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A six heures précises, l'horloge carillonna son air familier. Cinder se leva en soupirant : par la verrière, une clarté grisâtre commençait tout juste à poindre. Il se lava rapidement à l'eau froide puis enfila des vêtements propres, un peu serrés et rapiécés de toutes parts. Il vérifia sur le registre de la boutique les livraisons du matin : les musiciens du quatuor à corde étaient attendus au plus tôt pour la réception d’anniversaire d'une proche de la Matriarche.

Il se sentait fatigué de sa courte nuit, mais la perspective de parcourir la cité-état de Svenne éclairait sa journée. Il déjeuna rapidement d'une pomme et d'un morceau de pain, puis se rendit dans le coin du hangar où dormait Clopin, le cheval mécanique. Il était attelé à un chariot léger entouré d'une rambarde de fer forgé, où était inscrit : « Ash et Kloze, plus vivants que vivants ».

Cinder poussa le bouton dissimulé sous les crins artificiels, activant le mécanisme : le cheval releva l'encolure, bailla largement et remua les oreilles. Puis il alla chercher le quatuor ; parfaitement disciplinés, les musiciens montèrent en file indienne et s'installèrent sur les bancs de part et d'autre de la carriole. Dans ce singulier équipage, il quitta le hangar.

Il sourit en sentant le soleil tomber sur son visage. Autour de lui, se dressaient les pimpantes façades de Svenne, peintes de couleurs claires et lumineuses ; les toits de tuiles rouge-orangé s'escamotaient derrière les façades en escalier. Les gens du quartier lui adressaient de grands saluts chaleureux.

Bientôt, avant même que la douce Séléné n’ait clos son gibbeux profil argenté derrière les Monts du Ponant, l’aurige au doux visage passa devant une grande bâtisse aux fenêtres encore fermées. Il ne risqua alors qu’un rapide regard sur cette maison en pierres de taille et ceinte d’une haute palissade de métal ouvragé. Point besoin d’attirer l’attention d’un matinal artisan allant retrouver d’un pas lent son petit atelier, d’une très tardive grisette rentrant à son domicile après une nuit courte mais nécessaire...

Ah ! Les choses n’étaient pas toujours faciles pour tout un chacun, même dans ce joli et propret quartier de la prospère cité-état. Mais tant que les apparences étaient sauves, les détracteurs d’un pouvoir quelque peu absolu gardés sous bonne surveillance et que les voyageurs ne voyaient de la haute-ville que magnificence dorée et riche décorum ornementé d’argent... tout allait pour le mieux, dans ce meilleur des mondes possibles.

Un petit pincement au cœur plus tard, Cinder souriait de nouveau : la merveille d’ingéniosité mécanique qui animait d’un trot régulier le quatuor silencieux lui rappelait que la magie peut se retrouver dans les engrenages, cames et autres pièces finement ciselées qui faisaient la fierté de sa famille depuis si longtemps. Mais aussi que l’âme, l’esprit et le cœur, justement, avaient leur importance dans la vie, Sa Vie !

Que La Matriarchie ait toujours voulu faire montre (petit sourire en coin...) de sa richesse auprès des ambassadeures venues rendre hommage à la grande Svenne, il en convenait volontiers. Que les petites gens, laborieux comme anonymes servant ce dessein n’en reçoivent jamais honneurs ou remerciements le peinait grandement. La sécheresse des nantis vis-à-vis des humbles semblait si naturelle que personne n’y prenait plus même garde ; et lui, invisible pour « sa famille » depuis... depuis l’événement tragique qui l’avait accablé, connaissait trop bien ce mal que l’indifférence peut engendrer.

Et c’était aussi pour ceci que lui, le valet, le laquais, le moins que rien savourait ce moment qui lui était propre, ces instants certes trop rapidement passés mais si importants à ses yeux : ce soir –ce lundi soir donc, comme tous les soirs du lundi ces dernières semaines– il se glisserait dans le jardin de la belle maison en question.

Forcément, pour ce faire, pas de trotteur bien huilé, pas de résonnantes orchestrations à quatre tons ; point de montre gousset sonnante, surtout pas d’objet -si précieux fût-il- qui risquerait d’attirer l’attention de quiconque !

Non : finalement, la teinte terne de la cendre, le silencieux visage de l’être sans importance, ça avait aussi ses avantages...

Respirant encore un peu de la fraîcheur du temps qui passe, Cinder le bien nommé continua son petit bonhomme de chemin, laissant d’ailleurs le valeureux Clopin suivre presque de lui-même cette route qui s’allongeait devant eux ; comme aussi s’allongeait l’ombre de la tour aux aiguilles érigée sur la grand place, alors que l’astre diurne poursuivait sa course dans un ciel sans nuage, et sans se soucier des aléas des unes, des autres, simples servantes métalliques ou Grande Mère omnisciente furent-Elles.

Levant un peu plus son regard apaisé vers le sud, il rechercha un indice du temps qui allait changer, il en était certain. Bientôt, les nuages qui couvraient son existence s’éparpilleraient comme feuilles mortes au vent du nord, remplacés par les traces humides et chaudes à la fois laissées par l’ère nouvelle qui arrivait de l’australe contrée.

Si les fières élites d’ici appréciaient les petites douceurs tocantes et les rouages huilés qui faisaient leur richesse (richesse sans doute, mais réservée à quelques privilégiés donc), les édiles de l’autre hémisphère savaient bien mieux les avantages d’une technologie d’avenir et promettant ses fruits à toutes et tous !

La précision existait également dans l’art de la tubulure, du cuivre torsadé comme du fer carboné ; la compréhension fine de l’union des quatre éléments leur avait procuré force mécanique (tel ressort perpétuel ou machinerie puissante fiable au long cours) ainsi que nombres avancées dans l’art du déplacement ou de la transmission de textes ou autres informations de tous ordres.

Et le plus beau dans tout cela, c’était bien que l’accès à ces nouvelles merveilles était laissé loisible au plus riche comme au plus simple.

Alors, oui : le charme de la mécanique animant un peu magiquement et sans recourir aux chaudières ou aux pistons sous pression était certain. La brillance des métaux précieux, ce petit éclat d’âme qui brillait dans l’œil du tendre Clopin, par exemple, ne laissaient pas indifférent Cinder, loin de là... Mais d’avoir passé ces dernières années dans le mépris, tyrannisé par « ses proches » et oublié –jusqu’à cette rencontre fortuite et heureuse– dans un coin sombre et inhospitalier de sa propre maison, lui avait ouvert les yeux.

— Ce soir je viendrai te rejoindre, pensa-t-il avec une délectation véritable, et dans quelques lunes, quand le temps sera venu, fi du clockwork : maîtres de la vapeur nous serons devenus, et ensemble nous resterons unis, enfin aux yeux de toutes, de tous... mon cher Maurice !

(Ça, pour un changement de paradigme...)


Texte publié par ffmonrise, 6 mars 2017 à 20h58
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