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-00 : 48

Sa chambre était à peine éclairée par une lampe se balançant irrégulièrement au plafond. La lumière de la lune disparaissait lentement, le désespérant. Son âme se craquelait. Il fixa son reflet d'un regard vitreux. Rien n'avait d'importance, rien d'autre que cette crasse sur sa peau. Cette crasse sur ses vêtements. Sur ses cheveux. Cette crasse qui s'incrustait sous ses ongles, qui traînait dans ses oreilles, qui grattait sur ses tempes. Cette crasse qui creusait dans sa peau, qui trouait ses veines. Cette crasse qui s'infiltrait dans ses pensées, qui l'écœurait. Il voulait la cracher, la hurler. La brûler, la détruire. Alors il se secouait, il se démenait. Et frottait. Il frottait sans cesse, voulant enlever cette deuxième peau. Mais ça s'accrochait. Mais ça l'empêchait d'avancer. Mais ça riait de sa naïveté. Il secoua la tête en soupirant. Il traînait ses démons, croyant pouvoir échapper à son histoire dans son espoir insensé. Il avait pourtant pardonné, il avait pourtant dépassé ce stade. Il était au-dessus de tout ça, mais ça le défonçait encore. La culpabilité continuait de le mordre de part en part, tel un chien sur sa proie.

-00 : 36

Il avait décidé de ne plus croire ce qu'on lui avait appris à espérer. Tu sais, qu'un jour quelqu'un viendrait. Quelqu'un qui le comprendrait, comme dans tous ces putains de bouquins qui l'avaient entraîné à attendre, la mort lui collant au poignet. Une foutue personne qui serait capable de le pardonner, de l'aimer, de l'accepter putain. Une personne qui aurait ouvert sa carapace, lentement et qui aurait tout su. Une nouvelle dépendance, sa drogue douce à lui. A lui seul. Et il avait attendu, oh oui putain. Mais il était fatigué. Cette personne ne viendrait pas et qu'en bien même elle existerait, il ne l'aurait jamais laissé venir. Parce que c'était la réalité qui lui explosait en pleine gueule, la peur était trop forte. La peur de décevoir, de s'attacher pour mieux blesser, alors il serait partit. Parce qu'il valait mieux que cette personne qui l'aurait aimé, ait une petit douleur temporaire qu'une cicatrice amère n'est-ce pas ? Personne n'est là pour toi. Ta noirceur n'a rien de poétique, elle te bouffe juste. Ton dégoût n'est que vomissement et colère, personne n'embrassera tes cicatrices. Tes hurlements et tes pleurs resteront ton fardeau, ta souffrance continuera à te mordre et personne ne pourra te prendre la main et te traîner à la surface à l'aide de grandes phrases philosophiques. Oublie tes illusions. Parce que les gens sont trop occupés à romancer ce qu'il t'arrive en trouvant ces marques sur ton corps si belles et tes larme si métaphoriques ! Alors que tu crèves, oh oui tu crèves, et t'as que ceux qui trouvent ça beau, ceux qui n'en savent rien et ceux qui te disent que tu exagères, que franchement, ils ont vécu bien pire. Comme-si tu avais choisi d'être une loque, comme-si cette douleur ne devait être que le fruit de ta pure imagination. Cette fatalité n'est pas un choix, elle s'insinue en toi qui que tu sois, quoi que tu ais vécu, quelle que soit ton origine. A n'importe quel moment elle vient et te sourit en te rappelant qui tu es, et tu t'effondres. Tout moment de joie devient un supplice, tu te sens fardeau, lourd et inutile. Et quand tu arrives à t'en sortir, quand tu as l'impression d'apercevoir la surface, tu glisses et retombes au même endroit, encore plus fragilisé. Et c'est un putain de cercle vicieux cette dépression qui traîne dans ta tête, et rien n'y fait, rien n'aide. Rien. Tu es seul. Seul et c'est ta fin. Alors il avait cessé d'y croire. Cessé d'attendre, cessé de s'investir.

Il avait arrêté.

-00 : 32

Il enfonça ses mains dans ses poches, cherchant à les éloigner du froid environnant qui lui mordait la gorge. Il soupira, rabattant d'un coup d'épaule son sac sur son dos. Il jeta un regard distrait sur la rue autour de lui. Le vent faisait voler des prospectus où s'étalaient des visages souriants d'imbécile criant que la vie était rose grâce au nouveau dentifrice à la menthe. Quelques voitures passaient à toute allure, comme-si les gens étaient pressés d'aller au travail. Des panneaux publicitaires se balançaient au rythme du vent, cachant une lune presque effacée. Il voguait çà et là, cherchant à traîner des pieds le plus longtemps avant d'atteindre la foule. Mais les rues se succedaient trop rapidement. Le chemin était si court, la fatalité ne tarderait pas à s'abattre sur lui. Le bruit désagréable des élèves excités atteignaient maintenant ses oreilles. D'un seul coup, comme une vague de souffrance. Comme un rire détestable qui lui rappelait sa faible condition. Il grinça des dents et se fraya un passage dans la masse d'ados en chaleur. Il reçut soudainement un grand choc dans le dos qui le fit partir en avant, manquant de le faire tomber à la renverse. Il ferma les yeux, se redressant dans un sanglot inavoué. Lorsqu'il ouvrit les yeux, un sourire éclatant l'accueillit. Il releva son regard pour rencontrer des pupilles brillantes. Il entendit le rire de Sacha, tentant de passer outre son bonheur exhaustif qui lui donnait la nausée. Son ami le prit par le coude et le tira vers les couloirs tandis qu'il tentait de se retenir de fuir.

-00 : 27

Il se faufila entre les pieds des spectateurs assis dans les tribunes. Il avait promis à Sacha de venir voir son match, et il comptait bien tenir sa parole même si ça lui en coûtait d'entendre ces imbéciles hurler le nom de son meilleur ami comme-si ils en avaient quelque chose à faire de lui, alors qu'ils l'ignoraient le reste du temps. Il le faisait pour Sacha, parce que quand il lui souriait, il avait l'impression d'être important. Et peut-être qu'une de ces bonnes actions comme celle-là pouvait racheter son passé ? Ou peut-être que faire cela pour se racheter effaçait déjà toute chance de rédemption ? Etait-ce déjà trop égoïste ? Il retint un hoquet d'écœurement et continua son chemin. Il arriva près de certains amis de Sacha. Il fit une grimace qui se voulait être un sourire et s'assit à côté d'une blonde dont il ne parvenait jamais à retenir le nom. Celle-ci lui tendit une écharpe verte avec un symbole d'une lune argentée presque effacée par le temps, dans ce qui se voulait sans doute être un geste de gentillesse mais qui l'étonna fortement. Sympathie ? Il ne lui avait jamais adressé autre chose qu'une grimace, comment pouvait-elle éprouver de la sympathie à son égard ? Il s'imaginait encore trop de choses, on n'éprouve pas de la sympathie pour les gens qu'on ne connait pas, on se contente d'avoir pitié. Elle avait juste pitié de son air dépressif et de sa présence étouffante. Voilà.

-00 : 24

Sacha le secoua dans tous les sens, le tirant vers une des attractions qui tournaient dans tous les sens. Un de ces manèges avec un nom ridicule et une affiche sur-colorée où cette fois-ci s'affichait une lune dont le dessin était à moitié passé avec le temps. Il ne voulait pas le faire, ça allait le rendre malade et quand il vomissait, il devenait encore plus détestable et dépressif qu'habituellement. Ce n'était décidément pas une bonne idée. Mais encore une fois, le sourire de Sacha eut raison de sa réticence. Il soupira et paya sa place. Il s'installa aussi confortablement que le voulait ce faux cuir humide de la transpiration des passants. Il renifla d'hésitation et pria pour qu'il ne perde pas son estomac durant le tourniquet de ce truc infernal. La machine démarra dans un grincement détonnant. Le forain clama une phrase absurde et vide d'intérêt dans son micro. La machine accéléra. Encore. Et encore. Et beaucoup trop. Sacha hurlait de joie à côté de lui, et lui, il hurlait tout court. Il avait l'impression d'avoir abandonné dignité et bon sens au départ du manège. Puis soudain, tout s'arrêta. Le forain cria qu'ils allaient repartir pour un tour, plus rapide, plus fort... En arrière. Comme-si son calvaire n'était déjà pas assez suffisant quand ils se balançaient dans le bon sens. Non, il fallait qu'on le torture encore. Qu'est-ce qu'il ne faisait pas pour un sourire de Sacha... Ca, ça valait bien un petit pardon, non ?

-00 : 21

Il vit la fumée s'élever lentement dans l'air, semblant tracer des formes indistinctes et délivrer un message de fin du monde. Les ronds noirs étaient âcres, agrémentés d'une odeur insupportable qui l'oppressait. C'était mal, c'était puissant, c'était terrifiant. Mais il voulait en avoir besoin. La couleur rouge qui lui brûlait les pupilles le rendait fou. Il s'y perdait, imaginant un monde submergé par les flammes, détruits et s'écroulant tout autour de lui. Il était seul, le vent soufflait dans ses cheveux et il s'envolait. Plus rien ne l'atteignait, le monde partait en miettes mais ce n'était plus le sien. Il partait. Il était bien, il était libéré. Puis un grésillement de la lumière rougeâtre le ramenait à la réalité, comme quand on se réveille à la suite d'un choc violent. Il reprenait difficilement sa respiration. Il s'étouffait dans sa propre déception. Il crachait et voguait de nouveau. Sacha arriva, il soupira de désapprobation et s'assit à côté de lui. Il baissa les yeux, presque honteux mais en reprit une taffe. Parce qu'il voulait en avoir besoin.

00 : 19

Les larmes lui dévoraient les joues. Son reflet le fixait, écœuré par cette vision pitoyable. Il cracha dans le lavabo, détournant le regard. Il s'appuya sur les rebords, les bras écartés. Il baissa sa tête, remontant ses épaules. Il tremblait, tous ses muscles semblaient le lâcher. Il gémit. Il bouillait de rage, pourquoi était-il si faible ? Des milliards de personne réussissaient à vivre en souriant, pourquoi n'y parvenait-il pas ? Pourquoi n'était-il pas aussi fort que le monde voulait qu'il soit ? Non à la place, lui il pleurait. Il se recroquevillait dans son coin, glapissant de détresse. Il envoyait tout valser, il s'en foutait. Il voulait juste s'étouffer dans sa tristesse et s'enterrer dans ses draps jusqu'à ce que mort s'en suive. Plus rien n'avait de goût, il voulait juste disparaître. Continuer était trop douloureux, chaque journée était plus violente, plus lumineuse. Plus terrible que la précédente. Son reflet se riait de lui. Il était lamentable. Une victime de lui-même, même pas assez fort pour vivre. Il cria de rage et envoya son poing dans le miroir. La douleur se répandit jusqu'à son épaule, le faisant trembler de bas en haut. Il se sentit tomber mais seul le sang qui glissait entre ses doigts lui importait. La glace s'était brisée, les morceaux s'éclatant sur son bras, dans sa cuisse et sur le sol. Il entendit des bruits de pas. Il vit Sacha le secouer dans tous les sens. Il pleurait toujours, il pleurait tout le temps de toute façon. Le sang tâcha la chemise blanche de Sach. Quel con, mais quel con. Sacha le serrait contre lui, tremblotant. Il ne souriait pas, il avait peur.

Il avait fait peur à Sacha. Il avait fait pleurer Sacha. Mais quel con. Mais quel con ! Il le serra contre lui, se haïssant.

-00 : 16

Il fixait la lune qui s'effaçait lentement sous les allures rosées du ciel, se grattant distraitement les croûtes de sang sur ses mains. Le ciel était splendide, hésitant encore entre la nuit et le jour sans pour autant laisser le soleil le gagner. Il ferma les yeux, laissant la fraîcheur de la brise lui caresser le visage. Il sentait l'air s'infiltrer dans son organisme, tentant de le remuer de l'intérieur. Mais il était trop lourd. Trop tard. Il sentit quelqu'un s'assoir près de lui, froissant des feuilles humides. Il savait que c'était Sacha, il tourna la tête. Le sourire lumineux de son ami l'accueillit. Il lui passa la main dans les cheveux et fixa l'horizon d'un air apaisé. Il admira Sach, il ne comprenait pas ce qui poussait ce blondinet au sourire d'ange à rester avec lui. Il n'était qu'une loque qui fuyait toute démonstration sentimentale et tout événement social. Mais il en était heureux. Alors il se mit lui aussi à reprendre sa contemplation du ciel, un sourire au coin flottant sur ses lèvres. Oui, il était décidément heureux de l'existence du sourire de Sacha dans sa vie.

-00 : 11

Il se mordilla la lèvre. Sacha allait commander, mais lorsqu'il ouvrit la bouche pour le faire, il attrapa son bras et le pinça. Sach se retourna d'un air étonné dans un grincement de douleur. Dans un regard appuyé envers le blond, il commanda deux cafés. Il buvait rarement du café, trouvant ça trop amer. Mais il aimait se punir de certaines choses en en avalant le plus possible. C'était sa façon d'avouer sa douleur. La caféine le rendait sur-émotif et il se mettait alors à raconter des inepties. Sach fronça les sourcils, mais il l'ignora et avala deux longues gorgées du liquide, se brûlant la gorge. Il s'avança vers une table. Il se sentait prêt à dévoiler sa fragilité à son ami, c'était un premier pas. Un rayon de soleil perça dans la vitre du café et vint illuminer Sacha. Il le fixa et lui sourit. Son ami parut surpris puis il se mit à rire. Il venait de trouver mieux que de faire sourire Sacha, le faire rire.

-00 : 04

Il attrapa sa tasse d'un air absent. Les premiers rayons du soleil envahissaient lentement la cuisine. Sa mère était au téléphone avec sa grand-mère dans la pièce d'à côté. Il passa sa tasse sous l'eau. Il commençait à croire que la rédemption était acceptable, après tout Sacha lui avait bien pardonné son égoïsme et ses actes passés ? La radio se mit à grésiller et une chanson entraînante emplit la pièce. Il essuya la tasse en fredonnant la musique. Oui, il était possible d'avoir une seconde chance tout comme il avait eu le droit de craquer. Peut-être était-il défaillant pour être aussi sensible ? Ou simplement qu'à force de cacher ses émotions il avait explosé ? Il sentait son âme se craqueler, mais il avait solidifié les attaches. Il ne sombrerait pas. Pas cette fois. C'était terminé. Il se mit à tournoyer en chantant réellement. Sa mère apparut dans l'ouverture de la porte, les yeux écarquillés. Il rangea sa tasse et entreprit d'essuyer la table, le prenait-elle pour un cinglé ? Etait-ce normal de chanter en faisant la vaisselle ? Il ne savait plus. Mais l'avait-il jamais su ? Sa mère sourit, les larmes aux yeux.

« Il s'est remis à chanter, murmura-t-elle au téléphone. »

Il eut un rire de soulagement. Oui. C'était terminé.

-00 : 00

Il traversa le couloir, évitant de croiser son reflet dans les miroirs. Il rentra la tête dans les épaules, il détestait cette foule d'élèves qui riait en entrant dans le bâtiment. Il rentra dans quelqu'un et sentit le sol frapper contre son crâne. La douleur s'éclata dans sa tête, lui martelant les tempes. Il ferma les yeux par réflexe, sans comprendre sa situation. Tout était silencieux, son estomac se vrilla lui donnant la nausée. Et tout revint d'un seul coup. Les voix autour de lui se ruèrent à ses oreilles, tels des hurlements. Il sursauta et rouvrit les yeux. Il vit son sac ouvert et ses livres s'étalant partout autour de lui. Il les ramassa, une personne s'accroupit et entreprit de l'aider. Il releva la tête et croisa le regard moqueur de Sacha. Le soleil levant l'éclairait tel un ange, il lui tendit une pile de cahier.

« Alors Sunshine, on ne regarde plus où on va ? Se moqua-t-il. »

Il détestait ce surnom, et Sacha le savait parfaitement. Il lui tira la langue et se releva en frottant sa nuque.

« Merci Sach, souffla-t-il d'une voix rauque. »

Il éclata de rire.


Texte publié par Pastèque, 19 décembre 2016 à 11h00
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