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Le monde de Dulatum-la dernière des Fées
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tome 1, Chapitre 7 « Après l'orage » tome 1, Chapitre 7

Eren avançait dans le couloir, essayant de suivre Grivas. Si elle avait su, elle ne se serait pas amusée de la bonhomie de la nourrice royale. La jeune fille n’était jamais allée plus loin que le premier étage de la tour des communs comme tous les commis de cuisine. Maintenant dans la tour du roi, elle était perdue. Elle souffla un grand coup avant de passer les doubles portes de chêne gris sculptées de fleurs. Derrière ses dernières se cachait le couloir des appartements de la Princesse. La Demoiselle s’arrêta net, émerveillée. Les murs reflétaient une lumière surprenante. La fille du Maître-forgeron eut l’impression d’être sous la voûte céleste un jour d’été. En comparaison avec le reste du château, la température était ici plus douce. Eren posa ses doigts sur les pans pierreux, fascinée.

« Il s’agit de sable fossilisé : “des grains de mille ans” plus exactement. La roche provient du désert sans fin et a été taillée par des elfes.

– C’est beau.

– Le quartz a été pétrifié par des elfes blancs durant de la Deuxième Guerre. Ces derniers ont transmis leur magie au lieu. Les pierres ainsi créées ont la capacité d’emmagasiner la lueur des jours et des nuits. Ces murs se meurent un jour après l’autre. Dans un peu plus de trois cents ans, ils seront gris. Ils auront alors acheminé mille ans de lumière.

– Vous voulez dire que le jour elles sont pas bleues comme ça ? s’étonna Eren.

– Non. Le jour, elles éclairent les couloirs en émettant la clarté du jour. Cette clarté correspond à la journée écoulée dans le désert sans fin il y a sept cents ans.

– Je comprends...

– En route, ne faisons pas attendre la Princesse et surtout la Reine. »

Eren emboîta le pas de la nourrice. Elle regarda cette dernière d’un œil nouveau, non seulement elle était d’une rapidité surprenante, mais en plus elle pouvait s’avérer douce lorsqu’elle le voulait. Soudain, le bruit d’un ronron étonna la jeune fille. Elle se trouvait dans les appartements de Griselle, mais elle n’avait absolument pas idée du comment elle y était parvenue. Il allait falloir qu’elle soit plus attentive. Sinon, en aucun cas, elle ne retrouverait son chemin dans l’immensité de la tour du roi. La commis ne s’enhardit pas à parler et, de toute évidence, la Princesse n’avait pas l’intention de lui adresser la parole.

Les deux jeunes filles se faisaient face. Toujours silencieuses, elles attendaient. Aucune d’elles n’osant bouger. Griselle avait un rang à tenir, Eren le comprenait. Les visiteurs, à moins qu’il ne se soit agi du Roi ou de la Reine, devaient prendre les devants afin de la saluer.

L’enfant du Maître-forgeron, impressionnée par la taille de la pièce, ne savait pas comment elle devait faire. De plus, le chat gris qui ronronnait dans ses bras l’incitait à rester immobile.

La Princesse, sans raison évidente, décida de rompre le protocole et s’avança vers la jeune fille. Cette dernière, figée, ne bougea pas davantage. Griselle sourit doucement tandis qu’elle prenait Gribouille des caresses d’Eren.

« Gribouille, veux-tu bien laisser notre invitée tranquille », dit-elle en déposant délicatement l’animal à terre.

Les yeux déjà immenses de la fille du forgeron s’ouvrirent encore plus. Elle duisit en retour à Griselle. Tout ce qu’elle avait entendu de la fille du roi était vrai. Elle était calme et avait une voix enchanteresse. Un simple mouvement gracieux de lèvres et quelques mots avaient suffi pour qu’Eren se sente à l’aise. Elle osa alors répondre, non s’en s’être fendu auparavant d’une révérence maladroite dont elle seule avait le secret.

« Votre Altesse... Je savais pas que le chat, il était le vôtre. Désolée. »

Griselle retint un léger rire en plaçant sa main délicatement devant sa bouche. À ne pas en douter, la fille du Maître-forgeron avait besoin d’aide non seulement avec des cours de maintien, mais également avec des leçons de diction et de bonne manière. La commis était consciente de ses lacunes et n’était pas sûre qu’une année suffise à faire d’elle une Demoiselle de compagnie acceptable. Mais quoi qu’il lui en coûte, elle ne laisserait jamais la Reine exiler sa famille.

« Eren, c’est bien là votre prénom ?

– Oui, Votre Sérénissime, répondit-elle déterminée à progresser.

– Eren. Tout d’abord, dans l’intimité de mes appartements nous pouvons nous tutoyer. Par contre, si nous sommes en public, le vouvoiement sera de rigueur. Tu pourras alors m’appeler, Princesse, tout simplement. Enfin, il ne faut pas dire : “je savais pas que le chat, il était le vôtre”, mais plutôt : “je n’avais point idée que cet animal vous appartenait”. »

Eren souffla bruyamment. Elle appréhendait que l’exercice soit compliqué, mais elle n’avait pas imaginé qu’il lui faudrait également changer son langage. Elle inspira plus discrètement et se corrigea :

« Princesse, je ne savais pas que ce chat était le vôtre et vous prie d’accepter mes excuses. Si nous devons nous tutoyer, puis-je par conséquent vous appeler Griselle dans le secret de vos appartements ? » se reprit Eren en ramenant ses épaules en arrière de façon à se tenir bien droite.

La fille du Roi fit un grand et franc sourire à sa Demoiselle de compagnie. Les choses allaient être moins compliquées qu’il n’y paraissait au premier abord. L’enfant du Maître-forgeron avait une intelligence vive et avait su apparemment réagir dans le sens désiré par Griselle. Elle n’avait aucune envie d’être là, mais elle ferait l’effort de se plier à sa nouvelle condition.

« Bien sûr, j’en serai ravie, au contraire. Et... le chat n’est pas à moi, il appartient au Roi. »

Eren sourit à son tour. L’animal de confiance l’avait adoptée immédiatement, ce qui était de bon augure. Elle avait toujours été première de sa classe et connaissait bien plus de choses qu’elle ne le laissait paraître. La jeune fille avait même eu une année d’avance. Cependant, elle avait dû abandonner son amour pour les belles lettres lorsqu’elle avait décidé de fréquenter les écuries royales. Elle masquait également son intérêt pour les livres afin d’éviter les quolibets de ses frères, du moins ceux qui étaient soldats. Voulant se fondre dans la masse, elle avait vite adopté, non seulement une tenue masculine, mais aussi un vocabulaire de garçon d’étables.

Jusque lors, elle n’avait jamais réalisé que cela lui manquait. Cependant, les quelques mots échangés avec Griselle lui donnaient l’impression de revivre. Le fait de s’exprimer correctement et d’être en accord avec sa vraie nature semblait l’aider à mieux respirer.

Elle se laissa aller à rêver que cette expérience ne serait peut-être pas, finalement, si déplaisante.

La commis se demanda ce que la fille du Roi avait bien pu faire pour être ainsi affublée d’une Demoiselle de compagnie si atypique. Elle s’avança quelque peu de façon à se trouver à la distance adéquate pour une conversation qu’elle voulait plus confidentielle.

« Majes... Princesse... Griselle, j’aurai une question à vous… à te poser si cela ne t’ennuie pas.

– Je t’en prie Eren, exprime ta requête. Je verrai ensuite si je suis libre d’y répondre ou non.

– Bien, je suis ici parce que j’ai été punie. Il s’agit d’une réprimande peu commune que beaucoup prendraient pour une récompense. Mais toi, qu’as-tu donc fait pour te retrouver avec une Demoiselle de compagnie qui tient plus du commis de cuisine que de la jeune fille de bonne famille ?

– J’ai chu !

– Pardon... »

Eren sans même s’en rendre compte avait avancé sa tête comme l’aurait fait une poule. Griselle fit un signe de la main, les invitant à s’asseoir, elles en avaient pour un moment. Griselle raconta alors à Eren comment, depuis des années, elle échappait à ses gardes, espérant voir de plus près la Forteresse et le Trou. Elle avait lu tant d’histoires à leur sujet qu’elle rêvait de connaître ces lieux qui avaient fait la réputation de Grubens. Elle désirait expérimenter par elle-même le monde qui l’entourait, maintenant qu’elle en avait presque tout appris.

Elle concéda également qu’elle n’était pas bonne cavalière. Griselle avait eu les meilleurs professeurs, mais aucun progrès n’était en vue. Comme elle était maladroite de nature, elle n’arrivait jamais à suivre les indications qu’ils lui donnaient sans qu’une catastrophe ne se produisît.

La Princesse confessa que c’était elle qui avait fait tomber le capitaine de la garde tandis qu’il montait Dilmi, blessant involontairement l’étalon de son frère. Au lieu d’exprimer l’ordre d’avancer, elle avait intimé celui de reculer. Elle ne chevauchait d’ailleurs que de vieilles juments placides, ce qui réduisait les risques de chute.

Eren ne put s’empêcher de rire à gorge déployée. Elle reconnut que c’était vraiment dommage pour l’aile de Dilmi. Cependant, la commis avoua que le capitaine de la garde l’avait probablement mérité. La jeune fille repensa à la tête qu’avait faite le militaire en se relevant à la suite du coup de seau. La Princesse demanda à ce moment-là à sa Demoiselle de compagnie comment elle avait fait pour garder ainsi son sérieux. Eren reconnut que la rage ne lui avait pas permis de réaliser le comique de la situation. La sœur de Grégory se fit un plaisir de faire moult grimaces afin de mimer la scène avec force de détails.

Les deux jeunes filles partageaient maintenant, non plus un silence maladroit, mais plutôt un fou-rire excessif.

La Reine frappa à la porte. Sans réponse de la part de la Princesse, elle entra. Eren et Griselle, assises, pouffaient. La souveraine se racla la gorge, attirant l’attention non seulement d’Eren, mais aussi de Griselle. Érianor les interpella d’une voix glaçante qui n’appelait pas à la discussion :

« Mesdemoiselles, si vous êtes ici convoquées, c’est que vous devez être blâmées pour vos actes irréfléchis. Griselle, fuir sur le dos de Delmée était indigne d’une Princesse de Grubens.

– Mère, je ne suis pas en sucre. Si je ne fais que des sorties “officielles”, comment pourrai-je un jour connaître le pays de Grubens ?

– Griselle ! Il suffit ! Est-ce une façon de saluer ta souveraine ? De plus, tu as bien failli te tuer ! Tu dois apprendre à être un peu plus responsable.

– Oui, Votre Majesté, dit Griselle, la mine triste.

– Je préfère. Griselle pour avoir désobéi à mes consignes, tu devras faire d’Eren, ici présente, une Demoiselle aux manières soutenues tant dans son éducation que dans son maintien.

– Oui, Votre Majesté », répondit la jeune altesse dont le visage s’éclaira d’un sourire.

La Reine pensait probablement la tâche impossible, mais Eren avait du potentiel et elle se doutait que Griselle ne se faisait donc aucun souci. Après une légère pause, Érianor continua :

« Eren, quant à vous, vous serez responsable de la sécurité de la Princesse. Sachez, toutefois, qu’en plus d’avoir des idées rocambolesques afin de fuir la première cour, mon enfant est également très maladroite hors de ces murs. La suivre ou l’encourager serait à vos risques et périls.

– Je comprends, Votre Majesté. »

Erianor fixa un instant Eren. Sa réponse, au ton posé, laissait à penser qu’Eren était au courant de la situation. La Reine reprit :

« Pour conclure, j’ajouterai une clause à cette punition peu commune : si l’une faillit, l’autre aussi. Avez-vous entendu et accepté les termes de cette retenue ?

– OUI, votre Majesté ! » répondirent en cœur les deux jeunes filles.

Érianor tourna les talons et sortit après leur avoir souhaité bonne nuit. Le silence était revenu. Eren tortillait un pan de sa chemise pendant que Griselle ne cessait de replacer une mèche folle dans son chignon. Un léger coup donné à la porte les fit sursauter.

« Entrez ! dit Griselle d’un ton brusque, voyant une très jeune fille aux cheveux blonds passer le battant, elle se ravisa :

– Pardon, Gracy, je ne voulais pas être sèche. J’ai eu une soirée difficile.

– Princesse, vous êtes tout excusée. C’est Grivas qui m’envoie.

– À quel sujet ?

– Je dois montrer sa chambre à la jeune Demoiselle avant de venir faire votre service de nuit.

– Bien, dans ce cas, je vous accompagne. Nous ferons une halte à la salle de bain, cela te donnera moins de travail.

– Entendu, Princesse. »

Griselle se tourna vers Eren en la montrant du plat de la main :

« Gracy, je te présente Eren, ma Demoiselle de compagnie. »

Puis la Princesse fit la même chose en indiquant la jeune fille qui se tenait devant la porte :

« Eren, voici Gracy, ma Suivante, elle t’aidera également avec tes toilettes et tes coiffures. »

La servante fit une révérence gracieuse tandis qu’Eren faillit tomber, en faisant le même exercice. Griselle ne put s’empêcher de rire. Les trois jeunes filles sortirent du salon privé de la Princesse. Elles longèrent le couloir et entrèrent dans la première pièce qu’elles croisèrent sur leur droite. La salle de bain se trouvait face à la chambre de Gracy entre celles d’Eren et de Griselle.

Eren avait déjà entendu parler de ce genre d’endroit, mais n’en avait jamais vu de telle. Il s’agissait d’un atrium dont le centre était décoré d’une fontaine. Les murs étaient parsemés de céramiques vertes dont les tons les plus foncés occupaient les sols. Les carreaux clairs remontaient en dégradés vers le plafond recouvert de cristaux, donnant l’impression qu’un puits de lumière éclairait le griffon. Tout autour du jet d’eau, des battants de verre opaque cachaient l’accès à un sauna, un hammam et une douche.

La Princesse se dirigea directement sur sa droite vers le vestiaire. Eren, interdite, attendait sur le pas de la porte. Elle n’osait pas entrer à la suite de Gracy dans la petite pièce qui servait de boudoir. La raison de sa crainte n’était connue que d’elle seule. La Suivante revint sur ses pas afin d’inviter Eren à venir se changer. La fille du Maître-forgeron n’avait pas l’habitude de passer autant de temps avec des personnes de sexe féminin. Même si cette expérience se limitait, pour l’instant, à une soirée, elle ne savait pas vraiment comment réagir.

Gracy prit doucement le bras de la Demoiselle et la conduisit vers le vestiaire où Griselle patientait en peignoir long de bain. L’éponge avait la couleur et l’aspect d’un nuage de printemps. Gris très clair, il semblait infiniment moelleux. Un second vêtement était suspendu à la patère et attendait Eren.

La jeune fille fixa, tour à tour, la Princesse et la Suivante puis commença à déboutonner sa chemise. Giselle et Gracy sortirent avant même que la sixième enfant d’Ethias ne soit arrivée au troisième bouton.

Eren se déshabilla. Elle passa le peignoir et inspira profondément tellement elle se sentait bien. Une bonne odeur de rose, légèrement citronnée, flottait dans la pièce d’eau. Elle poussa la porte du vestiaire et remarqua une douce lumière bleutée en provenance du hammam.

Elle laissa son vêtement à l’extérieur et saisit la serviette que lui tendait Gracy. Elle la noua autour de sa poitrine et entra. Elle fut assaillie par la vapeur brûlante. Ses muscles se détendirent en quelques minutes à peine. À tâtons, dans la demi-obscurité, elle rejoignit la Princesse assise sur un banc en céramique.

Une vingtaine de minutes plus tard, elle se doucha et goûta aux bons soins de Gracy. Cette dernière lui oint le corps et les cheveux de différents produits comme elle l’avait fait précédemment avec la jeune altesse. Elles retournèrent ensuite aux vestiaires, détendues et sentant la rose. Les vêtements de la fille d’Ethias avaient été remplacés par un pyjama gris clair en lin.

En sortant, Griselle prit le bras d’Eren et lui expliqua en quoi consisteraient ses journées. Elles se donnèrent rendez-vous pour le petit-déjeuner du lendemain juste après que la Princesse ait déposé un baiser sur la joue de sa nouvelle compagne en signe de bonne nuit.

Ce fut donc ainsi, sentant la rose et portant une étoffe légère, qu’Eren devint officiellement la Demoiselle de compagnie de Griselle.


Texte publié par Isabelle , 27 juillet 2017 à 09h19
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