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tome 2, Chapitre 23 « Un nouveau mystère – Troisième partie » tome 2, Chapitre 23

Avec douceur, Ledelian écarta sa gardienne et vint s’agenouiller à côté du garçon.

« Je suis navrée, Aurean. Nous ne voulions pas te troubler autant… mais parfois, nous avons l’impression que tu nous considères comme des ennemis. Pourquoi nous dissimuler ce qui te perturbe ? Nous pensions qu’avec la fuite des d’Arral et la vérité sur la disparition de Bastien, tout rentrerait dans l’ordre. Est-ce que c’est lié à l’agression dont tu as été victime à l’Académie ? »

Le garçon releva la tête, agacé :

« Bien sûr que non ! Et de toute façon, l’affaire est réglée, même si l’Académie n’a pas montré grande énergie dans sa résolution !

— Tu ne signifies pas par là que la punition n’a pas été assez dure pour Andres et ses amis ?

— Vous savez comme moi que leur statut les protège… Ils peuvent s’en prendre aux roturiers et aux Compagnons sans en subir les conséquences !

— Son renvoi ne suffisait pas, à ton avis ?

— Sa famille l’éduquera elle-même, rétorqua Aurean, amer. Elle lui trouvera forcément une place quelque part. Il serait bon qu’un de ces jours, ces avortons se voient rabattre le caquet… »

Ledelian se recula légèrement, les yeux agrandis par l’étonnement. Le garçon blond se demanda ce qu’il avait pu dire pour la choquer ainsi :

« Tu n’approuves quand même pas… »

Le Gardien d’Or comprit soudain le tour dangereux que prenait la discussion, compte tenu des circonstances :

« Vous voulez parler des agressions qui ont eu lieu ? Bien sûr que non ! J’étais furieux parce que Torie Valach, le garçon qui m’a aidé, n’a pas été récompensé à la juste valeur de ses actes ! »

Dame Ledelian poussa un soupir :

« Aurean… Si les hauts faits de ton ami n’ont pas été célébrés, c’était essentiellement pour le protéger ! Je pensais que tu l’avais compris ?

— Et cette situation vous convient ? »

Les paroles avaient fusé hors de sa bouche, teintés de surprise, mais aussi d’une légère pointe d’accusation, avant même qu’il puisse les retenir. Confus, il se mordit la langue, mais le mal était fait. Les yeux de la préceptrice étincelèrent d’une colère rentrée ; elle s’efforçait visiblement de réprimer son irritation :

« Gardien Aurean, prononça-t-elle en détachant chaque mot, vous n’appartenez pas à ce monde. Vous n’en connaissez pas toute la complexité. Sur quelle base vous permettez-vous de nous juger ? »

Les yeux d’Azura, qui scrutait la scène par dessus l’épaule de son attache, se plissèrent pensivement. Le garçon blond sentit son estomac se serrer. Il ne s’attendait pas à ce que ses plus proches alliés témoignent autant d’incompréhension à ce sujet, mais à bien y réfléchir, ils n’avaient jamais connu aucune autre situation.

Il se tourna vers maître Bertlam, à la recherche d’un peu plus de soutien ; après tout, il était un compagnon, comme Torie, comme Segara. Le maître d’armes croisa les bras et baissa le regard, en gardant le silence.

« Ledelian, intervint Francis, tu ne peux pas blâmer Aurean d’avoir le sens de la justice et le cœur à la bonne place. Tu ne peux pas savoir à quel point cette agression a été traumatisante pour lui… surtout par les raisons qui l’ont motivée ! Ne sois pas trop dure avec lui. S’il nous cache quelque chose, cela n’a strictement rien à voir avec cette triste affaire! »

La préceptrice de l’école bleue posa un regard surpris vers le père d’Estrella. Une expression pensive flotta sur son visage. Elle se tourna de nouveau vers le garçon et lui adressa un sourire hésitant :

« Je suis désolée, Aurean. Je n’aurai pas dû m’emporter ainsi. J’avoue que cette injustice… Je ne peux la nier. Elle fait partie de notre univers depuis des siècles. Nous avons toujours conspué Morregan et la brutalité de son règne, mais nous ne sommes peut-être pas meilleurs que lui. Un avis extérieur n’est pas un mal, finalement… Mais si nous voulons modifier ce qui constitue les fondements de notre monde depuis plus de cinq cents ans, il faudrait mettre en place une véritable révolution. Certains membres des Hautes lignées comprennent la nécessité d’un changement au sein de notre gouvernement comme de notre société, mais ils restent peu nombreux. Et j’avoue que ma colère venait surtout de mon impuissance et de ma lâcheté. »

Elle se baissa pour mettre un genoux en terre, un geste qu’elle n’avait pas effectué depuis que le garçon était sorti de captivité et qu’elle l’avait retrouvé dans la propriété de campagne des d’Outremont :

« Je vous pris de me pardonner mon attitude, Gardien Aurean. »

Le garçon blond lança un regard affolé tout autour de lui. Il crut apercevoir un peu d’amusement dans les yeux de Francis comme dans ceux de Bertlam.

« Je… je vous en prie, dame Ledelian, bafouilla-t-il en passant une main nerveuse dans ses cheveux, relevez-vous… Je ne vous en veux pas du tout… »

La préceptrice se releva avec un air contrit :

« Et j’en suis heureuse… J’avoue que j’en viens à oublier parfois à qui je parle ! Et que vous n’êtes pas un élève comme les autres. »

Étrangement, ces paroles se révélèrent plus blessantes encore pour Aurean que tout ce qu’elle avait pu lui dire auparavant. Pourtant, qu’y avait-il de si enviable au fait d’être un adolescent humain ordinaire ?

La réponse lui apparut plus vite qu’il ne l’aurait pensé : Rufus, Azura, Virdis… l'existence qu’ils menaient sur Erastria lui semblait bien trop solitaire, articulée uniquement ou presque autour de leur attache. Même si Rufus voyait sans doute un peu plus de monde, en tant qu’adjoint supposé de Bertlam, le statut d’Azura restait bien plus flou. Quand elle devait paraître en public, dame Ledelian la désignait généralement comme sa secrétaire, qui lui prêtait sa patience et son sens de l’ordre, tandis que la vielle Renate faisait passer Virdis pour sa dame de compagnie. Autant de postes subalternes, quand bien même ils demeuraient les créatures les plus prestigieuses de Lucid. Certes, Aurean ne se sentait pas choqué par la modestie de leur couverture à Erastria, mais plus par le fait que ces tâches les coupaient de toute vie sociale. Plus encore, en se présentant comme des compagnons, plutôt que des membres des Hautes lignées dont le nom et l’hérédité seraient forcément examinés par leurs pairs supposés, ils s’exposaient au mépris des descendants de ceux à qui ils avaient jadis offert leur lumière. Tandis que lui, en tant qu’élève de l’académie, pouvait se permettre de vivre l’existence d’un garçon de son âge apparent, avec des amis et même une famille pour veiller sur lui.

« Cela ne me fait rien d’être traité comme un élève ordinaire, finit-il par avouer. Je me sens bien plus heureux ainsi ! »

Francis éclata de rire :

« Décidément, Aurean, tu n’as pas fini de nous surprendre.

— C’est le moins que l’on puisse dire », souffla Azura, clairement réprobatrice

Rufus lui lança un regard comminatoire, qui la fit taire aussitôt.

« En attendant, poursuivit le père d’Estrella, il serait bon que tu nous dévoiles enfin ce qui te perturbe autant. Tu sembles oublier que tu vis sous mon toit… Crois-tu que je n’ai pas remarqué que quelque chose te perturbait ? »

Bien sûr… cela se voyait comme le nez au milieu de la figure. Ses absences, ses rêves incontrôlés, les scènes qui remontaient dans sa mémoire alors qu’il lui était impossible de les avoir vécues… Son trouble à chaque fois qu’une personne ignorante de sa condition voulait faire appel à ses souvenirs et à son expertise de Gardien…

Aurean s’était montré bien naïf en pensant que personne ne les remarquerait. Il baissa les yeux et soupira, à la fois terrifié et soulagé :

« Venez… tous. Je vais vous expliquer la situation. »

* * *

Quand Aurean eut terminé ses explications, il eut la sensation de s’être totalement mis à nu. Douze regards pesaient sur lui, avec une variété de sentiments qui l’étourdissait littéralement. Ceux qui connaissaient déjà son calvaire, comme Estrella, Eymeri et Rufus semblaient soulagés, de même que Francis, qui devait depuis longtemps soupçonner quelque chose de ce type. Kaeli, Fontain, Yllias, Segara et Kina paraissaient tout à la fois surpris et tristes. Quant à maître Bertlam et dame Ledelian, ils arboraient une expression choquée, mais par autant qu’Azura, qui fixait son frère Gardien avec des yeux horrifiés.

« Pourquoi est-ce que tu ne nous as rien dit ? s’écria-t-elle. Je suis la Gardienne Bleue, et nous avons avec nous deux mages de cette Couleur, dont la préceptrice de l’école de l’Esprit ! Tu n’as même pas songé à demander son aide ! Tout cela n’a aucun sens ! »

À présent qu’il y songeait, Aurean ne pouvait la contredire, à son grand regret. Il ne comprenait pas ce qui avait pu le dissuader de la consulter. Peut-être que cette réticence n’avait rien de naturel, qu’elle lui avait été imposée, tout comme la perte de ses souvenirs…

« Tu as raison, bafouilla-t-il enfin. Je croyais qu’il s’agissait d’un effet de ma captivité, et que tout rentrerait dans l’ordre…

— Et tu n’en as même pas parlé à la Reine ? »

Aurean songea de nouveau aux paroles qu’il avait cru entendre alors qu’il se reposait chez Raya… Pouvait-il avouer à Azura, voire à Rufus, qu’il soupçonnait Lucida de ne pas être étrangère à sa situation ? Ce qui se cachait au fond de sa mémoire disparu était-il si terrible ? Pour Lucid ? Pour lui-même ? Il devait trouver une explication, même improbable, même imparfaite.

« Je… Je ne voulais pas causer de problèmes. »

Francis s’avança et posa une main sur l’épaule du garçon :

« Allons, Aurean, je suis certain que tu avais de très bonnes raisons. Même si tu ne peux nous les expliquer… Mais les choses auraient été plus simples si nous l’avions su. Je suppose qu’Estrella est au courant depuis longtemps ? »

Sa fille leva la tête, les yeux flamboyants :

« Oui, il me l’a avoué. Et après ? Je pensais comme lui que c’était lié à l’épreuve qu’il avait traversée. Et qu’une fois qu’il pourrait revenir à Lucid, il récupérerait toute sa mémoire ! Quand les choses sont restées comme elles étaient, nous nous sommes sans doute résignés… Il y avait bien d’autres choses à penser, surtout avec l’agression dont Aurean a été victime ! »

L’assemblée la regarda en silence. Eymeri esquissa un petit sourire, tandis que Rufus levait les yeux au ciel. Dame Ledelian affichait un visage fermé, mais pas aussi hostile qu’Azura.

« De toute façon, reprit Francis, ce n’est pas ici ni maintenant que nous pouvons régler cette affaire. Nous allons regagner le chalet, nous reposer, et nous parlerons de tout cela demain matin. Peut-être avons-nous une chance de percer ce secret et d’élucider également le mystère de ces étranges souvenirs qu’Aurean semble retrouver, mais ce n’est pas la peine de se précipiter, surtout après ce qu’il vient de vivre. »

Il avait adopté un ton définitif qui n’admettait aucune contradiction. Même dame Ledelian se garda d’intervenir.

« Est-ce que tout le monde est prêt à repartir ? Aurean ? »

Le Gardien d’Or acquiesça. Il se rendait compte à présent qu’il s’était mis dans un pétrin aussi profond qu’inextricable. Pour le moment, il ne voyait aucun moyen d’en sortir.

* * *

En dépit d’un chemin plus facile qui descendait tout du long, le retour prit plus de temps au petit groupe qu’à l’allée. Quand, enfin, ils parvinrent au chalet, la lumière baissait sur les montagnes. La nuit tomberait bientôt. Renate et Virdis, qui les avaient attendus patiemment, les rejoignirent dans le hall de la grande bâtisse. Elles remarquèrent aussitôt l'humeur étrange qui s’était emparée de leurs amis.

« Que s’est-il passé ? demanda la vieille femme non sans inquiétude. Tout le monde va bien ?

— Rien qui mérite que nous en parlions ce soir, se hâta de la rassurer Francis.

— Aurean a une mine épouvantable…

— Juste quelques souvenirs désagréables qui sont remontés la surface… Ce n’est pas la peine de s’en faire. Demain, il n’y paraîtra plus. »

Le garçon l’espérait aussi. Il se sentait épuisé, autant moralement que physiquement.

« Allez tous vous changer. Je vais donner des ordres pour que nous mangions tôt. »

Le garçon blond ne se le fit pas dire deux fois. Il était soulagé de regagner le havre de sa chambre, avec la seule compagnie d’Eymeri, à défaut de celle d’Estrella. Puisque son ami prenait le temps de célébrer ses retrouvailles avec Virdis, comme s’il l’avait quittée deux semaines plus tôt et non le matin même, il saisit l’occasion de profiter d'un peu de solitude. Il grimpa d’une traite les escaliers et se jeta sur son lit, trop las pour ôter sa tenue de randonnée. Son regard erra sur le plafond ; il remarqua pour la première fois que les poutres anciennes portaient de discrets motifs sculptés, des losanges et des chevrons encadrant des fleurs stylisées. Le Gardien se mit à rire tout seul : il devait se trouver dans une profonde confusion pour s’attacher ainsi au moindre détail insignifiant.

Aurean se sentait acculé de toutes parts. Même si aucun de ses camarades de l’Académie ne l’avait pressé de reproches ni de questions, il conservait le sentiment diffus de passer aux yeux des autres au mieux pour quelqu’un d’incompréhensible, au pire pour un irresponsable ou un cachottier.

Il se retourna sur le ventre et enfouit son visage entre ses bras, en tentant de faire le vide dans son esprit. Quand Eymeri monta enfin, il l’entendit à peine.

« Aurean ? »

Le garçon blond se décida enfin à bouger un peu et leva un œil vers son ami.

« C’est l’heure de dîner. Je vais me changer en vitesse avant de redescendre. Tu devrais en faire de même ! »

Le Gardien ne répondit pas et plongea de nouveau la tête dans son oreiller. Il pouvait compter sur l’indulgence de Francis d’Outremont, et peut-être aussi sur celle de Renate et de Virdis, par la même occasion, mais comment parviendrait-il à faire face à maître Bertlam et dame Ledelian ? Et surtout… à Azura ? La Gardienne Bleue voyait sans doute son silence comme une trahison envers la reine Lucida.

« Je préfère rester là, maugréa-t-il d’une voix étouffée par les épaisseurs de lin et de plumes.

— Aurean… »

Il entendit le pas de son ami s’approcher, puis sentit le matelas s’affaisser légèrement à côté de lui. Une main se posa sur son épaule :

« Les autres ont été surpris. Laisse-leur un peu de temps, ils finiront bien par comprendre que ta situation n’a rien de facile. En tout cas, je peux te dire que nous sommes tous de ton côté. Fontain, Segara, Kina, Kaeli, même Yllias… et moi, bien entendu ! Nous avons décidé que nous ne permettrons à personne te rudoyer comme dame Ledelian et la Gardienne Azura ont pu le faire. Virdis est de mon avis. Rufus et elle vont se charger d’Azura, et je pense que monsieur Francis saura persuader dame Ledelian de se montrer plus compréhensive ! »

Aurean se redressa légèrement ; Eymeri lui adressa un petit sourire d’encouragement.

« Tu as vraiment l’air épuisé. Si tu veux rester en haut, je dirai aux autres que tu as besoin de tranquillité, ce qui est compréhensible après ton malaise dans le temple. »

Le Gardien d’Or sentit une vague de gratitude monter en lui.

« Merci, Eymeri !

— C’est tout naturel ! Prends tout de même la peine de te changer et d’enlever tes chaussures avant de te coucher !

— Oui maman ! »

Le garçon roux lui envoya une bourrade dans les cotes en guide de rétribution, avant de se relever pour se changer. Hissant sur ses pieds son corps alourdi de fatigue, Aurean en fit de même.


Texte publié par Beatrix, 31 août 2021 à 21h21
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