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tome 2, Chapitre 28 « La Fuite » tome 2, Chapitre 28

La jeune femme regrettait de ne pas avoir insisté pour qu’ils s'installent sous le couvert du hangar. Il était hélas trop tard pour interrompre le processus. Elle se demanda si d’Harmont et Ashley percevaient le bruit de la foule en approche, mais elle leur faisait confiance pour rester concentrés en dépit du danger imminent.

Hadria devait mettre à profit le temps dont elle disposait encore pour trouver une tactique d’urgence ; vu le nombre de personnes au-dehors, son pistolet ne lui servirait à rien. Elle décida de dissimuler son arme et de ne le tirer qu’en toute dernière extrémité. Elle s’en voulait déjà bien assez d’avoir tiré sur un être humain, et elle espérait ne jamais avoir à répéter l’exercice. S’il s’agissait vraiment des hommes de Ralestone, aucun d’entre eux ne prendrait la responsabilité de blesser ou tuer la précieuse « Reine des fées… » de leur maître… Elle pourrait toujours invoquer cet argument pour laisser Ashley achever l’opération.

Mais après ?

« Restez concentré… Je sais que c’est difficile, mais nous ne devons pas perdre de temps ! »

L’aristocrate voyait-il Ashley lutter ? Faiblir peut-être ? Elle ne savait plus ce qui l’inquiétait le plus : un échec de la part de son partenaire, ou l’irruption massive de leurs adversaires. Elle ferma les yeux, prit une profonde inspiration avant de les rouvrir.

« Si vous avez réussi à créer cette circulation d’énergie, vous devez vous en servir comme véhicule pour transporter votre force vitale. N’étant pas un guérisseur né, vous ne pouvez la communiquer directement… Mais en tant que mage, cette solution vous est ouverte, et vous devez la saisir ! Je conçois qu’il est difficile de ressentir votre propre énergie vitale tout en maintenant le cercle, mais je vous fais confiance pour y parvenir. Commencez par respirer, profondément… Essayez de visualiser comment l’air circule dans chaque partie de votre corps… Comment il se diffuse dans vos poumons, votre cœur, vos veines, votre cerveau, vos membres… Vous devez le sentir jusqu’au bout de vos doigts… Je sais que nous manquons de temps, mais essayez de vous en donner ! »

La rumeur se rapprochait, de plus en plus forte, de plus en plus confuse. La jeune femme glissa le pistolet à sa ceinture, le dissimulant sous la basque de sa veste.

« Voilà, poursuivait la voix sereine du comte, je suis certain que vous y parvenez… Essayez de projeter cette énergie dans le courant magique que vous avez créé ! Comme s’il s’agissait d’un aqueduc qui la transportait vers Mair. Allez-y doucement… Un peu à la fois… Essayez d’invoquer tout ce qu’il y a de bienveillance en vous. Votre générosité, votre compassion… Je sais que vous en avez à revendre, elle vous aidera à donner tout naturellement le meilleur de vous-même pour sauver cette jeune fille… »

En dépit des bruits en approche, elle pouvait entendre la respiration de son partenaire, hachée, haletante, comme s’il faisait un effort prolongé… Ce qui était sans doute le cas.

« Oui, c’est bon ! Cela commence à faire effet ! Elle va déjà mieux… Poursuivez, John, poursuivez… »

Hadria s’étonna d’entendre le très formel aristocrate appeler le normaliste par son prénom. Sans doute cette légère familiarité donnait-elle à son partenaire l’assurance précieuse d’être soutenu. Elle aurait aimé bénéficier du même appui, mais pour le moment, elle ne pouvait compter que sur elle-même. Plus que jamais, elle réalisait combien elle appréciait la présence Ashley à ses côtés quand les choses devenaient dangereuses ou tendues. Cependant, elle ne le lui aurait jamais avoué ouvertement...

« C’est bon… Je pense que cela suffira pour le moment. Vous pouvez commencer à ralentir le flux. Ne le coupez pas immédiatement, ce serait trop sévère pour vous deux. »

Étrangement, la rumeur commençait à s’éloigner d’eux, comme si les responsables avaient pris une tout autre direction. Malgré son soulagement, Hadria décida de rester sur ses gardes : tout danger n’était pas écarté. Elle lança un regard rapide par-dessus son épaule : le comte demeurait assis à même le sol, avec toute la dignité que l’on pouvait invoquer dans une telle position ; quand à Ashley, agenouillé sur les dalles de la cour, il tenait encore Mair entre ses bras. La jeune fille avait cessé de trembler et sous le bandeau, son visage avait repris une certaine sérénité. À la lumière du jour, sa peau semblait moins verdâtre… Hadria se demanda si, sous l’effet de l’énergie vitale d’Ashley, elle commençait à récupérer une part d’humanité. Peut-être n’était-ce qu’une illusion : sa condition mettrait sans doute plus de temps à s'amméliorer.

Après l’effort conséquent dont il sortait tout juste, le normaliste tremblait d’épuisement. Hadria fronça légèrement les sourcils. Elle n’aimait pas le voir faire si peu de cas de sa propre santé, même au bénéfice des autres.

Le comte se releva péniblement :

« Ce genre d’exercice n’est plus de mon âge, je le crains, soupira-t-il. John ? »

Le normaliste secoua légèrement la tête, comme s’il s’éveillait d’un rêve, puis baissa les yeux sur Mair ; un soulagement visible se peignit sur ses traits tirés :

« J’ai… réussi ? »

D’Harmont posa une main sur son épaule :

« Oui, vous avez réussi, jeune homme. Je vous en félicite ! Je dois avouer que je n’avais pas la moindre idée de ce que vous faisiez, mais vous avez su déduire à merveille les processus à partir de mes vagues explications. Je vous en félicite ! Décidément, vos capacités ne sont pas usurpées ! »

L’ombre d’un sourire étira les lèvres d’Ashley. Avec difficulté, il se remit sur ses pieds, en tenant toujours Mair serrée contre lui. Hadria surprit la légère grimace de douleur qui déforma ses traits ; la pierre n’avait pas dû se montrer tendre pour ses genoux. Les jambes du normaliste se dérobèrent sous lui ; il serait tombé si le comte ne l’avait pas retenu.

« Vous allez pouvoir continuer ? s’inquiéta-t-il.

— Il va bien falloir. »

Avec résolution, Ashley resserra sa prise sur Mair et esquissa quelques pas titubants.

« Je suggère que nous utilisions la voiture, proposa d’Harmont en lançant un coup d’œil vers Hadria. Il faudra juste que nous attelions le cheval…

— Je peux m’en occuper, proposa la jeune femme, soulagée de pouvoir enfin se rendre utile. Je le faisais souvent pour le cabriolet de mon père. Si vous me permettez… »

Regardant autour d’elle, elle examina les différentes pièces de harnachement, puis saisit un licol :

« Je vais chercher un cheval… Les stalles ne doivent pas être bien loin. En attendant, vous pouvez installer Mair dans la voiture.

— Merci beaucoup, miss Forbes, répondit le Français avec soulagement. Le savoir est une chose, mais il est bon d’avoir avec soi une personne dotée de quelques talents pratiques ! Je dois avouer que ce n’est pas trop mon fort. »

Hadria le remercia d’un petit sourire, même si elle doutait que le comte fût aussi inepte qu’il le prétendait. Sans doute préférait-il garder un œil sur Ashley et Mair, puis se lança à la recherche des écuries. Elle espéra que les chevaux ne se trouvaient pas sous clef… Dans son pays, le vol de cheval restait sévèrement puni, ce qui permettait d’être relativement tranquille à cet égard… Mais elle ignorait quelle était la coutume en Angleterre.

Heureusement, elle n’eut pas besoin de chercher longtemps pour découvrir la porte qui menait à la rangée de box ni pour reconnaître le bai aux paturons larges et poilus qui les avait tirés en rentrant de la gare. L’animal accueillit avec plaisir ses caresses et se laissa passer le licol sans rechigner. À défaut de traiter correctement les humains, lord Ralestone semblait prendre à coeur le bien-être de ses chevaux, pour qu’ils manifestent une nature si confiante et docile. La jeune femme le ramena vers le hangar et l’attela aussi rapidement que possible, en repoussa avec fermeté les propositions d’aide d’Harmont. Ashley en aurait sans doute fait autant s’il n’avait été si occupé à veiller sur Mair, sans compter son épuisement. Elle ne pouvait s’empêcher de lui lancer de petits regards à la dérobée, notant ses yeux cernés et ses traits tirés.

« Ne vous inquiétez pas autant pour lui, lui souffla le Français avec une bienveillance amusée, il est juste affaibli par cette utilisation inhabituelle de ses dons. Ses forces reviendront vite… »

Elle se sentit rougir et détourna les yeux pour ne pas livrer cette faiblesse au regard trop perceptif de leur allié. Le comte aida Ashley à s’installer avec son fardeau à l’arrière de la charrette, puis à dissimuler la jeune fille sous une couverture, puis alla ouvrir les portes du hangar avant de grimper à côté d'Hadria. D’un claquement de langue, l’Américaine lança le cheval. L’animal lui obéit sans faire de manière et partit au trot en direction de la cour. Tandis que d’Harmont s’accrochait pour résister aux cahots provoqués par le dallage inégal, elle manœuvra le véhicule entre les dépendances, vers le chemin de gravier qui menait à l’enceinte du château. À son grand soulagement, ils ne croisèrent personne, mais elle ne pouvait s’empêcher de trouver cela surprenant. Remarquant son air songeur, le comte lui demanda si tout allait bien :

« Je me demande si l’on ne nous laisse pas partir, pour mieux nous capturer plus tard, remarqua-t-elle.

— Vous avez raison, mieux vaut rester prudent. Je ne serais pas surpris que Ralestone ait envoyé ses hommes bloquer toutes les issues de la propriété… »

Hadria sentit de nouveau l’appréhension l’envahir ; les rênes glissaient désagréablement entre ses mains trempées de sueur. Elle n’osait pas accélérer l’allure du cheval, de crainte de trop secouer Ashley et Mair. Elle le laissa prendre le chemin qu’il avait l’habitude de pratiques, le long d’une large allée qui s’engageait entre une double rangée d’arbres.

Mais ce qui aurait dû être leur voie vers la liberté leur réservait une mauvaise surprise : l’extrémité du chemin était bloquée par un haut portail de fer forgé, fermé par une chaîne épaisse munie d’un cadenas…


Texte publié par Beatrix, 14 janvier 2019 à 23h30
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