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tome 2, Chapitre 1 « Aperto libro » tome 2, Chapitre 1

Erasmus Dolovian tourna la molette pour intensifier la lumière du bureau. Sans grand effet : ses yeux lui refusaient tout service. Pour la première fois depuis que sa vue jadis parfaite avait commencé à se raccourcir, il regretta de ne pas avoir pris la peine de se procurer des lorgnons.

Mais il n’avait plus le temps de s’en préoccuper…

« Voulez-vous que je prenne la relève ? proposa William Perdheim. Vous devriez vous reposer un peu. Vous n’en serez que plus efficace. »

Le directeur de Gladius Irae savait que le vieux bibliothécaire avait raison. Mais il ne pouvait relâcher sa veille ; d’autant que son ami n’avait pas ménagé sa peine, usant de ses connaissances approfondies des collections considérables de Spiritus Mundi pour retrouver la moindre bribe d’information sur les zophodytes, aussi désignés sous le nom d’« Incomplets » dans le jargon des agents de Spiritus Mundi.

Un léger raclement de gorge lui fit relever la tête. Il dut déplier sa puissante carcasse pour apercevoir la nouvelle venue au-dessus du rempart de livres. En dépit de sa silhouette menue, Ella Crompton, responsable adjointe du centre médical de la Fondation, possédait une autorité à laquelle même le dirigeant du bras armé de Spiritus Mundi se soumettait sans rechigner.

Décidément, il ne trouverait rien de pertinent dans cette ancienne encyclopédie des entités transplanaires. Son auteur semblait n’avoir fait qu’une compilation de racontars et de ouï-dire. Il la referma brutalement ; seuls la présence de Perdheim et son respect pour les livres le retinrent de le faire voler à l’autre bout de la pièce. Après avoir frotté ses yeux ensablés, il porta son attention vers Ella :

« Du nouveau ? »

Le visage du médecin se ferma :

« Rien de favorable, je le crains. Mais un examen plus approfondi m’a permis de comprendre ce qui avait dû se passer. Puis-je m’asseoir ? »

Avec empressement, le bibliothécaire lui avança à chaise à accoudoirs rembourrée de cuir, où elle se laisse tomber avec gratitude.

« Je ne peux, hélas, que confirmer le diagnostic d’une infestation par un zophodyte. L’examen des corps que nous avons retrouvés sur place a fait apparaître des lésions internes qui ne sont visibles qu’à l’autopsie. La plupart du temps, le seul signe qui puisse mettre sur la piste est la présence d’un hématome important à l’endroit où la créature a inséré ses griffes et son rostre. Leur forme reste visible à l’intérieur des chairs, même s’il n’en subsiste aucun élément physique. Autant dire que sur un patient qui a été victime d’une chute importante, cette localisation est virtuellement impossible. S’il fallait explorer chirurgicalement toutes les meurtrissures, le choc et l’hémorragie provoqueraient très certainement la mort du sujet… »

Erasmus repoussa avec lassitudes les longues mèches grisonnantes qui s’étaient détachées et pendaient devant ses yeux. Comment avait-il pu espérer des nouvelles rassurantes ? Le directeur de Gladius Irae enfouit son visage dans ses bras, le temps de laisser passer le trop-plein d’émotion qui l’assaillait, sans se soucier de l’avis de ceux qui l’entouraient. Perdheim comme Crompton possédaient une infinie bienveillance et comprendraient que même lui, le colosse exigeant et autoritaire, pouvait soudain s’effondrer sous le poids de l’angoisse et de l’impuissance.

Ella se releva et s’approcha de lui, posant une main sur son épaule :

« Vous devriez vous allonger un peu. Ne serait-ce qu’un quart d’heure ? Je vais rester ici pour aider William. »

Erasmus leva vers elle le regard perdu de ses yeux rougis par l’épuisement :

« Êtes-vous vraiment sûre d’avoir tout tenté ?

— Tout, Erasmus, je vous l’assure. Vous croyez vraiment que je n’ai pas convié tout le personnel à notre disposition, au cas où nous aurions sous-estimé la capacité de certains talents à repérer cette… chose, à déterminer son apparence et le moyen de la combattre ? Médiums, clairvoyants, psychosensitifs, psychokinésistes, sorciers, et j’en passe… Nous avons tout essayé, même le plus improbable. »

Le colosse baissa la tête :

« J’en suis bien conscient, Ella… répondit-il d’un ton d’excuse. Mais je me sens si impuissant… Pourquoi a-t-il fallu que cela lui arrive, à lui ? Je ne veux pas dire que j’aurais souhaité que quelqu’un d’autre en soit victime… Mais il avait enfin commencé à apprendre la prudence…

— Erasmus, vous devez vous dire qu’un autre agent en serait mort à l’heure qu’il est. Son potentiel de mage et sa forte volonté l’ont sauvé et le soutiennent encore, même si ses forces s’amenuisent. S’il n’avait pas fait cette chute qui l’a rendu inconscient, je crois que jamais le zophodyte n’aurait pu l’affecter. »

Elle lui serra affectueusement l’épaule :

« Allez vous reposer… Nous prenons la relève ici, ne vous inquiétez pas. Et si vous ne voulez vraiment pas dormir, peut-être vaut-il mieux que vous vous rendiez un moment à son chevet ? Je suis sûre que d’une façon ou d’une autre, il saura que vous êtes là… Et que cela lui donnera un peu plus de force pour résister, jusqu’à ce que nous trouvions une solution.

Le bibliothécaire l’appuya d’un hochement de tête, en renchérissant :

« Ella a raison, nous poursuivrons les recherches. Nous sommes très loin d’avoir épuisé toutes les possibilités ! »

À court d’arguments, Erasmus acquiesça, avant de quitter la pièce d’un pas lourd.


Texte publié par Beatrix, 20 octobre 2017 à 01h55
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