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Fictions pseudo-scientifiques (nouvelles)
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tome 1, Chapitre 2 « Encéphalocryogénie » tome 1, Chapitre 2

- Bon, alors, on a un problème, le programme Stella doit décoller dans un an et nos budgets ont été divisés par deux par les singes bureaucrates qui siègent là-haut et ignorent tout de la beauté de l’espace. Mesdames et messieurs des idées ? Qu’est-ce qui coûte cher dans une fusée ?

- Le carburant, l’oxygène et les vivres.

- Combien ?

- La moitié du coût.

- Qu’est-ce qui est indispensable ?

- Le carburant ! Sans combustible, la fusée ne quitte pas le sol pour atteindre l'infini de l'espace et nous ne pouvons pas la ramener sur le plancher des vaches. Il en faut une grande quantité, ça coûte cher à l'achat, ça représente un poids important et cela prend de la place à stocker. Mais nous ne pouvons pas nous en passer.

- Supprimez le reste ! Vous avez six mois ! Pour ma part, je vais continuer à chasser les subventions mais la conquête de l’espace ne fait plus rêver. J'ai épuisé mes relations donc nous comptons sur vous.

Gordon Riy, directeur du programme spatial Stella sortit en claquant la porte, laissant son équipe de scientifique médusée.

- Pourquoi est-ce toujours à nous que l’on confie ce genre de problèmes à régler ?

- Parce qu’on est le « département poubelle », là où échouent les problèmes insolubles des autres services. Et aussi parce que nous sommes entrés dans le programme spatial par la petite porte et que nous n'avons pas le choix, nous sommes payés pour ça. Si nous voulons un jour, avoir la chance de participer à des programmes prestigieux et connaître la gloire, nous devons bien faire notre travail si souvent ignoré mais indispensable.

- Surtout parce qu’on est composés des meilleurs spécialistes dans vingt domaines différents !

- Oui, parce que nous ne sommes que vingt ! Pourquoi a-t’il fallu que ça tombe sur nous ? J’en ai marre de toujours régler les problèmes des autres ! Quand nous confiera-t'on les programmes simples et sans problèmes?

- Ca n'arrivera jamais! Nous sommes dans le département à problèmes.

- Mesdames, messieurs, un peu de calme, je vous prie. C’est la chance de notre vie ! Oui, c’est un « projet poubelle » ; mais imaginez une seconde que nous réussissions ! Envoyer des êtres humains dans l’espace sans air et sans nourriture ? Les programmes spatiaux en rêvent, cette prouesse diminuerait leurs coûts par deux au minimum. Et même si nous échouons, les découvertes que nous ferons nous vaudront des publications dans les revues spécialisées. Et si nous réussissons, à nous les laboratoires de pointe du monde entier ! Nous serons sollicités par le monde entier sur les projets les plus excitants du monde entier. Nous aurons le matériel dont nous avons besoin! Et adieu Gordon-ne-rit-jamais et son département-poubelle !

- Bien l’objet de cette réunion est de réfléchir aux moyens en notre possession pour envoyer des êtres humains dans l’espace sans eau, sans oxygène et sans nourriture. Des idées ?

- La cryogénie ?

- Des hommes miniatures qui sont peu gourmands en ressources ?

- Des robots humanoïdes ?

- Sevrage ?

- Sevrage de quoi ?

- Mais de nourriture et d’oxygène ! Certains ascètes y parviennent ou prétendent y parvenir par la méditation. Faisons méditer nos équipes pour voir si elles peuvent se priver de manger, boire et éliminer leurs déchets durant une longue période !

- D'accord, cette solution me paraît la plus viable et la plus simple à mettre en œuvre.

L’expérience n’est pas concluante. Les scientifiques se penchent sur une autre solution : rendre l’absorption de nourriture plus efficace pour limiter les vivres. L’équipe se penche notamment sur les mitochondries et tente de les modifier génétiquement pour les rendre plus efficientes. Le cycle de Krebs n’a aucun secret pour eux mais toutes leurs théories paraissent irréalisables et ils renoncent.

Gordon-ne-rit-jamais n’a jamais aussi bien mérité son surnom. Trois mois ont passé et le gouvernement menace son département de fermeture avec un remplacement des équipes en place dont lui-même en cas d’échec.

- Bon, comment ralentir le métabolisme d’un être humain ?

- Dormir. Le froid.

- Le manque d’oxygène.

- Le manque de nourriture.

- Nous allons tenter de faire manger moins nos équipes dans une atmosphère avec moins d’oxygène, une température basse et des heures de sommeil rallongées ! Je sens qu’on tient une piste !

L’expérience est concluante. Mais en contrepartie, les équipes de cobayes sont fatiguées et inefficaces. Par manque de concentration, les scientifiques-astronautes accumulent les erreurs, les maladresses et les imprudences. Pourtant, les scientifiques sont fiers de cette avancée et c’est tout heureux qu’ils vont présenter leurs résultats à Gordon. Il étudie les feuillets durant de longues minutes, marmonne des mots incompréhensibles avant de leur rendre la liasse.

- C’est encourageant mais pas suffisant. Rien que l’énergie nécessaire à votre petite installation coûte plus cher que les gains annoncés. Je salue l’idée mais vous pouvez trouver mieux.

Une jeune scientifique énervée tombe sur un canapé, ivre de fatigue et de lassitude après une nouvelle réunion stérile.

- Mais qu’il aille se faire cryogéniser sur Pluton, à la fin ! Des vacances à moins deux cent vingt-huit degrés à respirer de l’azote à pleins poumons lui remettraient le cerveau en place ! Sa demande n'est pas possible! Des tas de projets viables attendent des financements.

- Mais c'est une idée de génie que tu as eue. Pourquoi on ne tenterait pas de les cryogéniser ?

- Ca coûte une fortune ! Les budgets, la ligne politique, tu sais bien !

- Je suis en train de regarder sur internet : de vingt-cinq mille à cent mille euros par corps. Sauf que je suppose que ce qui coûte cher ce ne sont pas les matériaux, c’est la technologie. Fabriquer un caisson pour deux personnes doit être plus rentable que pour un seul individu. De plus, la marge de la société est comprise dans la prix, la location. Si nous achetons ou faisons construire le caisson, nous réduirons les coûts de manière drastique.

- Oui mais les caissons individuels sont une sécurité. En cas de problème, tu perds une victime et non deux.

- De toutes manières, pour le moment, on ne sait pas les réveiller. Et il faut bien alimenter le corps et oxygéner le cerveau, non ?

- On n’est pas forcés de leur brûler le cerveau à des températures plutoniennes. Jusqu’à une température corporelle de vingt-huit degrés, le corps tient le coup. Ca ne nous aide pas. Par contre, nous savons tous que la glace prend plus de place que l’eau. Si on les congèle, leurs cellules vont éclater tout simplement. On oublie la cryogénisation mais on pourrait peut-être habituer les spationautes à vivre à des températures plus basses.

- Ils vont manger plus pour se réchauffer.

- Pas si on les couvre.

- Nous avons déjà essayé.

- Oui, mais pas à vingt-huit degrés !

- D’accord. Ton idée tient la route mais on fait comment pour maintenir le corps à cette température ?

- Je réfléchis ! Caisson, circulation extra-corporelle pour l’oxygène, alimentation par perfusion, sommeil artificiel. Reste l’excrétion et je suis sûr qu’on est bon. On va, en plus, économiser le poids des bagages nécessaires durant le voyage : nourriture, oxygène, activités récréatives, consommables divers et variés, le coût des communications avec la base et les familles. On n’emporte que ce dont on a besoin durant la mission : gain de place, de poids et réduction des coûts.

- Bien, nous avons trouvé la solution. Je prends nos astronautes, je les enferme dans des caissons et je les place en état de sommeil artificiel. Jusque là, on sait faire. Pour le sommeil artificiel, nous en sommes aux balbutiements mais nous allons prendre l’hypothèse selon laquelle le dispositif est parfaitement au point.

- Sauf qu’il ne l’est pas ! En théorie, le système est viable mais seulement sur le plan purement théorique.

- Il vous reste un mois et demi pour que ce soit le cas ! Nous, on construit le reste du module pendant que vous vous consacrez uniquement au sommeil artificiel. Mon équipe est prête à travailler à flux tendus avec les ressources minimales pour allouer l’excédent de notre budget à votre équipe. Et je vous prête tout le personnel dont je peux me passer. Ce projet devient notre priorité absolue.

Un mois et demie plus tard, le module est prêt et une équipe de spationautes en quête de gloire est prête embarquer. La presse a eu vent du projet et le monde entier se passionne pour la mission Cryos. Réduire par deux le coût des expéditions spatiales? Cryogéniser des êtres humains ? Toutes ces expériences n’ont jamais été menées, les frontières de la science ont été repoussées.

Allongés dans le caisson, les humains sont placés en sommeil artificiel pendant que tout le monde s’affaire à brancher les tubes d’alimentation en oxygène et en nourriture à bas débit. Des poches sont installées pour récupérer les déchets organiques ainsi que toute une batterie de capteurs. Tout le monde sort et la température descend lentement dans les caissons. Toujours plus basse, sur les écrans de contrôle, les battements de cœur ralentissent tout comme le rythme respiratoire et la température corporelle. Cette dernière est l’objet de toutes les attentions.

- Trente-six degrés !

Toute l’équipe se regroupe, le programme commence vraiment.

- Trente degrés !

Chacun imagine les fonctions corporelles ralentir. Peut-être que leur inconscient s’affole, sent la mort arriver par hypothermie. Peut-être qu’ils rêvent qu’ils tombent dans de l’eau glacée qui les engourdit lentement.

- Vingt-huit degrés ! Stop, les gars et les filles ! J’ai dit stop, hurle Gordon dans son micro. Vous faites quoi là ? On passe sous la barre des vingt-six degrés ! Dépêchez-vous de me remonter tout ça !

- Vingt-huit degrés, Gordon.

- Des dégâts ?

- Il semble que non, les rythmes cardiaque et respiratoire sont conformes aux prévisions. L’électroencéphalogramme est correct, ils rêvent comme nous l’avions prévu.

- Leur cerveau peut-il être endommagé ?

- Négatif ! Deux degrés de différence ne posent pas de problème surtout durant quelques minutes.

- Tout le monde va se reposer, la deuxième équipe prend le relais.

Deux degrés, deux minutes.

Le voyage se poursuit sans encombre ou presque. Durant cinq ans et neuf mois, les spationautes dorment à une température corporelle de vingt-huit degrés. Ils rêvent la majorité du temps, inconscients de leur état. Ce trop long sommeil artificiel déroute leur cerveau qui ne trouve à analyser que leurs rêves qu’il rend de plus en plus complexes et farfelus pour s’occuper ou leurs souvenirs qui font naître des émotions diverses : peur, regret, joie et espoir. Malgré les évaluations psychologiques et leur longue préparation, les êtres humains dans leurs caissons connaissent des phases de dépression emplies de cauchemars puis d’espoirs de gloire ou d’avancées scientifiques qui valent tous les sacrifices. D’autres fois, ils rêvent qu’ils ne se réveillent pas et qu’à demi-conscients, ils contemplent durant une éternité leur rêve de revenir dans le monde réel.

L’alarme retentit dans la grande salle. Gordon est toujours à son poste, il a mené de nombreux projets à bien mais le programme Stella n’a pas été oublié. Une horloge murale géante égrène le temps qui les sépare du réveil des occupants de la fusée en route vers Pluton. Les premiers hommes sur Pluton, la gloire qui attend son équipe.

- Les gars, l’heure de vérité a sonné. Si on s’est trompés, nous pouvons faire nos cartons dès à présent, notre carrière est terminée. Sinon, à nous la gloire. Les yeux du monde ne sont plus braqués sur nous, ces médias nous ont oubliés passé la phase d’euphorie. Le monde est ainsi fait, les modes se succèdent mais les grands hommes seuls restent fixés vers leur but sans jamais dévier. Nous sommes de grands hommes, nous sommes de ces hommes et de ces femmes qui ont fait l’histoire ! Prêts ? Connectez-nous à la fusée !

Un silence de mort envahit la salle. Les minutes s’écoulent. Puis les heures.

- Il reste combien de temps, les gars ?

- Gordon, il nous faut deux heures et quarante-deux minutes pour nous connecter. Patience, il reste vingt-deux minutes. Prends un café au lieu de stresser tout le monde !

- Quoi, tu oses me parler ainsi ? Je suis ton supérieur !

- Peut-être mais tout le monde est sur les nerfs alors n’en rajoute pas. Bon, allez ! Tournée de café, de thé, d’eau, de jus d’orange ou de tout ce que vous voulez mais on ne va pas rester plantés devant cet écran pendant vingt minutes à angoisser pour rien. On ne peut rien faire, la mission réussit ou pas !

- La base à la mission Cryos, vous m’entendez ? Ici, Gordon, votre chef bien-aimé qui vous parle.

Un regard vide surgit devant la caméra. Tout le monde saute de joie, ils sont vivants !

- Heureux de vous voir en vie les gars. Comment vous sentez-vous ? Nauséeux ?

Un autre visage se rapproche du premier, tout aussi inexpressif. Les deux visages se regardent et se parlent par geste. Un sourire finit par illuminer leur visage et ils regardent de nouveau l’écran. Mais rien ne vient, ils ne parlent pas.

- On leur a gelé le cerveau !

- Non, ils mettent du temps à reconnecter leurs neurones !

- Je ne crois pas.

- D’accord, la mission a échoué comment on les ramène ?

- On les remet dans les caissons !

Durant des heures, l’équipe tente de faire comprendre à l’équipage du vaisseau comment regagner le caisson. Les dessins, les mimes n’y font rien. L’équipe au grand complet se consulte pour trouver une solution. Ils ne vont quand même pas les abandonner là !

Au bout d’une journée d’angoisse, les passagers de la fusée finissent par se recoucher dans leur caisson pour dormir.

- On enclenche la cryogénisation d’urgence avec anesthésie préalable, oui, celle prévue en cas de problème si l’un des habitants de la fusée devenait fou.

De puissants anesthésiques viennent percer les combinaisons et endormir les corps contenus à l’intérieur. La cryogénisation recommence lentement.

- On ne fait pas une bêtise en les cryogénisant de nouveau ? Cette procédure pourrait se montrer violente pour leur corps et leur cerveau.

- Au point où on en est, les ramener le plus vite possible est notre priorité ; cette mission est un échec total.

Le voyage de retour commence. Le compte à rebours a repris au début dans la spacieuse salle de contrôle mais tout le monde l’ignore désormais. Cette mission est un échec retentissant et chacun l’oublie. La mission se fait oublier d’elle-même : les données sont enregistrées automatiquement, les alarmes sont silencieuses et toutes les tâches de retour sont automatisées et gérées par les ordinateurs du vaisseau spatial et de la salle de contrôle.

- Les gars, la mission Cryos ne devrait pas tarder à rentrer dans l’atmosphère terrestre. Appelez-moi l’équipe médicale d’urgence, je veux qu’ils soient là avant eux.

- D’ici combien de temps ?

- On a trois heures. Et encore, parce que je suis là ! Qui, à part moi, à regardé ce fichu compte à rebours ces derniers temps ? Je m’en doutais ! Au boulot, les gars !

Les mains sur les hanches, Gordon secoue la tête. Son équipe est composée des meilleurs mais parfois, il se demande ces génies sont loin d’être géniaux.

Le vaisseau est en approche et la salle retient son souffle. Les trois dernières heures, l’équipe a fait une orgie de café et de thé, refait tous ses calculs et compulsé les données collectées lors du voyage. Ils ne savent pas ce qui les attend et c’est avec anxiété qu’ils attendent l’ouverture des portes. Rien ne bouge à l’intérieur du vaisseau.

- Pourquoi, rien ne bouge ?

- Il faut attendre la fin de la décongélation, euh, de la phase de réveil suite à la cryogénisation.

- Ca va prendre combien de temps ?

- Gordon, nous n’avons pu l’enclencher qu’une fois le vaisseau posé sur le sol terrestre. La phase de réveil vient tout juste de commencer.

Une longue demie-heure plus tard, la porte du vaisseau s’ouvre enfin, commandée à distance car les passagers n’ont pas actionné l’ouverture.

- Salut, les gars. Pardon, les gars et les filles. Vous me reconnaissez ? Ici, Gordon, votre chef bien-aimé !

- Salut, Gordon. Qu’est-ce que tu fais là ? On ne va pas tarder à s’allonger dans nos caissons pour la cryogénie ! La mission est annulée au dernier moment ?

- Je crois que je peux prendre ma retraite ! L’agence spatiale ne me pardonnera pas l’échec du projet Stella. Docteur, on peut en tirer quelque chose ? Les gars, vous revenez de votre mission. On va vous faire passer des examens. On pourra peut-être trouver des informations malgré l’échec de cette mission. On va vérifier que vous allez bien, vous allez manger, dormir et appeler vos familles. On verra plus tard pour le reste.

Une semaine plus tard, un entretien est organisé.

- On ne se souvient de rien. On se souvient du caisson, de la température qui diminue mais entre le réveil et notre arrivée ici, c’est le trou noir.

- Le médecin a dit que vous êtes en parfaite santé, votre cerveau n’a pas été endommagé de manière durable. Vous pouvez rentrez chez vous. Mais jamais vous ne repartirez dans l’espace.


Texte publié par Bleuenn ar moana, 21 mars 2017 à 17h43
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