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tome 1, Prologue « Trois petits faunes » tome 1, Prologue

Assis en tailleur autour du grand feu, les trois faunes faisaient de leur mieux pour ne pas laisser leur hilarité se faire entendre du dieu-originel qui méditait sur la plus haute branche du Chêne. C’est que c’était si amusant de jouer avec les interdits, même si ils risquaient le trépas, les flammes éternelles et pire les remontrances du grand maître. Les gels hivernaux enveloppaient les bois d’une chrysalide de givre, déposée sur les bourgeons prématurés des cerisiers. Sur les rochers des ruines, les perces neiges déployaient leurs pétales virginales. C’était une fourrure végétale digne des planchers sacrés des grandes forêts, prises dans les glaces reposantes des temps suivants la fête d’Imbolc.

Dans une nef en ruine, loin des salles bruyantes de la cour du Dieu-Roi, le petit peuple des bois aimaient se retrouver. Ils échangeaient histoires et contes, réinventés car oubliés depuis longtemps. Ce soir là, personne n’avait répondu à l’appel du trio de Pan, malgré la promesse festive. La fureur du Divin avait prolongé l’hiver de trois mois. On disait que c’était la faute des humains, sûrement parce que c’était plus simple d’accuser les derniers nés que le puissant peuple d’immortels qui vivait par delà l’océan à l’est, dans la seconde perle.

Til gratta nerveusement son visage poilu, il était le seul à ne pas trouver la mort amusante. Mop riait tant qu’il avait l’air touché par une quelconque maladie de l’esprit. Ses yeux bigleux tournaillaient dans ses orbites, à chaque petit cri étouffé qu’il poussait. L’idiot ne comprenait pas à quel point ils étaient dans la merdasse jusqu’au cou. Mop aimait la crotte, d’ailleurs il ne se nettoyait jamais, préférant garder sur son postérieur une croûte brunâtre qu’il appréciait frotter sur les pierres brûlantes de la rivière. Pan était le plus malin des trois, il le savait et s’en servait bien lors de ses multiples plans afin de chasser l’ennui. Pourtant, Til savait que l’ennui n’était pas la pire chose au monde, au contraire des dires de Pan. Mieux valait s’ennuyer que de mourir sous le regard terrifiant du dieu-druide – Dagda le grand. Grand surtout de pouvoir, car depuis qu’il s’était de nouveau mêlé aux humain, il préférait prendre l’apparence d’un corbeau, et ce dans le but seul de pouvoir réaliser la volonté de Dieu.

La peur piquait la peau de Til, mille abeilles porteuses du fléau d’un avenir funeste. Pan et Mop se gaussaient des mortels, et des immortels, ils ne pensaient qu’à retrouver leurs maîtresses. Les charmantes plantes des jardins de la Déesse, arrachées à son sein bienheureux en guise de punition après l’avènement du Dieu-Roi. Il savait que Dagda savait à propos de leur nostalgie hérétique, mais le puissant seigneur originel avaient d’autres problèmes en tête que trois faunes stupides et pervers - C’étaient bien ses mots, vocabulaire que Til trouvait très vulgaires dans la bouche d’un seigneur de son parage.

«  Huhu, Pan ! Mon ami, vas-y, lance la en l’air. Le maître est en pleine transe, il ne se rendra compte de rien, gloussa Mop. » Sa coupe d’hydromel était plus que remplie, il lapa le mélange, puis la vida entièrement. Le mélange d’odeurs de vin et de la sueur fit hoqueter Til de dégoût. Une lueur fourbe dansait dans les petits yeux du Faune-taureau, tels les étincelles volatiles du feu, ses pupilles de braise attendaient qu’on nourrisse sa faim insaisissable de récits. Suspendues à ses cornes épaisses, étaient accrochées deux sac en toile remplis de fruits mûrs – sans doute dérobés dans les cuisines célestes. Il choisit une pomme écarlate, et la tendit vers Pan, dont le sourire au coin ne valait rien qui vaille.

Si Til avait eu un cœur, il aurait eu du mal à calmer le concert de percussion de ses battements. Un jour, il s’était rendu sur Terre dans le but de noyer sa tristesse dans l’alcool. Désirant quelque chose de nouveau, il s’était retrouvé dans un pub irlandais en pleine coupe du monde. Ces barbares humains l’avaient saoulé jusqu’aux limites du possible, le croyant être une mascotte d’une quelconque équipe. Il se souvenait de ses poils tirés, et des hurlements des mortels quand ils avaient compris qu’il n’était pas humain. Comment oublier le bruit sourd de leurs cœurs palpitants ? Til aurait tout donné pour en avoir un, si seulement il avait quelque chose à donner. Toutes ses possessions appartenaient au grand maître Dagda, même son nom lui avait été enlevé. Un grain de raisin craqua sous sa dent. Grâce à Enlil, ou par sa faute, il n’avait plus cœur depuis des millénaires alors cela n’avait aucune importance. Tout ce qu’il possédait, était une âme trop délicate pour toutes les manigances de ses deux amis.

«  Je vous en conjure. Cessez votre folie et rendez la pièce du destin au Dieu-Druide. Je crains qu’il ne puisse souffrir d’une autre de nos plaisanteries ». Le murmure suppliant ne suffit pas à calmer les ricanements.

« On raconte que cette pièce de monnaie est celle que Néron l’incendiaire de Rome offrit au troisième Haut-Roi de Steredenn, Eflamm, fils d’Arzhur, fils de l’étoile du matin… Elle contient l’âme de l’empereur, elle serait capable de trouver l’introuvable, d’ouvrir la Porte du Ciel. Je l’ai vue à l’œuvre. Avec cela, nous allons pouvoir nous amuser comme jamais, mes deux couilles. Et bien plus que rire... ».

Pan avait une idée derrière la tête. Aller dans le palais forestier du seigneur Dagda, et prendre la pièce pendant son absence malgré les nombreux gardes, jusqu’à même se faire trancher l’une de ses corne croissant de lune en guise de sacrifice, prouvait une envie plus grande que celle du simple amusement. Utiliser l’El était interdit à toutes créatures magiques, pourtant Pan en avait usé, et pire le faune malicieux était fière de lui. A cet instant la crainte dépassait l’entendement, Til comprenait enfin ce que désirait faire son ami inconscient.

«  Malheur, ne fais point cela, ami cornu. On ne joue pas avec les volontés du tout puissant. Pense à elle, pense à nous. Elle souffrira le martyre si nous nous amusons à effleurer les contours d’un si vieux maléfice. ». Il pointa du doigt successivement Pan et Mop. «  Pendant que vous servez les seigneurs dieux, j’aime regarder dans les sources de vision. J’ai contemplé l’horreur sur les terres immortelles, là où vivent les puissants de la race élue d’Enlil… Que pouvons nous faire contre eux ? Non, Je vous le dis, restons à l’écart et méditons sur nos fautes…

Il sentit soudain une éclaboussure humide sur sa joue, Mop lui avait lancé son vin à la figure. Une colère sourde battait les veines de ses tempes velues, et dans son regard d’habitude si fuyant surgissait soudain une tristesse aussi troublante qu’ancienne.

«  Misérable Faune-cerf, as-tu oublié ta fierté ? Cernunnos t’as bien dressé, à ce que je vois grinça-t-il, » Veux-tu les laisser dans la tourmente ? Veux-tu nous voir ramper encore comme des esclaves pendant que ces ignobles bâtards guerroient pour leur pouvoir ? Que l’Ouroboros entreprend sa nouvelle rotation ? Non ! Nous allons agir ! Ce nouveau siècle ne verra plus continuer nôtre lâcheté. De l’autre côté, s’agitent sans doute déjà les forces pernicieuses du Lieutenant d’Enlil. Et la malédiction s’apprête à commencer son conte macabre, à tremper sa plume à nouveau dans le sang déjà maintes fois versé par le tranchant de la même épée. Année après année, siècle après siècle, nous nous cachons les yeux pour ne pas voir, nous plaquons nos mains sur nos oreilles pour ne pas entendre. Changeons le conte ! ».

La honte submergea les yeux de Til, les larmes mouillèrent ses poils. L’ombre de ses andouillers, nobles pâles répliques de ceux du Dieu des forêts se refléta sur la façade ruinée du temple de la Déesse sans nom. Les volutes blanches du feu formèrent des vieux souvenirs : un rire carillonna dans le souffle ardent, des longues chevelures ondulèrent parmi les flammes incandescentes. Il crut voir un visage dans le cœur bleuté du foyer, les bribes d’une promesse évanouie dans les regrets et une trahison agonisante frétiller dans le charbon.

«  Changeons le conte ».

Un sourire triomphant s’étira sur les lèvres de Pan. Il lança la pièce en l’air. Les reflets dorés du métal gravirent les panaches de fumées, puis la pièce tomba dans le feu. Un feu d’artifice de lumières iridescentes claquèrent dans l’espace, fragmenta le chemin Triangle en un millier de morceaux. Au loin, ils purent entendre l’écho des cors de guerre de l’Air. Une brise tiède chatouilla leur pelage - un vent venu d’un autre monde.

«  Changeons le conte. Pile ou Face ? ».


Texte publié par Toutouille, 12 avril 2017 à 03h24
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