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tome 2, Chapitre 7 « Le Retour – Troisième partie » tome 2, Chapitre 7

Pendant que les autres se changeaient, Virdis examina le jeune homme avec attention. Debout en bras de chemise dans l’un des vestiaires déserts, Eymeri n’en menait pas large. En la seule présente d’Aurean et de son « patient », la femme aux cheveux verts pouvait sans crainte révéler son apparence. Elle avait ôté sa cape, déposée négligemment sur l’un des bancs. Le Gardien d’Or observa sa « sœur » avec curiosité. Sa forme humaine n’était pas aussi altière que celle d’Azura, mais sa beauté n’avait rien à envier à celle de la Gardienne Bleue. Ses courtes mèches émeraude encadraient un visage doucement arrondi, mangé par de grands yeux couleur de feuille de saule, légèrement en amande. Avec son nez délicat et son menton un peu pointu, elle ressemblait à une poupée vivante. Son corps mince et gracile achevait de lui donner l’air d’une adolescente plus jeune encore qu’Eymeri, même si elle se trouvait liée à une vieille femme.

Virdis avait ouvert la chemise du garçon : à l’endroit où l’attaque du prétorien l’avait atteint, il avait longtemps conservé une tache noirâtre. Il n’était pas un Gardien et la blessure créée par l’Ombre l’avait affaibli sans mettre sa vie en danger, mais elle avait anéanti la Lumière qui l’avait habité depuis sa naissance. La marque avait progressivement régressé, mais l’état d’Eymeri n’avait connu aucune amélioration sensible, même s’il avait recouvré physiquement toute sa santé.

Une douce lumière verte commença à irradier de la main de la Gardienne, inondant tout le corps du garçon et plongeant toute la pièce dans une atmosphère qui rappelait un sous-bois au printemps. Eymeri osait à peine respirer.

Au bout d’un long moment, Virdis rompit le contact en soupirant. L’éclat émeraude mourut progressivement, tandis qu’elle se reculait avec une mine grave.

« Alors ? » demanda Aurean, même si l’expression de sa « sœur » ne le portait pas à être optimiste.

La Gardienne Verte secoua lentement la tête :

« Hélas… Je ne peux que répéter ce qui a été déjà dit. Toute sa Lumière a été comme tarie… et c’est sans doute à cause de cela qu’il n’est plus capable d’en produire.

— Et si nous l’inondions de lumière ?

— Je doute que cela marche. Son corps ne parvient plus à la fixer. Il existe probablement une solution, mais pour l’instant… »

Elle écarta les bras en aveux d’impuissance :

« Pour l’instant, je ne la connais pas. »

Eymeri esquissa une grimace de déception :

« Je vois. Merci encore à toi… »

Virdis posa sur lui un regard désolé :

« J’aurais tant voulu… »

L’expression du garçon se transforma en un sourire rassurant ; il s’avança pour saisir les mains de la Gardienne Verte de la Vie :

« Tout va bien, Virdis. Si tu me dis qu’il y a sans doute une solution, nous allons la chercher et la trouver ! Et si, finalement, il n’y en a aucune… Eh bien, j’en ferai mon deuil ! Je suis bien autre chose que mes pouvoirs, non ? »

Virdis ouvrit la bouche pour répondre, mais le garçon l’arrêta en serrant ses mains un peu plus fort :

« Je sais que cela peut sembler étrange pour vous, qui êtes des êtres de Lumière, mais ce n’est pas mon cas. Dans ce monde, les Lumineux ne sont qu’une minorité d’élus. Il y a des milliers de gens qui vivent sans ces pouvoirs, jour après jour… Et s’ils peuvent le faire, pourquoi n’y arriverais-je pas ? Je sais faire beaucoup d’autres choses… et pas seulement combattre à l’épée ! »

Il relâcha Virdis et lui adressa un sourire radieux :

« Alors ne t’en fais pour moi. Je suis bien décidé à aller de l’avant ! »

Aurean ressentit une bouffée de fierté à l’égard de son ami ; malgré tout, ce nouvel échec l’avait profondément déçu. La Gardienne semblait partager son sentiment. Elle opina timidement, impressionnée par la dignité d’Eymeri. Mais Aurean pouvait lire la description dans le regard d’Eymeri, en dépit de tous ses efforts pour ne pas la montrer. Il se promit de ne pas lâcher l’affaire tant qu’il n’aurait pas tout tenté pour aider le jeune Erastrien, même s’il devait de nouveau faire appel à Lucida !

***

Bientôt, toute la petite bande se retrouva dans l’hôtel particulier des d’Outremont. Les adultes se trouvaient occupés par diverses tâches et le lieu était tout à eux… Ainsi qu’à madame Maysie, qui tournait en tout sens tel un bourdon affairé. Le repas préparé à l’attention des jeunes gens se révéla, comme d’habitude, assez copieux pour trois fois plus de convives. La gouvernante considérait sans doute que des adolescents pleins de vie avaient besoin de prendre des forces.

Madame Maysie, qui était toujours contente de mettre les petits plats dans les grands, avait dressé la table dans la « petite salle à manger ». Depuis qu’il avait expérimenté les sursauts d’activité de la brave femme, Aurean comprenait mieux la sensation d’étouffement qu’Estrella avait pu éprouver quand elle se trouvait en « exil » à la campagne.

La pièce aurait pu accueillir trois fois plus d’invités ; elle ne servait qu’à ce genre d’occasion. Les membres de la famille préféraient prendre leur repas dans l’un des salons, plus intime.

C’était une salle agréable, avec trois grandes portes-fenêtres qui donnaient directement sur les jardins et laissaient entrer la lumière à flots. Les murs avaient été peints d’une belle couleur ocrée ; des boiseries un peu plus claires couvraient la partie inférieure. En plus d’une longue table au style sévère, entourée de chaises à hauts dossiers, le mobilier se limitait à quelques consoles et de larges miroirs dans des cadres dorés.

Avec délice, le gardien plongea sa cuillère dans un consommé aux douces saveurs d’herbes aromatiques, destiné à ouvrir l’appétit avant les plats plus copieux. Il tolérait à présent la nourriture erastrienne et prenait même plaisir à la déguster – bien plus que les nutriments lumineux de Lucid.

Parfois, il se demandait s’il n’était pas en train de devenir humain…

« Tout va bien, Aurean ? »

Il se tourna vers Estrella, assise à côté de lui, qui le fixait de ses grands yeux bleus :

« Ou… oui. C’est juste… que ça m’a fait drôle de retourner aussi longtemps à Lucid…

— J’imagine… Tu as dû te réhabituer à un monde totalement différent !

— Oui, c’est sans doute cela, admit-il sans trop y croire. Mais… nous en parlerons plus tard… »

La jeune fille acquiesça, mais son regard exprimait une compréhension toute particulière. Elle était la seule personne à être au courant de son amnésie… et la seule avec qui il pourrait en parler librement. Malgré tout, il éprouvait une étrange réticence à aborder la question, même avec elle. Il voulait réfléchir par lui-même aux raisons de sa situation, avant de partager avec quiconque ses soucis et ses griefs.

Le second plat arriva bientôt, sous la forme d’un poisson moelleux, cuit avec un assortiment de légumes dont l’assemblage créait une véritable symphonie de saveur. Il fut suivi par une énorme volaille accompagnée des choux farcis que Kaeli appréciait tant. Enfin, ce repas copieux se conclut par une somptueuse tourte aux fruits et aux épices.

Tandis que les servantes leur apportaient des tisanes parfumées censées les aider à éliminer ce trop-plein de nourriture, Yllias se tourna vers le Gardien avec curiosité :

« J’ai entendu dire que tu avais définitivement abandonné le nom des Trente ? »

Aurean opina avec un sourire. Il avait éprouvé un profond soulagement quand ses derniers liens avec le brutal Eveas avaient été définitivement rompus. Après avoir longuement réfléchi à la question, les compagnons de Soveregne avaient renoncé à lui attribuer le nom d’une famille d’Héritiers, même disparue. Ils avaient opté pour un patronyme roturier, qui découragerait les personnes trop curieuses ou mal intentionnées de rechercher ses origines. Désormais, il porterait le nom d’Aurean Esclar, mais, comme pupille des d’Outremont, il ne serait pas soumis au statut inférieur qui s’appliquait aux Compagnons. Aurean s’en sentait vaguement coupable… Il ne l’aurait pas vécu comme un déshonneur : après tout, Rufus servait comme adjoint de maître Bertlam en tant que Compagnon !

« Ce sera plus simple ainsi », résuma-t-il avec un haussement d’épaules.

Comprenant qu’il n’avait pas envie de creuser la question, le mage Vert de la Vie changea de sujet du tout au tout et se mit à se chamailler avec Eymeri sur la façon de réaliser une certaine passe d’armes, avec force détails techniques assez obscurs. Le garçon roux remarqua que vu son manque d’habileté au maniement de l’épée, Yllias ne parviendrait jamais à l’employer ni même à la contrer. Vexé, son rival se renfrogna et se plongea dans le mutisme. Tous ses amis s’amusèrent à tenter de l’en sortir, et le tout finit par un fou rire qui réchauffa le cœur des convives.

Malgré tout, Aurean n’arrivait pas à chasser cette question de ses pensées ; sans qu’il se l’explique, il se préoccupait de plus en plus de la situation injuste vécue par les Compagnons. Un jour, peut-être, le destin de Reyliss reposerait sur eux !

Surpris du tour de ses réflexions, il décida de les enfouir au fin fond de son esprit et de les oublier.

***

Le soir venu, Aurean regagna sa chambre avec le sourire, en rependant aux bons moments qu’il avait passés avec ses amis. Malheureusement, il ne pouvait écarter longtemps les pensées parasites qui envahissaient trop souvent son esprit ; l’échec de Virdis à aider Eymeri ajoutait à son désarroi.

Il se laissa tomber sur son lit sans prendre la peine de se dévêtir, le regard fixé sur le plafond blanc. Les d’Outremont avaient tout fait pour qu’il se sente à son aise dans cette pièce ; ils avaient plutôt bien réussi. Tout y était doux pour les yeux comme pour le cœur, un mélange de teintes sobres où dominait le beigne, rehaussé de discrètes touches de couleurs qui lui rappelaient ses amis. Les gravures aux murs représentaient la maison de Gallantide, la première demeure qui l’avait accueilli quand il s’était éveillé de sa longue inconscience, ainsi que d’autres paysages de Reylis. Étrangement, il s’y sentait plus à son aise que dans son logis du Royaume de Lumière.

Il leva sa main et la fit tourner dans la lueur mourante du jour : en apparence, rien ne le distinguait des habitants de ce monde. Quand il se matérialisait sur Erastria, il devenait un être de chair et de sang, il éprouvait les mêmes sensations que ses amis… Il se demanda si c’était pareil pour Azura, Rufus ou Virdis. Contrairement à lui, ses frères et sœurs de Lucid ne semblaient pas endurer de difficultés pour se réadapter à leur univers d’origine, quelle que soit la durée de leur séjour parmi les humains. Il avait d’abord cru que ses problèmes venaient de ses deux années de captivité, mais il commençait à en douter. Il avait rencontré trop de choses inexplicables liées à son passé, outre son amnésie : son inconfort quand il se trouvait au Royaume de Lumière, cet étrange portrait dans sa demeure, le salut que lui avait adressé Soveregne…

Il avait envie de comprendre, mais il devait à tout prix éviter de lancer dans le vide des hypothèses trop séduisantes, qui ne pourraient que le décevoir. Avec un profond soupir, il se tourna sur le ventre et enfouit son visage dans son oreiller, respirant profondément la légère odeur florale de la taie qui avait été récemment changée.

Quelques coups discrets retentirent à sa porte. Aurean se redressa en grommelant :

« Qui est-ce ?

— C’est moi, Estrella. Est-ce que je peux entrer ?

— Viens ! »

Le battant pivota pour révéler son Attache, qui arborait une expression grave. Elle avait revêtu une simple robe d’intérieur et sa longue chevelure noire pendait dans son dos, seulement retenue par un ruban sur sa nuque. La jeune fille s’assit sur son lit, avec une familiarité qui leur semblait à tous deux naturelles, après presque une année à comprendre leur relation et s’apprivoiser mutuellement. Malgré tout, Aurean savait que s’il dépendait toujours d’elle, la réciproque n’était plus tout à fait vraie, à présent que les dangereux membres de la famille d’Arral ne représentaient plus une menace immédiate. Pourtant, elle n’avait pas cessé pour autant de s’appuyer sur lui pour mieux supporter ses doutes et ses peines. Ils étaient embarqués dans la même aventure et si leurs ennemis avaient été vaincus lors de la première bataille, rien ne prouvait qu’il n’y en aurait pas d’autres.

« Est-ce que tu peux me dire ce qui ne va pas ? »

Il la fixa d’un regard vaguement étonné ; la jeune fille haussa les épaules :

« Tu crois que je n’ai pas remarqué que tu étais préoccupé depuis ton retour ? Je te connais assez pour le voir même si tu essayes de le cacher ! Et à supposer que mon sens de l’observation me trahisse, j’aurais toujours le Lien ! »

Elle baissa les yeux vers le bracelet de lumière qui encerclait son poignet.

Aurean ne put s’empêcher de sourire :

« J’aurais dû me douter que je ne pourrais pas te tromper ! »

Estrella esquissa un petit sourire satisfait :

« Même pas dans tes rêves ! »

Les deux jeunes gens éclatèrent de rire. Aurean se laissa retomber sur le lit, la tête tournée vers Estrella ; il l’observant pensivement de l’œil d’or qui émergeait des profondeurs moelleuses de son oreiller :

« Pour tout t’avouer, je ne suis pas sûr de savoir encore où j’en suis… Tout est si… déroutant… »

En soupirant, Estrella caressa les cheveux blonds qui coulaient dans le cou du garçon :

« Je peux comprendre, Aurean. Je sais ce que l’on éprouve quand le monde autour de soi ne semble plus faire aucun sens… »

Ses derniers murs tombèrent et sans hésiter plus, il confia à la personne qui était devenue, par la force des choses, la plus proche de lui toutes ses craintes, ses tourments et, surtout, les interrogations qui persistaient à le tarauder…


Texte publié par Beatrix, 20 janvier 2019 à 11h37
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