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tome 1, Chapitre 7 « La Maîtresse de Baron Samedi » tome 1, Chapitre 7

Arrivés dans les plantations de cotons, tous restes impassibles et immobiles, le regard désespérément vide, malgré les injonctions et les menaces des contremaîtres. Pourtant, aucun d’entre eux n’ose lever son fouet, quelque chose les retient. Est-ce leur regard sur lequel ne s’ouvre que l’abîme ? Leur apparente calme indicible ? Ou bien ces trois hommes, qui les observent en souriant et dont les yeux reflètent la démence ?

Soudain l’un d’eux s’avance. Une lanière de cuir enserre son torse puissant et retient la chose qui brille dans son dos. Ils ne l’ont jamais vu, lui avec son visage, dont la craie surligne les os du crâne, et son sourire sardonique. Mal à l’aise, l’homme passe la main sur son fouet.

– Oh ! Je n’en ferais rien, si j’étais à ta place, homme sans couleur, murmure d’une voix onctueuse l’homme qui lui fait face. Sais-tu qui je suis ?

– J'm’en fous sale négro ! gronde son compagnon en faisant jaillir son Colt de son fourreau. Un éclat d’argent brille dans sa main. Claquement du chien sur la balle prisonnière du barillet, la détonation explose à leurs oreilles. Un corps choit, face contre terre. Dans la boue sanglante, se répandent fragments d’os et substance blanche.

– Merde ! Bill ! Bill ! P'tain, qu’est-c’tu lui as fait maudit nègre ? glapit l’homme au fouet à l’adresse de l’homme crayeux, dont le sourire s’étire, diabolique et cruellement ironique, dévoilant une rangée de dents blanches ; écho singulier de son visage surligné.

– Rien, homme sans couleur. Il a lui seul appuyé sur la détente.

– Salaud ! crache-t-il, en portant la main à sa ceinture.

Mais à peine ses doigts ont-ils effleuré la surface du métal, que son index se tord de façon grotesque, avant de se briser net dans un claquement de branche sèche. L’homme lâche son arme et se met à hurler de douleur, tenant son doigt entre ses jambes.

– T’ain mon doigt ! Il est cassé ! Salopard ! braille l’homme à genoux.

– Oh ! Quel regrettable incident. Tu m’en vois navré, Mat. C’est bien cela ton nom. Matthew Grande.

Cette voix, il lui semble reconnaître. Celle d’un homme, dont il a laissé le sort entre les mains de ces deux charognes de Black Death et Red Dick.

– Toi ! Piaule-t-il, le visage déformé par la souffrance.

– Oui… moi, coule la voix devenue mélodieuse, tandis qu’elle se rapproche tendrement de lui. Je suis revenu vous offrir les fruits de votre mérite à nos maîtres.

– De quoi parles-tu, sale négro ! Tu devrais être mort, piaille-t-il, tandis que son bourreau passe sa main autour de ses épaules.

– Mort ! Ah, ah, ah, ah !

Son rire se répand en cascade.

– Oh ! Mais je suis bel et bien mort, Mat.

– Regarde donc ma main ! poursuit-il, comme il s’accroupit à côté de lui. Ce sont tes amis, comment s’appelaient-ils déjà ? Ah ! oui ! Death et Dick. Ils voulaient savoir comment courait un nègre que l’on aurait ferré. Ce sont eux qui me l’ont percée. Oh ! Pardon, c’est injuste ce que je dis là. C’est le maréchal-ferrant qui a posé les fers.

Et il brandit sa main percée de mille points, faisant tomber une pluie dorée sur le visage de l’homme, tombé à genoux.

– Sale nègre ! Ils auraient dû te jeter aux alligators, plutôt que d’enfouir ton corps dans ces marais puants.

– Mais c’est ce qu’ils ont fait. Après m’avoir explosé le cœur, ils m’ont emmené au plus profond du bayou, avant d’offrir mon corps en pâture aux alligators du Mississippi.

– Va en enf…

Mais il n’achève pas sa phrase et sa tête roule à terre, tranchée nette, les yeux grands ouverts.

– Bienvenue dans mes enfers, Matthew Grande, murmure le géant en soulevant la tête, qu’il lance ensuite en direction des contremaîtres restés en retrait. La tête vole dans les airs, répandant une traînée sanglante, teintant les fleurs, encore vierges, du coton, où elle s’écrase grotesque et grimaçante. À cette vue, les hommes restant s’enfuirent en hurlant, en direction de la ville, sous les regards ironiques des trois hommes, dont les ombres grandissantes dévorent l’armée des morts. Puis ils quittent le champ vers cette ville qui leur a tant pris.

– Grand-père ! Grand-père ! pépie soudain une voix.

– Qu’y a-t-il Awa ?

– Eh bien, comment est mort le monsieur ? Tu as dit qu’il avait eu la tête tranchée nette. Mais il n’avait ni hachette, ni machette !

– Ah ! Mon enfant. Qui le sait ? Mais n’oubliez pas les enfants, que Baron Samedi avait une maîtresse, faite de bois et de métal.

– Sa hache ! S’écrient alors en chœur les enfants.

– Oui, sa hache, maîtresse et traîtresse, marmonne le vieil homme.

– Joe ! Tu te moques de moi ! Ils ne sont que trois, on vient de me dire qu’ils sont à l’entrée de la ville. Où est donc cette armée d’esclaves, dont tu ne cesses de me rabâcher les oreilles ? Cinq hommes auraient suffi.

– Shérif, j’vous jure ! s’étrangle l’intéressé. Ils étaient innombrables et un regard vides à vous glacer le sang. Et les autres ? Merde, z'auriez vu c’qu’ils ont fait à Bill et Mat. Rien qu’d'y r'penser, ça me fout les foies.

– Arrête de dire n’importe quoi ! Tu as bu ! Ton haleine enflammerait mon allumette !

– J’vous jure shérif. J’sais c'que j’ai vu. Et si j’ai bu, c’est pour venir jusqu’ici. J’ai vu Bill se tirer tout seul une balle dans la tête et Mat… c’est simple d’un coup sa tête est tombée. Comme çà… il criait et l’instant d’après pfiout, sa tête roulait par terre. Et l’aut'e l’a balancée dans le champ.

– Et qu’avez vous fait ensuite ?

– On a fui. J’sais pas où sont les aut'es, mais moi j’sais une chose. J’tiens à la vie, shérif.

Ce dernier éclate d’un rire gras et luisant, comme le sommet de son crâne chauve, qu’il dissimule sous son chapeau.

– Parfait ! Hé les gars, que diriez-vous d’aller faire danser un peu ces négros, avant qu’on les lynche dans les règles. Y a trop longtemps que cette ville ne s’amuse pas. Jack ! Prends quatre de tes hommes et ramène-les-nous.

– Tout de suite, ricane l’intéressé.

– Vifs et en un seul morceau, je te prie.

Une déception se lit sur son visage.

– Tu fais comme tu veux. Mais si tu me les démolis de trop, c’est toi qu’on fera danser, vu !

L’homme ne dit rien et fais signe à ses acolytes de le suivre. Pendant ce temps, le shérif aboie ses ordres à ses hommes postés sur les toits, puis emmène Joe au saloon.

– Sers-nous deux bières, Jessie ! J’en connais un qui a besoin de dessaouler un coup. N’est-ce pas, Joe ?

Comme il lui donne une grande claque dans le dos.

Dans le fond, un pianiste joue sa partition sans grande conviction, tandis qu’aux tables les habitués sont le nez dans leurs cartes ou dans leurs verres. Et alors que l’homme au tablier leur pose deux bocks sur le bar, un bruit de verre brisé éclate dans la pièce, suivit du grondement de plusieurs objets lourds, roulant sur le plancher. Tous se retournent et découvrent la tête stupéfaite de Jack et de ses hommes, qui gisent sur le sol.

– Hiiiiii…

Joe hurle comme un damné puis se précipite dans les escaliers, avant de jeter par une fenêtre, troublant la mélopée qui monte de la rue. Blême le shérif en lâche son bock, qui s’écrase avec un bruit cristallin sur le parquet, avant de se précipiter dehors, tandis que tous se précipitent aux fenêtres.

Dehors, ils sont trois. Trois nègres, au torse nu et aux yeux glaçants, emplis de démence. Ils jouent chacun d’un instrument, enchaînant les notes, lugubres, funestes, chargées de fiel et de haine, qui emplissent de terreur le cœur des bonnes gens. Derrière eux, alignés, les corps décapités de Jack et de ses hommes. Écumant de rage, il hurle à ses hommes :

– Abattez-moi ces chiens !

Mais au lieu d’une grêle de balles, c’est une pluie de métal qui s’abat. Imperturbables, les trois hommes ne se départissent pas de leur sourire, poursuivant inlassablement leurs mouvements.

– Mais… Qui êtes-vous ? S’étrangle-t-il, comme les trois hommes s’approchent de lui, d’un pas lourd et chargé de menaces.

– Que leur avez-vous fait ? gargouille-t-il, tandis que sa main se referme, sans qu’il en ait conscience, sur la crosse de son Colt.

– Nous ? Rien, shérif. Nous ne faisons qu’exaucer les souhaits des vivants, tout en offrant aux morts l’occasion d’un juste retournement, chantonne l’homme au saxophone.

À côté de lui, un nègre aux cheveux d’argent pince toujours les cordes de son instrument.

– Que… voulez-vous ? Qui… êtes vous ? piaule-t-il.

– Je te l’ai dit homme sans couleur, nous venons exaucer un souhait, répond calmement le géant.

– En même temps, que nous aidons un homme à assouvir sa vengeance, ainsi que… ajoute-t-il mauvais.

Il suspend un instant sa phrase, puis reprend monocorde :

–… la nôtre également… peut-être…

Dans le bar, pareils à des mouches, tous se sont entassés derrière les fenêtres pour jouir d’un spectacle, qui n’est pas celui qu’ils attendaient. Sur les toits, les hommes paralysés ont le regard fou, les yeux presque exorbités par la terreur qui les tient. En face du shérif, l’homme aux prunelles d’obsidienne lui souffle son haleine d'hyène :

– Adieu shérif. Vous rejoindrez bientôt vos deux acolytes, Death et Dick…

– T…

Mais il n’achève pas sa phrase, qu’une balle lui emporte le visage, en même temps que pleuvent les têtes des hommes postés sur les toits, dont les corps s’affaissent sur les tuiles, couleur du sang.

– Sois le bienvenu dans les enfers du Baron Samedi, shérif ! murmure le géant à l’adresse du corps, étalé dans une mare d’écarlate.


Texte publié par Diogene, 13 janvier 2017 à 21h41
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