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icone Fantasy/Mystère
icone 9 404 mots | ~31 minutes
icone Dimanche 12 février 2017
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Andreas Rocha (ArtStation)
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Histoire terminée
icone Quatrième de couverture
Chapitre 1 : La Caravane d'Ahnkilie


Année 1250. Les récoltes étaient bonnes pour la Reine Almeda et son époux le Roi Soghor. Tous deux gouvernaient le Royaume d'Ahnkilie, des terres prospères et un peuple allant croissant qui admirait son monarque. Leur château surplombait les Plaines du Sud.

Evelia défit son tablier. Elle était rentrée dans la maisnie de la Reine depuis deux ans. À présent elle avait 15 ans, une longue chevelure ondulée, blonde comme les blés, des yeux violets resplendissants. C'était un pigment rare en Ahnkilie où la race Humaine prédominait. La couleur améthyste était considérée comme porteuse de chaos et de Magie. Mais Evelia était une Humaine tout ce qu'il y a de plus banal. Une servante parmi tant d'autres.
Une main se posa sur son bras. Evelia sursauta avant de reconnaître Dessie, sa meilleure amie. Des taches de rousseur piquetaient ses joues et son nez minuscule. Une longue tresse châtain partait de son oreille gauche à son oreille droite sous un bonnet de servante. Elle avait de petits yeux gris et une silhouette fluette.
– Dessie ! Tu m'as fait peur !
– Psst ! Moins fort ! Tu as entendu la garde royale ?
Dessie avait son âge mais raffolait des derniers potins contrairement à elle. Surtout lorsqu'il s'agissait des amourettes des convives. Cependant, qu'elle aille écouter les gardes ne lui ressemblait pas, ils n'avaient pas grand-chose à raconter.
– Non pourquoi ?
– Ils disent que le Grand Magicien Kadan se serait enfui de L'Île de Tahou !
– Tu parles de cette île où l'on envoie les condamnés ?
– Oui mais chut ! Pas si fort !
– Je ne vois pas pourquoi nous devrions avoir peur. Nous sommes protégées par le Roi Soghor. Et tu es la suivante de la Reine Almeda, il ne peut rien t'arriver.
– Certes oui, mais que peut faire Sa Majesté face à un Sorcier ?
– Je ne sais pas. Mais pour quelle raison Kadan nous attaquerait ?
Elle tressaillit.
– On raconte qu'il serait né dans le duché de Shelzar…! Qu'il serait un Ourkhadien !...
Une cuisinière traversa le couloir.
– Mesdemoiselles, vous n'avez rien de mieux à faire que de bavasser ? Allez donc vous coucher, une grosse journée nous attend demain !
Elles acquiescèrent et attendirent que la vieille mégère soit partie avant de se quitter.
– Ne te tracasse pas avec tout ça, Dessie. Bonne nuit.
– Oui mais demain…
– Qu'y a-t-il ?
Elle secoua la tête.
– Non rien… Oublie ça, aller bonne nuit !
Dessie tourna les talons très vite. Evelia se demanda ce qu'elle voulait dire. Qu'y avait-il de prévu demain qu'elle aurait pu oublier ? Elle ne se rappelait pas. Enfin, ce ne devait pas être si important, sinon elle s'en serait souvenue.
Elle se rendit dans les chambres communes, contrairement à Dessie qui avait ses propres appartements en tant que suivante de la Reine. Tout était silencieux à cette heure tardive. Evelia tâtonna pour trouver sa couche, puis elle se déshabilla, retira sa chemise de nuit de sous son oreiller, l'enfila et s'allongea. Le sommeil l'emporta vite.

Le lendemain, le soleil était haut quand elle s'éveilla. Les oiseaux gazouillaient gaiement. Elle s'assit, pourquoi personne ne l'avait réveillée ? La chambre était vide. Elle mit son jupon, sa robe de soubrette blanche et noire, son collier, boutonna son col montant et ajusta sa coiffe. Puis elle dévala les escaliers recouverts de tapis onéreux, passant devant des tapisseries qui racontaient l'histoire du monde.
Il y avait un grand brouhaha dans la salle centrale qui servait de hall. Énormément de monde s'était rassemblé, des nobles ainsi que des voyageurs illustres de tous horizons. Dessie discutait avec une Naine, Evelia se fraya un chemin parmi les Mages, les Elfes, les barbares et les hommes du désert.
– Pourquoi cette effervescence ?
– Le Roi vient de recevoir une lettre de la main du Magicien Kadan tôt ce matin…
– Que dit-elle ?
– Nous ne savons pas exactement. – avoua Leresnia la Naine – Le Roi nous a tous fait rassembler ici pour nous en lire le contenu.
– Mais, pourquoi n'ai-je pas été appelée ?
Dessie la regarda d'un air chagrin.
– La cuisinière a dit qu'il était préférable que tu ne viennes pas…
– Pour quelle raison ?...
Evelia se sentait exclue. Dessie se gratta la nuque.
– Il y a un sacré remue-ménage par ici…
– Oui mais…
…un silence imposant s'abattit dans l'assemblée, l'obligeant à ne pas terminer sa phrase. Le Roi Soghor marchait dignement, sa couronne ornée d'une arabesque posée sur sa crinière rousse. Almeda conservait une distance respectueuse entre son époux et elle. Ses longs cheveux blancs, fins comme du lin, lui arrivaient aux genoux.
Le Roi s'éclaircit la gorge.
– Des rumeurs concernant l'évasion du Magicien Kadan sont parvenues à vos oreilles. Elles sont fondées.
Murmures dans la salle, Soghor fit un geste qui restitua le silence.
– J'ai reçu cette lettre ce matin. C'est un page de Kadan qui me l'a remise avant de tuer un de mes valets et d'être transpercé à son tour par ma garde.
– Et que dit-elle mon Roi ?
Les yeux verts du vieux souverain se posèrent sur Ragadorn, l'un de ses meilleurs Paladins.
– De tristes nouvelles mon ami… Kadan compte conquérir le Royaume d'Ahnkilie. Et personne n'arrive à l'approcher sans trouver la mort… Il était prisonnier pour de bonnes raisons et il semblerait qu'il se soit affranchi de ses chaînes… J'ignore comment nous allons faire…
– Puis-je vous prêter main-forte ?
– Eh bien… – il regarda l'assemblée – Je compte envoyer des volontaires dans sa tanière pour élaborer une stratégie. Vous devrez fouler ses terres et trouver ses failles sans l'approcher de trop près. – des chuchotements bourdonnèrent – Vous ne reviendrez pas tous vivants. Que ceux qui souhaitent participer à cette noble quête s'avancent.
Ragadorn Rudoval se présenta à lui en premier, suivi de Skarn Rudoval, Harken Dwargrirm, Salaün Orked, Nofelna Yveldir, Eleanor Restad et Chiban Ferand.
Deux mains bousculèrent Evelia en avant, elle se retrouva parmi les volontaires. Elle regarda qui l'avait poussée mais seuls des visages inconnus l’entouraient.
– Ton visage m'est familier, tu es ?
Evelia s'inclina devant le Roi.
– Euh… Evelia Gwynian du Port Segoura…
– Bien. Une servante pourra peut-être m'aider après tout.
Il n'y croyait guère mais qui sait ?
– Attendez c'est…
– …je n'ai plus le temps d'attendre. Votre caravane est attelée. Plusieurs convois seront envoyés par zones stratégiques.
Harken, le Nain, la fit avancer.
– Mais non ! Je ne peux pas y aller !
– C'est vrai. – admit le Roi – Donnez-lui un nécessaire d'aventurière.
Harken grogna. Il avait 27 ans, des cheveux broussailleux sous un casque cornu et une barbe bien fournie. Il l'emmena dans la salle d'armement.
– Tes vêtements ne conviennent pas pour te battre.
– Je sais, je… !
– …tiens.
Il lui présenta un pourpoint, des cuissardes et des gants.
– Quelle arme sais-tu manier ?
– Mais aucune !
– C'est embêtant. Tiens, prends cette dague longue.
– L'arme des assassins… – songea-t-elle tout haut en s'en emparant.
– Basique. Inutile de te donner des lames coûteuses que tu risques d'égarer. J'ai plus de chance de te retrouver le corps en charpie de toute façon.
Evelia frissonna.
– Je n'ai pas l'intention de mourir !
– À part le nettoyage, la cuisine et geindre, que sais-tu faire ?
Elle s'empourpra.
– De quel droit me parlez-vous sur ce ton ?!
– Je suis un Nain. Très sociable qui plus est. Là je suis gentil, pour une fois.
– Pourquoi tous les Nains ont mauvais caractère ?!
– Hoho ! Tu me fais rire ! Tous les Nains sont de fiers guerriers. Je n'aime pas les Humains mais grâce à eux notre commerce prospère.
– Je suis Humaine, vous savez…
Il ronchonna et s'éloigna. Evelia soupira. Elle pouvait encore s'éclipser le temps que la caravane quitte le château. Oui c'était sûrement plus raisonnable. Après tout, elle figurait parmi une troupe de bras cassés suite à un malentendu. Quelqu'un l'avait poussée et sans avoir eu le temps de fournir des explications, le Roi l'avait désignée comme aventurière… Evelia ne voulait pas partir, sa vie était ici, ses amis, ses habitudes…
Tandis qu'elle jetait les affaires qu'Harken lui avait remises, Skarn, le beau Paladin du Roi les ramassa. Elle ne l'avait pas entendu entrer, trop absorbée dans ses hésitations de désistement.
– Ils ne vous conviennent pas ?
Les cheveux noirs de Skarn livraient bataille sur sa tête, dressant des épis indisciplinés. Ses yeux dorés avaient quelque chose d'ensorcelant. Son armure était de riche facture à n'en pas douter. Une épée à deux mains pendait sur son flanc gauche.
– Non… Et en vérité, je ne veux pas partir…
– Personne ne le veut dans le fond. Mais nous sommes les heureux élus chargés de cette tâche. – il lui tapota l'épaule – Je vous attends devant la porte, ne tardez pas trop.
Et il sortit. Evelia scruta la pièce. Des armures s'alignaient le long du mur. Un arsenal d'armes en tout genre était disposé pêle-mêle. En haut à gauche s'ouvrait une fenêtre. Elle poussa une caisse en bois pour l'atteindre, grimpa dessus et regarda au-dehors. Salaün, le Druide, croisa son regard. Il discutait avec Eleanor, la Dompteuse, devant la caravane. Ils avaient l’air impliqués dans leur future mission et Skarn l’attendait.
À contrecœur, elle enfila sa tenue, rangea sa dague longue à sa ceinture et se dirigea dans le couloir. Skarn se détacha du mur, sa longue cape blanche bruissa.
– Vous voilà fin prête !
– Pas tout à fait, je dois préparer mon sac de voyage.
– Soit, je vous accompagne.
– Euh… Merci Monseigneur.
Elle fit une courbette qui amusa le Paladin.
– Haha ! Que de manières ! Appelez-moi Skarn.
Evelia rosit légèrement.
– Bien… Skarn…
Il l'accompagna jusqu'à sa chambre et attendit qu'elle rassemble quelques effets utiles. Elle prit un savon, sa brosse à cheveux, des vêtements de rechange, sa bourse et quelques provisions rangées dans une malle pour toutes les fois où elle n'avait pas le temps de manger et se les gardait pour le soir.
Evelia fit ses adieux à Dessie.
– Tu vas me manquer…
– Tu sais, c'est moi qui t'ai poussée…
– Quoi ?...
Dessie serra ses mains sur son tablier.
– Le Royaume subira une attaque, c'est inévitable…
– Mais Dessie !...
– …Rejoins l’Hedronie, au nord des Marais Fossiles. Leur fratrie t'accueillera à bras ouverts, ce sont des Prêtres pacifistes.
– Mais et toi… ?
La soubrette secoua la tête.
– Ça ira. Je me dois de servir sa Majesté Almeda. Mais toi, tu n'es pas la suivante de la Reine, tu ne mérites pas de mourir ici…
Evelia se sentait trahie. Certes elle comprenait les motivations de sa meilleure amie, mais elle l'entraînait dans un voyage qu'elle n'avait pas désiré ce faisant…
Leurs mains se détachèrent lorsque la caravane avança. Dessie agita le bras en guise d'adieu, la larme à l’œil. Evelia, elle, se demandait ce qu'elle devait en conclure. Est-ce que le Royaume d'Ahnkilie allait réellement subir une attaque du Grand Kadan ?... Elle secoua la main en lui promettant de revenir, guère convaincue d'y parvenir…

Les chevaux partirent au galop vers le nord. La caravane était immense, disposant de dix couchettes, d'un débarras pour leurs affaires et d'un établi de cuisine. Evelia poussa le rideau pour regarder les plaines.
– Où allons-nous ?
– À Merlahn pour commencer. – rétorqua Harken d'un ton maussade.
– Et… c'est loin ?...
– Hum, à 75 lieues d'ici. Nous y serons dans trois jours s’il n'y a pas de bataille à livrer.
– Bataille ?...
– Liches, Orcs…
– Les coups de balai n'ont aucun effet sur eux je suppose…
– Ton humour ne me fait pas rire.
Elle bougonna, Skarn la héla.
– Evelia, venez donc vous asseoir.
Elle le rejoignit. Devant sa mine déconfite il chercha à la rassurer.
– Allons, ne vous inquiétez pas, tout se passera bien.
– J'aimerais vous croire…

Le bois de la caravane était façonné par des mains expertes. Elle était spacieuse, les lits avaient l'air douillet. Le garde-manger contenait une bonne quantité de provisions. Pain au maïs, viande séchée, galettes, pêches au miel, quelques courges… Evelia sentait la faim la tenailler en regardant toute cette nourriture. Elle n'avait pas mangé depuis la veille à midi et les fruits dorés la faisaient presque baver.
Skarn approcha sa main d'une pêche au miel.
– Tenez, vous en voulez ?
Harken leva sa hache devant l'armoire.
– Nous sommes huit, et ce n'est pas l'heure du repas. Si vous n'apprenez pas à vous réguler, il ne restera rien.
– Mais Evelia est une frêle jeune fille, elle a besoin de manger…
Le Nain montra ses biceps.
– Tu vois cette musculature ? J'ai besoin d'avaler énormément de viande et de bière pour rester en forme. Mais j'attends les heures du repas pour ne pas manger les rations des autres.
Skarn le considéra d'un air vague.
– Mais la bière ne nourrit pas…
– C'est de la nourriture spirituelle petit, tu ne peux pas comprendre. – il tourna les talons – Encore une chose : la prochaine fois que tes doigts s'approcheront des provisions, ma hache ne s'arrêtera pas. Tu risques de perdre une main pour des idioties, ce serait dommage.
– Vous êtes odieux…
– Non, simplement juste et équitable. – devant la mine défaite d'Evelia il rajouta – Ce voyage t'endurcira.
Harken partit rejoindre Eleanor et Nofelna qui conduisaient la caravane pendant qu'il s'accordait une pause pour fumer. Skarn le suivit pour vérifier si son destrier blanc ne manquait de rien. Il avait le crin tressé, c'était une bête de compétition, des pattes musclées, très robustes. Le cheval de Ragadorn, lui, était d'un gris pommelé. Chiban dormait et Salaün lisait dans son coin. Evelia s'assit sur sa couchette. Elle détailla le Druide. C'était un jeune homme aux longs cheveux blancs qui tenait un livre d'herboristerie entre ses mains analytiques. Des pommettes saillantes contrastaient avec son visage assez efféminé. Ses yeux gris étaient enfoncés dans ses orbites aux légères lunules mauves. Il fit comme si la pièce était vide.
– Vous êtes… Salaün c'est bien ça ?...
L'intéressé leva un sourcil vindicatif, visiblement agacé d'être dérangé dans sa lecture.
– En effet.
Il replongea aussitôt son nez dans ses pages jaunies qui sentaient le renfermé. Le ventre d'Evelia gargouilla un long moment. Le nez allongé du Mage pointa hors de son ouvrage.
– J'ai entendu distraitement votre altercation tout à l'heure.
– Ah vous parlez d'Harken… ?
– Qui d'autre ?
– Oui… Je n'ai pas mangé depuis hier midi et il veut rationner la nourriture, je peux comprendre…
Salaün traça un rond avec son bâton. Une pêche au miel lévita jusqu'à sa main. Il la laissa en suspens pour qu'Evelia s'en saisisse. Elle disposa ses paumes en creux et recueillit le fruit.
– Je ne sais pas si je peux la manger…
– Le repas aura lieu dans cinq heures.
– Harken va remarquer qu'il manque une pêche…
– Je dirai que c'est moi qui l'ai mangée.
Evelia sentit poindre une bouffée de gratitude envers lui.
– Merci… C'est très gentil…
Il hocha la tête et ramena son livre devant ses yeux d'acier clair. Elle croqua le fruit juteux et tendre. Si sucré, si doux… Un vrai délice ! Après quoi, elle s'allongea sur sa couche chaude et confortable pour s'assoupir quelques heures.

Le soir venu, ils campèrent près de La Rivière de l'Espoir. Ils remplirent leurs outres. Evelia demanda s’il était possible d'allumer un feu de camp.
– Certainement pas ! – vitupéra le Nain – Des bêtes sauvages pourraient nous suivre !
La jouvencelle s'emmitoufla dans son manteau et s'assit sur la berge. Elle entendit Harken rouspéter lorsqu'il ouvrit le garde-manger. La voix de Salaün, grave et sombre parvenait faiblement à ses oreilles. Mais en entendant le Maître Nain baisser d'un ton, elle comprit qu'il la défendait et en fut rassurée.
La viande leur fut servie. Skarn la rejoignit en exécutant quelques bonds inutiles.
– On l'appelle La Rivière de l'Espoir. On raconte qu'une Princesse éplorée serait venue prier sous la lune, ici-même. Son père voulait la marier à un Prince du Désert et elle en aimait un autre. Ses larmes étaient si touchantes que la lune l'aurait aidée à rejoindre son amour secret. Et depuis personne ne la revit jamais.
Evelia regarda les eaux scintiller sous la lumière astrale. La lune montait doucement, d'un teint blafard.
– C'est une belle histoire.
– Oui je trouve aussi. Parfois certaines personnes viennent ici durant la nuit. Elles implorent la lune, mais aucune ne possède les larmes de la Princesse, alors l'astre lunaire refuse de les exaucer.
Une légère brise vint caresser les eaux limpides. Evelia plongea ses prunelles améthyste dans la rondeur de cette perle qui illuminait les cieux. Des larmes touchantes… ? Une mélancolie étrange la gagna tandis qu'elle songeait au périple qui l'attendait. Dessie lui demandait de gagner l'Hedronie. Elle n'avait plus de foyer. Quelque part elle n'en avait jamais eu, ses parents l'avaient remise très tôt entre les mains du Roi Soghor. Et à présent, du sang risquait de couler pour qu'ils réussissent leur quête.
Ses yeux s'embuèrent.
– Je n'ai jamais souhaité partir…
– Il est vrai qu'une servante ne devrait pas faire partie du convoi.
Elle renifla discrètement.
– C'est ma meilleure amie qui m'a envoyée ici… Elle m'a poussée au milieu des volontaires et lorsque j'ai essayé de l'expliquer au Roi, il ne m'a pas écoutée…
– Diantre ! Je n'avais pas compris ! Dans ce cas ça change tout, il faut que tu rentres !
Il la tutoyait enfin, elle prit son courage à deux mains pour en faire autant.
– J'ai essayé de te le dire mais tu étais pressé…
– Mille excuses… Ce voyage m'obsède depuis ce matin. Lorsque mon frère s'est porté volontaire, je n'ai pas hésité à le suivre.
– Ton frère ?
– Ragadorn, le grand costaud qui astique son armure une fois par semaine ! Il faut qu'elle brille autant que sa foi, dit-il toujours !
Il rit. Evelia sourit.
– Oui je vois qui c'est. Le cheval gris est à lui.
– Tout à fait. Mais si tu veux, je peux te laisser le mien pour que tu regagnes le Château.
– Je ne connais rien aux chevaux et partir toute seule me fait peur…
Skarn émit un gémissement contrit.
– Si je pouvais, je t'aurais raccompagnée, mais je dois suivre mon aîné dans cette quête périlleuse pour qu'il ne lui arrive rien.
– Pourquoi, tu as peur qu'il lui arrive malheur ?
– On ne sait jamais !
Ragadorn passa près d'eux justement.
– Skarn, je n'arrive pas à frotter l'arrière de ma jambière !
– C'est normal puisque tu la portes.
– Tu veux bien m'aider ?
Ragadorn avait des cheveux noirs mi-longs et une barrette en argent près de son oreille droite qui avait des propriétés défensives attestées, bien que sa forme de fée lui donnât de faux airs de pédéraste.
Skarn prit le chiffon que lui tendait son frère et astiqua l'arrière de ses jambières. Harken marcha vers eux avant de rentrer dans la caravane. Il cria au passage :
– Con comme un manche à balai !
Ragadorn ouvrit ses yeux bleus en forme de soucoupe.
– Pourquoi est-ce qu'il t'insulte mon frère ?
– Oh, ne t'inquiète pas Ragadorn… Allons nous coucher, nous serons de meilleure humeur demain…
Le Paladin haussa les épaules.
– D'accord.
Evelia les suivit et croisa Nofelna qui tirait un rideau épais qui séparait les couchettes masculines et féminines. C'était une Elfe très jolie aux yeux bleu outre-mer bridés. Elle était déjà en chemise de nuit et salua sa partenaire.
– Bonsoir, Evelia c'est ça ?
– Oui, vous êtes… ?
– Nofelna, enchantée.
Elle lui serra la main. Toutes deux se souhaitèrent bonne nuit et Evelia se changea puis s'allongea. Elle joignit les mains en songeant à ses parents. Elle connaissait la mythologie draconique même si elle n'était pas très instruite. Les Degvenniens eux, avaient la chance d'avoir bien connu les Dieux Dragons. Evelia pria Orkaïne, la Déesse Gardienne de la préserver des dangers qui l'attendaient dans cette quête. Puis elle s'endormit.

*

Au petit matin, elle s'étira. Une odeur bizarre l'attira dehors. Elle sortit. Le Nain fumait devant deux cadavres d'animaux géants, la hache en terre.
– Qu'est-ce donc ?...
– Des Lycanthropes.
Evelia porta ses doigts à ses lèvres. Les énormes dépouilles ruisselaient de sang, la langue pendue, les yeux vitreux…
– Vous les avez tués ?...
– Encore heureux. Ils rôdaient depuis hier, je les ai sentis immédiatement. J'ai eu beaucoup de chance, d'habitude j'en chasse un à la fois.
– Vous chassez ces créatures ?...
– C'est mon métier.
La Soubrette avait du mal à envisager qu'il existait des gens capables d'exercer un tel métier. Encore plus que ces monstres ne soient pas que des fables.
– Ah bon…
Des cendres se délogèrent de la pipe du Nain.
– Nous devons nous remettre en route. Leurs frères vont nous traquer cette nuit…
Evelia pâlit.
– Vous êtes sérieux ?...
– Je suis toujours sérieux, sauf quand je suis ivre. La nuit est plus propice pour la chasse. – il ajouta sombrement – Et ils seront nombreux je le sens…
Nofelna sortit de la caravane et s'épouvanta en découvrant le spectacle qui l'attendait.
– Des Lycans… ?! Ils ont attaqué et vous n'avez alerté personne ?!
– Deux Loups-garous, ça va, je m'en suis bien tiré. Maintenant j'ai besoin de me reposer. Nofelna, conduis la caravane.
Il rentra d'un pas usé. Même s’il s'en était bien tiré, comme il disait, il avait fourni de gros efforts dans cette rixe. Evelia n'avait jamais vu de telles créatures mais elle imaginait l'intensité du combat…
Nofelna ajusta son arc dans son dos, prête à dégainer si l'occasion se présentait. Ses cheveux châtains, presque blonds, ressemblaient à du miel sous le soleil. Une fine cordelette beige les rattachait en une coiffure complexe typiquement elfique. Les boucles relâchaient sa cascatelle de mèches soyeuses dans son dos fin et gracile. Elle avait une peau de pêche, un nez retroussé, des lèvres souriantes. Evelia restait fixée sur ses yeux bridés couleur bleu outremer, ils avaient l'air si irréel…
– Vous avez des yeux magnifiques…
– Toi aussi Evelia. – elle sourit aimablement – Tu peux me tutoyer tu sais.
– D'accord.
– Tes yeux ressemblent à deux améthystes…
Evelia rougit.
– Merci, on me le dit souvent…
– C'est un pigment rare en Ahnkilie…
– Je sais…
– Tu possèdes des dons ?
– Aucun.
– C'est curieux… Enfin, on ne pas tout expliquer, le monde est rempli de mystères !
Ses bottes fourrées s'appuyèrent sur la marche en contrebas qui lui permettait de gagner sa place. Evelia la rejoignit, Nofelna lui tendit la main pour l'aider à grimper.
– Harken est allé se coucher, j'espère qu'il pourra dormir suffisamment avant la prochaine salve…
Ses propos alarmèrent Evelia.
– Alors c'est inévitable, ils vont vraiment attaquer ?...
– Je le crains…
La jeune fille chiffonna sa jupe.
– Jusqu'à aujourd'hui, je croyais que les Lycans n'étaient qu'un mythe.
– Et pourtant, ils sont bien réels. Beaucoup de créatures ont vu le jour. D'ailleurs, savais-tu que Salaün est le fils d'une Nymphe ?
Sa grâce éblouissante venait donc de là.
– Je l'ignorais.
– Il a fait son apprentissage en Hedronie.
– Tu sais beaucoup de choses sur lui Nofelna, vous vous connaissiez avant ce voyage ?
– Non pas du tout, mais Salaün a une certaine réputation.
– Laquelle ?
– C'est un Guérisseur de renom. En Hedronie il tient une place importante.
Il devait posséder des dons extraordinaires pour s'être forgé une réputation en si peu de temps. Après tout, il n'avait qu'une vingtaine d'années.
Evelia regarda la route. De nombreux gravelés faisaient cahoter la caravane. L'air était humide. Des hortensias roses coloraient le large sentier. Une autre caravane, assez vétuste, passa près de la leur.
– Bonjour !
Nofelna salua le conducteur.
– Bonjour.
– Un orage risque d'éclater, vous devriez trouver un abri pour vos chevaux.
– C'est une idée judicieuse mais nous sommes encore loin du prochain village.
– Si vous tenez une bonne vitesse, vous gagnerez Hedo cette nuit.
– Merci. Et vous ?
– Oh je suis presque arrivé à destination, ne vous souciez pas de moi !
– Mais il n'y a aucun village à proximité.
– Non c'est bien vrai. Mais je livre des marchandises pour les anciens qui ont élu domicile près d'une tourbière.
L'Elfe sourcilla.
– Et ils arrivent à vivre dans un tel environnement ?
– Oui ma dame. Je ne vous retiens pas plus, les affaires m'appellent.
Le marchand reprit au petit trot. Nofelna en conclut que ces gens allaient l'héberger le temps que la pluie se calme. Evelia déglutit péniblement. L'idée que l'orage les surprenne et que les Loups en profitent la taraudait… Et cette horrible image des cadavres glaviotant leur écume rouge tournoyait dans son esprit.
– Nofelna… Crois-tu que nous avons une chance de survivre ?...
L'Elfe hésita, préférant être sincère avec elle.
– Je ne sais pas… Si une meute entière nous prend en tenaille sous la pluie, nous ne ferons pas long feu…
Le ciel se voilait, les oiseaux chantaient encore malgré l'absence de lumière. Certains chemins n'étaient pas accessibles pour la caravane, ils furent retardés.

À midi, ils mangèrent à nouveau de la viande séchée et les pêches au miel. Ils burent du cidre pour arroser le tout et optèrent pour une stratégie en prévision de la nuit.
– Nous devons rester en zone découverte. – déclara Harken.
– C'est insuffisant. – lança Chiban.
Evelia l'étudia de plus près. Lorsqu'il dormait dans sa couche, elle n'avait vu que ses boucles auburn dépasser de son oreiller. À présent elle constatait qu'il était de toute petite taille. Et plus encore, elle l'avait croisé par le passé au château, c'était flou mais certain.
– Vous êtes Chiban c'est bien ça ?
– Exact, on ne s'est pas encore présentés c'est vrai. Je suis un Hobbit, natif de la Baie de Kath. Outre mes talents de Cuisinier, je possède une intelligence supérieure qui peut vous être utile dans cette quête. Mais je vous ai déjà vue dans les cuisines royales il y a de cela bien des années ce me semble.
– Je crois que oui, en effet.
Elle lui serra la main, elle était replète, comme son visage. Des lunettes ovales surmontaient son nez minuscule. Il portait une tenue de cuisinier qui ne convenait pas au voyage.
– Vous ne portez aucune protection ?...
– Oh non, je n'en ai pas besoin, j'ai mes propres techniques de combat.
– Ah bon ?
Eleanor pouffa. Son fouet noir luisait à sa hanche, ronde et hautaine. Elle portait des gants cloutés et ses jambières arboraient les armoiries du Roi Soghor. Une pelisse lui descendait jusqu'aux chevilles. Son décolleté légèrement découvert ne laissait pas indifférent. Sa chevelure bouclée était très pâle. Un grain de beauté mettait en évidence ses lèvres charnues et dures en dessous de sa joue gauche. Elle possédait une silhouette plantureuse, c'était une séductrice.
– Je ne m'inquiète pas pour lui ! Mais et toi Evelia, sais-tu te battre ?
– Non…
Elle fit une moue qui demeurait charmante. Si une autre femme l'avait esquissé, elle n'aurait pas su conserver cette grâce léonine.
– Dans ce cas reste en retrait si une bataille éclate. Compris ?
– D'accord…
Salaün leva son bâton. La pluie se mit à tomber. Une peur inattendue comprima le cœur d'Evelia.
– Si vous devez vous battre sous la pluie, comment ferez-vous ?...
– Je camoufle nos odeurs. – précisa le Mage.
Harken railla.
– Hahaha ! Elle est bien bonne ! Tu crois dissimuler nos odeurs en pissant un bon coup ?! Tu me fais rire, tête de poireau !
Nonobstant, les sourcils du Guérisseur s'arquèrent très haut.
– Tête de poireau ?...
Le Nain faisait sûrement allusion à sa robe d'un blanc immaculé qui couvrait son corps squelettique, tout plat.
– Manquerait plus que des cheveux verts et ce serait parfait ! Si tu avais deux sous de jugeote, tu saurais que nous ne nous battons pas contre des chiens mais des Lycans ! Des créatures dont la force surpasse la nôtre !
– Puisque vous pensez être si instruit, combattez-les vous-même.
Harken croisa ses bras musclés sur son poitrail de guerrier.
– Ouais ! Pas de problème pour ça, je suis habitué ! Seulement, cette nuit ce sera une meute complète. Si tu boudes dans ton coin, il risque d'y avoir des blessés, peut-être des morts. Et la petite ne sait pas se défendre.
Salaün jeta un regard furtif à Evelia avant de rentrer dans la caravane.

L'odeur de boue et de plantes embaumait l'air. Après avoir ôté son armure, Skarn prit la place de Nofelna l'après-midi. Evelia se rassit sur la banquette en bois traité.
– Pourquoi as-tu enlevé ton armure ?
– J'ai peur de la rouiller avec cette pluie.
Elle n'était pas rassurée.
– Tu n'as pas peur d'être attaqué à tout instant ?...
– Harken a prévu la charge pour ce soir, j'ai du temps devant moi avant de la remettre.
Les cheveux ondulés d'Evelia prirent l'humidité. Skarn lui conseilla de rentrer gentiment :
– Tu ne devrais pas rester sous la pluie, tu vas attraper froid.
– Et toi alors ?
– Moi je suis encapé, et surtout, je suis un Paladin !
– En quoi ce titre t'immunise contre le choléra ?
– Ah ! – il rit – Ce n'est pas faux, mais les Paladins sont endurants ! Nous sommes immunisés aux maladies grâce à notre foi !
– Ah bon, c'est vrai ?
– Eh oui, c'est un privilège ! Je suis Bretteur et bon Cavalier en prime !
– Déjà Bretteur ? Quel âge as-tu ?
– 18 ans. Je suis sous les ordres du Roi Soghor depuis mes 13 ans. J'ai eu ma première mission à mes 15 ans, mon frère en avait alors 17.
– En vous voyant tous les deux, on dirait que c'est lui ton frère cadet.
– Oui c'est…
– …Skarn ! – cria Ragadorn.
Sous la surprise, le duvet d'Evelia se hérissa. Les épaules de Skarn remontèrent d'elles-mêmes.
– Oui, Ragadorn ?
– J'ai besoin de me soulager, arrête la caravane !
Harken pointa le bout de son nez.
– Nous venons à peine de partir ! Tu aurais pu y aller avant !
Skarn arrêta les chevaux, Ragadorn n'attendit pas jusque-là et se cramponna à son armure en tombant par la banquette. Il rampa à quatre pattes jusqu'au bord de la route, défit quelques sangles et sentit les herbes lui chatouiller le postérieur tandis qu'il se vidangeait.
Le frère cadet enfouit son visage dans une main lassée.
– Oui on dirait mon petit frère avec un cerveau de 3 ans…
Harken se moqua du Paladin en attardant sur lui son œil connaisseur.
– Fétu de paille !
Evelia préféra détourner le regard durant toute cette scène, à la fois risible et gravissime pour un Paladin du Roi…

Plus tard dans l'après-midi, l'équipée s'occupa avec des jeux d'adresse. Six dés étaient disposés sur la table.
– Nous allons jouer à un jeu que je connais bien, il provient des Monts Charniers dont je suis originaire. – proposa Eleanor.
Les règles étaient simples : miser sur des paires et impaires pour gagner des bonus utiles à une aventure sur papier. Leurs personnages étaient représentés sous la forme de figurines et évoluaient sur un petit plateau au gré des quêtes.
Evelia secoua les dés dans la chope de bière et les jeta sur la table.
– J'ai trois 3 !
Eleanor opina du chef.
– Chapeau magique, défense +2 !
– Hihi, je suis contente !
Ragadorn regarda le plateau d'un œil vide.
– Je n'ai rien compris aux règles de jeu…
– C'est simple pourtant. Tu as des maisons dessinées sur la carte, tu t'y rends avec ton pion et tu tires un papier de la boîte à sucre qui va déterminer ta quête sur la mappemonde.
Il s'exécuta et attendit que quelqu'un lui lise ce qui était écrit, car il voyait des lignes avec des lettres mais ne les comprenait pas. Chiban pointa un doigt potelé sur la ferme.
– Tu dois te diriger chez les fermiers et ensemencer leur champ.
Le Paladin ratatina son nez sur le plateau.
– Mais ils ne sont pas vivants, pourquoi j'aiderais des figurines ?...
Harken rit à gorge déployée.
– On devrait avoir des joueurs comme lui plus souvent ! Comme c'est drôle ! Hilarant !
Ragadorn se demanda si Harken se gaussait avec une franche camaraderie ou s’il se moquait de lui, difficile à déterminer. Evelia prit le pion en glaise de Ragadorn.
– Il faut imaginer, tu comprends ?
Les lèvres pincées, il rétorqua :
– Non, je ne comprends pas.
Eleanor prit sa propre figurine.
– Regarde, ma quête est d'aller chercher de l'eau de jouvence pour la Reine dans la Fontaine des Fées.
Il la regarda bizarrement.
– Mais non… L'eau de jouvence n'existe pas… Et la Reine est au Château d'Ahnkilie… Pas sur ce bout de papier…
Harken tapa du poing sur la table, il pleurait de rire.
– Quoi, pourquoi riez-vous ?
– Il me demande pourquoi je ris ! Huhuhu !
Il gloussa tellement qu'il tomba de son tabouret en se tenant les côtes. Personne ne s'étonna lorsqu'il roula sous la table et continua de rire.
Ragadorn se leva, les joues couleur incarnat.
– Bon… Je vais me reposer ! Pour me préparer à livrer de vrais combats, humpf !
– C'est cela, va donc te coucher, tu dormiras paisiblement en rêvant à de faux combats !
Le benêt s'abstint d'avouer qu'il ne savait pas ce qu'était rêver, ou alors il ne s'en souvenait guère…
Evelia le rejoignit lorsqu'il quitta la cuisine. Il était allongé sur sa couchette avec son armure argentée.
– Ragadorn, je suis désolée qu'Harken se soit moqué de toi…
Ses quolibets leur parvenaient jusqu'à la chambrette.
– Et il continue…
– Il est bourru mais pas méchant, enfin je ne crois pas… Lorsqu'il a dit à Salaün que je ne savais pas me défendre, j'ai discerné un côté protecteur en lui.
Les lèvres de Ragadorn tremblèrent.
– Ce n'est pas ma faute si je ne suis pas très cultivé… J'ai essayé d'apprendre mais je ne retiens rien…
– Ça ne fait rien.
– Skarn est plus intelligent que moi…
– Oui mais… Il conduit la caravane sans son armure alors qu'il y a des Loups-garous prêts à en découdre non loin… C'est imprudent… D'ailleurs Ragadorn, pourquoi n'as-tu pas enlevé ton armure le temps de te reposer ?
Le Paladin la saisit aux épaules.
– Mais parce que je n'y arrive pas ! J'ai besoin de Skarn pour m'aider ! Bouhouhou !
Voilà qu'il pleurait à chaudes larmes… Evelia ne savait plus trop quoi dire pour le réconforter.
– Si tu veux, je peux t'aider à l'enlever ?
– Tu es vraiment gentille ! Mais je dois te protéger si les chiens attaquent cette nuit !
– Ce ne sont pas des chiens mais des Lycans…
– Des gros toutous, c'est pareil ! Aie confiance Evelia, je te protégerai parce que tu m'as proposé ton aide !
Il lui adressa un regard flamboyant. Ce genre de regard que seul un héros peut avoir.
– Euh… Merci…

Eleanor prit les rênes en fin d'après-midi. Les heures s'écoulèrent dans une atmosphère joyeuse autour de jeux nanesques qu'Harken enseigna à ses compagnons de route ; tel que boire plus vite que son adversaire et donner un coup de casque au perdant.
Le crépuscule assombrit d'avantage le ciel. Le soir arrivait et Evelia redoutait ce moment…
Eleanor bifurqua à l'est et s'engagea sur un pont de pierre. Le tonnerre grondait dans un vacarme étourdissant. Des banderoles claquaient sous la pluie, la lumière des flambeaux s'était éteinte. Quelques passants se hâtèrent de rentrer. La caravane parvint finalement dans la ville d'Hedo. Nobles et riches commerçants regardaient la foudre derrière leurs rideaux de velours. La dompteuse paya une place à l'entrée de la ville pour y laisser la caravane durant la nuit.
Ragadorn fit craquer ses os en sortant.
– Les chiens ne nous ont pas suivis.
Harken grommela quelque chose d'inintelligible, une lueur marquée dans les yeux. Evelia s'approcha de Nofelna.
– Penses-tu qu'ils ont cessé la traque ?
– Je n'en suis pas certaine…
Eleanor ferma toutes les issues de la caravane à clé. Skarn donna du fourrage aux quatre chevaux et en profita pour flatter l'encolure d'Estoc, son fidèle destrier. Ils quittèrent le préau, impatients de boire un bon coup dans une taverne et de se trouver une chambre pour dormir. Parce que se reposer lorsque la caravane caracolait sur les sentiers donnait parfois la nausée. Et au moins, s'allonger dans un vrai lit les changeait de ce long voyage qui les confinait tous en permanence.
Evelia se rappela d'un détail.
– Mais attendez, nous ne devions pas nous rendre à Merlahn pour commencer ?
– Si. – confirma Chiban – Mais ce détour nous permet de nous reposer et de nous réapprovisionner.
– Comment ça, les provisions sont insuffisantes ?
– C'est à dire que…
– …à chaque fois que j'ouvre l'armoire il manque quelque chose… ! – rouscailla le nain.
– Mais… – fit-elle.
– Je me demande si ce n'est pas toi qui voles la nourriture…
– Pas du tout, je le jure !
Les joues cramoisies, il la regardait des pieds à la tête, à la recherche d'un signe de trahison quelconque.
– Si je coince le voleur sur le fait, je lui coupe la tête !!

Devant la taverne, un Troubadour jouait de sa cithare, protégé sous l'enseigne du Chamois Bondissant. De longs cheveux roux sombres, pareils à des chutes volcaniques, dégringolaient jusqu'à ses omoplates. Une tenue vert foncé épousait son teint hâve. Il avait des yeux verts très doux et une voix mélodieuse qui contait fleurette à qui voulait l'entendre. Lorsqu'il vit Evelia, il redressa son chapeau, la plume blanche coincée dans son repli froufrouta.
– Gente muse, à vos yeux je m'abuse... Êtes-vous aventurière, pour vous accoutrer telle une guerrière ?
Le terme muse flatta Evelia.
– Je suis une soubrette de la maisnie du Roi Soghor.
Le poète fronça les sourcils.
– Dans ce cas, quel rôle jouez-vous là ?
Sans réfléchir, Evelia dégoisa.
– N'êtes-vous pas au courant que le Magicien Kadan s'est échappé de l'Île de Tahou ?
– Je n'y accorde aucune ampleur, car ce ne sont que rumeurs.
– Je vous assure que c'est la vérité, voilà deux jours que nous avons quitté le Château d'Ahnkilie. Le Roi nous a chargés d'espionner Kadan pour préparer une offensive avant qu'il n'envahisse ses terres. Nous avons échappé à une horde de Lycanthropes, des créatures terrifiantes…
Harken la saisit par l'arrière du collet et la souleva jusqu'à ce que ses pieds ne touchent plus le sol.
– Notre quête est gardée secrète. As-tu bien regardé la caravane ? Elle ne porte aucune armoirie, nous voyageons incognito. Personne ne doit savoir qui nous sommes. Surtout pas ce bouffon…
– Troubadour, j'ai vu le jour. Mon nom est de Veolir Sagramor, porteur de vie et de mort. Promettre je le puis, de ne vous causer aucun ennui.
– Je préfère te couper la langue.
Alors qu'il allait se mettre à exécution, des hurlements brisèrent le silence. Dans la légère brume, de grands yeux jaunes scintillèrent. La meute de Loups-garous envahit la ville en fracassant quelques établis au passage et éventrant deux passants. Leurs corps de trois mètres de haut intimidèrent Evelia qui se cacha derrière le Nain une fois qu'il l'eût lâchée.
Sagramor se leva d'un bond.
– Ciel c'était donc vrai ! Nous allons finir déchiquetés !
Harken empoigna sa hache à pleines mains.
– Porteur de mort hein ? Porteur de poisse plutôt !
– Me grimer derrière cette porte je vais, car dégainer je ne sais.
– Mais quelle tafiole !
Evelia brandit sa dague timidement. Ragadorn saisit son épée à deux mains et cria comme un barbare.
– Bwaaaaaaaaah !!
Il fonça sur eux sans éprouver la moindre peur. Harken le dévisagea, il était cinglé…
– Ragadorn !
Un des Lycans le jeta en l'air d'un coup de patte. Ragadorn retomba sur le sol.
– Je suis coincé avec mon armure… ! Quelqu'un peut m'aider à me relever ?!
Skarn inspira profondément.
– Couvrez-moi !
Il courut vers son frère. Les Lupins se ruèrent sur lui, Nofelna décocha sa flèche qui atterrit dans l’œil du dirigeant de leur armée. Ce n'était pas leur chef officiel, il n'en avait pas l'étoffe. Mais ce geste eut le don de perturber leur troupe qui sentit sa fureur croître.
Ils se ruèrent dans le tas.
Dissimulé sur le toit depuis le début de leur altercation, Salaün termina de réciter son sortilège. De la foudre s'abattit sur les Loups géants qui furent instantanément sonnés. Harken en tua quatre d'une frappe vive et sûre. Les têtes tombèrent dans une gerbe de sang. Nofelna continua de décocher, éclatant les yeux de ses adversaires pour les handicaper. Lorsqu'elle visait le corps, les flèches rebondissaient et ne perforaient pas leur imposante fourrure.
Skarn hissa son frère pour l'aider à se redresser.
– Merci Skarn !
– De rien Ragadorn. Sois prudent.
Le Paladin hocha la tête et planta son épée qui taillada certes ses ennemis, mais ne les tua pas pour autant. Eleanor serra son fouet sur le cou d'une des bêtes mais elle lui résista. Avec sa toque blanche, Chiban paraissait inoffensif, pourtant il fracassa un crâne d'un puissant coup de poêle.
Pendant ce temps, le général de l'armée à l’œil énucléé, s'était rapproché d'Evelia. Il s'avançait en balbutiant.
– Ton collier…
Choquée, elle observa ses muscles rouler sous sa peau. Comment un tel monstre pouvait être doué de parole ?...
– Vous savez parler ?...
– Donne-le moi…
Elle serra son bijou qui était sorti de sa chemise lorsqu'Harken l'avait soulevée.
– Je ne peux pas vous le donner… Il est trop précieux pour moi…
– Il l'est tout autant pour nous… ! – gronda-t-il.
Les crocs du leader s'approchèrent de la gorge de la soubrette qui hurla. Mais la gueule béante s'arrêta et un filet de sang se perdit sur les pavés. Skarn venait de l'empaler. Le Lycan tomba à terre. Le Paladin lui marcha dessus et prit Evelia par la main puis la serra brièvement contre son armure.
– Est-ce que ça va ?...
– …je crois oui…
Harken termina son massacre, sa hache au tranchant effilé brillant sous la pluie. Une vingtaine de Loups-garous venaient de périr, des mares de sang se mélangeaient aux flaques d'eau. Ragadorn avait tranché leurs mâchoires quand ils avaient tenté de le dévorer. Pas un instant il n'avait éprouvé la moindre terreur. Il était Paladin et bien qu'il manquât de jugeote, sa puissance était incontestable. Le Nain était bluffé, le bougre monta dans son estime.

Sagramor sortit de la taverne.
– Des honnêtes gens ont trépassé, suite à votre arrivée. Vous semez le malheur, la tristesse et l'horreur…
La hache d'Harken continuait d'égoutter sur le sol.
– Nous avons sauvé cette ville. Sans nous, tout le monde serait mort.
– Vous avez amené ces bêtes ! Elles suivent vos pas, vos vivres et vos miettes !
Des chuchotements s'intensifièrent dans la ville. Eleanor embrassa le Troubadour pour le faire taire et le poussa jusque dans la caravane.
– Je ne permettrai pas de perdre du temps ici en étant accusée à tort. Deux villageois sont morts, c'est vrai. Mais qu'est-ce que deux vies à côté des centaines d'autres que nous avons pu épargner ?
Elle l'attacha et le bâillonna. Chiban la regarda faire.
– Le Roi risque d'apprendre que nous avons semé la pagaille ici… Et si l'Hedronie nous voit comme des barbares, ils n'ouvriront pas leurs portes. Il suffit qu'ils découvrent que nous avons attiré ces Lycans ici pour que leur protection nous soit refusée.
Eleanor renversa son point de vue.
– Faisons-nous passer pour des héros. Ils nous offriront une paillasse et un cruchon. Nous avons sauvé leur ville après tout. Aller viens, allons recevoir nos éloges.
Ils quittèrent la caravane, le Hobbit n'était pas très content.

Le groupe rentra dans la taverne, sauf Salaün qui retint Evelia par la manche. Sa longue robe blanche de prêtre était trempée. On pouvait distinguer le contour de ses côtes et de ses hanches décharnées. Il tenait son sceptre serti d'un quartz améthyste.
– Évitez de parler de notre quête à l'avenir… Je sais que vous n'avez pas pensé aux conséquences sur l'instant. Mais il se peut que Kadan ait des alliés en Ahnkilie et qu'il ait prévu notre arrivée en son Royaume.
– Qu'est-ce qui vous fait penser ça ? C'est impossible, notre convoi ressemble à celui d'un riche marchand et l'annonce s'est ébruitée en comité réduit.
– Un comité de tous horizons qui prendra la route d'ici une semaine pour franchir les murailles de Kadan par un autre point d'accès.
– Je suis sûre qu'il n'est pas au courant…
Salaün la regarda de biais.
– Le principe de la Magie est de réaliser ce qui semble impossible grâce à l'esprit. Rappelez-vous de la pêche. Harken n'a pas vu que je l'ai prise, pourtant j'y suis parvenu sans qu'il s'en aperçoive.
– C'est vrai…
Il la regarda un moment, ou plutôt, il fixa l'ornement attaché à son cou.
– Evelia…
– Oui ?
– Où avez-vous eu ce collier ?...
Elle posa ses doigts sur le pendentif qui unissait une pierre de lune et une pierre solaire avec quelques fioritures qui lui donnaient un aspect plus travaillé.
– Ce sont mes parents qui me l'ont offert.
Il ne dit rien. Evelia le rangea dans sa chemise pour rompre le charme.
– Pourquoi cette question ?
– Je me renseignais, tout simplement…
Il ouvrit la porte, Evelia la referma d'une main persuasive.
– Attendez ! Tout à l'heure un Lycan m'a demandé de lui remettre !
Salaün tressaillit.
Skarn ouvrit la porte, inquiet.
– Eh bien, vous ne rentrez pas ?
– Si… – souffla le Druide en se dérobant à l'intérieur.
Evelia s'offusqua de son comportement. La pluie dégoulina de son menton, ses cheveux, ses vêtements, ses mains…
– Evelia, tu trembles, tu es toute gelée… !
Il la tira à l'intérieur par la main. Elle ne s'était pas rendu compte qu'elle grelottait jusque-là. Harken fumait tranquillement à leur table.
– Skarn, vous devriez lui dire d'aller se coucher.
– Elle vous entend je crois.
Sa toux inquiéta Nofelna qui l'aida à gagner sa chambre. Elle la déshabilla et la coucha. Par chance, la jeune fille avait un corps très souple et léger comme une plume.
– J'y vois trouble…
– Tu as dû attraper froid…
Elle toussait beaucoup, les joues rouges.
– On est en sécurité maintenant ?...
La belle Elfe lui caressa les cheveux.
– Oui tu peux dormir en toute quiétude, tu n'as plus rien à craindre.
Les paupières d'Evelia se fermèrent d'elles-mêmes.

Dans son rêve, elle vit un trône doré aux guillochis compliqués. Quelqu'un était assis dessus, les jambes croisées. Les linéaments de son corps étaient d'une grande finesse. Sa beauté lui sauta aux yeux. Sa longue chevelure de soie reflétait des éclats de myosotis, de son oreille droite pendait une boucle argentée, c'était un Elfe. Ses traits fins et allongés lui rappelèrent ceux de Nofelna. Une peau de loup ornait son manteau princier. Il lui sourit, sa paume posée contre sa tempe, d'une élégance sans pareille.

*

Evelia se réveilla en sursaut. Quel était donc le sens de ce rêve ? Et qui était cet homme ?... Elle ne l'avait jamais vu auparavant…
Les oiseaux zinzinulaient au-dehors. Elle se leva brusquement, se vêtit en toute hâte et dévala l'escalier de la taverne. Skarn était assis à une table, il buvait une boisson à l'arôme très prononcé.
– Bonjour Skarn !
– Bonjour Evelia, tu te sens mieux ?
– Oui, j'ai bien dormi.
– Tant mieux !
– Vers quelle heure partons-nous ?
– Je ne sais pas, Harken est au marché avec les autres en ce moment.
– C'est lui qui achète les provisions ? Je croyais que Chiban s'en chargeait.
– Chiban excelle dans la cuisine mais pas dans les finances, Harken sait comment s'y prendre. Et je suis sûr qu'en ce moment il essaie de monnayer quelques articles !
La Soubrette attarda son regard dans le broc qui contenait un liquide noir.
– Qu'est-ce donc ?
– Du café, les dames de haute naissance prétendent que ce breuvage apaise leur migraine.
– Les herboristes doivent en vendre dans ce cas ?
– Hélas non, c'est trop exotique pour l'heure. Et les guérisseurs préfèrent les plantes. J'ai pu goûter ce qu'ils prénomment « thé », une boisson extraite à partir de feuilles, et quel doux parfum !
– Oh, quelle chance !
Skarn remarqua qu'elle lorgnait son broc avec espoir.
– Tu en veux ?
– Je peux ?
– Bien sûr puisque je te le propose !
– Merci Skarn.
Elle saisit la boisson dans ses petites mains et respira le fumet en se délectant par avance. Puis elle le but et se brûla la langue.
– C'est chaud… !
– Langue de chat !
– Ce n'est pas drôle… !
Eleanor descendit les marches.
– Eh bien, que de familiarités ! – Evelia rosit – Mais vous avez raison. Vous vous entendez bien c'est le principal. Notre voyage sera long, autant qu'il se déroule dans la bonne humeur.
Skarn exécuta un mouvement triomphal avec son avant-bras.
– Oui je suis bien d'accord ! Nous devons compter les uns sur les autres !
– Bonne mentalité. Mais ça ne m'étonne pas venant d'un Paladin.
Il souriait fièrement, heureux de suivre son code de l'honneur. La Dompteuse se dirigea jusqu'au comptoir.
– Bonjour mon brave, avez-vous vu mes compagnons rentrer ce matin ?
– Pas encore madame.
Eleanor ferma les crochets de sa pelisse, prête à partir.
– Ce n'est pas normal… Ils auraient déjà dû rentrer… Je vais voir ce qui se passe.
– Je viens aussi. – dit Skarn en se levant.
Evelia ne voulait pas se retrouver seule après les derniers événements.
– Je vous accompagne.
– Bien.
La démarche altière d'Eleanor céda le passage devant eux. Tout en elle incitait au respect. Le peuple les voyait comme des héros qui avaient sauvé la ville, bien que d'autres ressentaient une vive suspicion à leur encontre. Des Lycans lâchés dans leurs rues et ces caravaniers arrivés peu avant… D'ailleurs la disparition de Sagramor n'était pas passée inaperçue. Où avait-il pu aller, lui qui adorait les endroits peuplés ?

Sur la place du marché, Harken, Chiban et Nofelna se querellaient. Eleanor s'approcha en soupirant.
– Que se passe-t-il ici ?
– C'est de sa faute !! – braillèrent-ils en même temps.
S'ensuivit un charabia incompréhensible. La séductrice jugea bon d'interroger Chiban qui était relativement pondéré.
– Chiban ?
– C'est la faute de ce Nain ! Il refuse que je dépense notre argent pour acheter du saté rouge et de l'estragon !
– Exactement !
– C'est scandaleux ! Nous avons largement assez de pièces d'or pour bien manger !
Harken tâta sa hache.
– En cas d'imprévus nous avons besoin de réserves, et je vous rappelle que de la nourriture disparaît ces temps-ci ! Qui plus est, ce ne sont pas des condiments qui vont me remplir la panse !
– Les épices sont faites pour rehausser le goût des mets !
Skarn souffla :
– Eleanor, cette dispute doit cesser.
– Oui, il serait temps. Nofelna, raconte-nous ce qui s'est passé.
Car, il fallait bien reconnaître que la présence de l'Elfe dans une bagarre ne lui ressemblait pas du tout, elle qui était d'un tempérament très doux.
– Lorsque Harken a tenté de trancher la tête de Chiban, je suis intervenue…
– Stupide Elfe ! – fulmina le courtaud.
– Nain borné ! – répliqua-t-elle.
Chiban croisa les bras et se rangea du côté de Nofelna.
– Tout dans les bras, rien dans le crâne !
– Vil Hobbit capon !
– Moi capon ?! J'ai affronté courageusement la horde de Lycans !
– Avec une poêle ! Puissent les flammes d'Abcan dévorer ton âme !
Il cracha par terre sur cette imprécation et s'en retourna d'un pas pressé. Eleanor claqua son fouet sur le sol.
– Ça suffit maintenant ! Je ne vous demande pas de partager le même lit ! Juste d'arrêter de vous chamailler pour des sornettes ! Dorénavant je dicterai certaines règles en tant que chef de caravane !
Harken s'en amusa.
– Toi, chef de caravane ? Pfft ! Une femme n'en est pas capable.
Eleanor se renfrogna.
– Tu crois ça ? C'est mal me connaître.
Le Nain se gaussa ouvertement.
– Tu as un fouet, oui, tu peux dompter les animaux. Mais pas les hommes.
– C'est ton avis et non le mien.
– Je t'ai déjà cernée. Tu es une séductrice qui aime être adulée et obéie. Mais cette fois, tu ne gagneras pas la partie. Personne ne domptera jamais un Nain. Surtout pas un Argentin tel que moi.
– J'apprendrai à te discipliner.
Harken lui jeta un regard taciturne.
– Au lieu de chercher à domestiquer les membres de cette caravane, et si tu te trouvais un familier ? Car je trouve ça étrange que tu n'en aies pas !
Eleanor ne pipa mot, visiblement blessée. Harken se marra une fois de plus et partit en direction de la caravane. Evelia sentait bien que le Nain avait touché un point sensible et s'inquiéta pour la jeune femme.
– Eleanor… ?
Elle se ressaisit.
– Si notre Cuisinier se sent inutile, autant lui fournir ce dont il a besoin pour qu'il se sente bien.
Elle paya le saté rouge et l'estragon.
– Merci. – la gratifia Chiban.
– Je t'en prie. Nous avons tous une utilité dans cette quête.
– Je n'en suis pas certaine… – marmonna la Soubrette.
– Même toi Evelia. Tu tiendras la caravane propre et tu t'occuperas de notre linge.
– Oui mais je ne sais rien faire d'autre…
– Et alors ? Vivre dans un milieu sain est essentiel pour réussir notre mission.

Ils décidèrent de retourner à l'auberge pour regrouper Salaün et Ragadorn. Le Paladin dormait encore à leur arrivée. Après une bonne bataille il restait toujours couché de longues heures.
Quand Eleanor frappa à la porte du Druide, il ne répondit pas et il s'avéra que la porte était ouverte et qu'il avait déjà quitté les lieux. La troupe s'inquiéta. Elle devait repartir et son absence compliquait les choses. La Dompteuse partit en premier à sa recherche. Evelia informa Harken de la disparition du Mage.
– Ah, tête de poireau manque à l'appel. Laissons-le donc, il reviendra de lui-même.
– Oui mais la caravane doit partir.
– Il a sans doute de bonnes raisons. Sois patiente.
Tous partirent ratisser la ville, sauf le Nain qui ne se formalisait pas. Ragadorn interpellait des gens.
– Vous avez vu un homme en blanc ? Il s'appelle Salaün, c'est un compagnon de route.
La populace le trouva très étrange avec sa barrette en forme de fée et sa démarche trop bombée. Il tenait un discours bizarre à tout va, comme si une seule personne était habillée en blanc à Hedo.
Chiban était revenu jusqu'au pont de pierre et demandait aux passants s’ils avaient vu un Druide aux longs cheveux blancs, arborant un sceptre de Mage. Ils infirmèrent également.
Eleanor et Nofelna se focalisaient sur les rues marchandes et posaient les mêmes questions que le Hobbit, sans succès.
Evelia suivait Skarn dans ses investigations.
– Nous quittons la ville ?
– Les Druides aiment les lieux isolés. Je suis sûr qu'il est parti en forêt.
Il avait vu juste, Evelia l'aperçut sur le pont qui menait aux bois.
– Salaün !
Le Druide avançait d'un pas tranquille.
– Oui ? Qu'y a-t-il ?
Skarn alla à son encontre.
– Cela doit faire une bonne heure que nous vous cherchons !
– Vous n'auriez pas dû vous donner cette peine. La caravane est-elle prête ?
– Oui, mais… Dites-moi, que faisiez-vous dans la forêt ?
– C'est personnel.
Il accéléra le pas. Skarn regarda Evelia.
– Salaün est un homme bien étrange…
– Je trouve aussi. Mon collier l'a intrigué hier soir.
– Ton collier ?
Evelia le sortit de sa chemise pour lui montrer. Le Paladin haussa les épaules.
– Oh cette breloque, une contrefaçon !
– Comment ça ?
– Il existe une légende concernant le Triangle d'Or.
– Laquelle ?
– Tu ne la connais pas ? C'est vrai que tu es une Soubrette, tu ne peux pas tout savoir !
– Raconte-moi s'il te plaît.
– Salaün et Chiban la conteront mieux que moi je pense.

Ils entrèrent dans la caravane. Brûlant d'une irrésistible curiosité, Evelia s'assit à côté du Druide. Ce dernier planta ses yeux gris un bref instant sur elle, visiblement mal à l'aise à son contact. Nofelna alluma quelques chandelles et laissa Eleanor libérer Sagramor qui était prisonnier là depuis la veille.
– Quel sort vous me réservez, moi pauvre hère infortuné ?
– Vous pourriez parler de notre convoi. Et ça ne m'arrange pas. Pour l'heure vous resterez ici.
Le Troubadour la regarda sortir. Elle prit les rênes et les chevaux se remirent en marche. Harken buvait une chopine de bière, très attentif. Evelia serra ses mains sur sa jupe.
– Salaün, pourriez-vous nous raconter la légende du Triangle d'Or ?...
– À quoi bon ?
– M'instruire, avant de mourir. – déclara Sagramor.
– Ses rimes me tapent sur le système… – râla Harken.
Chiban servit une liqueur de prune à tous ceux qui en voulaient, même le Troubadour obtint quelques gouttes.
– Il est écrit que nous descendons de la lune et du soleil. À côté de l'immense ville de Shelzar se dresse Le Triangle d'Or, source de Magie légendaire. Un cratère mystique gigantesque dont on ne voit pas le fond. On raconte que de l'eau coule à l'intérieur. Les nuits de pleine lune, un curieux symbole apparaît à la surface. Il est bien réel et prend corps, des Shelzariens ont réussi à marcher dessus.
Evelia pressentait déjà ce qu'il allait dire. Elle osa demander malgré tout pour confirmer ses impressions :
– Quel est ce symbole ?
– Une lune et un soleil entrelacés.
Salaün soupira nerveusement tandis qu'elle montrait son collier à toute la compagnie.
– Celui-ci ?
Chiban s'enjoua.
– Oui exactement ! Où te l'es-tu procuré ?
– Mes parents me l'ont envoyé il y a longtemps.
– Une breloque. – insista Skarn.
– Pas forcément. – rectifia le Hobbit – Evelia, puis-je l'examiner de plus près ?
Salaün se dirigea vivement dans la chambrette, Chiban releva la tête.
– Cela ne vous intéresse donc pas ?
– Non. Amusez-vous à analyser cette contrefaçon tant qu'il vous plaira. Il n'y a nulle Magie là-dedans.
Evelia n'en croyait pas un mot. Pourquoi s'y serait-il intéressé sinon ? Ses réactions étaient inattendues et abruptes.
Harken pesta.
– Salaün a raison. Et puis le folklore appartient au passé. Ce n'est pas lui qui va m'aider à affronter mes ennemis. De nos jours, les légendes sont des somnifères pour les enfants.
Sagramor donna son avis.
– Qu'en savez-vous ? Vous manquez de goût !
– Je vais te trancher la langue !
– Mais j'aime bien sa voix. – dit Nofelna.
– Je vous remercie, ma mie.
Il exécuta une révérence. L'Elfe reprit :
– En tout cas, contrefaçon ou non, ce collier est très joli.
Evelia partageait son avis, bien que ce pendentif soulevât bien des questions.

*
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icone Fantasy/Mystère
icone 9 404 mots | ~31 minutes
icone Dimanche 12 février 2017
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tome 1 ~ La Caravane d'Ahnkilie - Chapitre 1
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