« Je dois avouer, déclara le démystificateur d’une voix lente et amusée, que vous ne manquez pas de caractère.
— Venant de vous, je doute qu’il s’agisse d’un compliment, répliqua la jeune femme d’un ton acide. Je suppose que c’est vous qui avez levé la troupe pour marcher sur le château ?
— Et effet… »
Il se tourna vers l’homme au fusil :
« Daffyd, je me porte garant de ces trois personnes. »
L’homme n’avait pas l’air convaincu, mais il baissa enfin son arme, sans pour autant se départir de sa méfiance.
« Si vous le dites, mister Standish », maugréa-t-il.
Ashley, visiblement soulagé, se détacha du bord de la charrette contre lequel il se tenait appuyé et se dirigea vers son allié, d’une démarche mal assurée. Il lui murmura quelques mots à voix basses. Les yeux du démystificateur s’élargirent légèrement ; il se tourna aussitôt vers le chef du village :
« Ils doivent immédiatement gagner le village avec une escorte. Dites à la mère de la jeune fille de les accompagner. »
Le chef de la communauté s’adressa à deux de ses compagnons, tout aussi trapus et rébarbatifs que lui-même :
« Allez avec eux. Deryn… accompagne-les avec Alma. Il est préférable qu’elle ne vienne pas au château, de toute façon… »
La plus jeune des deux femmes hocha la tête et entraîna la mère de Mair avec elle, mais elle résista et laissa échapper un flot de protestation en cornique.
« Aidez-la à monter à l’arrière la charrette, proposa le comte. Miss Forbes, mister ashley, pouvez-vous les accompagner ? Je vais garder les rênes. »
Hadria s’exécuta, en gardant un œil sur son partenaire. Derrière les verres fumés, le regard qu’il lui rendit lui parut confiant et rassurant. À son grand soulagement, il semblait avoir repris quelques forces durant l’échange. Même si, à sa grande fierté, elle avait su faire preuve de décision pendant qu’il récupérait, le savoir de nouveau à ses côtés la rassurait profondément.
Ils s’installèrent à côté de la couverture qui couvrait toujours Mair, la dissimulant à sa famille. Il semblait inutile de la dévoiler avant d’arriver au village, où ils se trouveraient tous en relative sécurité. Sans compter le choc que les proches de la jeune fille éprouveraient en découvrant à quel point elle avait été altérée.
« Si vous le permettez, reprit Standish, je vais accompagner ces gentlemen au château.
— Attendez une minute, l’interrompit le comte, il faut au moins que vous soyez mis au fait de la situation que nous avons laissé à Ralestone Manor.”
Standish eut au moins la bonne grâce de se rapprocher pour écouter d’Harmont lui décrire à voix basse leurs faits d’armes – et, sans doute, le sauvetage mouvementé de Mair. Le démystificateur l’écouta attentivement… puis, avec une légère moue, il lança un coup d’œil vers Ashley, avant de faire une remarque qui suscita du comte un sourire tolérant. Le britannique haussa un sourcil incrédule avant d’ajouter, cette fois de façon audible :
« Nous allons donc recueillir ce cher Ralesotne afin de statuer sur son cas…
— Je doute que tous ses invités soient ses complices, remarqua d’Harmont. Essayez de réfréner toute velléité de lynchage !
— Ne vous inquiétez pas. Daffyd ici présent s’est porté garant. »
L’expression du Cornique montrait que même s’il se soumettait à la décision, il n’en était pas pleinement satisfait.
« Par prudence, un détachement de la section Athena a été cantonné dans la ville la plus proche, poursuivit-il. J’ai pris sur moi de lui faire porter un message. Il devrait arriver au village dans quelques heures tout au plus, à présent que nous disposons d’assez de preuves. »
Même si elle appréciait toujours aussi peu l’homme, Hadria devait lui reconnaître une efficacité certaine. Il lui avait fallu une réelle habileté pour pousser les villageois, qui avaient passé de longues années à trembler dans l’ombre, à monter cette expédition vers Ralestone Manor. La perspective d’un meilleur rendement, quand ils auraient libéré les flux détournés vers le château, y avait sans doute fait pour beaucoup. Ainsi que l’appui par la section Athena…
Hadria se demanda si Erasmus Dolovian – et Ashley par la même occasion – avaient été au courant de la présence sur place d’agents des gouvernements français et surtout britannique. Elle secoua la tête : ce n’était pas le moment de se torturer l’esprit sur des soupçons infondées… ou de s’offusquer d’avoir été utilisée sans savoir ce qu’il en était vraiment. Et certainement pas devant Standish, qui n’avait pour elle aucune once d’estime.
Elle s’installa avec précaution à l’arrière de la carriole, l’épaule contre celle d’Ashley. L’attention du normaliste restait fixée sur la couverture, sur laquelle il laissait reposer l’un de ses mains.
« Je suis désolée de vous avoir secoué un peu, souffla-t-elle.
— Ce n’est pas la peine ne vous inquiétez pas. Vous avez fort bien réagi…
— Comment vous sentez-vous ?
— Encore un peu désorienté, mais cet inconfort se dissipe progressivement.
— Et… »
Elle désigna du menton la forme immobile.
« Je l’ai protégée au mieux des cahots durant cette course effrénée, où vous avez mené cet attelage de main de maître ! Je ne vous connaissais pas ces dons pour la course de char ! »
Était-ce un petit sourire qui relevait le coin de ses lèvres ? Elle n’osait y croire… mais si discret fut-il, il lui parut étrangement communicatif. Elle étouffa un petit rire :
« Je ne les connaissais pas moi-même… Mais ne me demandez pas d’imiter de sitôt Judah Ben Hur (1) ! »
Elle s’attendait à ce qu’il fronce un sourcil perplexe à la mention d’un roman populaire, mais il ne paraissait pas autrement surpris. Ni même choqué.
« Qui sait… Avec un talent aussi remarquable que le vôtre, il est possible que vous deveniez un jour une héroïne de roman à votre tour !
— Ce n’est pas sur moi que l'on écrirait, remarqua-t-elle en rosissant légèrement. Mais plus probablement sur vous…
— Sur moi ? Pour quelle raison me choisirait-on comme sujet d’un récit ? Je ne suis pas exactement… Quelqu’un de passionnant. »
Hadria sourit de son air confus :
« Bien sûr que si ! Vous êtes un homme mystérieux, dotés de connaissances et de talents hors de commun, vous vivez des aventures aussi passionnantes que dangereuses… Au temps où j’étais encore journaliste à Minneapolis, j’aurais été très excitée à l’idée de vous interroger ! »
Ashley fronça les sourcils :
« … excitée ? »
Elle rougit violemment en réalisant que son choix de mot était pour le moins… malheureux. L’éclat de rire que laissa échapper le comte d’Harmont n’arrangea rien. Elle détourna les yeux, d’autant plus consciente du contact de l’épaule d’Ashley contre la sienne. La carriole se mit en branle, bringuebalant un peu sur les ornières du chemin. Hadria s’aperçut qu’elle n’avait aucune idée de l’heure qu’il pouvait bien être. Cette journée lui semblait avoir duré une éternité. Déjà, la lumière avait baissé à l’horizon et prenait les teintes dorées typique des lueurs vespérales. L’air lui paraissait plus frais, à présent que l’excitation de la poursuite s’était dissipée.
Hadria réalisa qu’elle mourrait de faim. Mais ce problème devrait attendre. Peut-être pourrait-elle solliciter un léger en-cas auprès des villageois, une fois arrivée à destination… en espérant que les intéressés ne seraient pas trop mal disposés envers eux quand ils révéleraient leur précieux chargement. Tandis que le cheval de lors Ralestone les conduisaient vers le lieu de naissance de la jeune Mair, elle décida de prendre un peu de repos. Quand la tête de la jeune femme bascula sur l’épaule d’Ashley, elle était bien trop apathique pour s’offusquer de sa propre position.
(1) Roman de l'écrivain américain Lewis Wallace publié en 1880 et qui relate l'histoire d'un prince juif fictif, Judah Ben-Hur, à l'époque de Jésus-Christ. Une célèbre course de char en constitue l’un des moments clefs.
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