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tome 1, Chapitre 11 « The men behind the Warlords - X » tome 1, Chapitre 11

C H A P T E R 1 - The men behind the Warlords

◢ PART - X ◣

Mégapole de Nacir – quartiers du gouverneur

Son pas était aussi léger que son humeur. Rien que l’idée de son tête à tête avec sa danseuse réjouissait Dean. Elle l’attendait dans sa suite, assise dans l’un des fauteuils douillets, tel un joyau posé dans ce mobilier de riche facture. Jambes croisées, elle faisait tinter avec nonchalance un grelot retenu entre son gros orteil et le voisin.

Elle pencha la tête de côté et le dévisagea avec un aplomb bien différent de sa précédente hardiesse. Ce n’était plus par conscience de ses charmes. La présente assurance était impérieuse, pour ne pas dire impériale. Arrogante et presque méprisante. Dean se figea, sentant qu’il avait affaire à parti bien plus dangereux qu’escompté.

La danseuse fit rouler le grelot jusqu’à lui. Dean suivit sa course du regard. Avant que le petit objet ne bute contre sa botte, il revint à la jeune femme qui se levait avec une lenteur gracieuse. Le geste mesuré, comme pour ne pas l’effrayer, elle détacha le voile de son visage et lui sourit. Il en oublia de respirer.

Brusquement, l’expression de la courtisane se ferma. Dean se violenta pour ne pas trahir son trouble. Il ramassa le grelot, se ménageant un peu de temps pour retrouver contenance. Elle dominait trop la partie à son goût. Son erreur avait été de la laisser prendre possession des lieux. Le premier arrivé marquait le territoire ; notion basique de prédation. Elle partait avec une petite longueur d’avance, mais rien d’irrattrapable.

— Comme ça, vous éliminer me priverait à jamais du bonheur que pourrait me procurer un homme… un vrai ?

De fait, elle partait avec une sacrée longueur d’avance !

— Vous…

Dean ne put finir sa phrase. De toute façon, il n’en connaissait pas la fin. Qu’avait-il voulu dire ? Vous êtes un homme ?! Exprimer cela était par trop humiliant. Il s’était laissé berner comme… Comme quoi, bons dieux ?! Quel mâle présent dans la salle de bal n’avait pas eu des élans de désir pour l’aberration en face de lui ? À moins de ne nourrir aucun penchant pour la gent féminine, il mettait au défi quiconque de nier avoir bandé !

La question relevait de l’évidence, maintenant que cette voix masculine avait ouvert les hostilités. Il avait suffi de l’entendre pour que le charme se rompe. Dean ne doutait pas avoir affaire à un homme. Et on ne l’y tromperait pas, l’attitude arrogante du danseur n’était pas celle d’un soumis. Il ne commettrait plus l’erreur de se croire en terrain conquis. D’autant plus que l’autre avait déjà marqué son territoire.

Le jeune homme se permit un rire désinvolte. Dean fut perplexe de sentir son cœur s’affoler, non de crainte mais d’allégresse. Il aimait la mélodie de ce rire. Par Hayden ! Que m’a fait cette… cet… ce sorcier ?! Était-il victime de quelque diablerie à son insu ?

— Qui êtes-vous ?

— Une « danseuse », répondit « celle-ci ». Une danseuse censée réchauffer vos draps cette nuit, mais j’en suis navré pour vous, cela ne se produira pas dans ce monde.

Face à cette réalité ironique, Dean manqua sombrer dans la mélancolie. Ne s’expliquant pas ce chagrin subit, il fit de sa méfiance un bouclier.

— Que désirez-vous ?

Un arc ne pouvait être plus tendu que lui, à l’instant où l’autre s’était rapproché sans émettre aucun son sur le parquet. Depuis l’enfance, on avait appris à Dean à se méfier des hommes dont le pied était silencieux. Sa chambre était doté d’un sol particulièrement chantant, pour dissuader d’éventuels assassins peu doués mais chanceux. Or le silence le plus total accompagnait les pas de cet individu svelte, au port de tête aussi gracieux qu’un cygne, qui évoluait lentement dans son espace personnel.

Pas un seul bracelet de cheville ne frémissait. Un léger frisson de crainte courut le long de l’épine dorsale du gouverneur. Il s’en réjouit. Quelle que soit sa nature, Dean savourait « le frisson ». Il se pouvait que la jeune femme – homme – finisse réellement par le divertir…

Les paroles de Dan lui revinrent avec acuité. « Et si elle avait été envoyée pour… » Que disait son Maître d’armes à son fils ? « Ton arrogance te coûtera ta tête sur un champ de bataille » ou quelque chose dans ce genre. Voici que sa propre arrogance l’avait catapulté sur un champ de bataille.

Pourquoi Le Grand Red voudrait-il le faire assassiner ? Il aurait été moins présomptueux, il aurait écouté sa propre sagesse. N’avait-il point souligné qu’il se méfiait de la jalousie d’envieux ? Le roi jalousait-il son succès ? Certes, il s’était résigné à ce que la richesse de sa province nourrisse la convoitise, mais jusqu’ici, cela n’avait pas été un sujet d’inquiétude.

Les frontières d’Orsei ne contenaient plus les bons sentiments du peuple à son égard. Cependant, il était ridicule voire déloyal que sa Majesté lui en veuille, quand les tensions à Aram et la précarité des cités avoisinantes poussaient les petites gens à chercher refuge dans sa province, attirées par la promesse de son oasis.

L’exode, de plus en plus massif, finirait par poser problème à la longue, mais la migration avait tout de même ses avantages. Les pâturages, les terres cultivables, l’agrandissement des bourgades et leur modernisation requerraient de la main d’œuvre. Et avec une bonne gestion, il était possible de tirer le meilleur du plus oisif des hommes.

Hélas, les inconvénients n’étaient pas négligeables, les principaux étant les quiproquos aux conséquences potentiellement désastreuses avec lesquelles jonglait Dean. Déjà, le royaume semi-désertique de Sandres avait acquis l’habitude de traiter directement avec Nacir, dédaignant le poids politique d’Aram. Certainement que le souverain Maarian le prenait comme un camouflet.

Ceci dit, Dean n’avait que faire de procédures diplomatiques lorsque des problématiques concrètes se présentaient à lui. Famine, sécheresse et épidémie n’attendaient pas l’aval du roi pour se répandre. Lui non plus n’était pas homme à quérir la bénédiction monarchique pour apporter une aide entrant largement dans ses moyens.

Si le Grand Red voulait le punir, qu’il pointe d’abord du doigt sa faute. Sanctionner un homme de sa notoriété, pour avoir aidé son prochain, n’était pas une façon d’embellir son blason auprès de citoyens mécontents. Et sans peuple à diriger, une monarchie n’était pas plus solide qu’une botte de paille soumise à l’orage. En roi avisé, Red saurait à quoi il s’exposerait.

La note de la dynastie Rell était salée depuis des décennies. Aussi, Dean s’était cru à l’abri de représailles royales pour avoir outrepassé son autorité en bafouant quelques protocoles. Mais la présence de cet assassin dans sa chambre disait à quel point il s’était fourvoyé.

— Que voulez-vous ? insista-t-il.

L’inconnu se planta devant lui.

— Mais vous satisfaire, Gouverneur, dit-il d’un ton narquois.

D’une fine caresse, il redessina le jeu des broderies or sur blanc du col de sa tunique en brocart. Malgré sa défiance, les sens de Dean s’embrasèrent à ce léger contact. Il se saisit des doigts du jeune homme qui s’effaroucha et les retira, comme brûlé à vif.

L’esprit agité, Red recula et s’obligea à réguler sa respiration. Cet individu n’aurait pas dû le mettre dans cet état ! Seulement, il ne pouvait nier la prestance du gouverneur d’Orsei. Elle était magnétisante. Quoi qu’il fasse pour maîtriser ses émotions, une curiosité avide le ramenait à la contemplation du visage aux trais ciselés et d’une symétrie parfaite.

Dean Leblanc avait cette expression décidée des héros qui défiaient les dieux. Du peu qu’il avait vu et entendu, le bougre n’était point exempté de l’arrogance allant avec. Le bleu limpide de ses yeux était d’une troublante nuance turquoise, évoquant les lagunes au large du littoral d’Ezier. Red était tenté d’y plonger pour en sonder la profondeur mais craignait de ne plus refaire surface.

Bien que son cœur le mette en garde, son corps suivait une autre mélodie. Il se sentait des affinités avec un pied de tournesol s’orientant vers le soleil. Sous les riches atours, on devinait un corps élancé et musclé. Le White était d’une virilité douloureuse. S’il se montrait honnête envers lui-même, Red admettrait avoir pris plaisir à danser devant cet homme. Il avait apprécié de le voir le désirer ; fait qui ne s’était jamais produit auparavant. Ressaisis-toi !

Garder une emprise sur la tornade émotionnelle qui ballotait ses sens ne fut pas aisé. Une étrange prémonition lui nouait les entrailles. Quelque chose lui échappait totalement à cet instant, mais ce face à face aurait une incidence certaine sur son existence. S’il ignorait comment, son pressentiment n’en était pas moins grand.

On s’était bien gardé de lui dire que le gouverneur dégageait une telle présence. En termes de charisme et d’allure, Dean Leblanc renvoyait une meilleure image de souverain que lui. Il n’y avait rien de féminin chez ce descendant de Guerriers des Steppes Orseianes, or même du point de vue d’un homme, il restait d’un charme indécent. Pas étonnant qu’on le suive… Mais c’était lui, le roi !

— Trêve de plaisanterie, attaqua-t-il. Je brûlais d’envie de rencontrer le gouverneur d’Orsei.

— Parce que ma réputation me précède ou parce que vous désirez quelque chose de moi ?

Dean refusait de se départir de sa méfiance. Son adversaire jouait d’un instrument redoutable. Les femmes étaient un danger qu’il avait appris à éviter. Cependant, comment affronter un homme – « danger » facilement appréhendable –, doté de charmes féminins – péril qu’il fuyait habilement ? Voilà un cas d’école épineux ! Bien qu’il ait désormais conscience de sa méprise, cela ne l’empêchait pas de s’imaginer arracher les vêtements du danseur et le posséder. Agacé par cette envie inexplicable, il exigea :

— Dites-moi ce que vous êtes. Et cessez donc ce manège grotesque de « danseuse ».

— Je devrais te punir pour ça !

Le ton sec et le changement de registre mirent Dean dans la peau d’un subalterne. Personne n’avait encore réussi à le départir de son titre de Gouverneur en quelques mots et une intonation. Le mystérieux jeune homme soupira.

— Je t’aurais laissé baiser ma main, mais excepté ceux de mes proches, les contacts humains me répugnent depuis qu’on m’a empoisonné à travers la peau, confia-t-il.

Surpris de sa confidence, Red se fit plus prudent. La proximité de cet homme avait un effet désinhibiteur. Il retourna à son fauteuil, conscient d’avoir suffisamment intrigué le gouverneur.

— Qui crois-tu que je sois ? demanda-t-il, énigmatique.

La réponse fusa sans hésitation :

— Un assassin.

Il sourit avec franchise.

— Exact. Mais prendre ta vie n’est pas dans mes intentions.

— Tu m’en vois ravi !

Dean lui rendit un sourire factice et choisit de rester debout lorsqu’il fut invité à s’assoir.

— Je suis venu converser avec le gouverneur d’Orsei, dit l’assassin. Je ne saurais dire si c’est en « ami », car j’ignore tes intentions à l’égard de la couronne.

— Tu es envoyé par Le Grand Red ?

— Oui et non, soupira Red, impatienté. Assis ! ordonna-t-il.

Dean s’assit sur sa couche. Recevoir des ordres était une chose qu’il avait connue uniquement du vivant de son père. Toutefois, son instinct lui recommandait de ne pas contrarier l’assassin. Ce type aux pieds silencieux avait forcément plus d’un tour dans son sac. Et puis… la colère ne seyait pas à ce visage noble. Il préférait ses sourires. De beaux sourires qui réveillaient l’écho de souvenirs qu’il chérissait mais refusait d’évoquer pour ne pas souffrir du manque. Ceci dit, ce n’était pas le moment de songer à sa défunte épouse.

— Je ne suis pas envoyé par Le Grand Red, je suis Le Grand Red, asséna le jeune homme, impérieux. Si j’ai parlé de te punir, c’est pour n’avoir pu reconnaître ton souverain.

Dean se félicita de s’être assis. Il serait certainement tombé à la renverse dans le cas contraire. Sur ses cuisses atterrit une chevalière attestant de la véracité des propos de son curieux convive. Le bijou en or, serti du sceau royal, était réservé à l’exclusivité du Grand Red. Il différait de l’estampille de la famille Rell.

— Un voleur n’aurait pu te l’apporter qu’en m’arrachant le doigt. Ou en le détachant de ma dépouille.

Dean retourna la chevalière à son propriétaire de la même façon qu’il l’avait reçue. Le froncement de sourcils de sa Majesté face à ce manque de protocole fut le cadet de ses soucis. Pourquoi le roi avait-il pris toutes ces « précautions » ? Quel jeu masquait cette entrée en matière si théâtrale ?

Que Le Grand Red ait dansé pour lui, lui plaisait. Difficile cependant de trancher en faveur d’un inestimable hommage ou d’un piège. Charme et sortilège pour mieux l’appâter ou lubie d’un homme excentrique ? La question restait entière. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce roi était atypique. Unique et intrigant. Envoûtant et désirable.

Tellement désirable… Cela le frappa à nouveau qu’il convoitait le monarque, non pour sa condition ou son trône, mais pour sa personne. Il avait toujours envie d’exécuter son projet de le mettre dans son lit, et la nature de ce désir commençait à l’effrayer. Dean n’avait jamais eu de telles inclinaisons pour un homme auparavant. On pourrait mettre cela sur le compte de sa méprise. Seulement ce ne serait pas exact, car plus il analysait son sentiment, plus il apparaissait que l’androgynie de sa Majesté restait quantité négligeable face à son « besoin ».

Il n’était plus question d’assouvir un fantasme. Ce n’était même pas motivé par la fantaisie d’essayer une pratique peu convenue ; de voguer en eaux troubles. Certes, baiser le Grand Red serait un sacré défi, mais il s’agissait plus de le posséder pour étancher une soif qu’il ne s’expliquait pas. Il lui fallait le revendiquer pour apaiser une faim totalement irrationnelle. Il ne parvenait pas à comprendre quelle sombre puissance était à l’œuvre et l’obligeait à nourrir ce désir. Sentant les prémices de la panique, Dean s’exhorta au calme.

— Vous dansez divinement bien, Majesté.

Aborder un sujet trivial le détournerait probablement de son angoisse. Le monarque apprécia le compliment et l’en remercia d’un sourire. Dean lutta pour ne pas se laisser séduire. Il dut échouer, sinon il n’aurait pas eu conscience de son air béat.

— Serait-ce indiscret de savoir comment et pourquoi vous avez appris ?

Le roi fit la moue et sembla légèrement se détendre.

— J’ai grandi au gynécée, c’est de notoriété publique. Adolescent, je ressemblais à Mère comme deux gouttes d’eau. Alors on m’a consigné aux quartiers des dames parce qu’on me jugeait efféminé.

Le récit avait une note d’amertume qui peina Dean, se découvrant une empathie toute nouvelle. Le souverain retrouva une humeur égale et poursuivit :

— Je n’en veux pas à ceux qui pensent ainsi. Après tout, j’ai toujours été enchanté par les soieries, les parures et les coiffes féminines. Ces atours me vont à ravir. Je ne désire pas être femme, ne te méprends pas. Me sentir « joli » ou « belle » n’a jamais dévalorisé l’opinion que j’ai de ma personne. De fait, j’aime ça. Et je n’entends pas m’en justifier.

— Loin de moi toute intention de vous le demander.

Les goûts des uns et des autres n’étaient point sujet à débat. Dean ignorait de quelle moralité se prévalaient les Aramians, mais à Narcir, les mœurs étaient très élastiques. Les lubies de gens excentriques faisaient l’objet de rumeurs – chose inévitable –, mais elles n’étaient pas blâmées.

Étrangement, le gouverneur ne parvenait pas à visualiser Red vêtu autrement. Il ne voulait pas le savoir dissimulé sous plusieurs couches de textile. Ainsi apprêté, le jeune homme était un joli spectacle à lui seul.

— Enfant déjà, je m’amusais à me travestir, révéla Red, beaucoup plus détendu.

Il était surpris de constater que l’homme lui accordait une oreille intéressée, sans porter de jugement. Excepté ses proches, rares étaient ceux qui ne lui laissaient pas le sentiment d’exposer sa bizarrerie lorsqu’il discutait de ses caprices.

— Je me suis toujours enorgueilli d’être le seul de mes frères à avoir tant hérité de Mère.

Dean ricana.

— Remerciez-en surtout les lois aléatoires de l’hérédité. Vous n’avez aucun mérite, Majesté.

— Certes. Mais toujours est-il que ma génitrice était belle, et je me flatte de lui ressembler, se glorifia Red.

Jamais cela ne serait un sujet de honte. Au contraire, c’était un des atouts dans sa manche. Il en avait fait une arme, un outil de persuasion. Nombre de ceux qui avaient juré obéissance à la reine ne lui avaient opposé que peu de réticence tant il était le portrait de la défunte. Il avait vite compris qu’allier l’autorité à l’apparence lui donnait un ascendant manifeste sur certaines âmes.

— Je dois ma passion pour la danse aux servantes de Mère. Elles m’ont appris quelques pas en bas âge. Et comme j’avais des facilités, Mère a fait en sorte de m’introduire secrètement dans le couvent des Danseuses de Nior. Cela aura été d’autant plus facile que le Ministère de la culture et des cultes répondait de la reine.

Dean ne masqua pas sa perplexité.

— Dans quel but a-t-elle agit ainsi ? Quel était l’intérêt de vous initier à un art féminin ?

Tout homme l’aurait pris comme une humiliation, mais apparemment pas celui-ci.

— Mes douairières disaient que je possédais, en dansant, une sorte de « magie dissimulatrice ». Mes charmes génèrent une illusion qui masque le jeune homme que je suis. L’une d’elles m’a raconté qu’à une époque, les assassins royaux étaient toutes danseuses.

Dean en fut soufflé. Il connaissait la légende qui avait inspiré cette pratique. Les Bardes rapportaient que l’Assassin de la première Guilde au monde avait été une femme ayant su dissimuler son art du meurtre avec la danse. Il lui apparut enfin qu’il avait accueilli neuf « tueuses » dans son palace. En détournant les prêtresses du Culte de Vestis, le Grand Red avait en réalité dépoussiéré cette tradition ancestrale.

— J’aurais dû me douter que j’avais affaire à la fameuse suite de sa Majesté et non aux Danseuses de Nior, dit-il, peu fier d’avoir marché dans cette supercherie. Néanmoins, j’aime l’idée de m’être fait royalement berner.

Le roi récompensa son jeu d’esprit d’un léger sourire. Retenant un soupir convoiteur, Dean s’exhorta à garder les idées froides. Il discutait avec un homme initié à l’art du meurtre depuis l’adolescence, certainement sur instruction de sa génitrice. Avait-elle voulu qu’il apprenne à se défendre ou qu’il sache prendre des vies ?

Dean avait eu vent des rumeurs qui couraient à la capitale sur le Tueur Écarlate, l’assassin royal. Sa réputation le précédait jusqu’en Nacir. Il se disait que ce meurtrier et sa Majesté ne faisaient qu’un. Le roi Andy avait pris goût au sang et débarrassait sa cour de l’engeance fidèle à son supposé père. Les rescapés du gouvernement d’Henri Rell occupaient moins de postes influents, et tout protestataire s’exprimant dans la salle du trône prenait le risque d’écourter sa vie.

Sa situation actuelle incitait Dean à porter foi à ces on-dit, mais il choisit de se faire sa propre opinion.

— Vous vouliez que nous ayons cette conversation en privé, d’où toute cette mise en scène. Il aurait pourtant suffi de le demander, je me serais plié à toutes vos doléances.

Notant le poids du sous-entendu, Red sentit son cœur s’emballer. Son palpitant ne réagissait tout de même pas à ce stupide sourire ? Il n’était pas venu gâcher son temps en palabres frivoles ! Mais cet homme imprimait sournoisement son rythme à la conversation.

— Est-ce vrai ce que l’on dit ? Que vous n’êtes pas de la graine d’Henri ?

Red se hérissa.

— Et tu crois t’épargner la fureur du roi en posant une question aussi… aussi… !

Sa colère l’empêcha de la finir. Comment ce rustre osait-il !?

— Une question aussi directe ? proposa Dean.

Le sourcil arqué, il ne semblait nullement ému par le courroux du monarque. Le moment était venu de jouer franc-jeu.

— Vous voulez connaître mes intentions à l’égard de la couronne. Ce n’est possible que si nous discutons à cœur ouvert. Vous êtes né prince par la reine, votre ressemblance avec votre génitrice tue toute velléité de contestation. Mais il se trouve des gens que le doute planant sur votre légitimité du côté paternel mécontente.

— Des gens comme David ? cracha Red. Je me demandais où il se terrait, et c’est ici que je le trouve. Mal interprétée, cette situation te vaudrait d’être accusé de félonie !

— Se parjure-t-on dorénavant en accordant son hospitalité à un frère de sa Majesté… dont la tête n’a pas été mise à prix ? Dans ce cas, condamnez aussi les auberges.

La répartie ironique fit ravaler à Red son invective. Ce type le défiait de prouver qu’il complotait avec son frère pour le trône. Or c’était reconnu que David ne l’avait jamais accepté à cette place. Avec la mort inattendue de Dorien et la disparition de Damien, le Général de la Légion Nord de l’Armée de Maar avait encore plus de raisons de vouloir l’évincer.

N’importe qui dans sa position aurait sauté sur cette conclusion, certes hâtive, en trouvant le prince jumeau au palace du favori du peuple. Les Maarians lui préféraient cet homme, que de nombreux zélateurs suivraient s’il se soulevait contre la monarchie. Le trône est mien, songea Red, résolu. C’était son sacerdoce.

Il l’avait vu en songe. Il gardait le trône de Maar. Il avait cessé de s’attarder sur l’absurdité de ses rêves lorsque ces derniers avaient commencé à se réaliser. Il s’était vu à la tête de Maar dans son sommeil. Aussi curieux cela soit-il, il était né avec ce don divinatoire. Mère y croyait. Lui, y avait donné foi juste pour honorer sa mémoire, jusqu’à ce que ses visions oniriques prennent peu à peu corps en plein jour.

Enfant, il avait été incapable de les déchiffrer. Elles apparaissaient dans un fouillis si complexe qu’elles en devenaient cauchemardesques. Combien de fois ses frères l’avaient raillé pour ses cris et parfois ses pleurs dans son sommeil ? Combien de fois s’était-il réfugié dans la couche maternelle après une nuit mouvementée ? Aussi loin que remontaient ses souvenirs, l’insomnie avait toujours été son lot.

À ses dix-sept ans, il rêvait du trône de Rubis. Un songe étrange et répétitif, qu’il ferait toutes les nuits durant deux ans ! À dix-neuf ans, il trouvait le cadavre sanguinolent de son père dans les thermes du palais, la gorge tranchée net. Il profiterait alors de la situation pour récupérer la couronne.

Un an auparavant, ses visions nocturnes tenaces et obsédantes l’avaient incité à prendre des mesures en amont et à déplacer ses pièces sur l’échiquier pour quand sonnerait l’heure. Il enquêtait toujours secrètement sur l’assassinat de l’ancien roi, mais il y a belle lurette que les pistes s’étaient refroidies. Cette version des faits, Red était résolu à l’emporter dans la tombe. Exactement comme Mère s’en était allée avec ses secrets… Qu’on l’accuse de parricide ou d’illégitimité lui importait peu. Il était né pour régner.

Toutefois, il choisit la carte de la franchise, sentant qu’il s’entretenait avec un homme qui n’affectionnait pas les chemins de traverse. Du moins, il donna une version atténuée. La pure vérité ne servait point ses intérêts dans les présentes circonstances.

— Seule Mère connaissait les tenants et aboutissants de cette affaire de bâtardise. Ils reposent en paix avec son âme. Son silence visait sans doute à me protéger. Mère faisait toujours tout dans ce but : ma protection. Comme tu peux le constater, je tiens d’elle. Je ferai tout pour protéger la prunelle de mes yeux : mon royaume. Je suis ici pour savoir si tu marches avec moi, ou si tu as l’intention d’entraver mon avancée, Gouverneur.

La réponse tarda à venir.

TBC - part 11


Texte publié par EPICE, 12 janvier 2017 à 20h22
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