On pouvait s'étonner en premier, des bruits de pas précipités, qui ne trouvaient pas le temps d'esquiver, à même le sol, les vielles branches de la forêt. De ce brouhaha, on remarquait, en pleine course, des petits pieds. Comment ces somptueux bouts de viande pouvaient-ils faire autant de bruit ? Ses genoux se fléchirent, s’élancèrent, se cambrèrent, se rabattirent, puis renouvelèrent en continue ces mêmes actions. Elle galopait. Non, elle bondissait. Ses fines mains écartaient délicatement ce qui lui gênait sur son passage. Son ventre était nu et s'exposait dangereusement aux créatures sauvages. Sa poitrine, quant à elle, enflait, puis se dégonflait avec une vivacité des plus déconcertantes.
Alors qu'elle voyait défiler à toute allure le monde autour d'elle, elle trébucha, le pas pris dans une racine. Ses longs cheveux bruns se retrouvèrent rabattus en avant, lui couvrent entièrement le faciès, ce qui lui extirpa un juron. Elle se retrouva plongée dans la boue et tenta de rejeter, en toussant, ce qui lui remplissait le palais.
Péniblement mais sûrement, elle se redressa en s'aidant de ses deux poignets. Le dos courbé et sa chevelure boueuse penchée vers le sol, elle chercha à retrouver ses esprits. Mais ce n'était pas encore fini. Derrière elle, des craquements se firent entendre. Elle n'était définitivement pas seule. La fameuse se redressa, le dos droit, les cheveux de nouveau contre celui-ci. Malgré son visage sale, on pouvait apercevoir qu'elle possédait des yeux semblant verts, ou gris si l'on regardait sous un autre angle. Soudain, elle prit peur. Les nouveaux pas se rapprochèrent d'elle à grande vitesse. Elle hurla d'abord, puis se retrouva frappée à terre.
- Ça suffit. Tu n'iras pas plus loin Maiya !
Il était à genoux au dessus d'elle, et avait de longs cheveux blancs, plus sombres aux pointes, sans doute salis, eux-aussi, par la forêt humide. Sur le haut de sa tête, se trouvaient deux grandes cornes touffues. Non, c'étaient en vérité des oreilles. Il possédait également des crocs qu'on ne distinguait que si on y prêtait vraiment attention. Son visage n'exprimait aucune peur, et ses yeux dorés étaient aussi féroces que le regard d'un fauve. Pourtant, il gardait tout de même un aspect humain. Qui était-il réellement ? Une drôle de queue poilue, voilà ce qu'il y avait de présente chez lui. Elle fouettait le sol, comme s'il semblait heureux d'avoir mis la patte sur son butin.
- Lâchez-moi ! Hurla la jeune femme.
- Il glissa un de ses doigts crochus le long de la nuque de la brune avant de répondre: Pourquoi donc ? Tu n'as nul part où aller maintenant.
La martyrisée ne rétorqua point. Elle ne fit que clore ses paupières, las de ce qui lui arrivait. Quant à lui, à la fois rusé, tordu et pervers, ce renard à l'apparence humaine s'avérait être le yokaï le plus craint des alentours. Maiya fit un mouvement brusque du buste, tentant de s'extirper des griffes de l'animal. Mais celui-ci lui resserra les poignets et s'appuya davantage sur son dos. En peine, elle poussa un râle presque imperceptible.
- Réponds-moi. Pourquoi me fuis-tu comme ça ? Demanda encore une fois l'esprit renard.
Maiya laissa couler un certain temps de silence. L'homme desserra ses mains et se mit debout sur ses grandes jambes. Il portait une tenue traditionnelle, un kimono blanc, légèrement gris. Sous celui-ci, au niveau de son torse, on remarquait une première couche de tissu de couleur bleue. Pouvant à nouveau respirer sans encombre, la femme se redressa en grognant de douleur, puis s'essuya le visage. Elle ne pouvait s'imaginer pleine de boue. Cela ternirait son image, tout en sachant qu'elle ne s'appréciait pas d'avantage. L'individu, quant à lui, la fixait longuement. Voyant que l'homme attendait, posté devant elle, elle posa ses mains sur ses genoux et, hésitante, lui répondit;
- Je vais vous le dire… Je vais vous dire ce que j'aurais tant aimé garder en mon esprit pour un certain temps encore. Un certain temps avant que ce jour n'arrive.
Une de ses oreilles tressaillit, tandis que son visage laissa transparaître une toute nouvelle expression. Si ses yeux pouvaient briller, ils scintilleraient à ce moment précis. Était-ce la peur de la belle qui le nourrissait de fierté ?
- Et bien ? J'attends… Rétorqua le Kitsune.
- Elle hésita puis débuta: Je vous ai aimé, comme aucune autre ne l'aurait pu. Vous me faisiez rêver. Mais, par malheur pour moi, tout a pris fin lorsque je vous ai démasqué, il n'y a de cela quelques jours. Dites-moi réellement… Avec combien de femmes vous êtes-vous soulagé ?
L'homme ne répondit pas, il resta figé. Lui qui la regardait si intensément il y a peu, lui offrit, de nouveau, des yeux livides. Il se pencha vers elle et agrippa son fin menton. Maiya regretta ses paroles au plus profond d'elle-même. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû aborder ce sujet avec lui. Elle qui pensait bien faire et ainsi apaiser son cœur, on en venait à le lui reprocher en lui plantant des ongles dans le bas de la mâchoire. Elle ne criait pas. Elle pleurait simplement. Le chef ici, c'était bien lui, et il n'hésitait pas à le faire savoir.
- Que je ne t'entende plus prononcer de telles paroles ! Tu n'es rien du tout pour moi. Nos races sont faites pour se détester. J'aurais dû en finir avec toi dès la première fois où je t'ai trouvée, dit le renard. Tu n'as pas à avoir de sentiment pour moi. Tout Être sait ce qu'il en coûte à celui où celle qui ose franchir ces limites. Je ne céderai jamais face aux sentiments d'une humaine. Dans quelle langue devrai-je te le faire comprendre ? Celle des monstres, comme vous dites ? Il échappa un rire moqueur et poursuivit; Vous, Hommes si faibles… Même si vous le voudriez, vous ne parviendrez jamais à nous comprendre.
Il relâcha son emprise du visage de la jeune femme et celle-ci se mit à tousser. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, le Kitsune avait disparu. Il n'avait suffit que d'une seule seconde pour que cette créature, à la fois monstrueuse et fabuleuse, puisse s'évaporer dans les airs.
Maiya se retrouva une nouvelle fois seule, en pleine forêt, la figure à demi-ensanglantée.
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