Piégée.
Il n'y avait pas d'autre mot pour décrire sa situation. Le grincement d'une chaise qu'on tirait jusqu'à son lit lui confirma que la servante était restée avec elle. Était-ce cette fille pâle et étiolée qui l'avait menée ici même ? Celle qui avait attiré l'attention d'Ashley ?
De toutes les façons, il était temps pour Hadria de cesser de jouer les belles au bois dormant. Elle papillonna deux ou trois fois des paupières puis gémit légèrement en portant une main languide vers son front. Enfin, elle se redressa faiblement :
« Que s'est-il passé ? »
Elle regarda autour d'elle, espérant que ses talents d'actrices n'étaient pas trop mauvais. Avec un peu de chance, Mary n'était pas aussi sagace que son maître.
« Vous vous êtes trouvée mal. Milord m'a demandé de veiller sur vous... »
Hadria se laissa retomber – on n'attendait rien d'autre d'elle ; au moins avait-elle tout le loisir de réfléchir.
« Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, bafouilla-t-elle. Je me suis trouvée mal et... »
Elle frémit légèrement :
« Oh non, gémit-elle ostensiblement, j'ai dû me rendre ridicule devant tout le monde ! »
La servante posait sur elle un regard navré – si du moins on pouvait trouver une étincelle d'émotion dans ces prunelles aussi vives que celles d'une brebis. Hadria devait réfléchir vite : Mary était de toute évidence terrifiée par son maître. Peut-être pourrait-elle la persuader de l'aider – mais elle en doutait. La manière forte, hélas, serait plus sûre.
« Pouvez-vous me passer mon nécessaire de toilette ? demanda-t-elle d'une voix languissante. J'ai dû le poser sur la coiffeuse... »
Pendant que la jeune femme se levait pour lui chercher l'objet demandé, Hadria se redressa en position assise. Son regard se porta sur l'armoire qui occupait une partie du mur Nord, un « homme debout » (1), qui ressemblait à un cercueil de bois patiné qu'on aurait dressé contre la paroi, et surtout sur la clef qui se trouvait dans la serrure. Pour y avoir suspendu quelques affaires, elle savait que l'espace offert était assez vaste pour contenir une personne pas trop corpulente.
Elle s'en voulait déjà pour ce qu'elle allait devoir faire, et peut-être même un peu plus que lorsqu'elle avait dû assommer la magicienne chinoise qui commandait à la larve dorée. Après tout, Mary ne faisait qu'obéir à son maître. Mais ce n'était pas comme si elle comptait réellement lui infliger du mal.
Hadria saisit la petite mallette que Mary lui passa. Gladius Irae avait paré à toutes les éventualités. Tout en faisant mine de fouiller dedans, remuant flacons et ustensiles, elle débloqua la discrète attache qui maintenait le double fond et en tira le Derringer qu'y était dissimulé. D'un mouvement rapide, elle le braque en direction de la jeune femme, qui poussa un hoquet de surprise. Sans plus attendre, Hadria bondit sur ses pieds, sans cesser de la menacer.
« Ne criez pas ! ordonna-t-elle avec fermeté. Je ne vous ferai aucun mal. Je veux juste être sûre que vous ne direz rien à votre maître. »
Les yeux écarquillés par la terreur, la face blanche comme un linge, Mary hocha la tête.
Rassemblant son énergie, Hadria sauta à bas du lit, tenant encore la jeune femme en joue.
« Donnez-moi la clef de la chambre ! ordonna-t-elle.
— je... je ne l'ai pas, bafouilla la servante. Lord Ralestone l'a emportée avec lui. »
La jeune femme serra les dents, furieuse ; mais ce n'était pas insurmontable, loin de là. Elle n'était pas aussi impuissante qu'elle en avait l'air. En gardant le museau de son arme pointé sur la malheureuse, elle se dirigea vers l'armoire et fit tourner la clef ; la porte résista un peu, mais finit pas s'ouvrir, découvrant la penderie où étaient accrochés quelques porte-manteaux (2) de formes variées. Elle pivota vers la pauvre Mary, qui était restée tétanisée sur place :
« Entrez là-dedans.
— De... dedans ? répéta-t-elle d'une toute petite voix.
— Oui, vous m'avez bien entendue. »
Devant l'expression décomposée de la servante, Hadria eut le sentiment d'être un monstre... Après tout, la pauvre fille n'y était pour rien !
« Mary, reprit-elle d'une voix plus douce, je ne vous veux aucun mal, bien au contraire. Est-ce que vous savez qui était Mair ? »
Le visage de la jeune femme se vida de son sang.
« Elle a disparu... Nous... nous... nous n'avons pas le droit d'en parler.
— Je pense que nous pouvons la retrouver, Mary. Mais je sais que vous avez peur de lord Ralestone, et que vous irez le prévenir pour ne pas être punie. Je peux le comprendre. Mais j'ai besoin de temps. Alors obéissez... Je vous promets de revenir vous délivrer ! »
Tremblante comme une feuille, la jeune femme pénétra dans le meuble. Quelques planches disjointes à l'arrière assuraient qu'elle pourrait respirer normalement dans cet endroit enclos. De sa main libre, Hadria referma la porte et la verrouilla, avant de prendre dans son nécessaire de toilette son matériel de crochetage. Il ne faisait aucun doute à présent que ses affaires avaient dû être fouillées ; heureusement, les compartiments secrets avaient dissimulé l'essentiel. Hadria n'était pas une spécialiste dans l'art de forcer les serrures – elle était loin d'égaler Ashley –, mais pour une novice, elle se débrouillait honorablement. Le fait d'être sous-estimée par Ralestone autant que par Standish lui donnait la volonté de se surpasser.
Elle n'avait plus le choix... Elle devait rejoindre Ashley et le prévenir des soupçons de Ralestone... Même s'il avait des alliés en les personnes de Standish et du comte d'Harmont, il aurait besoin de son aide. Tentant de faire abstraction des faibles sanglots de Mary qui lui parvenaient de l'armoire, elle s'appliqua à déverrouiller la porte ; le temps pressait.
(1) Armoire haute et étroite.
(2) Ancien nom du cintre : le terme n'apparaît qu'en 1900 et ne sera agréé que dans les années trente.
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