Le comte leur avait déniché un logis chez un fermier du coin qui avait deux lits de libre depuis que ses fils étaient partis à la ville travailler en usine. Le Français était resté auprès de la vieille femme, à discuter avec elle de choses et d’autres – sans doute des croyances et des traditions locales. Hadria avait remarqué à l’occasion son don social particulièrement développé. Et avec le rôle non négligeable qu’il avait joué dans la libération de Mair, il semblait naturel qu’il en reçoive quelque avantage.
Leur foyer temporaire s’était révélé pour le moins… rustique, mais dans son état de fatigue, Hadria ne s’en était pas formalisée. Quand Ashley et elle-même s’étaient réveillés le lendemain, après une nuit troublée, ils avaient aussitôt regagné la place du village. Les habitants y avaient ramené les coupables pour les livrer, comme prévu, aux hommes de la section Athena. Des tremblements convulsifs agitaient leur corps et des carrés de toile couvraient leur visage, mais Hadria se doutait que le tissu ne cachait pas des blessures. Elle avait cru discerner d'étranges excroissances à travers ce voile ténu, de même que sous leurs vêtements. Le peuple de la Nuit les avait-il soumis à ce qu’ils avaient eux-mêmes infligé à Mair ? Cela ne l’aurait pas surpris de la part des fées !
La notion de justice lui semblerait toujours compliquée à appréhender. Elle différait pour chaque peuple et chaque nation, et même l’art d’appliquer les sentences faisait lui-même l’objet de jugements. Hadria aurait été bien en peine de dire si la peine qui était tombée sur le lord, son homme de main et les deux érudits était équitable. Toute cette histoire hanterait longtemps ses nuits… Mais pas plus, pas moins que l’horrifique Larve Dorée dégoulinante de malfaisance, et d’autres missions tout aussi terribles qui ne manqueraient pas de s’inscrire dans sa future carrière.
L’affaire de la « Reine des Fées » se trouvait désormais derrière eux. Ils avaient repris le chemin de Londres, après avoir récupéré leurs effets dans le château en émoi. Standish était resté pour faire valoir les décisions de la Couronne, ainsi que le comte d’Harmont qui désirait séjourner quelques jours de plus auprès de sa nouvelle amie pour mieux comprendre les croyances locales.
Les hommes de la section Athéna se chargeraient de libérer les flux telluriques et de déterminer le sort du château de Ralestone. La forêt souterraine finirait par mourir d’elle-même, si la section ne choisissait pas de la conserver à des fins expérimentales. Même si Mair y avait subi un calvaire épouvantable, elle laissait dans l’esprit d’Hadria un souvenir aussi merveilleux que terrible.
Frottant sa nuque raide, elle poussa un soupir : elle ne pourrait probablement pas s’émanciper de Gladius Irae avant un bon moment… Elle avait songé à réclamer dès que possible une mutation en Amérique. Après tout, la fondation possédait des implantations partout dans le monde. Mais plus le temps s'écoulait, plus elle éprouvait une certaine responsabilité envers son partenaire.
Elle se tourna vers le normaliste, assis à côté d’elle. Contrairement à ses habitudes, il ne passait pas le voyage plongé dans un énorme volume au contenu abscons, mais profondément endormi, avec un abandon presque enfantin. Ses lunettes reposaient de travers sur son nez et ses cheveux échappaient à leur discipline coutumière. Même la protection des fées n’avait pu empêcher l’épuisement de venir à bout de lui.
« Veille sur lui… »
Comme si les injonctions d’Erasmus Dolovian, le directeur de Gladius Irea, ne suffisaient pas, il fallait en plus que le monde surnaturel s’en mêlât ! Le très savant, très secret, très mystérieux John-Liang Ashley manifestait parfois une telle part de vulnérabilité que la jeune femme ne pouvait s’empêcher de s’en attendrir. Même s’il ne s’était toujours pas décidé à aborder avec elle les zones d’ombre de son passé, elle craignait de découvrir une enfance plus que cruelle. Toute son attitude envers Mair en avait témoigné. Sans compter les remarques et les propositions à peine voilées de Ralestone.
Un rail disjoint fit tressauter le wagon. Son voisin glissa de côté et sa tête tomba sur l’épaule d'Hadria, sur laquelle il continua de dormir avec un complet abandon. Figée par la gêne, Hadria déglutit et regarda tout autour d’elle ; fort heureusement, seuls deux ou trois autres passagers occupaient la voiture et aucun ne s'intéressait à eux.
Elle se résolut à en prendre son parti, avec un peu d'embarras mais aussi un certain amusement.
« Que vais-je faire de vous, mister Ashley ? » murmura-t-elle avec dans la voix une affection qui l’étonna elle-même.
Avec précaution, elle ôta ses lunettes qui menaçaient de choir et les rangea dans son sac. Puis, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle laissa échapper un petit rire. Le très digne mister Ashley serait sans doute le plus gêné des deux à son réveil. Elle se réjouissait à l’avance de le voir exprimer le plus complet désarroi quand il rouvrirait les yeux. Si elle ne s’endormait pas à son tour… Déjà le doux staccato du train et le balancement du wagon commençaient à l’assoupir. Mais après tout, pourquoi lutter ?
Sans perdre le sourire dessiné sur ses lèvres, elle plongea dans une somnolence bienvenue.
Les aventures de nos valeureux enquêteurs se poursuivront dans "La Cour des Profondeurs", dont la publication commencera en août prochain ! En attendant, vous pouvez les retrouver ainsi que d'autres personnages de cet univers dans les recueil "Bits and Pieces" et "Side Stories" !
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