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tome 1, Chapitre 1 tome 1, Chapitre 1

Le jour commençait tout juste à se lever sur Sylstea. La campagne était fraîche en cette matinée d’hiver, les grandes étendues de plaines et de champs cultivés étaient couvertes d’une fine couche de verglas, et quelques flaques d’eau sur la route témoignaient de la récente pluie, malheureusement pas la bienvenue et bien trop fréquente en ces temps froids. Cependant, les pauvres habitants du petit village de Hardcliff devaient malgré tout affronter les intempéries et les caprices d’hiver en travaillant afin de subsister. La guerre, non troublée par le Cataclysme et même accentuée, n’était pas parvenue dans ce village. Peu de soldats restaient encore dans les parages, la majeure partie étant envoyée sur les champs de bataille.

Une charrette traversa en partie le village en tanguant à cause des multiples bosses provenant du mauvais entretien de la route, avant de s’arrêter au milieu du hameau. Une jeune femme en descendit, marmonnant un léger remerciement en direction du cocher avant que celui-ci ne reparte. Elle s’avança en direction du bâtiment devant lequel la charrette avait fait halte, s’apprêtant à pénétrer à l’intérieur.

Elle ne possédait pas un physique particulièrement impressionnant : ne dépassant pas les 1m70, une corpulence bien fine et par conséquent une musculature quasiment absente, elle ne paraissait à première vue pas dangereuse. Ce qui la démarquait des habitants de la région était certainement son accoutrement de voyageur, un épais manteau de voyage marron, une tunique salie par la boue tout comme ses bottes, et une paire de gantelets de cuir remontant jusqu’à ses avant-bras. Une épée rangée dans son fourreau pendant à sa ceinture pouvait dissuader d’éventuels agresseurs. Bien qu’elle puisse être une jolie jeune femme avec ses longs cheveux blonds lui descendant au niveau des épaules ainsi que ses yeux émeraudes, son apparence négligée et l’absence de douceur de son regard dissuadait toute tentative de conquête amoureuse. Elle affichait en permanence cette expression de dureté, bien que mêlée à une certaine lassitude ainsi qu’une fatigue due au voyage qu’elle venait de faire pour arriver ici. Néanmoins, il n’était pas encore temps pour elle de prendre du repos.

La jeune femme était sur le point de pousser la porte lorsqu’elle arrêta son geste en entendant des coups secs à quelques mètres d’elle. Tournant la tête en direction de cette nuisance sonore, elle aperçut trois hommes donner une sévère correction à un pauvre paysan du coin qui n’avait visiblement aucune chance de se défendre, et ce en plein milieu de la rue sans que ces agresseurs n’éprouvent la moindre gène ! Une telle scène pouvait certainement se révéler choquante aux yeux de n’importe qui, mais dans un lieu avec aussi peu de gardes, il était inutile de compter sur l’aide des autorités. Et Elle avait donc vu bien pire, tout comme la grande partie de la population… Elle poussa la porte du bâtiment avant d’entrer à l’intérieur, n’esquissant pas le moindre geste pour aider ce pauvre homme. Après tout, elle avait plus important à faire, et ce voyage l’avait épuisée, surtout qu’il serait préférable de ne pas se faire remarquer dès maintenant, alors il n’aura plus qu’à compter que sur sa chance pour se sortir de ce mauvais pas, malgré le fait qu’il soit bien parti pour lui être fatal…

La voyageuse fit quelques pas dans cette taverne avant de s’installer à une table. Tout d’abord elle commença par jeter un rapide coup d’œil aux clients présents dans la salle. Comme prévu, ils ne sont pas bien nombreux à cette heure matinale. Seulement quatre… Ce n’est pas tellement une situation favorable en soi, son accoutrement est vraiment remarquable, et avec si peu de monde, elle ne peut pas se dissimuler efficacement. Pas question de traîner longtemps alors ! Elle se leva donc, et entreprit de chercher une boisson pour se détendre. Payant trois pièces de cuivre, elle retourna s’asseoir avec son breuvage. Après avoir rabattu son capuchon sur la tête, elle sirota sereinement cet alcool en se perdant dans ses pensées, s’accordant ce moment de détente. Ensuite, il lui faudrait se renseigner pour savoir où dans ce village elle pourrait trouver ce Tarksian. Il semblerait que ce moine puisse apporter des réponses à ses interrogations… Bien qu’elle ignore totalement si c’est une information fiable, difficile de se rappeler où elle l’a obtenue. Il s’agit malheureusement que de sa seule piste à l’heure actuelle. Jusqu’ici, son intuition lui a rarement fait défaut, alors espérons que cela continue.

Au bout de quelques minutes, après avoir terminé son verre, elle jugea qu’il était temps de commencer ses recherches. Elle se leva donc et se rendit auprès du tavernier. Vu l’endroit, il doit certainement être la personne la plus à même de la renseigner sur les faits locaux, alors il doit connaître le lieu de résidence de chacun des habitants, Tarksian inclus, supposons…

- Dîtes-moi où puis-je trouver Tarksian, lâcha sèchement la jeune femme en posant une main sur le comptoir.

- Je devrais d’abord vous indiquer où trouver de l’amabilité avant cela, railla le corpulent homme qui finissait d’astiquer un verre.

Voilà une situation plutôt agaçante. Il aurait été préférable qu’il lui indique sans faire d’histoire, mais arrivée à ce point elle n’a plus tellement d’autre choix si elle veut obtenir son information.

- Je répète ma question, où puis-je trouver Tarksian ? soupira-t-elle en déposant une pièce d’argent sur le comptoir.

Le tavernier arqua un sourcil en découvrant la monnaie. Après réflexion, la politesse n’a pas tant d’importance que cela en fin de compte.

- Dans une petite chaumière pas très bien entretenue, un peu détachée d’Hardcliff, à l’Est d’ici. Impossible de la manquer, indiqua-t-il finalement en ramassant le pot de vin.

Sans laisser le moindre remerciement, l’étrangère prit la direction de la sortie, à moitié satisfaite. Elle aurait largement préféré ne pas dépenser inutilement, mais là c’était inévitable pour ne pas être confrontée à des ennuis. Son impolitesse pourrait bien finir par lui coûter cher à la longue, à moins que ce type ne soit qu’un escroc. On ne retiendra que la deuxième possibilité, ce sera moins dévalorisant.

Elle s’apprêtait à franchir la porte de sortie lorsque celle-ci s’ouvrit d’elle-même, laissant passer trois hommes essoufflés, mais arborant un large sourire de satisfaction, riant aux éclats en s’épongeant le front. Le soulagement du travail bien fait, hein… Mais ne seraient-ce pas les brutes de tout à l’heure ? Aucune importance après tout, cela ne la concerne pas. Elle passa à côté d’eux, lorsque son regard croisa celui de l’un des hommes. Cette lueur dans ses yeux était très inamicale, ce qui leur fut relativement désagréable. Fort heureusement, ils ne s’attardèrent pas sur elle, la laissant donc poursuivre son chemin.

Ce qu’elle aperçut dehors était un peu plus déplaisant encore. Le pauvre homme de tout à l’heure gisait sur le sol, baignant dans son sang qui se mélangeait à l’eau, tandis que l’averse reprenait de plus belle. La voyageuse s’approcha tout de même du cadavre afin de l’examiner de plus près. Il semble avoir subi de multiples contusions dues aux nombreux coups qu’il a subis, mais son sang s’écoule d’une fine entaille sur sa gorge. Pourtant, aucun de ces hommes n’avaient d’arme tranchante sur eux, en tout cas pas d’épée. Dissimuleraient-ils des dagues ? De plus ce sont des meurtriers, ce qui les rend d’autant plus dangereux. La jeune femme profita de l’absence de témoin dans la rue pour procéder à une fouille plus poussée du cadavre, mais le pauvre homme semblait déjà avoir été dépouillé de tout son argent. Dommage, il ne reste plus rien d’intéressant sur lui. Elle se retira donc en s’assurant qu’elle n’avait été vue par personne, et prit la direction indiquée par le tavernier, en espérant que l’information soit correcte, vu le prix payé…

ooo

Bientôt, elle arriva en vue de sa destination : une petite maison parasitée par du lierre, de la mousse recouvrait les murs, l’herbe était relativement haute, et les murs avaient un aspect croulant, sévèrement dégradés. Apparemment, « peu entretenue » n’était pas les bons termes, « abandonnée » correspondait mieux, difficile de croire que quelqu’un vit là-dedans. La jeune femme s’approcha de l’entrée, et n’eut pas besoin de pousser la porte pour pénétrer dans la chaumière. Le vide créé par l’absence de porte provoquait un courant d’air désagréable, elle se frictionna donc les épaules en évitant de penser au froid. Elle fut soulagée de constater que la cheminée irradiait une chaleur agréable. Oubliant toute vigilance, elle s’approcha du feu sans même prêter attention à ce qui l’entourait. A peine fut elle postée devant qu’une voix d’homme l’interpella :

- Marissa ? interpella-t-il sans dissimuler sa surprise.

Elle se retourna aussitôt vers son interlocuteur, reprenant immédiatement son sérieux. Elle l’examina attentivement, ne se souvenant pas de l’avoir déjà vu. Il mesurait dix bons centimètres de plus qu’elle, mais paraissait en piteux état. Ses vêtements étaient sales, tout comme ses cheveux en bataille qui ne recevaient certainement aucun entretien. Il portait une légère barbe qui devait provenir d’un oubli de rasage. Le feu de la cheminée se reflétait au travers de ses yeux bleus qui contrastaient avec sa chevelure couleur châtain.

- C’est bien toi ? Je te croyais morte ! poursuivit-il en affichant la même surprise, voyant que la jeune femme ne réagissait pas.

- Cela signifie que nous nous sommes déjà rencontrés, or je n’ai aucun souvenir de toi. Peux-tu donc m’éclairer sur ton identité ? hasarda-t-elle, perplexe.

- Je suis Tarksian, tu ne me reconnais pas ? Nous nous sommes enfuis ensemble !

- Je ne me rappelle de rien concernant cet épisode. Pire encore, j’ai l’impression qu’une partie de ma vie a disparu, confessa-t-elle avec un air grave sur le visage.

- Je n’ai malheureusement pas beaucoup d’informations concernant notre fuite. En vérité, je n’étais captif que depuis peu dans la Tour d’Esther, tandis que cela faisait déjà plusieurs années pour toi… commença à raconter Tarksian tandis qu’ils s’installaient près du feu dans d’inconfortables chaises de bois moisies par l’humidité.

- La Tour d’Esther ? Que sais-tu à son sujet ? interrogea Marissa, les yeux brillants de curiosité.

- Je n’en suis pas sûr, mais certains disent que c’est le centre depuis lequel le Cataclysme est parti, il y a 30 ans. Maintenant, c’est surtout une prison imprenable dont personne n’ose s’approcher car elle renferme des enfants d’Esther.

- Et que faisions-nous dans un tel endroit ? tenta de se souvenir la jeune femme en se mordant la lèvre inférieure.

- Ils nous capturent pour faire de nous des enfants d’Esther, mais en réalité presque aucuns ne survivent. Je n’y suis pas resté plus d’une journée, grâce à toi, mais j’ai bien cru que j’allais devenir fou !

- Alors c’est donc comme ça que je suis devenue une fille d’Esther… déduisit Marissa en serrant son avant-bras gauche d’un air pensif, le regard plongé dans les flammes.

- Tu m’as libéré lors de ton évasion, et à peine sortis de la Tour, nous avions dû nous séparer. Fort heureusement, les gardiens t’ont poursuivie et m’ont totalement délaissé. J’ai donc pu fuir, mais après cela je n’ai plus eu de nouvelle de toi, et ce pendant trois ans, alors j’ai pensé qu’il t’était arrivé quelque chose… termina Tarksian en affichant un visage aussi triste.

Ils restèrent ainsi pendant plusieurs minutes, Marissa analysant les paroles de Tarksian en essayant de se remémorer de son mieux les faits évoqués, mais malheureusement seul un vide subsistait. Tarksian, quant à lui, ressassait dans sa tête ces événements qu’il a vécus, persuadé qu’il n’oublierait jamais la terreur qu’il avait éprouvé sur place.

Soudain, un craquement provenant de l’extérieur alerta les deux fugitifs. Cela réveilla la vigilance endormie de Marissa qui bondit aussitôt sur ses pieds pendant que Tarksian tentait d’identifier s’il avait rêvé ou non. Elle se rua immédiatement au travers de l’encadrement de la porte et s’arrêta, ses sens en éveil. La main sur la garde de son épée, prête à la sortir, elle scruta les alentours. L’herbe était assez haute pour camoufler aisément une personne, ce qui n’était pas à son avantage. Tarksian était sur le point de la rejoindre lorsqu’elle leva la main afin de lui faire comprendre de rester là où il était, chose qu’il fit sans un soupçon de protestation.

Les broussailles face à Marissa remuèrent brusquement, laissant bondir un homme robuste qui s’apprêtait à frapper la jeune guerrière avec un poignard. Une des brutes de tout à l’heure ! Elle dégaina aussitôt son épée, prête à riposter, quand une douleur lancinante lui déchira le flanc. On venait de la poignarder par derrière ! Un petit ricanement sinistre retentit tandis qu’elle était immobilisée par la douleur, c’est alors que son agresseur put la frapper par devant, plantant son arme dans l’épaule de sa victime qui put éviter de se faire atteindre au cou. Elle poussa un grognement de douleur, mais reprit le contrôle d’elle-même. Retrouvant ses forces, la jeune blessée donna un coup de pied au niveau des parties intimes de son agresseur, tout en frappant du coude le lâche qui l’avait attaquée par derrière. Puis elle effectua un mouvement circulaire avec son épée, détachant la tête du corps du lâche qui l’avait prise à revers. Marissa se retourna ensuite pour faire face à l’homme qui était agenouillé face à elle, tenant ses parties intimes endolories et gémissant pitoyablement. Le regard dur, la jeune femme posa la lame de son épée à la base du cou de son agresseur, qui lui lançait en retour un regard suppliant. Elle mit fin à ses jours impitoyablement, détachant sa tête avec une force remarquable pour une femme d’apparence aussi frêle.

Suite à cela, elle poussa un profond soupir. Ses vêtements ont été salis par les éclaboussures de sang de ses agresseurs, d’autant plus qu’elle a été blessée par deux fois. Ces misérables l’ont prise en traître, comment pouvaient-ils penser un seul instant qu’elle les épargnerait ? Marissa retira les lames plongées dans son corps, fort heureusement loin de ses points vitaux, en poussant une plainte de douleur avant de jeter les armes sur le sol. Tarksian s’approcha d’elle, l’air inquiet en voyant les quelques blessures qu’elle avait.

- Que s’est-il passé ? Qui étaient ces types ?

- Demandons-leur, il en reste encore un en vie, affirma la jeune guerrière en essuyant sa lame sur l’un des corps de ses victimes.

Comme pour confirmer ses dires, un buisson remua tandis qu’une plainte de terreur s’en échappa.

- Sors donc, et réponds à nos questions, alors aucun mal ne te sera fait, clama Tarksian, provoquant l’indignation chez Marissa.

La dernière des trois brutes rampa hors de sa cachette, terrifiée, avant de se relever en serrant son poignard d’une main tremblante.

- Lâche ton arme, ordonna Marissa en rengainant son épée pendant qu’il lui obéissait, le corps tremblant de peur. Maintenant raconte-nous ce qui vous a poussé à vous en prendre à nous.

- Les… Les ordres du seigneur… Vous correspondiez à la description donnée, balbutia avec difficulté l’envoyé désarmé.

- De qui s’agit-il ? Pour quelle raison en voulait-il à Marissa ? intima aussitôt Tarksian.

- Je n’en ai aucune idée. Nous obéissons simplement aux ordres… Il s’agit du seigneur Harald Griffedor, il réside au château de Rochebrune, indiqua le brigand en baissant la tête.

- Bien, tu peux partir maintenant, mais ne t’avise plus de remettre les pieds dans la région ! permit le jeune homme.

- Tu n’y penses pas, Tarksian ! Nous ne pouvons pas le laisser en vie ! s’insurgea la jeune guerrière outrée.

- Tu as versé suffisamment de sang pour aujourd’hui, inutile de faire une victime de plus, souligna Tarksian en tendant le bras telle une barrière entre Marissa et l’agresseur qui fuyait sans demander son reste.

Marissa marmonna un juron avant de retourner s’asseoir près du feu de la cheminée, suivie par Tarksian, toujours inquiet pour ses blessures.

- Dois-je sortir ma trousse de soins ? proposa le jeune homme, toujours debout contrairement à Marissa.

- Non, seulement ta carte pour me situer la position du château de Rochebrune, refusa-t-elle

- Comme tu voudras, concéda son hôte pas vraiment convaincu.

- Ne t’en fais pas, ce ne sont pas des blessures bien graves, d’ici une heure ou deux cela aura déjà cicatrisé. C’est un des avantages d’être une fille d’Esther, expliqua finalement Marissa pendant que Tarksian étalait sa carte sur la table.

Ils se penchèrent donc sur la carte pour l’étudier. Le village de Hardcliff est situé dans la partie Est du domaine de Rochebrune, à environ deux jours de marche du château. Ils sont donc actuellement sur le territoire du seigneur Harald Griffedor. Cependant, pour quelle raison en voudrait-il à la vie de Marissa ? Tarksian ne voit pas ce qui pourrait le pousser à l’éliminer, quant à l’intéressée, sa mémoire lui faisant défaut, elle ne peut apporter une réponse. Par conséquent, il ne lui reste qu’une chose à faire :

- Il me faut lui poser la question directement.

- Tu parles de t’infiltrer dans le château de Rochebrune qui doit contenir une garnison de soldat assez conséquente afin d’atteindre son seigneur ? Voilà une idée brillante… ironisa Tarksian en soupirant. Tu as beau être une fille d’Esther, tu n’es pas invincible pour autant !

- Je ne suis pas non plus stupide ! Je sais parfaitement que c’est irréalisable, c’est pourquoi je ne vais pas prendre autant de risque. Ma meilleure chance sera lorsqu’il sera en déplacement, je ne devrai me rendre au château de Rochebrune seulement pour en apprendre davantage sur ses voyages, expliqua finalement la jeune femme après réflexion.

- C’est tout de même de la folie ! Tu parles de défier un seigneur, as-tu réalisé ce que cela signifie ? Tu deviendras ennemie du peuple ! appuya Tarksian en se redressant.

- Ignores-tu ce que cette population fait aux enfants d’Esther ? Ils les jettent au bûcher. Alors je n’en ai pas grand-chose à faire de ce qu’ils pensent de moi, cracha Marissa avec un regard noir.

- Très bien, admettons, à quoi cela t’avancera de retrouver Harald Griffedor ? voulut savoir l’hôte exaspéré.

- Entre mon enfance et aujourd’hui, tout ce qu’il me reste c’est une zone d’ombre. Je ne me rappelle de rien, et je ne sais comment ni pourquoi je suis une fille d’Esther. Mais ce que je ne pourrai jamais oublier, ce sont les horreurs qui m’ont été infligées dans la Tour d’Esther. Plongée dans les ténèbres de ce lieu immonde, je dois comprendre pourquoi j’en suis ressortie avec ceci ! Et seulement après, je leur ferai payer…

La jeune guerrière se leva et retira le gantelet de son avant-bras gauche avant de le redresser pour le montrer à Tarksian. De la main jusqu’au coude, une peau pierreuse aussi noire que le jais remplaçait sa belle peau normalement blanche. Ses doigts étaient munis de puissantes et épaisses griffes, et lorsque l’on effleurait son avant-bras, on pouvait constater qu’il possédait une solidité hors du commun. Tarksian baissa simplement la tête, sans dire un seul mot.

- Je veux savoir qui et pour quelle raison m’a-t-on mis ce bras. Ils ont fait de moi un monstre, alors en tant que monstre, je ne compte pas faire preuve d’indulgence. Si ce type en veut à ma peau, c’est qu’il doit me connaître. Alors je le retrouverai, et je le ferai parler ! siffla la jeune fille d’Esther en remontant sa manche avant d’enfiler son gantelet de cuir.

- Ne peux-tu pas simplement abandonner cette quête insensée et vivre dans le présent au lieu de t’enfermer dans le passé ? risqua alors Tarksian sans grande conviction.

- Toi qui n’es pas un fils d’Esther tu ne peux comprendre ce que je ressens. Comment puis-je vivre dans le présent lorsque le passé me rattrape et me dévore ? acheva Marissa en soutenant fermement son regard.

Ils restèrent silencieux quelques instants, chacun fixant le sol d’un air mélancolique. Finalement, Marissa quitta la demeure sans ajouter un mot de plus. Cet homme était incapable de comprendre ce que signifie être un enfant d’Esther, alors comment pouvait-il parler comme si tout était facile ? Le danger ne lui fait pas peur, après tout, elle l’affronte chaque jour. Voilà ce que c’est qu’être un enfant d’Esther ! Il suffit que son gantelet tombe pour qu’on cherche à la mettre sur un bûcher, alors il y a longtemps qu’elle a arrêté d’avoir peur au moindre petit risque. Seigneur ou pas, cela ne fait qu’un homme de plus qui en veut à sa vie…

ooo

Marchant sous la pluie, elle ne put s’empêcher de se plaindre intérieurement. Elle aurait dû attendre la fin de l’averse avant de repartir, d’autant plus qu’elle commençait à avoir faim. A ce propos, il ne faudrait pas qu’elle oublie d’emporter des provisions pour ses deux jours de voyage, ainsi elle ne perdra pas de temps à chasser en chemin et pourra éventuellement récupérer plus facilement de son voyage. Il ne faudrait pas qu’elle arrive épuisée dans un lieu aussi dangereux pour elle. Justement, elle devra redoubler de prudence maintenant. A cause de Tarksian, un des sous-fifres d’Harald Griffedor a pu filer, pouvant donc témoigner de ce dont elle est capable. Encore heureux qu’elle n’ait pas utilisé son bras gauche… D’ailleurs, savait-il que Marissa est une fille d’Esther ? Probablement, c’est peut-être même pour ça qu’il veut la tuer. Non, ça ne paraît pas logique, sinon cela fait longtemps qu’il aurait placardé des affiches sur les murs pour que la population s’en prenne directement à elle. Il doit y avoir une autre raison…

Après avoir dépensé quelques pièces d’argent pour avoir de la nourriture, elle décida de réfléchir sur le meilleur moyen de se rendre au château de Rochebrune. Deux choix s’offraient à elle : soit elle s’y rendait en voyageant à pied, mettant donc deux jours ; ou bien elle partageait la charrette d’un paysan, mettant légèrement moins de temps mais prenant le risque d’être découverte. Finalement elle choisit l’option « confort », après tout si elle ne reste pas longtemps au château, ce n’est pas si important si on apprend qu’elle s’y est rendue.

Afin de se rendre au château de Rochebrune, elle dût traverser des champs cultivés autour de Hardcliff ainsi que de grandes étendues de plaines. La région autour du château est essentiellement composée de plaines et peu de forêts, et à quelques kilomètres au Nord passe la rivière Sepual. Mais le château en lui-même est situé sur une formation rocheuse irrégulière rendant le passage d’une troupe nombreuse difficile. Elle descendit de la charrette peu avant son arrivée au château, préférant ne pas se faire voir bêtement. Bien que la porte ne soit pas particulièrement bien gardée, il est fort probable que les gardes aient reçus des consignes particulières concernant la jeune femme. Elle attendit qu’un groupe de fermiers venant pour apporter leurs produits au château se présentent afin de se faufiler dans ce groupe. Elle parvint ainsi à s’infiltrer dans la cour sans avoir été repérée semble-t-il.

La cour ne comportait pas énormément de soldat, il ne faut pas oublier que la majorité est envoyée en guerre. Cependant, il y en avait bien assez pour rendre la situation dangereuse, elle aurait beaucoup de mal à s’en sortir si elle venait à être repérée. Il lui faudrait maintenant trouver un moyen de se renseigner sur les futurs déplacements du seigneur. Il doit forcément consigner cela sur des documents, il ne reste plus qu’à les trouver. Bon, premièrement il faut qu’elle puisse fouiller le bâtiment sans trop se faire remarquer, donc il va lui falloir une couverture. Se déguiser en soldat sera parfait, il suffira juste d’en trouver un, de le tuer avant de prendre son uniforme. Avec cela, elle ne devrait pas pouvoir être différenciée des autres soldats.

Au bout de quelques minutes, elle put repérer un garde isolé, qu’elle pourra donc éliminer sans difficulté. Marissa l’approcha furtivement dans le dos alors que le soldat marchait d’un air nonchalant sans se douter du sort funeste qui l’attendait. La jeune téméraire dégaina silencieusement son épée sans quitter sa cible des yeux, et d’un geste dépourvu d’hésitation lui entailla profondément la gorge tout en plaquant sa main sur sa bouche pour étouffer un éventuel cri. Cela se fit en quelques instants, avant qu’elle ne puisse tirer le corps à l’écart dans un coin sombre.

Lorsqu’elle lui retira son casque, la jeune femme se figea quelques instants en contemplant l’expression de terreur qu’affichait sa victime qui avait alors réalisé que sa vie s’achevait. Finalement, elle soupira. Certes, il ne l’avait pas agressée, et ce n’était qu’un pauvre innocent, mais s’il savait qu’elle était une fille d’Esther, il l’aurait attaquée sans hésitation, se transformant alors en un autre genre de monstre. Qu’importe, il est inutile de faire du sentiment, ceux qui se mettront sur son chemin mourront, sans exception !

Elle enfila simplement l’uniforme du soldat, composé d’une cotte de maille ainsi que d’une tunique portant le blason d’Harald Griffedor, avec le casque bien entendu. Cela sera suffisant. Puis elle troqua son épée contre celle de la garde, afin de paraître plus crédible. Suite à cela, elle se dirigea prestement vers l’entrée du bâtiment principal. Après avoir pénétré à l’intérieur, la jeune femme grimpa aussitôt en direction des appartements du Seigneur qui devrait être en train de prendre son petit déjeuner à cette heure-là. La porte verrouillée confirma ses soupçons, elle tendit tout de même l’oreille pour distinguer un quelconque bruit, puis vérifia qu’elle ne serait pas surprise à enfoncer la porte en jetant un regard dans le couloir. Marissa ouvrit la porte en bois d’un violent coup de pied, et la referma aussitôt à l’intérieur.

Elle était bien seule, et son bureau se trouvait face à elle. Marissa ne put réprimer un petit sourire d’amusement en voyant la luxueuse décoration de ces appartements privés. Voilà qui est révélateur quant à la personnalité de ce dirigeant… Elle déposa son casque sur le bureau afin d’être plus à l’aise pour effectuer des fouilles. Elle eut à peine le temps d’ouvrir quelques tiroirs qu’une voix la fit sursauter :

- Tu as été plus lente que je ne le pensais, Marissa, remarqua le seigneur crapuleux en s’avançant vers la jeune femme, plein d’assurance.

L’intruse jeta un coup d’œil vers la porte toujours fermée afin de vérifier qu’il n’avait pas fait appel à sa garde, à son plus grand soulagement. La personne qui lui faisait face était un jeune homme au visage doux en apparence, mais cachant une grande cruauté. Vêtu de beaux vêtements d’apparat mélangeant le bleu et le violet, et portant quelques bijoux montrant sa richesse, il ne dissimulait pas son assurance face à un criminel. On lui donnerait une vingtaine d’années, mais tout le monde savait qu’il avait dépassé depuis longtemps la quarantaine.

- Je pourrais presque croire que vous m’attendiez… déclara-t-elle ironiquement en gardant une expression sombre sur son visage.

- C’est que tu nous as causé pas mal de soucis par le passé, je ne pensais pas que tu serais aussi facile à attraper, constata Harald Griffedor en éclatant de rire. C’est Valmond qui va tirer la tronche en apprenant la nouvelle !

- Valmond ? interrogea la jeune femme sans baisser sa vigilance.

- Un des gardiens dépêchés pour te ramener « à la maison ». Enfin, maintenant que tu es là, et comme je suis galant envers les femmes, je te donne le choix : soit tu me suis bien gentiment et aucun mal ne te sera fait, soit tu essaies de résister et c’est pieds et poings liés, souffrant de multiples blessures que tu retourneras dans ta cellule, menaça froidement le maître des lieux.

- Vous parlez de la Tour d’Esther ? Pourquoi devrais-je retourner là-bas ? questionna Marissa en posant une main sur la poignée de son épée, prête à dégainer.

- Excellente question, je la poserai à Lyviana lorsque j’en aurai fini avec toi. C’est que, cette traîtresse en sait bien plus que moi à ton sujet, mais si elle pense être en sécurité à Eaunoire, c’est qu’elle est au moins aussi naïve que toi ! railla l’homme plein d’assurance.

- J’en ai assez entendu ! réagit aussitôt la jeune guerrière en dégainant son arme, se jetant sur son adversaire.

A peine fit-elle un pas dans sa direction que son épée lui sauta des mains pour venir se ficher au plafond. A cet instant, elle comprit d’où lui venait son assurance, ainsi que l’absence de soldat.

- Un enfant d’Esther !

- Quelle perspicacité ! Maintenant si tu veux bien te rendre… soupira-t-il avec lassitude.

Elle ne relâcha pas sa concentration et évalua ses possibilités. Si c’est ainsi, il lui reste cette alternative. Marissa se rua de nouveau sur lui en serrant les poings, mais elle dut s’immobiliser à cause d’une douleur lancinante lui déchirant le ventre. Un regard sur son corps lui permis de constater avec horreur qu’Harald Griffedor avait utilisé son pouvoir de télékinésie pour manipuler son épée et la transpercer avec dans le dos. Elle s’effondra à genoux en crachant du sang. Elle avait clairement manqué de vigilance sur ce coup-là… Le seigneur s’accroupit devant elle et lui releva la tête :

- Je ne te croyais pas aussi stupide, qu’espérais-tu faire face à un enfant d’Esther ? Ignores-tu que le seul moyen de les tuer est de les brûler ?

Marissa éclata d’un rire dément à la plus grande surprise d’Harald Griffedor, avant de lui répondre avec un regard et un sourire emplis de folie.

- Le seul moyen ? Tu es très mal renseigné alors, parce qu’il en existe un autre !

Sur ces mots, la jeune femme retira son gantelet gauche avec ses dents afin de découvrir son avant-bras noirâtre, et avant que le seigneur ne puisse esquisser le moindre geste, elle planta ses griffes dans son torse. Il se mit à trembler un court moment, essayant de hurler sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche, et son visage pâlit d’une manière affolante. Finalement, il s’écroula sur le sol, visiblement sans vie, alors que Marissa au contraire semblait regagner de la vigueur. La lame de son épée plantée dans son corps se brisa en deux morceaux qui chutèrent sur le sol, alors que la blessure avait totalement disparue.

Elle observa son bras gauche sans véritablement comprendre ce qui venait de se passer. Il était mort, comme prévu, mais quelle était cette étrange sensation dans son bras ? C’était comme si… un liquide glacial remontait à travers ses vaisseaux sanguins ! C’est si froid ! Marissa voulut crier d’effroi mais elle était comme paralysée. Et ce liquide qui remonte jusqu’au cerveau ! Sa vision se troublait pendant que ses forces la quittaient. Est-ce la fin ?...


Texte publié par Zackiel, 14 janvier 2017 à 03h32
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