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tome 1, Chapitre 15 « Set the roof on fire - III » tome 1, Chapitre 15

C H A P T E R 2 – Set the roof on fire

◢ PART - III ◣

Mégapole de Nacir – Palace du gouverneur

Une certaine agitation couvait dans le palace. Les discussions étaient fébriles, et l’on hâtait le pas dans la même direction. La curiosité du roi, qui venait de quitter ses quartiers, fut piquée.

À l’instar des Prêtresses Vestis, il était apprêté en courtisane. On avait rassemblé sa crinière en une longue natte unique, serrée et torsadée. Sa tunique sans manche lamée d’or exposait ses bras parés de bracelets. Les contours de sa taille marquée de plusieurs ceintures de perles, étaient dessinés par de la mousseline légère. L’illusion de ses atours féminins était renforcée par un éventail raffiné derrière lequel il dissimulait son visage.

— Vous devriez voir cela, prima Nior !

Prêtresse Sara était excitée. Ses consœurs semblaient aussi fébriles mais avaient plus de tenue. Par ailleurs, c’était ce tempérament expansif qui avait valu à Sara son surnom : l’Exubérante.

— Peut-on me dire de quoi il retourne ? demanda Red.

Sara arrêta Anjali qui s’apprêtait à répondre.

— Non. Ce serait gâcher votre surprise, ma prima, dit-elle, espiègle.

Leurs rires stimulèrent de plus belle la curiosité du monarque. Il les suivit en direction des baraquements de la garde, mais ce n’était pas leur destination. Red se surprit à chercher le gouverneur des yeux. Bien entendu, pour l’éviter. Il s’était refusé de demander après lui, préférant prendre son premier repas en privé pour ne pas donner au rustre l’occasion de l’inviter.

Son ambassadeur et les sénateurs avaient pour mission officielle d’entretenir le gouverneur d’Orsei des directives du roi. Il allait s’en remettre à eux, en espérant qu’ils convainquent Dean d’apporter une contribution au grand projet qui lui tenait à cœur : la création d’une Compagnie Fluviale Royale. Pourvu qu’ils se montrent persuasifs. Red en venait à prier les Quatre d’assouplir le cœur du malotru, afin qu’il se laisse séduire par le bien-fondé de cette lourde entreprise. La participation d’une danseuse à une telle conversation serait incongrue.

Les regards charmés sur leur passage le ramenèrent à sa préoccupation immédiate. Il gratifia de quelques sourires leurs admirateurs mais lut aussi de la méfiance chez certains. Ceux-là voyaient probablement au-delà du tableau trompeur de ces neuf beautés gracieuses.

Il émanait des Prêtresses une aura aussi mystérieuse que dangereuse. Toutefois, nul ne saurait dire si c’était à cause de leurs charmes ou de la félinité de leur démarche. Les deux, sans doute. À la différence des véritables Danseuses de Nior, elles avaient le regard affuté. Même en redoublant de diversion, elles ne sauraient se départir de cette particularité devenue intrinsèque.

— Où m’emmenez-vous ? s’enquit Red, lorsqu’ils se rapprochèrent de la résidence des domestiques pour s’en éloigner.

Ils laissèrent les écuries sur leur droite et saluèrent quelques gardes qui répondirent avec révérence et gêne. Sa Majesté honorait vraiment le palace avec ces déesses. Lorsqu’ils débouchèrent sur un grand espace ouvert, Red fut intrigué de le voir noir de monde.

— Par ici, indiqua Jenna.

L’aînée des prêtresses, très « ingénieusement » surnommée l’Aînée (elle le prenait avec grâce), avait trouvé un point d’observation qui leur évitait de se mêler à la foule.

— Par contre, cela risque de nous rapprocher de la bataille.

— Bataille ? répéta Red, interloqué.

— J’ai bien peur que c’en soit une, soupira Claire.

Son surnom n’était point usurpé : la Désabusée. Chez Claire, le flegme était l’expression d’un très grand enthousiasme. Le drame l’émouvait à peine. Lorsqu’elle trahissait des signes de tension, alors la situation était pis qu’alarmante.

Les autres acquiescèrent. On les croirait insouciantes, mais Red savait que sa sécurité n’était pas en péril. Elles relevaient toujours le Cordon Rouge de ses fonctions avec la certitude que rien ne lui arriverait.

Sa garde personnelle et son escorte de doublures se passaient parfois le relais. Les deux factions se chamaillaient gentiment sa protection, mais aucune ne prévalait sur l’autre. Elles agissaient en synergie le plus souvent et, si le danger était jugé nul ou moindre, alternaient leur garde d’un commun accord.

Jenna les conduisait vers une dépendance quand une clameur s’éleva des spectateurs. La foule eut un mouvement de recul puis se clairsema, offrant au roi un aperçu d’une vaste étendue herbeuse et rocailleuse, presque sauvage. Elle donnait l’impression qu’un début de savane rognait la partie sud du domaine, délimitée par de solides barrières de bois.

La proposition curieuse d’Anjali, de grimper sur le toit, reçut l’adhésion de ses consœurs. Red désapprouva.

— C’est le meilleur poste pour une vue optimale, plaida-t-elle.

— Et comment expliquerez-vous que des danseuses royales s’adonnent à la grimpette ?

— Si d’aventure ils posent la question, on leur répondra que les Danseuses de Nior ont plus d’un tour dans leur sac, ma prima, rétorqua Anjali, sereine.

Anjali, la Douce, avait le don de faire passer des absurdités pour la norme, avec sa voix caressante.

— S’ils sont prêts à croire que nous nous nourrissons de nectar de fleurs, je mise tout sur leur crédulité, se moqua Sara.

— Anjali a fait avaler à nos hôtes que seules les bénies qui voient une apparition de notre déesse Élémentaire dans les eaux souterraines du domaine royal deviennent prima Nior, dit Vanda. Ils sont désormais persuadés que vous savez à quoi ressemble Déesse Nior.

Red lança un regard impatienté à Anjali, agacé par sa manie de mener les gens en caravelle. Ses manières douces étaient totalement trompeuses.

— Ils y ont cru, prima Nior, assura la jeune femme.

— On aurait dû te nommer la Bonimenteuse !

Elle haussa les épaules. La distance mystifiait les choses de manière effarante. Durant leur voyage, ils avaient vu et entendu comment le peuple percevait la vie au palais de Rubis. Un chapelet d’insanités. Ceci dit, la vie derrière les murs du domaine royal était si éloignée des réalités des petites gens, qu’il n’était pas surprenant que ces extrapolations incongrues voient le jour.

Malheureusement, l’ignorance était un danger. Par son truchement, une pauvre rumeur devenait un solide tissu de vérités mensongères. Le roi avait dénombré une kyrielle de non-sens que la population croyait dur comme fer. Des idioties auxquelles des dignitaires éloignés de la régence donnaient foi. On accordait du crédit à n’importe quoi.

De nombreux naïfs n’avaient pas l’intelligence de penser par eux-mêmes. Certains en perdaient carrément la capacité de remettre en question des aberrations. Le plus atterrant avait été de constater que ce défaut ne concernait pas que la classe pauvre ou moyenne. Dans sa vanité stupide, la caste aisée contribuait à nourrir des inepties, en rapportant des faits erronés censés provenir de la capitale.

Red s’était plus qu’à son tour demandé qui pouvait générer les idées premières de ce « savoir abêtissant ». Maintenant, il avait la preuve que les fautifs n’étaient pas tant ceux qui lançaient ces rumeurs, mais ceux y prêtant une oreille crédule.

— Elle leur a fait son fameux tour de charme avec ses yeux, dit Claire, blasée.

Anjali aimait abuser du pouvoir de persuasion de ses jolies prunelles d’obsidienne. Les prêtresses avaient toutes une particularité qui, bien souvent, était à l’origine de leur surnom. Parfois ironique, parfois superficielle, il en disait assez sur ce qu’elles dissimulaient.

Vanda, la Fatale, l’était tant par sa beauté que par sa promptitude au meurtre. Ses ordres de missions impliquaient qu’il n’y aurait aucun témoin. Mouna, la Gracieuse, était la doublure la plus douée pour divertir ses « clients ». Luna, la Timorée, était aussi muette qu’une tombe, contrairement à sa sœur Beryl, la Pie, dont la loquacité avait vite fait d’étourdir sa proie. Avec Anjali, Sara, Claire et Jenna, elles constituaient l’escouade sélectionnée pour accompagner le roi dans son périple.

Grâce à elles, l’idée populaire dissociait désormais de manière très tranchée les Prêtresses Vestis des Danseuses de Nior. Pourtant, les deux corps étaient initiés à l’art de la danse dès le bas âge. Comme leurs consœurs, elles étaient ointes. Et la cérémonie d’onction avait lieu dans les eaux consacrées des grottes souterraines du domaine royal. D’où le mensonge d’Anjali sur l’apparition divine.

Aujourd’hui, le clivage entre l’Ordre du Culte de Vestis et celui de Nior était dû au détournement des prêtresses de leur sacerdoce, pour le service d’espionnage. À l’avènement du Grand Red, le système de formation des « espionnes et assassins royaux » avait été entièrement redéfini.

Enfant, les candidates apprenaient la danse. À leur douzième été, âge auquel l’on estimait que la majorité des filles avaient fleuri, elles entraient dans l’Ordre de Vestis sous le statut de Novice. Durant trois années, elles servaient anonymement sous les ordres de la Gouvernante du palais et suivaient en parallèle leur formation de doublure et espionne.

Nubiles à seize printemps, elles acquéraient le titre de Prêtresses et étaient alors aptes à user de leurs charmes pour soutirer des informations. La symbolique de 16 était liée aux quatre divinités Élémentaires qu’adorait Maar. À l’instar du chiffre 8, c’était un nombre sacré. Sans compter qu’il correspondait à l’âge de la majorité légale. La plus jeune des ointes de la première génération était âgée de dix-huit ans et n’avait pas été du voyage.

Sara s’aida des gentilles gargouilles sculptées dans les murs et se jucha avec aisance sur la toiture d’ardoise. Elle saisit la main de la prima à qui les autres faisaient la courte échelle. Sans surprise, leur manœuvre attira des regards. Montrées du doigt, elles eurent droit à une nouvelle tournée de sourires convoiteurs, auxquels Red n’eut pas la tête à y répondre. Toute son attention se portait sur le spectacle se déroulant un peu plus loin, en contrebas.

Dans le paysage sauvage, évoluaient deux créatures gigantesques. Elles semblaient domestiquées, et leurs cavaliers les faisaient combattre. Il n’y avait que des humains pour s’adonner à ce genre d’activité. Mais seuls des Guerriers Whites étaient assez fous pour rire en chevauchant des sarricks du désert géants ! Fasciné, Red en éprouva de l’envie. Il reconnaissait les bêtes, bien que ce soit la première fois qu’il en vît d’aussi immenses.

Enfant, il avait rencontré son premier sarrick à l’occasion d’un jeu de cirque lors d’un énième banquet au palais. Des saltimbanques de Sandres s’étaient chargés de l’animation et avaient lâché la bestiole de la taille d’un iguane dans la salle de bal. Ç’avait été la débandade. Les convives s’étaient juchés un peu partout en hauteur, croyant voir un scorpion titanesque.

Les troubadours s’étaient gardés de révéler qu’il s’agissait d’un nourrisson. Red ignorait que cet animal pouvait atteindre une telle carrure ! L’une des bêtes changea brusquement de cap et courut dans leur direction. La foule en émoi se dilua.

Les Prêtresses Vestis mirent le roi en retrait. Le monstre s’arrêta sous leurs pieds, et Red réalisa que la toiture s’avançait plus avant vers l’enclos. Le cavalier avait un beau visage mais guère apprécié. Du moins, pour Red, car ses espionnes gloussèrent à la salutation du barbare.

— Bien le bonjour, divines beautés !

Red se retint de lever les yeux au ciel en les voyant gigoter de plaisir. Elles n’avaient pas cessé de piailler de la matinée sur le si beau gouverneur. Seule leur déférence les avaient retenues de lui demander des détails de la nuit dernière.

Si Dean maîtrisait la bête, elles n’en restèrent pas moins vigilantes. Du coin de l’œil, Red nota la progression de son Cordon Rouge à travers le public. Ses hommes se rapprochaient de leur position.

— Votre prima est-elle d’humeur à chevaucher un sarrick à mes côtés ? proposa Dean, le sourire enchanteur.

Red décela une emphase dans sa question. « Votre prima » pouvait aussi bien signifier prima Nior, pour l’Ordre des Danseuses, que prima Vestis, pour celui des Prêtresses. Ce type jouait avec les mots de façon délibérée.

— Ce serait dangereux, Gouverneur, souffla Anjali de ses manières douces trompeuses.

— N’ayez crainte. Ils sont impressionnants mais dociles avec leurs dresseurs. Tout du moins, ceux qui les nourrissent. De vrais profiteurs, renifla Dean en flattant le dos de sa monture. Je vous présente Pacha. Et il serait ravi de faire la connaissance de votre prima. Si cela peut vous rassurer, je la protégerai du danger. Il serait fâcheux de contrarier sa Majesté en abîmant son plus beau joyau.

Red retint un rictus de haine. Cet homme se moquait de lui. Le second sarrick se rapprocha et son cavalier suscita son intérêt. Le jeune homme ressemblait tant au gouverneur qu’il fut aisé de déduire qu’il s’agissait de son jeune frère. Mais là où Dean était insolent de virilité, l’autre avait une aura mâle plus douce. Elle n’en restait pas moins guerrière, vu son assise impeccable sur son étrange monture.

Red en fut troublé. Le rapport de Jeff ne parlait pas d’un cadet du gouverneur, mais d’un aîné. Il semblait que le Maître d’armes du clan Leblanc, Dan, n’ait point revendiqué la position de chef, préférant la laisser à son petit-frère. Quel genre d’homme faisait cela… ? Quant à son Triumvir, se pouvait-il que sa présence à Nacir ait coïncidé avec l’absence de ce garçon ? Ce dernier lança un regard réprobateur à son aîné.

— Père, il me semble qu’on était en pleine manœuvre !

Red manqua s’étrangler avec sa salive. Père !? Bon sang, à quel âge Dean avait-il eu son fils pour paraître aussi « jeune » à ses côtés ?! L’homme s’était quasiment dupliqué ! Ainsi donc, il rencontrait Rudy Leblanc, héritier de la dynastie White.

La veille, il s’était focalisé sur le gouverneur et son bras droit. Le compte rendu de Jeff, sur les principaux membres de la famille Leblanc, lui avait été utile, mais son Triumvir avait omis de nombreux détails. Comme le fait que tout ce beau monde semblait issu d’une corne de jouvence ! Red mettait à présent des visages sur les noms, et les personnalités véritables sur ces visages. Son subterfuge avait levé le voile sur ce que l’enquête du second Grand Conseiller n’avait pu déceler.

Dean soupira, agacé par l’intervention de son fils. Son gamin lui mettait des « cales » dans sa tentative de courtiser la prima.

— Tu maîtrises suffisamment ta monture pour te passer de mes leçons, fils.

— Tu ne craindrais pas plutôt une nouvelle défaite ? renvoya Rudy, effronté. J’ai un meilleur contrôle de mon sarrick. Tu es trop brutal avec Pacha.

Remarquant les regards moqueurs dont il était la cible, Dean se renfrogna.

— Le mien est un mâle dominant. Tu n’effectuerais pas le quart de mes manœuvres sur son dos. Va te gausser ailleurs ! C’est discourtois de vanter ainsi sa victoire, fiston.

— Père n’aime pas qu’on pointe ses défaites du doigt, dit Rudy sur le ton de la confidence.

Il fit un clin d’œil aux prêtresses, et Red sentit leur cœur fondre. Il ne les en blâma pas. Le jeune homme était adorable, et pas seulement parce qu’il tournait son père en dérision. Rudy leur sourit.

— Bonjour, mesdames. Prima Nior, je tenais à vous présenter mes excuses pour l’attitude déplorable de mon père. Vous me voyez extrêmement navré d’avouer qu’il brille par un manque de tact congénital.

Il paraissait vraiment désolé. Red se surprit à étouffer son rire.

— Rudy…, susurra Dean, un tantinet menaçant.

Son fils l’ignora.

— Je vous saurai gré si vous lui accordez votre pardon. Mais je concevrais tout à fait que vous exigiez de lui des excuses en bonne et due forme.

Dean houspilla son rejeton du regard. Le sale traitre !

Red comprit enfin que le fils faisait allusion à la manière déplacée dont son père avait rapporté aux convives les raisons de sa « courte » nuit avec la danseuse. Comment devait-il le prendre ? Était-ce la façon de Dean de faire passer la pilule ce matin ? Se servait-il de son garçon à la bouille si avenante pour tempérer son ire ?

L’expression de trahison du gouverneur lui apprit que Rudy avait hérité du physique attrayant de son géniteur mais pas de sa rustauderie. Il sentit qu’il l’apprécierait. La proposition du jeune homme vint renforcer ce sentiment.

— Si vous le désirez, je vous ferai visiter le domaine à dos de sarrick. Le mien se nomme Caramel, à cause de sa couleur.

Red lui sourit.

— C’est un joli nom.

Bizarrement, Rudy lui inspirait confiance, lui de nature si méfiante d’ordinaire. Sans doute un effet de l’énorme contraste avec son père.

— Ridicule ! maugréa ce dernier. On n’a pas idée de donner à une telle férocité de la nature un nom aussi doux !

— J’accepte volontiers, dit Red, surtout pour le plaisir de voir le visage de Dean se décomposer.

— Fiston, ça pourrait être dangereux de…

— Père pourra ainsi se consacrer aux affaires du royaume, le coupa Rudy. Tu fais patienter les sénateurs depuis ce matin. Et ils sont suffisamment effrayés par nos sarricks pour protester.

Suivant la direction dans laquelle il regarda, Red cilla en tombant sur Julian et Marius sous une pergola. Malgré la distance, il les devina livides. Ce saligaud de gouverneur allait finir par échauder sa patience !

— Ma leçon est terminée, reprit Rudy. Je prendrai soin de la prima, je maîtrise ma monture. Ce sont tes mots, Père.

Dean grinça des dents. Casseur de coup ! Rudy soutint son regard et parvint à paraître innocent. Il n’était pas dupe, son fils le titillait de manière délibérée, à en juger par l’imperceptible rictus narquois qu’il n’avait su lui masquer. La curiosité de Red mit fin au duel oculaire.

— Ils peuvent supporter deux cavaliers ?

— On a testé, à cet âge, leur charge de portage n’est pas loin de deux quintaux, révéla Rudy. Et ils n’ont pas fini de grandir.

Red en fut époustouflé. C’était une valeur conséquente. Dean capta la lueur d’intérêt dans son regard, alors qu’il détaillait les deux monstres dociles depuis son promontoire.

— Ils vous intéressent ? Je vous en offrirai un, après l’avoir dressé. La proximité avec Sandres permet des transactions plus aisées. Et le prix est avantageux. Sans compter que les Sandrians ont pour tradition de ne point vendre de sarricks apprivoisés. Seuls ceux qui les domptent en sont dignes. Le dressage ne pourra se faire qu’ici, sur place, avant de l’acheminer à Aram.

Red se fit suspicieux. C’était à ce point étrange que le père tire rudement sur les cordes de sa défiance à chacun de ses mots, quand le fils l’apaisait. Ce vil personnage jouait la carte de la tentation, tout en distillant sa suprématie économique. Détailler ces subtilités et mettre en avant les avantages d’Orsei par rapport à Raam, étaient une façon de dire que la première pouvait se passer de la seconde, alors que l’inverse était inenvisageable.

Dean s’adonnait avec finesse à un jeu dangereux. Red commettrait une sérieuse erreur en ne voyant qu’un barbare. À lui de faire montre de plus d’adresse. La survie de Maar était en balance depuis la veille.

— Qui suis-je pour accepter une telle offrande, Gouverneur ? Un sarrick aussi majestueux est un présent digne de rois.

Dean retint une moue. Coriace, le monarque ! Autant stipuler qu’il s’arrogeait des privilèges royaux en exhibant ses sarricks.

— Je ne pense pas, intervint Rudy. Les Sandrians les utilisent principalement pour les convois et l’agriculture. Je crains que notre roi ne soit la risée du sultan du Royaume des Sables, s’il se présentait au palais de Quartz à dos de bête de somme ou de trait, rit-il. Et puis, pourquoi se donner tout ce mal à lui dompter un adulte, Père, quand lui offrir un nouveau-né à élever serait plus aisé ?

— Rudy ! gronda Dean.

Face la contrariété paternelle, le fils rentra presque la tête dans les épaules. D’une certaine façon, il venait de commettre une bourde. Red déduisit que l’information n’aurait pas dû lui parvenir. Intéressant. Le langage corporel de Dean disait qu’il n’était pas content de son rejeton.

— Le jeu est terminé.

— J’exige ma promenade avec votre fils, déclara Red. Accepter est votre unique façon de faire amende honorable, Gouverneur.

Sans attendre sa réaction, il exécuta un gracieux salto avant et atterrit avec souplesse dans le dos de Rudy. Caramel broncha à peine. Il sourit d’un air engageant au garçon encore captivé par son agilité.

— Y allons-nous ?

Tournant mieux la tête pour l’observer, Rudy en eut le souffle court. De près, cette personne était plus que magnifique. Elle était magnétique.

— Passez devant, prima Nior, se reprit-il. Ce sera plus confortable.

Sur le toit, les prêtresses s’agitèrent. Un regard de Red suffit à les calmer. La capitaine du Cordon Rouge s’avança et imposa son escorte avec deux de ses hommes. Sa Majesté tenait à ses meilleures danseuses. Dean leur adjoignit sa garde personnelle en complément.

— Ce serait ennuyeux qu’il arrive malheur à celle dont la grâce et la virtuosité m’ont ravi le cœur.

Red déplora de ne point pouvoir lui faire ravaler son sourire. Que Saunes emporte ton foutu cœur de mes deux !

La visite débuta une fois la garde munie de montures équestres. Cependant, elle vira à l’aventure dangereuse lorsqu’ils quittèrent les limites du domaine du palace.

Avisant un escarpement abrupt d’une certaine hauteur, Rudy proposa de le faire escalader à sa monture. Les gardes royaux désapprouvèrent cette décision aussi cavalière que dangereuse. Il s’avéra que ce n’était pas une suggestion : le sarrick s’engagea dans l’ascension de la falaise.

Au loin, les résidences du domaine de Dean tenaient désormais sur la paume d’une main avec le jeu de la distance. Ils se trouvaient toujours sur les terres du clan Leblanc, et Rudy assura que la prima était en sécurité. Qu’à cela ne tienne, l’un des hommes du Cordon Rouge tenta une intervention.

Sa manœuvre se révéla inconsciente lorsqu’il lança sa dague dans la queue du sarrick qui grimpait aisément la paroi rocheuse. Sur une commande de Rudy, la bête fouetta l’arme dont la lame alla se ficher jusqu’à la garde dans le tronc d’un résineux. Red sentit poindre le danger.

— Que faites-vous ? Vous nous éloignez du groupe.

— On ne risque rien. La selle est conçue pour qu’on ne perde pas équilibre en position verticale. Enfin, avec un bon entraînement. Et vous m’avez tout l’air d’être bien entraîné, Majesté.

Tout le corps de Red se tendit. Cette fois, le danger prit consistance. Le piège refermait ses dents sur lui. Comment avait-il pu tomber dans un tel traquenard ? Son cœur s’affola à mesure qu’il réalisait son imprudence. Si hier soir il nourrissait encore des doutes, ils s’étaient envolés : il était en plein territoire ennemi.

Qu’allait-il advenir de lui ? Quel était leur but ? Le numéro du duo père/fils Leblanc n’avait été qu’une comédie ! Forcément, Dean avait mis son héritier dans la confidence. Qui d’autre l’était ? Tout le palace ? Ses jours étaient-ils désormais comptés dans cette province ? Était-ce l’œuvre de David ?

Tant de questions qu’il n’avait pas su anticiper, obnubilé par sa colère puérile de la veille. Il n’aurait jamais commis ce genre d’erreur au palais de Rubis. Le voyage avait eu un effet délétère sur sa vigilance naguère accrue. Red regretta de n’avoir pas mandé Sacha, avant de quitter le palace. Le rapport de son amie l’aurait probablement aiguillé sur l’attitude à adopter avec ces gens. Dire qu’il avait accepté cette « promenade » juste pour faire les pieds à ce foutu Dean !

Son relâchement, sa négligence, lui en coûteraient, mais il défendrait cher sa peau. Même si cela signifierait prendre la vie du fils du gouverneur… La pensée le tétanisa. Le meurtre de l’héritier de la dynastie White serait le meilleur déclencheur d’une guerre qui scinderait inévitablement Maar en deux. C’était une hypothétique issue de cette situation périlleuse. Un mauvais pressentiment l’ankylosa. Dean aurait gain de cause, cela paraissait inéluctable. Par les catins de Vestis ! Comment ai-je pu me laisser piéger ?

TBC - part 4


Texte publié par EPICE, 17 juin 2017 à 19h47
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