Une lumière dorée...
Elle flottait au milieu d'un océan de lumière, qui l'enveloppait d'une chaude étreinte. Elle ressentait une paix et une sérénité qu'elle n'avait jamais expérimentées auparavant.
Et cependant, elle savait que viendrait un moment où elle devrait s'arracher à cette quiétude. Pour revenir dans un monde où l'attendaient de nouvelles épreuves.
Si seulement elle pouvait rester un peu... Juste encore un peu...
Une main se posa sur son épaule, la secouant légèrement. Elle marmonna quelques paroles incompréhensibles – y compris pour elle-même.
« Réveille-toi... S'il te plaît... »
Elle grimaça en sentant le sol dur et froid sous son dos. Elle essaya de se tourner sur le côté pour trouver une position plus confortable, mais la poigne sur son bras l'en empêcha.
« Nous ne pouvons pas rester là... »
Rester où ?
Avec effort, elle ouvrit les paupières, pour découvrir un visage penché sur elle. Celui d'un garçon aux traits fins, éclairés par de grands yeux d'or et encadrés de longues mèches de même couleur. Elle fixa l'inconnu avec perplexité : elle se rappelait bien l'avoir vu quelque part... mais où ? Il y avait en lui quelque chose de troublant, de presque angélique. Elle ne pouvait pas avoir oublié quelqu'un d'aussi... singulier.
Tandis qu'elle se mettait sur son séant, les souvenirs refluèrent brutalement :
« Aurean ! s'écria-t-elle. Tu... tu vas bien ? »
Il lui sourit largement :
« Eh bien... On dirait... Et grâce à toi ! »
Elle baissa la tête avec un grand soupir de soulagement. Elle avait eu tellement peur de ne pas pouvoir le ranimer après la tentative désespérée à laquelle il s'était livré.
Subitement, elle fut prise de frissons. Son corps s'était refroidi, à demeurer allongé en simple chemise de nuit sur les dalles de pierre. Elle sentit un poids sur ses épaules et réalisa que le garçon venait de placer son manteau sur ses épaules. Elle lui adressa un regard reconnaissant :
« Merci, Aurean ! »
Il hocha la tête et s'assit sur ses talons, posant sur elle un regard chargé de sollicitude. Il laissa le silence planer entre eux un moment, puis ferma les yeux, passant sa main sur sa nuque d'un air embarrassé :
« Je ne sais comment te remercier ! Sans toi... »
Sa voix mourut et il baissa la tête, soudain rattrapé par la douleur et la peur rétrospective.
En l'observant, Estrella remarqua qu'il y avait chez lui comme quelque chose de... changé. Son effrayante maigreur, sa pâleur mortelle avaient disparu ; même s'il ne semblait pas encore au mieux de sa forme, son état n'était plus alarmant. Cependant, ce n'était pas ce qui avait attiré son attention.
Quand elle le détailla avec plus d'attention, elle remarqua que ses vêtements paraissaient trop petits pour lui. Ses manches lui arrivaient largement au-dessus des poignets, et le tissu de sa chemise se tendait un peu trop sur ses épaules. Sa physionomie même paraissait modifiée : c’était comme si l'enfant de treize ans avait fait place, pendant qu'elle était inconsciente, à un adolescent d'une quinzaine d'année.
Sous le coup de cette réalisation, elle se recula brusquement, en resserrant autour d'elle les pans de son manteau :
« Qu'est-ce qui se passe ? fit-elle d'une voix tremblante. Pourquoi est-ce que tu as... grandi ? »
Aurean lui lança un regard chargé de confusion.
« Grandi ? »
Il baissa ses yeux sur ses mains, les regarda attentivement, avant de toucher avec précaution le cercle brillant autour de son poignet. Lentement, il se tourna vers la forme inerte qui reposait sur les dalles, non loin d'eux :
« Bastian... » souffla-t-il.
Il se releva sur des jambes encore flageolantes et se dirigea vers son frère adoptif. Péniblement, il s'agenouilla à côté du corps, avec un mélange d'horreur et de tristesse. Il tendit la main ; après un temps d'hésitation, il caressa légèrement, sans la moindre répulsion, la tempe où adhéraient encore quelques mèches de cheveux blonds. Il ferma les yeux avec une expression de peine intense.
Un silence absolu régnait à présent dans la crypte. Blottie dans son manteau, Estrella remarqua que le bizarre phénomène de superposition avait disparu. Avaient-ils regagné le monde réel ? Ou se trouvait-elle piégée à jamais dans cet étrange « ailleurs » où elle avait pénétré presque par accident ? Elle prit une longue inspiration, en se disant qu'elle aurait la réponse bien assez tôt... en espérant de toute son âme que sa première supposition était la bonne.
Même si elle était incolore, ou avait cru l'être, elle vivait dans un monde où la magie faisait partie de la vie quotidienne. Pour le peuple dénué de tout pouvoir, c'était un concept étrange et fabuleux, vague et lointain. Mais pour les membres des Hautes Lignées, une réalité quotidienne. Elle ne pouvait prétendre comprendre tout ce qui s'était passé, mais elle savait qu'il devait bien exister une explication à tous ces faits aussi incroyables les uns que les autres, que ce soit l'inexplicable survie d'Aurean, sa capacité à desceller sa Lumière, ou même son bizarre changement d'âge. Son compagnon possédait probablement une partie des réponses, mais ce n'était pas le moment les lui soutirer.
Elle sentit une légère sensation de chaleur au niveau de son poignet gauche. Étonnée, elle dégagea son bras de sous l'étoffe du manteau et leva la main, pour découvrir un cercle de lumière semblable à celui qu'arboraient Aurean et Bastian.
« Mais qu'est-ce que c'est que ça ? » s'écria-t-elle d'un ton paniqué.
ƸӜƷ ƸӜƷ ƸӜƷ
Azura se tourna brusquement vers sa compagne, les yeux élargis de saisissement :
« Ledelian... La faille de réalité... elle a disparu...
— Disparu ? »
La femme brune se leva et s'avança jusqu'à l'orée du sous-bois, où se tenait son amie aux cheveux bleus, le regard braqué vers la forme sombre de la demeure.
« Est-ce que... tu perçois quelque chose ? » demanda-t-elle prudemment.
Azura joignit les deux mains et les serra sur son cœur. Son regard débordait d'une émotion intense :
« Je crois que oui », souffla-t-elle, comme si elle n'osait y croire.
Ledelian ferma les paupières. Une vague mouvante de lumière joua sous sa peau, la teintant brièvement d'un reflet cobalt.
« Je le sens aussi. Faiblement, mais il est bien là... La jeune fille aussi. Par contre, je ne trouve aucune trace de la présence du fils de Trente. Mais c'était hélas à prévoir... »
Elle poussa un soupir :
« Nous aurions dû être plus attentifs. Cette perte pèsera lourd pour nous. Un potentiel aussi inestimable... »
Elle posa une main sur l'épaule pâle d'Azura et baissa la tête avec tristesse :
« Sans compter la responsabilité que nous aurions eu à assumer vis à vis de Lucid s'il s'était avéré qu'un des vôtres était perdu également. Cette longue incertitude a dû être une véritable torture pour chacun d'entre vous. »
La femme aux cheveux bleus entoura son torse de ses bras et hocha lentement la tête.
« Il est encore trop tôt pour ébruiter la nouvelle, répondit-elle doucement. Nous devons d'abord nous assurer qu'Aurean et la demoiselle d'Outremont vont bien. Et tant que nous n'en saurons pas plus sur les circonstances de la disparition d'Aurean et de son attache, tout danger n'est pas écarté.
— Tu as raison, acquiesça gravement Ledelian. Il est important de rester vigilants. Il serait sans doute plus sage de se rapprocher de la propriété et de voir comment évoluent les choses... sans intervenir pour le moment. »
Le lien de lumière qui joignait les poignets des deux jeunes femmes flamboya brièvement : elles semblèrent disparaître dans l'air de la nuit, ne laissant derrière elles que quelques parcelles de lumière qui moururent à leur tour.
ƸӜƷ ƸӜƷ ƸӜƷ
Estrella contemplait l'étrange phénomène avec stupeur. Aurean se tourna vers elle, avec une expression alarmée :
« Quelque chose ne va pas ? »
La jeune fille brandit son poignet, lui révélant le cercle étincelant qui l'entourait, comme fusionné avec sa peau. Les yeux du garçon s'élargirent ; machinalement, il reporta son attention sur son propre bracelet de lumière.
« C'est... impossible », balbutia-t-il, visiblement choqué.
Il se tourna vers le corps de Bastian, cherchant d'un regard paniqué la marque identique qu'Estrella avait remarquée quand elle avait trouvé les deux garçons. Il secoua la tête, incrédule.
« Elle a disparu... Mais alors... »
Il se redressa et, fermant les yeux, leva la main au dessus de sa tête. La chaîne de lumière réapparut, sauf que cette fois-ci, au lieu de lier Bastian et Aurean, c'était Estrella et Aurean qu'elle rassemblait. Il souleva les paupières et contempla le phénomène, le visage presque aussi pâle que quand le jeune fille l'avait retrouvé.
« C'est insensé... » murmura-t-il.
Il fixa Estrella d'un regard à la fois surpris et soupçonneux :
« Tu es bien une fille... ?
- Quoi ? »
Elle faillit s'étrangler d'indignation :
« Bien sûr que je suis un fille. A moins que tu sois incapable de faire la différence... »
Le garçon leva les mains comme pour se protéger de l'acrimonie soudaine de son ton :
« Non, ce n'est pas cela, c'est juste que normalement... Ce lien ne peut être établi qu'entre deux garçons ou deux filles. Mais jamais entre un garçon et une fille... Je ne comprends pas comment ça a pu arriver... »
Estrella se demanda si ce n'était pas elle qui venait de se réveiller d'un sommeil de deux ans, dans un monde qu'elle parvenait de moins en moins à comprendre. Elle se prit la tête entre les mains et inspira profondément :
« Explique-moi d'abord ce qu'est ce lien... » demanda-t-elle en tentant de garder une voix ferme.
Aurean détourna la tête, l'air gêné ; il prit le temps de s'asseoir sur les dalles avant de répondre :
« Tu es sûre que tu es vraiment prête à l'entendre ? » fit-il d'un ton hésitant.
Elle n'en était pas si sûre... Mais peut-être aurait-elle enfin un début de réponse à tout ce qui était arrivé durant le nuit. Elle hocha la tête avec détermination.
« Je suppose que tu as déjà entendu parler de Lucid ?
— Bien sûr, rétorqua Estrella. On raconte qu'Erastria a été créé entre les mondes de Lucid, le royaume de la Lumière, et de Penumbra, le royaume de l'Ombre. Pour aider les Erastriens à repousser l'emprise des Ombres, Lucid a offert à certains élus une partie de sa lumière. C'est ainsi que les membres des Hautes Lignées ont acquis le contrôle de la magie des Sept Couleurs. »
Soudain prise d'un étrange pressentiment, elle ajouta :
« Mais ce n'est qu'une légende, n'est-ce pas ? »
Aurean tourna vers elle ses yeux d'or, étrangement brillants dans la semi-pénombre de la crypte :
« Non, ça n'en est pas une. Lucid et Penumbra existent bel et bien. »
Il hésita un peu, avant d'ajouter :
« Je ne suis pas originaire d'Erastria... Mais de Lucid. »
Estrella écarquilla les yeux, en se demandant si les épreuves subies par le garçon ne lui avaient pas fait perdre un peu la tête.
« Je sais que c'est difficile à croire, reprit-il, mais je ne suis pas humain. Je suis l'un des Sept Gardiens de Lucid, qui ont été chargés de veiller sur le monde d'Erastria, pour éviter qu'il ne tombe sous l'emprise des Ombres.
— Un des Sept Gardiens... ? Et tu prétends que tu ne te moque pas de moi ? »
Elle sauta sur ses pieds, entreprit d'enfiler convenablement son manteau, bien décidée à fuir cet endroit et les paroles insensées du garçon.
« Fais ce que tu veux, mais moi, je sors d'ici, fit-elle amèrement. Avec ou sans toi. Je t'ai sauvé la vie et tout ce que tu trouves à faire, c'est me raconter des mensonges... des contes pour enfants. Soit tu me prends pour une idiote, soit tu as vraiment perdu la tête. Plus rien ne te retiens ici, alors fais comme tu veux. »
Elle se hâta vers la porte ; elle se sentait soudain si épuisée, si confuse que les larmes commencèrent à inonder ses yeux. D'un geste rageur, elle les essuya et courut vers l'escalier, sur jambes qui peinaient à la porter. Elle faillit trébucher sur les premières marches, mais se reprit et commença à les gravir avec détermination.
« Attends ! » s'écria Aurean derrière elle.
Elle s'obligea à ne pas regarder en arrière. Si elle revenait dans la sécurité de sa chambre, peut-être se réveillerait-elle pour se réaliser que tout cela n'était qu'un rêve...
Elle avait presque réussi à s'en convaincre, quand un sentiment d'une tristesse infinie s'empara d'elle. Elle prit appui sur le mur er baissa la tête, fermant les yeux de toutes ses forces pour ne pas se perdre dans cette terrible vague d'émotion. L'image d'Aurean sous sa forme juvénile, allongé inconscient sur le sol, lié à son frère adoptif mort depuis deux longues années, joua subitement devant ses yeux.
Regret...
Culpabilité...
Elle redressa subitement la tête, les yeux écarquillés.
« Est-ce que ça va ? »
Elle se retourna : Aurean se trouvait au bas des marches, dans ses vêtements fanés et trop petits pour ses membres élancés, le visage à demi-caché par un rideau de cheveux blonds.
« Ça va... » répondit-elle à contrecœur.
Avec un pointe d'agacement, elle ajouta « :
« Allez, dépêche-toi. Je ne compte pas t'attendre jusqu'au matin ! »
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