sautes d’humeurs, tes sentiments et viendra le temps où tu ne pleureras plus qu’à l’intérieur de toi.
Pleurer ? Quelle idée ? Pourtant, j’ai pleuré ce matin, et les larmes m’avaient fait un bien fou. Je dors peu. Les nuits, j’ai le sentiment qu’on allume un feu gigantesque en moi et qu’on me pousse dans cette fosse. Ma famille me regarde d’en haut, mais ils me tournent le dos dès que je pousse le premier cri, me laissant choir dans les flammes, alors mes yeux éclatent et un sang chaud s’échappent de mes orbites creux. Comment dire au maître ? Un grognement abyssal montait des profondeurs, ce n’avait rien à voir avec la chimère protectrice de père, c’était autre chose. Je me suis réveillé en larmes, tel l’enfant perdu que j’étais à la cour de l’empereur. Le feu intérieur s’éteint à chaque fois, arrosé d’eau et de sel. Alors, je porte mes mains à mes yeux, m’observe dans la glace suspendue dans le couloir : mon regard demeure le même, gris pluvieux. Je sais que c’est parce que je rentre dans l’âge adulte, mais je veux des réponses. Malheureusement, le seigneur mon père refuse d’y répondre avant la cérémonie. Mon El pétille en moi, m’appelle à percevoir la lourdeur de l’air vissé de mensonges.
Je bois, l’eau goutte sur mon menton et je l’essuie du dos de la main.
Le maître tapote ma joue.
- Je te vois différent, tu penses mais tu ne parles point, enfant. D’habitude tu parles trop et ne pense pas, le taquine-t-il en laissant apercevoir l’éclat de ses dents blanches.
- Je ne cesse de penser…, marmonne-je. Je réfléchis à la position de notre Maison face à l’empereur… Il me tarde de devenir un chevalier Elector et d’aider père à reprendre son bien.
Mon regard fuit, je sers les dents. Lui dire, ne pas lui dire…. Parler de soi nécessite plus d’effort que de combattre. Je croise les pupilles iridescentes du maître, ma bouche remue toute seule, les mots se bousculent et s’emmêlent autours de mes cordes vocales comme les têtes de l’Hydre d’Ys étranglent l’arbre de vie...
Quand avait pointé les premières lueurs matinales, je me suis précipité à la recherche de père. Ce dernier était enfermé dans sa salle de conseil avec ses vassaux depuis l’aube. Par les dieux, j’avais treize ans – l’âge de porter les épées double du clan. Mais quand, flottant sur un nuage, je suis rentré dans le bureau de père, je le trouvai préoccupé. Les sourcils froncés, ses yeux gris glacés braqués sur une lettre. La lettre. On dit que les yeux du Seigneur Sandargent marquent l’âme au fer blanc, c’est la vérité. Il possède les yeux de domination – le derkomai. L’héritage des fils Sandargent, fils protégés de Nuada. Je reconnu immédiatement le sceau des malicieux d’Ys sur le parchemin – Une hydres, ses longs cou de serpent enroulés autours d’un arbre aux branches dévorées de feu.
« Ne parle à personne de ce que tu as vu, mon fils ».
J’essuie du gras de l’index le sang qui perle à ma lèvre.
- Ne sois pas impatient, tu auras le loisir de tirer l’épée aussi longtemps qu’Enlil le permet. Ton père protège sa famille, il sait que le trône est un prix élevé pour trop sacrifice. Galaad Sandargent est incapable de risquer l’extermination de sa Maison pour des vaines querelles de successions, expliqua le maître. En refusant d’utiliser ses pupilles, il fait preuve de grandeur.
Une bouffée de rage emplit mes poumons. Pendant nos escapades, j’en ai parlé avec Eskil : la liberté a un prix, un prix que père refuse de payer...
- Mais nous ne pouvons rester à leur merci plus longtemps ! Nous sommes prisonniers ! J’explose.
La vérité était là. Nous sommes prisonniers de notre propre fief. Mon grand-père, Arzhur, grand est son nom, commandait des armées et faisait ployer le genou des rois, aujourd’hui Athair ( père ) craint l’avidité de l’empereur et se contente d’une paix illusoire.
Le maître fronça les sourcils.
- As-tu méditer ces sages paroles du haut de tes treize années, jeune sot ? Tu pourras discuter des décisions du seigneur quand tu seras adoubé. Sa seigneurie est prit dans un étau, les malicieux à l’est et les armées de l’empereur à l’ouest. Son vassal Oberon Sandor travaille à ses intérêts à la cour de l’illégitime où il a gagné sa confiance, et la cité secrète de Portanciel demeurera cachée tant que son peuple tiendra sa langue. Il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Naguère, Ys guerroyaient à travers le monde, cette période est révolue, ils préfèrent garder leurs trésors, se cachent derrière leurs murailles. Quant à l’empereur, eh bien, il est trop occupé à rétablir le culte de Danu, le fou…
Mère dit que son époux a trop perdu, et s’accroche aux derniers lambeaux de chair de sa famille. Je veux croire qu’on ne risque rien… Ah, je me rappelle la lettre des malicieux que lisait mon père. Que contenait-elle ? Pourquoi père était-il préoccupé ? Il avait dû en parler à son premier conseiller, Galadon. A nouveau, je suis tenté de parler, mais ma mâchoire est vissée comme un étau.
J’ai besoin de réponses. Galadon n’est-il pas son conseiller et ami ? Il a dû être mis à la confidence. Le maître est le conseiller de père, donc rien à craindre, n’est-ce-pas ? Les rares fois où je trouve le sommeil, je me bats contre des songes affreux où je vois grand-père sur son lit de mort et mon oncle, Eflamm le dernier des Haut-roi Sandargent. Le roi sot fuyait avec son amante humaine sur une petite embarcation. Risée de son peuple, il avait supplié à genoux l’Elector royal d’épargner son amante enceinte. Une lune de sang trouait le ciel noir, et le tambour mortifère de l’océan réduisait les pleurs de la femme au gémissement du vent. Caesar avait ignoré les supplications, car aucun Elector de son rang n’est sensible à la faiblesse. Les têtes du couple avaient été empalées à l’entrée de la capitale. Son oncle, le faible Eflamm avait pleuré sur les bottes du futur empereur. Nul n’avait regretté un Roi qui épouse un animal… Une vulgaire mortelle… Athair (père), avait-il pardonné à son frère d’avoir traîne leur nom dans la fange ?
- Mon père a reçu une lettre des malicieux ! Je révèle en un souffle. Le maître écarquille les yeux, un sourire balaye ses lèvres. Je dois apprendre l’El… Apprenez moi, maître. Je n’arrive plus à dormir, je sens le pouvoir couler dans mes veines… J’aiderai père à mon tour, je veux être digne de mon nom. Digne de l’épée des rois ! Attaquer, reprendre la capitale… Je sais que mon père déteste cette idée, mais je refuse de me cacher ! je veux prouver mon existence… Je veux courir la lame à main, trancher l’horizon, fouler des terres étrangères et les mettre sous nôtre bannière… Je veux soumettre des villes imprenables, puis me reposer le soir venu sur des trônes d’or… Je veux une chimères… Je veux une chimère… Donnez moi une...
- Fallan !
Il me gifle, je porte ma main à ma joue et reprend mes esprit, comme tiré d’un rêve.
- C’est ton El qui parle… Par Enlil, c’est ce que je craignais.
- Comment ?
- Ton âme est mûre pour la moisson, enfant… Bientôt, tu siégeras au conseil de ton père – Fallan, héritier de la Maison Sandargent et fils de Galaad le juste, gardien de Portanciel.
Une joie furieuse masque mes inquiétudes. Je mets un genoux à terre, la main sur le cœur.
- J’en serai digne ! Le nom est immortel, je salue.
- L’immortel est un nom, répond le maître.
Par la l’épée de Nuada, je dois avertir Eskil de la nouvelle ! Le maître m’offre une dague magnifique à la poignée gravée de l’étoile à huit branche des Elector. Pratiquer les arts de l’El, quelle joie ! Je sors de la cour, en direction de la fontaine où Eskil m’attend. Au comble du bonheur, je ne prends pas garde au battement d’aile que j’ entends. Le maître rit, un rictus contacte sa bouche, ses longs cheveux bruns tombent sur ses larges épaules, coulées de boue sur les pentes d’une montagne.
« Jeune maître », Jy, mon valet a remplit une bassine d’eau de rose, et il porte du linge propre. Je resserre ma queue de cheval, coiffure de disciple, enfile une tunique légère et me débarbouille. Quand je sors, Eskil m’attend près de la fontaine du dragon, surmontée de la statue du fondateur de la lignée, le premier Haut-Roi de Steredenn et la chimère familiale. Le sablier est à l’arrêt, merci au nom d’Enlil. Au fond de l’eau transparente brillent comme des galets les offrandes pour l’Ancêtre, pièces de monnaies forgées au-delà du voile. Le clapotis éteint le brouhaha de la place du marché, le fracas du marteau du forgeron, le bruit des charrues sur les pavées et les rires des gardiens qui jouent aux dés à l’ombre des oliviers.
Après l’entraînement, je remercie le Zenith. Trempant mon index dans l’onde sacrée, je frappe dans mes mains et murmure les noms de mes ancêtres avec ferveur.
- Mon petit Fallan est devenu dévot à ce que je vois, se moque la voix malicieuse d’Eskil.
- Tu devrais le prier plus souvent, de l’aube au soir qu’il te remplisse ton crâne vide, je réponds avec un sourire narquois.
- Que ce soit fait avec le meilleur vin du royaume des dieux, les lamentations de mes maîtres se transformeront en chansons paillardes, ce sera plus divertissant.
Blond cendré, les yeux de rapace du clan Froy, l’ami a l’air aussi impatient de quitter la cité que moi. Il porte son carquois dans le dos et son arc. Il porte une simple tunique de toile, ses bras sont lassés de bandes de cuir bouillies.
- Partons tout de suite, le fils du cuisinier m’a appris que le forgeron avait entendu quand ton cousin était venu chercher son épée qu’un cerf à dix-cors était arrivé dans le bois, me conte Eskil, excité comme une pucelle à ses noces.
J’arque un sourcil.
- Comment ?
- Douze andouillers, la plus belle des bête. Imagine le trophée, jubile l’ami en caressant l’empennage d’une flèche.
- Je dois visiter ma mère, dis-je, mal à l’aise en me grattant la joue.
Une fois par mois, je ramène une rose des jardins à mère, et un sac de dragées de myrte à mes sœurs. Les femmes sont tenues à l’écart de l’enseignement, les maîtres craignent que la faiblesse de leur sexe influe sur le pouvoir des apprentis. Mère m’accueille pleurant de joie, sans se soucier de la bienséance.Ses grand yeux vides tombent sur moi comme deux lunes mouillées, ses mains froides se promènent sur mon visage : « Tu es vraiment son fils… Oh, oui son fils. ». Face à cette mendiante d’amour, cette femme étrangère, je ne sais que faire, pourtant elle est la seule à pouvoir consoler mes larmes, quand je me réveille de mes cauchemars. Elle me dit : « Shtttt… mon enfant, tu es en sécurité, là où tu es, même les dieux ne pourraient t’attraper », ses bras parfumés et rassurant m’entourent dans le silence nocturne, et je m’abandonne à verser des larmes, que mes maîtres corrigeraient par le fouet. Enfin, je peux fermer les yeux, sa belle voix me calme et je sens la bête rentrer dans sa tanière ombreuse, en bas, tout en bas, dans l’autre cœur…
- Supplie-la, lance Eskil.
- Je ne supplie pas les femmes, rétorque-je en levant le menton.
- Nous parlons de ta mère, le gredin ! Elle est bonne, elle te donnera congé.
Eskil me tape dans le dos.
- N’est-ce pas admirable, ami ? Bientôt nous serons deux apprentis Elector de la cité de Gion. Il fouille dans la poche de sa tunique et sort deux brioches au miel. Tiens, tu auras besoin de force afin d’occire la bête.
XxX
Des rires cristallins émanent des appartements de mère, un sourire heureux se dessine sur mes lèvres en entendant Elei et Kyrie si joyeuses. On m’ouvre la porte, laissant entrevoir une scène que je n’ai pas vue depuis longtemps. Mère est assise à côté de père sur sa méridienne de soie bleue, et le bonheur qui transparaît sur son visage me touche en plein cœur. Radieuse, ses longs cheveux châtains caressent le bas de sa robe comme une vague soyeuse. Ses joues sont roses, sa bouche incurvée en une pure expression de ravissement. Ces mains, habituellement rigides et froides paraissent réchauffées comme le premier bourgeon du printemps entre celles de père, Galaad Sandargent, seigneur et protecteur de Portanciel.
A côté de mère, il paraît être un géant. Assis ainsi, personne ne pourrait remarquer son infirmité.
Depuis combien d’années ne les ai-je pas pas vus ensemble ? Ce sont bien mes parents, et non la dame et le seigneur de Portanciel tenant les apparences pendant le banquet du festival de printemps. Une farce. D’autres que moi se seraient réjouis, mais la méfiance me pousse à observer un peu plus longtemps qu’il faut ces deux amoureux…
Des torrents de lumières rentrent dans les appartements seigneuriaux, les battants des larges fenêtres sont ouverts donnant une vue imprenable sur les jardins luxuriant du château. La brise légère de l’été caresse mes narines, m’amenant le parfum des roses, du bois chaud et de l’humus. Dans cette atmosphère paisible, père et mère rayonnent, narguant la perfection.
Par les couilles de Lugh, quelle chimère ont mordu mes parents pour qu’ils roucoulent ainsi ? Où est l’indifférence aux marques d’affections ? Le devoir de deux époux unis par la grâce d’Enlil. La froideur de mère, malgré les attentions de père. Le quotidien de la famille régnante de Portanciel. On me couve d’un regard aimant, j’y réponds par un sorte de grimace déguisée en sourire.
- Approche, fils, ordonne Galaad de sa voix chaude, en agitant en sa direction son index paré de son anneau, Il ne manquait plus que toi.
J’obéis, mets ma main sur mon cœur et ploie la nuque en guise de salut, mais les jumelles se sont accrochées à mes jambes comme elles adorent le faire. Dans ces cas là, je les chatouille dans le but de leurs faire lâcher prise. Elles lèvent en chœur leurs grand yeux azur, la même chevelure ébène que père couronne leur crâne mais elles ont les traits fins de mère. Leurs grosses tresses constellées de camélias blanches rendent une flagrance divine. Habitué à l’odeur du cuir, de la sueur, de l’encre et du parchemin, j’apprécie de sentir l’aura pacifique de mes sœurs. Bientôt, je serai un Elector capable de les protéger, de leurs ennemis et des chimères. Rien n’est assez beau pour elles. Rien, sauf le meilleur.
- Grand frère est toujours aussi petit, couine Kyrie, la plus calme des deux.
Mes joues doivent s’empourprer, car ma sœur sourit de plus belle.
- Mange plus de bouillon de légume, Grand-petit frère, sinon un jour je te rattraperai, renchérit Elei, la turbulente en frottant sa joue contre le cuir de ma jambière.
- Je grandirai encore !
- Minuscule, grand frère !
Mère et père éclatent de rire. Dagda, quel est ce sortilège ? Qu’avez vous fait de mes parents ? Allez, du calme, je me suis couvert de ridicule à répondre à leurs plaisanteries, une explication suivrait à cette agréable mascarade, oui, il le faut. Ce matin, j’ai trouvé père ennuyé et inquiet, trop occupé à lire les mots venimeux d’Ys pour me donner la date de la cérémonie et mon nom d’adulte. L’après midi, je le trouve dans les appartements de mère à lui faire la cour, envolé les plis contrariés autours de sa bouche. Même ses yeux de gel se sont radoucis en regardant mère. Prenant une coupe d’or sur la petite table que mère apprécie de jeter sur le sol dans ses plus mauvais jour, il fait boire son épouse et lui baise les lèvres, sa tiare d’argent réfléchissant les rayons bienheureux d’Enlil comme si les dieux faisaient pleuvoir la félicité sur eux en lavant les tristesses passées.
- Assez, mes amours, laissez votre frère, dit mère en riant,
Kirie desserre son étreinte avec une moue boudeuse, s’assit sur un tapis de coussin et ouvre un livre, Elei se niche dans les bras de père
- Oui, Fallan sera bientôt Elector et ira à Sterenn représenter notre famille à la cour de l’empereur.
Un bloc de glace descend le long de ma gorge. Parce que c’est impossible, l’empereur illégitime est le plus grand ennemi de notre Maison. Chose logique quand on sait que le précédent Haut-Roi était un Sandargent, Enflamm le sot. L’empereur a toujours craint que père décide de revendiquer le trône.. Mais la réponse de Galaad Sandargent est toute trouvée : pas de guerre qui risquerait l’éradication de la lignée. Le devoir suprême de la descendance de l’étoile du matin est de garder Portanciel !
- Père…
Les pensées se bousculaient dans ma tête, l’El ondule sous ma peau, serpent de feu dans un œuf prêt à éclore. Père voulait-il dire que je serai encore une fois otage de l’empereur ? Mon sang se fige dans mes veines. Non, père n’aurait pas l’air aussi joyeux surtout que sa captivité, les humiliations de l’empereur s’étaient achevées avec la révolte d’hiver, Oberon Sandor avait combattu l’Elector royal. L’Elector perdit le contrôle de sa chimère, et Oberon sauva l’empire. L’empereur n’avait jamais pardonné la victoire du clan de l’étoile ni l’amour que le peuple lui portait secrètement. La révolte avait été si proche, le peuple grondait comme une ruche jetée au bas d’un arbre. Seulement, père était rentré à Portanciel, loin des combats, de la couronne et m’avait ramené à son foyer, alors qu’Oberon - Le seigneur cerf, le héro avait gagné le respect de l’empereur. Oberon trouverait la faille de l’empereur, et si père l’écoutait la victoire du clan serait certaine. Le souvenir de cette année à la cour… Je mis un doigt sur ma bouche, la nausée me vînt : « Danse petit bouffon, danse, » gueulait l’empereur sa magnifique tunique carmin et or trempée de vin, tandis que des femmes pressaient leurs seins opulents contre ses bras de roc et que sa couronne sertie de joyaux glissait sur sa tête.
- Oh, viens par ici, Liebling, demande mère d’une voix douce.
Parfois, il lui arrive de dire des mots inconnus avec cet air de nostalgie que père hait plus que tout, d’ailleurs il l’assaille d’un bref regard de reproche. Autre raison pour laquelle les serviteurs murmurent qu’elle était folle…
Je laissa mère me caresser le visage, elle sent le jasmin et ses mains sont tièdes.
- Tu as des miettes autours de la bouche, tu es encore un enfant, soupire-t-elle sans cesser de sourire. J’ai cru comprendre que tu voulais chasser avec Eskil de Hallstatt, tu devrais plutôt amener jouer tes sœurs sur la plage, mon amour. Elles aimeraient tant passer du temps avec toi avant que tu t’en ailles. Tu es têtu, oui je sais, tu es têtu… Tu ressembles à ton oncle Albert, il est parti au front avec les autres… Il est monté dans le train… Il est partit, mère cache son visage entre ses main, en tremblant, mais elle se ressaisit immédiatement et me sourit comme si ses divagations n’avaient jamais eues lieues. Amène tes sœurs à la plage, Fallan ! La plage est un endroit merveilleux.
Le seigneur mon père est habitué à ses délires, alors il lui sert encore un verre de vin au plantes pour la calmer. Je plisse les lèvres. L’El hurle en moi, rompant les dernières cordes du mât de mon sang froid, je suis un bateau fou dans une mer agitée de cris.
- M’en aller à Sterenn… dis-je entre mes dents. Pourquoi ? Mon devoir est d’aller à Gion, maintenant que je suis prêt à la moisson, je dois trouver ma chimère et…
Père s’est levé, pose ses deux mains sur mes épaules, ce père me ressemble tant sans me ressembler tout à fait, avec ses cheveux lisses et d’un jais profond ses pupilles hivernales. Il est vêtu d’un manteau sombre piquée de cristaux, comme une nuit étoilée, il a l’autorité juste du seigneur, malgré son pied bot, sous son vêtement je vois sa jambe de métal. Lui ressemblerais-je plus tard ? Aurais-je le même amour de la paix, de la soumission aux injustes pour le salut de ma Maison ? « La guerre est le purgatoire de notre race, racontait père, c’est pourtant nôtre héritage et je refuse qu’il trouve sa place dans cette génération. Nous étions craints, respectés, mais trop peu aimés. Portanciel est une retraite heureuse pour la lignée des Sandargent. »
- L’empereur veut négocier la paix avec nous, annonce-t-il, Les neuf princes et la reine d’Ys ont accepté de parlementer après des années de négociations, ils renoncent à leurs droits sur la porte, je dois aller les trouver ce soir au champs des Lys pour signer un traité de paix définitive et immédiate.
- Comment ont-ils renoncé si vite ? Ils nous menacent depuis des années, ont assiégé La cité libre de Doreter en prenant leur porte, ont même battu l’armée Haut-Roi du Tadmor qui voulait leur porter secours… Et l’empereur désire la même chose, pire il redoute notre existence… Et si c’était un de leurs pièges ? Ils ne sont pas appelés malicieux pour rien, dit Fallan au bord de la perte de contrôle.
- Fallan, mon fils. J’ai aussi envisagé une trahison de leur part, mais Oberon seigneur des Sandor, mon vassal et ami a travaillé à cette rencontre, il viendra avec l’empereur et m’a attesté de la sûreté de l’entrevue. Il épouse la fille de l’empereur, et ses paroles pacifiques l’ont convaincu de nous laisser Portanciel. Quant à Ys, la reine agonisante a donné le trôné à sa sœur cadette, elle a proposé de t’accorder sa main, explique père avec un sourire satisfait, illustrant l’odieuse entreprise par un geste de la main.
Le feu brise mon esprit comme du verre, l’El me prend tout entier, glisse sur ma langue et se nourrit à grandes lampées de ma rage. Le souvenir de mes songes, l’océan que la lune rousse ensanglante et les pleurs de l’épouse humaine du Haut-Roi me submerge de sel et de sang… Je vois pleurer Enflamm, mon oncle, au pied de son bourreau, puis le voit hurler, impuissant en voyant l’empereur fendre le ventre rond de l’humaine comme un fruit mûr et sortir l’enfant. Le petit être rouge gigotant, mort avant d’être né, devient torche vagissante entre la poigne implacable de Caesar, le dompteur de flamme, Elector légendaire et autrefois maître d’Enflamm.
- Vous comptez me donner à cette putain ?! Maudit soit ses catins, elles ne travaillent qu’à notre perte depuis l’aube du monde… L’empereur… Ce régicide a tué votre frère et vous pactisez avec lui ! Je ne puis être le fils d’un lâche, crachai-je.
Fall
Fallan
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